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Le vieux qu'ont délaissé les enfants pour la danse,
Avec sa barbe fluviale aux lourds glaçons
Et ses deux yeux d'aveugle où nage une ombre dense,
S'isole assis parmi la lourde exhalaison
Du lilas qui s'est éparpillé d'abondance
Et qu'on voit comme des perles sur le gazon.
La rumeur des ruches d'or d'alentour s'est tue ;
Et derrière le mur d'un feuillage estival,
On entend le lointain nasillement d'un bal.
Le vieux, lui ! dans le clos étoilé de laitue,
Met, avérant la paix du soir dominical,
Son immobilité profonde de statue.
Tel ! il s'isole, assis parmi l'exhalaison
De miel qu'ont les lilas ; tel ! dans le soir où fume,
Vers la rivière, un fin brouillard d'un blanc de plume,
Il rêve sous le toit léger des frondaisons,
Mais sans voir — ô pourtant quel charme s'en exhume ! —
Sans voir saigner, au loin, la crête des maisons.
Rien ne lui tire un cri d'amour, ni l'or immense
Du soleil qui s'immerge en quel vin glorieux !
Ni le feuillage ou maint reflet de pourpre danse :
Car ses yeux, autrefois braises vives ! ses yeux
Pleins, toujours, d'un désir en toute effervescence,
Un voile opalescent les exile des cieux !