Page:Mercure de France tome 006 1892 page 339.jpg
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Version du 6 janvier 2015 à 09:04
VI
Ainsi parla Circé, théa des Etruries,
Dont le corps dévêtu brillait de pierreries,
Au milieu de l'azur bienveillant des prairies !...
Et, ses deux yeux pleins de saphirs éblouissants,
Et son cœur défaillant de musique et d'encens,
Et saoule d'avoir bu des lions rugissants,
D'avoir bu, d'une gorge et d'une âme voraces,
De l'azur, du soleil, du ciel et de l'espace,
Et d'avoir contemplé le dieu Tauth face à face.
Elle tordit son corps, reptile convulsé,
Et, comme un beau serpent qu'un dard a traversé,
Morte, elle s'écroula, l'ondoyante Circé.
Les clairons d'or sonnaient sous les bleus sycomores,
Et l'essaim voltigeant et blond des cystophores
Lui présentait le talisman des mandragores,
La fleur qui fait revivre et le saint bézoard...
Soudain s est rouverte la bouche!... Et l'œil hagard...
Et le sang s'est remis à couler sous son fard !...
VII
Et les doux exilés des méchantes patries,
Comme un avril qui monte en des branches flétries
Sentant sourdre un printemps dans leurs tètes fleuries
Comprirent qu'ils étaient : des Effluves d'encens,
Des Ames, des Parfums, des Papillons, dansant
Dans la Respiration de l'Etre Eblouissant !...
Nos brocarts leur semblent des loques...
Que nous importe leur mépris?
Que nous importe qu'on se moque
Des hymnes qu'on n'a point compris?
Et que nous importe le nombre
Des aveugles à l'âme sombre
Dont l'œil séché prend pour de l'ombre
Nos gais midis clairs et fleuris !...
Juin 1891.
G.-ALBERT AURIER.
(1) Erreur de copie sans doute: nous n'avons pas retrouvé le premier manuscrit. — A. V.