Page:Mercure de France tome 003 1891 page 266.jpg
Version actuelle en date du 4 juin 2012 à 12:33
De même que les danseurs épuisés, halètent joyeusement les violons; * la danse toujours accélère son allure.
Mille voix accompagnent la ritournelle des musiciens, * mille voix essoufflées où la czarda s'écorche et jure.
Et le cymbalum, dominant tout de ses tons aigus, * scande les pas et roule le tourbillon des mesures.
Ivres de joie et de cris, ils vont! ils vont la musique et les danseurs... * toujours plus vite, toujours plus fort...
Mais en sourdine aussi la raillerie ironique de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »
Les feux sont éteints; par groupes, ils s'en retournent vers la maison perdue en l'immensité du désert hongrois. * La nuit s'étend sur les plaines solitaires.
La pousta se déroule en son monotone infini, * n'interrompant d'aucun arbre la ligne raide de son horizon sévère.
Elle s'en va vers le sud comme une mer aux flots lents, et la brise passe sur les moissons, * en molles ondulations, courbant la tête des plantes vers la terre.
La pousta superbe se déroule en son monotone infini. * Telle la mer où sont rares les havres propices et le refuge des ports!
Et j'ai compris la sereine tristesse de la pousta: * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »
Un souffle impur rôde sur la plaine et, dans les veines, brûle le sang. * Les archets grincent, sensuels, aux flancs des violons tsiganes.
C'est la volupté qui rugit. * La soif des enlacements où les corps s'enchevêtrent comme de souples lianes.
Voici résonner toute la gamme des baisers éperdus, * se heurter les chocs furieux des accouplements profanes.
O volupté consolatrice et protection, * liqueur enivrante où la chair s'abreuve, unique trésor!
Mais déjà la douce musique de la pousta pleure sur le calme perdu! * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »
Maintenant, c'est une rustique berceuse que murmurent les violons. * La jeune mère sur ses genoux tient le premier-né qu'elle allaite.