En ce temps de Christmas et d'Épiphanie, cependant que la truffe développe toute son âme impériale et que les gels hivernaux, par des procédés inconnus de monsieur Barrès lui-même, éteignent le paupérisme en la personne des grelotteux, il semble que les entrepreneurs de vaudevilles aient négligé pour leurs revues de fin d'année un « clou » d'indubitable effet. L'étrange appétit qui, vers le solstice de décembre, induit les quelconques bonnetiers à s'attabler devant l'eucharistie d'une permanente imbécillité, nonobstant le cagneux fessier des demoiselles figurantes et la dissonance des ponts-neufs, eût trouvé, comme il semble, une pâture généreuse dans le choix d'un compère nouveau. Ce précieux adjuteur des calembredaines séculaires auquel, par une aberration inexplicable, les Éminents Directeurs n'ont point encore songé, vous l'avez nommé sans doute, à cause de l'excessive aptitude qu'on lui voit pour ces sortes d'utilités. Autour du spéculum-Eiffel, dans les gourbis pédiculaires, parmi les éphestions internationaux, combien nous l'admirâmes, inaugurant sans trève,et, de sa popularité magistralement chauffée par la Rousse, conglorifiant Ali-Voyou, notre sympathique visiteur. Son claque d'alors, son grand cordon à peine défraîchi, ne pourrait-il les mettre au service des beuglants influencés, des théâtricules
déserts ? Lui consul, fut au grand jour importée la Danse du Ventre, l'ostentation familière du Nombril. Sous son règne, des notaires vertueux, des banquiers suivis de leurs hoirs, des charcutiers avec leurs demoiselles, proclamèrent un honnête spectacle la vue des culetages réservés jusqu'à nous aux oulels-naïls de la rue Joubert. Lazare organisait la victoire (N'est-ce pas, ô Béranger ?) Saadi, qu'un tel prénom incline aux grâces, conduit modestement les jeux des bayadères, sans que l'émotion d'aucune glande altère jamais le zinc de son visage. Aussi de quel succès ne comblerait-il pas le tréteau magnifié de ses complaisances ? La commère fort en peau et mafflue comme il convient lui gazouillerait aux trépignements de l'assemblée un hymne populaire de l'an neuf :
« Ça commence en I, ça finit en Cha,
« Et tout le monde a, a l’Influenza ».
tandis qu'une machine d'opéra montrerait le Président, de Bûche Officielle métamorphosé en Bûche de Noël, ouvrant aux futurs récidivistes les jardins de l'Élysée et mimant pour la badauderie contemporaine le geste fictif de la pitié. — Ce qui, somme toute, ne serait guère plus indécent que la croix de légionnaire appliquée à l'histrion Mounet Sully.
Monsieur Tureau-Dangin, auteur peu lu d'une histoire quelconque de la maison d'Orléans ; le pédant Brunetière ; Émile Zola, ce prévôt des marchands, tant soucieux de blasonner sa boutique achalandée ; le capitaine Viaud, en religion basbleuesque Pierre Loti ; Henri Becque, l'auteur des Corbeaux, courent de concert la gloire
académique. Le fauteuil d'Augier, ce poète immortel dont quelques vers applaudis, entre autres ce distique :
« Ce seront tous les jours nouvelles platitudes
« Qui dégénéreront bientôt en habitudes »
dépassent ce que Jean Aicard a produit de meilleur, le fauteuil d'Augier prendra-t-il pour assis le dramaturge, les romanciers, le critique ou l'historien ? L'honneur si grand que Becque daigne impartir aux petits vieux de l'Institut, honneur dont s'affligent ceux qui goûtent dans leur cœur l'âpre virilité de son talent, sera-t-il compris par Camille Doucet, par tant d'autres bonshommes excellents comme le prix d'Excellence ? Le tiendra-t-on long-temps à la porte, cet inexorable diseur de vérités ? Subira-t-il le stage humiliant où Leconte de Lisle a plié son orgueil ? Suivra-t-il jusqu'au bout la voie étroite de son infime ambition ? Les jeunes ― ses amis — ne le désirent certes point, encore qu'une mélancolie les prenne devant un tel désir chez un tel écrivain. — Avoir conçu la Parisienne pour lutter contre Pêcheur d'Islande et les larbins de Chantilly, c'est à dégoûter des chefs-d'œuvre et de ceux qui les font.
De ceux-là ; certes, n'est point monsieur Loti, cacographe impudent et d'autant plus aimé. Car c'est sa profession à lui que d'être aimé et de comprendre dans cet amour les races les plus diverses avec les professions incompatibles. Les reines et les bergères, les femmes jaunes et la veuve Adam, sans compter ses matelots, tout cède au charme de Loti bombant dans l'uniforme et, d'une voix éolienne, expliquant aux personnes les agréments qu'il porte en soi. Carmen Sylva lui lit à haute voix ses meilleurs solécismes. Le frère Yves tente de le réconcilier avec l'armée de mer. — Et je ne serais point étonné que ce
vainqueur prît place sous la coupole en attendant monsieur Bourget, autre dentiste de moins de pittoresque, mais pénétrant, ô combien !
En même temps que s'agitent les apprentifs académiciens, leurs aînés dans la profession ne s'endorment guère sur leurs palmes. En collaboration avec monsieur Fallières, ministre, à ce que je crois, de l'Intérieur, François Coppée, le jeune maître, vient d'obtenir un imposant succès. Cela rappelle Le Passant et console des Jacobites. En frappant d'interdit le bénitier où l'auteur du Pater trempa sa soupe aux larmes, monsieur Fallières (que certains cognominent le « muffe » de Nérac) a fait à cette pauvre chose une réclame près de quoi les banques du Colonel Coddy ne furent que pagnottes et Saint-Jean. Sur le boulevard, les camelots débitent Le Pater avec les cartes facétieuses et la manière de traîter sa belle-mère comme elle le mérite. Des gens acquièrent l'objet qui, d'habitude, vivent aussi étrangers à la littérature que notre Jean Rameau. Rien de plus innocent d'ailleurs. Une guimauve bénite, un mucilage pieux édulcorant l'Épouvantable Souvenir. L'époque terrible où, pour le crime d'un seul et la hideuse ambition du sinistre nabot, flua le sang des révoltés qui « sous le drapeau de la Commune formèrent la grande fédération des Douleurs » (1), où les balles scélérates crevèrent la noble poitrine de Delécluze et massacrèrent un peuple occupé à vomir ses dieux, l'époque farouche de la Commune prend ici une allure de modérantisme peu propre à inquiéter. Et la couardise seule des bourgeois qui nous gouvernent explique la mésaventure dont monsieur Coppée
bénéficie agréablement. — Un autre persécuté de lettres, Monsieur Lucien Descaves, ne se plaindra pas non plus des traitements infligés à ses Sous-Offs. Outre qu'il est toujours flatteur de recevoir les injures de monsieur de Cassagnac, je ne pense pas que les poursuites correctionnelles soient pour nuire à l'ouvrage ci-dessus.
Cinq cents pages de casernes, de bouis-bouis et de lupanars, avec quelque science que les aventures soient conduites, cela peut sembler honnêtement coriace, à moins qu'une attestation d'impudeur, par les magistrats délivrée, n'affriande la clientèle. Le jury que propose monsieur Charles Laurent aux jeunes écrivains ne compensera jamais pour les nouveaux venus dans l'art d'écrire la publicité d'une condamnation infamante. Il n'est bouquin si nauséeux qu'on n'impose aux multitudes en les assurant que c'est « très polisson ». L'excommunication laïque ou religieuse a popularisé les romans de madame Sand, les feuilletons d'Eugène Suë, et, pour contrecarrer le Saint-Siège, des marchands grainetiers entreprirent Jocelyn ? Telle est d'ailleurs l'opinion de monsieur de Bornier, dont la modération intellectuelle onques ne chevaucha paradoxes si fous.
Et maintenant, pour finir sans transition plausible, une ballade récente de Mitrophane Crapoussin :
Croûtelevés et marmiteux
De Nevers, de Chartre ou de Tulle,
Spatalocinèdes piteux
Couverts de gale et de pustule,
Ce bourgeois qui récapitule,
— Étant ladre mais folichon, —
Le quantum de votre sportule,
C'est-de la viande de cochon.
Philistins gâteux, ce sont eux,
Les mîteux, que chacun gratule,
Malgré leurs gestes comateux,
Leur ventre et leurs doigts en spatule !
Gazons ceci de quelque tulle :
O Pétrone ! faut un bouchon
Quotidien dans leur fistule.
C'est de la viande de Cochon.
Tous, notaires galipoteux,
Monteurs de coups et de pendule,
Dentistes, avoués quinteux,
Tous, le jobard et l'incrédule,
Violent moyennant cédule,
Et tous, pour ne payer Fanchon,
Citent les « Devoirs » de Marc-Tulle :
C'est de la viande de Cochon.
Prince, Ibrahim, vulgo Catulle,
Paul Gébor et madame Chon,
Nani-Saïb et sa mentule,
C'est de la viande de Cochon.
Laurent Tailhade.
1. Jules Vallès : l’Insurgé.
Tu m'apparus un soir d'hiver mélancolique :
Envahi par la nuit sinistre, l'Occident
Évoquait ces lointains de vieille basilique,
Où s'érige en splendeur le maître-autel ardent;
Tu m'apparus un soir d'hiver mélancolique.
Des grâces du couchant ta beauté fut l'égale :
Tes longs cheveux demeurés seuls à te vêtir
Semblaient la mer roulant des roses du Bengale
À l'heure où les soleils mourants vont s'engloutir ;
Des grâces du couchant ta beauté fut l'égale.
Mais l'âme éprise d'horizons crépusculaires,
Haïssant le réel pour ses fauves midis,
Tu n'aimas que la brume où les regards stellaires
S'avivaient à l'appel de tes yeux agrandis,
Chère en allée aux horizons crépusculaires.
Édouard Dubus.
Quand vogue le Désir au lent fil de mes veines,
Variant, sur mes nerfs, ses thèmes émouvants,
En artiste blasé des barcarolles vaines
Qui sut approfondir l'art des rythmes savants ;
Quand le Magicien, hôte de mes nuits blanches,
Ressuscite ton corps disparu dans mes draps
Imprégnés des moiteurs lascives de tes hanches
Et des parfums troublants dont tu frottes tes bras ;
Que mon esprit et ma raison, mis en déroute,
S'égarent brusquement en un songe anormal,
Où tout mon être aspire à te posséder toute,
Au milieu de frissons qui feraient un doux mal ;
J'ai parfois évoqué des alcôves funèbres,
Qu'éclaire, par moment, un feu follet lutin,
Surgi de l'éternel empire des ténèbres
Comme un rayon monté d'un vieux monde incertain.
Or, aux heures de paix et d'analyse calme,
— Lorsque l'âme descend sur les sens endormis,
Tel qu'un veilleur pensif agitant une palme,
Pour répandre l'air frais sur le sommeil d'amis, —
En songeant, sans luxure, au charme de tes poses,
À ton œil orageux traversé d'un éclair,
Bien souvent, loin de toi, je médite ces choses,
Attentif aux conseils que m'a criés la chair.
Et je pressens alors quelles fortes empreintes
Nos baisers laisseraient dans nos seins exaltés,
Si nos spasmes d'amour s'interrompaient de craintes
Où l'âme aurait sa part de larges voluptés.
— Notre soif d'infini, Maîtresse énigmatique !
En nous n'a pas éteint le bûcher des tourments,
Et n'a pu nous ravir au supplice mystique
Qu'ont souffert, ici-bas, les plus heureux amants !...
Qu'importe que ce soit une action profane
De s'étreindre couchés sur un gazon tombal,
Et, par un vent où l'Ange inexorable plane,
D'oser tel entretien comme au retour d'un bal !
Sous l'hypocrite Azur, complice du mystère
Qu'il nous taira toujours dans son sourire bleu,
Nous faut-il, en croyants d'une puissance austère,
Endurer sans espoir le martyre du feu,
Lorsque les exilés de noirs caveaux infâmes
Où la nuit est rebelle aux clartés des flambeaux,
Détenant les secrets de la chair et des âmes,
Dorment sans qu'on les trouble au fond de leurs tombeaux ?
Et qui reculerait même devant l'outrage,
Si, lassé par les chocs de deux corps indomptés,
Quelque mort, soulevant son couvercle avec rage,
Jetait le mot magique à des cœurs révoltés !
... Mais, passant à l'automne auprès de mausolées,
Et pénétrant un soir dans la ville des morts,
— Derrière les cyprès épars dans les allées,
Saurais-tu me livrer ta bouche sans remords ?...
Julien Leclercq
Novembre 1889.
- Un mois à la campagne.
- Ce n'est pas dans la montagne, —
- Ni au bord de la mer, —
- Où l'air est amer.
Un mois à la campagne dans un château tout neuf (des vieilles verdures, très bien rapiécées, y font tapisserie).
Par la fenêtre, la petite Madame Doucin vagabonde : là-bas les bœufs dormants attroupés sous la lune. Pas un ne beugle à la lune, mais quelque-uns ruminent.
« Vraiment très satisfaite d'une telle villégiature : son Primary en est, son cher amour de Primary que depuis trois mois elle adore, oh ! un vrai Amour, — sans compter qu'on écrit à ses amies de l'ex-Rue-aux-Ours sous cet en-tête : Château de la Corbeille, par la Clôture-sur-Prime (petite rivière aux sables dorés, qui sait, peut-être aurifères ?)…
« … Primary, quel amant ! Ce qu'elle aime au-dessus de tout, c'est des mots passionnés, spirituels et indécents, susurrés dans l'oreille : cela caresse en même temps l'âme, le cœur et l'autre. Eh bien, pour déverser une pareille jouissance en son petit corps nerveux comme un jet d'épine et ployable
comme une branche de saule, Primary est unique : Primary trouve. Ainsi, tenez, hier soir, pendant que minuit sonnait au beffroi blanc et propret de l'église voisine (genre XIIe siècle, au moins), Primary disait : « Où vais-je baiser ma petite amie pour la réveiller ? Sur tes cheveux ? Sont dorés, mais dorment pas. Sur tes yeux ? Sont dorés, mais dorment pas. Sur ta toison ? Oui, petite amie, sur ta toison, car ta toison dort ».
« Ça, ce n'est pas des choses qui s'oublient.
« Cette nuit, la toison d'or, la toison dormira seulette, et tout le monde dort, même la petite madame Crocœur, une autre blondinette qui s'ennuie et donne des coups de tête dans la cloison pour se distraire.
« Aucun bruit : adieu les bœufs qui ruminent sous la lune. Je ferme la fenêtre, me couche, souffle… Hé ! on parle chez la petite Madame Crocœur… Ah ! cette voix… non… lui !… lui ! Primary, mon amour ? Il me trahit et j'entends, et il faut que j'entende… Ah ! Don Juan, je sais bien que tu me trompes, mais fais-le plus loin… C'est bien lui, c'est sa voix… Il dit… que dit-il ?… Il dit:
« Où vais-je baiser ma petite amie pour la réveiller ? Sur tes cheveux ? Sont dorés, mais dorment pas. Sur tes yeux ? Sont dorés, mais dorment pas. Sur ta toison ? Oui, petite amie, sur ta toison, car ta toison dort. »
La petite Madame Doucin crut qu'elle allait pleurer, elle n'en fit que la grimace : les nerfs de sa face révolutionnée se contractaient, elle voulait pleurer, elle n'en faisait que la grimace...............................
Premier déjeuner. On descend en toute petite
toilette, un à un : des bonjours ensommeillés. Primary est là, qui guette :
« Pourvu qu'elle ait entendu ! Petite palotte, petite langoureuse, petite fondante, tu avais besoin d'un coup de fouet... Hé ! elle aura été cinglée... Quelques zébrures, oh ! qu'un seul baiser effacera ! Je ne suis pas si méchant qu'on le dit, oh ! non, puisque je me contente de les faire saigner par métaphore, pauvres anges ! »
Tout le monde est descendu : on attend la petite Madame Doucin.
« Elle est si paresseuse, la chère mignonne ! » dit la petite Madame Crocœur.
Elle vient, la petite Madame Doucin, elle vient, en songeant : « Je voudrais pleurer et je n'en fais que la grimace... Et toute la nuit, cette grimace ! En dormant, je la sentais qui revenait toujours, toujours... Pourvu que cela se passe ! Il va me trouver si laide ! Oh ! monstre, c'est toi ! Et je t'adore... »
Elle vient, elle entre, Primary s'avance et la salue.
Elle va pleurer ? non, elle n'en fait que la grimace... (« Mais, elle a un tic ! »)... une si vilaine grimace que tout le monde éclate de rire.
Remy de Gourmont
3 Janvier 1889
pour Pierre Quillard.
Sur les haut-vivants reposoirs
C'est le mariage des ailes.
Les fleurs, filles des arrosoirs,
S'affichent, fleurantes voyelles.
Lambeau d'époque, éteint flambeau
D'une apothéose de pierre,
Un fût se pâme en son tombeau
De valse-admirante-de-lierre.
Fait avec les pleurs du roc dur
Qui de la mousse douce émerge,
Ici regarde un Bassin, pur
Ainsi qu'un œil de blonde vierge.
Des mains en l'avril du décor,
Au centre de la vasque ronde,
Comme on fait pour les césars d'or,
Invisibles, brassent de l'onde.
Sur le bord, d'albes déités,
Délicieusement exsangues,
Dans les rieuses bleuités
Regardent naviguer leur langues.
Saint-Pol Roux.
2 Septembre 1885.
Le soir s'attriste d'un cadavre sur la berge.
N'est plus, l'Homme qui tout à l'heure, aux yeux profonds,
Portait en lui le Monde entier, et comme font,
Vous et moi, respirait la vie avec l'air vierge,
Qu'un amas, dans le soir, de boue et de chiffons.
Ce qui fut un enfant à la mamelle, tout
Joie et lumière, avec des roses au visage
Où les baisers allaient comme en pèlerinage,
Ce qui fut un enfant charmeur, sur le rivage,
Au dernier tirerait à présent des dégoûts.
O toi qui, tout à l'heure, encore plein d'insolence,
T'enflais superbe, avec la vie et le remous,
Du sang, qui fait la pluie et le soleil en nous,
Pourtant si haut tes airs de tête et tes courroux,
Tu n'es plus que cette ombre où s'assied le silence.
Tes mains de dieu païen, tes mains m'ont mis à nu
Ton âme et m'ont livré ton secret dans leurs lignes ;
À ta lèvre ironique, âpre et crispée en signe
De dédain, comme l'ont ceux qui ne se résignent,
C'est un frère qu'en toi j'ai soudain reconnu.
Le pli noir de ton front atteste la tristesse
De n'avoir jamais pu forcer leur masse épaisse
À ces sens envieux de se faire plus vils !
Et de n'avoir vécu qu'en chien qu'on mène en laisse,
Pire ! en pantin obscur dont un autre a les fils.
Ton âme fière suffoquait dans l'édifice,
— Il serait plus séant de dire la prison —
De chair où chaque aïeul a déposé son vice,
En obstacle au vouloir que le Bien s'accomplisse :
Faisant de tous tes sens autant de trahisons.
N'ayant l'esprit léger de ceux où tu pris place,
Ah ! tu l'as su leur rire insultant et moqueur
Et l'Ennui, quand le cœur est triste et sans vigueur,
Et l'ennui, quand le cœur n'est pas selon la race,
L'ennui de ne pouvoir s'évader de son cœur !
Te voilà — c'est, du moins, un espoir que je fonde —
Te voilà, comme il le fallait, libre aujourd'hui !
D'un saut brusque éveillant tous les cercles de l'onde,
Ton vouloir héroïque a rejeté le monde
Et c'est gaîment que tu t'es secoué de lui !
Que te vaudraient les Lys et toute Efflorescence
Et les moissons d'Or et de Roses des élus ?
Les Tiens ont moins besoin d'Éden que de silence :
Réalisé, seul il serait ta récompense,
Cet espoir que les yeux des morts ne s'ouvrent plus !
Ernest Raynaud.
... Quant au Progrès, il fut à une certaine époque une vraie calamité, mais ne progressa jamais.
Edgar Poe
.
De même que les bonnes gens, à noter les modifications survenues depuis une vingtaine d'années dans l'atmosphère par rapport aux saisons, sentent poindre l'inquiétude de l'imminente fin du monde tant de fois prédite, d'aucuns s'émeuvent à saisir de si radicales dissemblances entre l'homme nouveau, l'individu « nouvelles couches », et l'homme d'il y a seulement un quart de siècle. Bien des chefs de famille ne comprennent plus leurs rejetons, et s'étonnent d'avoir procréé des êtres à ce point différents d'eux-mêmes qu'on les dirait issus d'une autre race : ils s'en attristent pour la plupart ou s'en indignent, certains vont jusqu'à gémir de leur qualité d'éditeurs responsables de tels monstres ; et, au fond, tous, inférant du phénomène, sans d'ailleurs s'appliquer à la découverte des causes, que les jeunes ne valent pas les anciens, vivent avec cette consternante pensée que décidément l'humanité déchoit...
C'est bien possible.
La constatation est cependant amusante que nous sommes décrétés déchus simplement parce que l'individu-type (les individus-types plutôt) de nos générations réprouvées n'est point conforme à celui des générations réprobatrices. M. Prudhomme, si coutumier de droit sens, ne songe pas même à en accuser l'électricité, les chemins de fer, le téléphone, ou la liberté d'écrire ; il recule à déchiffrer le pourquoi de l'avatar, ou mieux l'idée ne lui a point surgi encore qu'il pouvait avoir un pourquoi, dont la pénétration le dispenserait sans doute de maudire sa progéniture ― extrémité toujours désagréable.
— J'ai, dit-il, engendré un fils, je lui ai inculqué les honnêtes principes que m'avaient transmis mes pères : Patrie, Famille, Tradition, Respect de la chose
accomplie. Moi, je ressemblais à mes pères ; mon fils ne me ressemble pas ; donc, c'est un gredin.
— Voire, répliquerait doucement Panurge, mais il me plairait vous ouïr débiter cet autre argument : « J'ai engendré, sans le faire exprès du reste, un fils, j'ai employé pour son éducation à peu près les mêmes moyens dont on avait usé pour la mienne ; or, mon père et moi nous nous entendions, mon fils et moi nous ne nous entendons pas : pourquoi ? Il semble qu'une telle situation ne se soit point créée toute seule ; les causes, évidemment, sont multiples, très diverses, s'enchaînent, se ramifient à l'infini et se perdent dans la nuit de l'insondable — où mes moyens d'induction ne me permettent guère de les aller quérir ; mais il en est certainement d'assez proche pour ma faible vue et d'assez apparentes pour ma sagacité. Par exemple, ceux de mon temps avaient encore un semblant de foi, des convictions un
peu floues, de vagues principes, des préjugés utiles : la vie d'alors laissait à l'individu un rien de tout cela, qui l'aidait à traverser notre vallée de sottise ; mais, pour des raisons qui m'échappent, et en somme ne m'importent point, je dois avouer que mon fils, sonné l'âge de penser par lui-même, a trouvé le bon Dieu en équation, le Monde résolu par le calcul, la Famille détraquée, la Hiérarchie agonisante sous le séant victorieux de l'incommensurable Bêtise. Donc, isolement moral extrême du jeune homme, déséquilibre des plus périlleux, et juste au moment où, là bataille sociale se faisant extraordinairement difficile,
l'individu aurait tant besoin de secours moraux. Or, mon fils n'obéit-il point à l'universelle loi de pondération en cherchant son équilibre ailleurs que là où était le mien, puisque aussi bien il tâcherait sans succès, mais non sans danger, à mouler son moi, sur celui de son père ? Et si autour de lui tout craque, se désagrège, s'effondre
irréparablement ou file à la dérive, s'il n'a plus rien à espérer des cieux vides et que toutes les superbes théories humanitaires se décèlent, à l'user, de niaises utopies, si enfin les actes concomitants à la kyrielle des beaux
discours sont l'exception d'une désespérante rarété : ― où, pour se garer de la grande débâcle et ne point périr, se réfugiera-t-il, sinon en soi-même ? Son avatar est donc une résultante fatale ; et si, parce qu'il est différent de moi, je tiens absolument à témoigner quelque chose à mon fils ― qui ne me le demande pas — peut-être convient-il que ce ne soit point de la colère... Ayant un asile, si délabré qu'il fût, où m'abriter durant les mauvaises heures, une certaine inconscience et une mollesse
dans le vivre m'étaient loisibles, qui lui sont proscrites, à lui qui sait détruits tous les havres de salut. Sa force individuelle d'action et de résistance doit être supérieure à la mienne : de là, pour lui, une nécessité de se concentrer, de se densifier, de se barricader en son moi après s'être suffisamment durci l'épiderme de l'âme... Et, ô débonnaire à la fois et terrible Monsieur Prudhomme, c'est ce que vous appelleriez, faute d'une expression moins malsonnante et en allégeant le vocable du sens injurieux qu'on lui attribue d'habitude, l'évolution égoïste, ce qui ne signifierait nullement, allez, que votre fils est plus égoïste que vous, mais mieux que vous ».
Une bénigne philosophie nous propose l'humanité idéale, c'est-à-dire l'amélioration de l'homme, au moins son maintien au plus haut étiage de vertu dont il soit capable (d'où tout le bonheur humain possible), par l'exemple du bien : — l'homme est essentiellement bon, avec des défauts toutefois, mais il tendra de tout son être au bien pourvu qu'on le lui montre.
Un tel enseignement, à coup sûr inefficace, est toujours dangereux. Si, en effet, l'émulation visé à une fin tangible, comme lorsqu'un stérile enthousiaste d'art se suppose lui-même artiste, l'impuissance où il est de produire le convainc de présomption, et, sans être un imbécile ― on peut être honnête homme et faire mal les vers — il en sera quitte pour choisir une occupation en rapport avec ses aptitudes ; mais si l'objet de l'émulation est abstrait, comme s'il y va de nos qualités intrinsèques, nous arrivons aisément à la certitude d'avoir atteint le but souhaité. La vertu comme l'art, pourtant, même pour qui possède le don, est une conquête, et toute conquête exige un effort. Qui s'est, de bonne foi, vainement alloué la faculté de créer une œuvre d'art, a beaucoup peiné pour aboutir à l'avortement ; mais la vertu, ne suffit-il pas d'en avoir le désir fervent pour se croire autorisé à l'euréka triomphal ? Où la preuve contraire ? Où le critérium ? Chacun, en l'espèce, ne relève que de son appréciation propre, et, dans la bonne opinion qu'il a de soi, n'hésite point à se décerner la qualité qui l'exalte. C'est pourquoi tant de personnes fort banales, nuisibles parfois, se décrètent gens de bien, le plus innocemment et sans avoir pris la peine de le devenir.
Jusqu'ici, en somme, tout est pour le mieux dans le
plus hypocrite des mondes. Mais la vie, un jour ou
l'autre, force l'individu à regarder en soi, à s'explorer pour tout de bon, et, de cette heure de pleine conscience et d'obligatoire franchise, c'en est fait de ses illusions
sur son excellence, noyées dans une grande amertume et une infinie tristesse. Dût ne jamais advenir cet instant d'auto-investigation, la duperie de s'être imaginé vertueux n'en contribue pas moins au désenchantement du naïf, du sot, de l'inhabile et de l'aveugle. S'estimant, ceux-là, essentiellement bons, selon le dogme révéré de leur jeunesse, et condescendant à peine à se reconnaître quelques anodins défauts, ils voient nécessairement l'humanité à travers la conception qu'ils ont d'eux : quel sera leur effarement une fois hommes, alors qu'il faut s'agiter dans la mêlée malpropre ! Car, parfaitement inaptes à s'approfondir, ils ne sauront qu'être très clairvoyants en ce qui touche le voisin, parce que le voisin, à lui présumer d'identiques défauts et à égale dose, se manifeste différemment. Cela, d'ailleurs, ne le conduira point à l'hypothèse qu'eux-mêmes sont défectueux, et
continuant par un leurre naturel, à se croire bons, ils ne peuvent que se former une bien affligeante idée de leurs semblables.
On a dit que certains romanciers causent plus de ravages avec leur faux idéal que n'en provoqueront jamais les tableaux de mœurs et les analyses, si brutaux et si poussés qu'ils soient, de telle école moderne. De même la philosophie courante avec son idéal bêta : venu le moment de l'examen personnel ou de la simple pratique du monde, l'humanité apparaît plus vicieuse et la vie plus laide de tout ce qu'on les a conçues trop vertueuse et trop belle.
Ces constatations décevantes, en bonne logique, sont autant de voies ouvertes au fameux « mal du siècle ». Il serait puéril, à la vérité, de lui assigner cette unique source; toutefois, en souffririons-nous au même degré si nous n'avions peu ou prou écouté la spécieuse leçon que j'ai dite ? Pour combattre le désastreux ennemi, et dans l'angoisse désespoir tout proche, nous prierions certes qu'on nous aide — si nous savions qui l'on implore ; mais la faillite de Jehovah est avérée, la Nature est mauvaise conseillère, l'homme est un loup pour l'homme ; de quelque côté que nous nous tournions, c'est, tracé en hiéroglyphes de cendres, le formidable NIHIL. Alors, comme il faut vivre, nous nous résignons à ne compter que sur nos propres forces, et nous opposons à la désolante et
universelle négation cette affirmation résolue : MOI.
Mais ce pauvre moi, au total, est-il si haïssable, et n'est-ce point l'erreur de nos hypocrites civilisations d'y voir un abominable vice ? — Si, par un leurre inhérent à notre nature, nous nous attribuons, sans la gagner,
toute qualité qu'on nous offre pour modèle, il est bien évident qu'en raison de pareil leurre nous nous
affirmerons exempts de ce que nous évaluons des défauts. Rien n'est donc plus contraire à la réalisation de l'antique, Nosce teipsum, sans quoi cependant il est difficile de se guider vers la fin voulue, soit le moins de malheur possible. Cela double l'obstacle : si déjà nous nous ingénions à découvrir en nous seulement ce qui nous agrée, et partant ne réagissons point contre des défauts que nous supposons ne pas avoir, que sera-ce si nous nous méprenons sur notre essence même ; si, rangeant parmi les vices de simples et générales manières d'être, nous rejetons comme pernicieuse telle portion immanente de notre entité ? Cette portion, négligée, abandonnée, est une force que nous méconnaissons ; et puisqu'elle subsiste malgré nous ― toute force inasservie peut causer d'irréparables calamités.
Combien il est moins périlleux de tenir l'égoïsme, qui condense l'être, pour le contrepoids nécessaire de la loi d'amour, qui l'épand ! ― Et si l'on admet que l'égoïsme est à la force centripète comme l'amour est à la force centrifuge, il devient patent que le taxer vice équivaut à qualifier malfaisante la force centripète, ce qui est absurde.
Que l'égoïsme fût réputé un vice parce que, principe même de l'individualité, il semble opposé à l'intérêt commun, cela se comprendrait encore ; mais ce n'est pas là pourquoi on le condamne. Dans les agglomérations primitives d'hommes, il se confond avec le droit, qui est la loi du plus fort ; il est la base du droit naturel et reste inappréciable pour les individus, qui ont un seul et mêtique intérêt : exister. Tandis que dans nos sociétés complexes, où les intérêts, si variés, se contrarient sans relâche et se heurtent, il est pour ainsi dire impossible de ne le point constater partout autour de soi. Selon la dissemblance de nos tempéraments et la diversité des motifs qui nous actionnent, il se déplace et diffère en chacun de nous, très apparent pour qui nous approche, et notre aisance à le saisir ailleurs qu'en nous corrobore avec une simili-logique irréfutable cette vanité tapie au plus secret du Saint des Saints de notre pensée, que nous valons mieux que tout le monde. Comment le pire individu raisonnerait-il autrement, puisque les manifestations égoïstes dont il est blessé ne ressemblent point aux siennes, et que huit fois sur dix il se sent et est en réalité incapable des actes qui émanent de l'égoïsme ambiant ? Car si l'humanité est identique à elle-même,
ce n'est que considérée par groupes, chaque groupe acquérant en nombre au fur et à mesure que la vie sociale se complique. — C'est donc de la facilité de percevoir l'égoïsme des autres et à s'en juger indemne que vit cette grave erreur de prendre pour un vice une loi fondamentale.
Pas plus néfaste en soi que les forces matérielles, le feu, l'eau, la vapeur, l'électricité, toutes susceptibles de se changer en fléaux, l'égoïsme, classé un vice et nié à priori à cause de cela même, est très certainement nuisible en ce que, se développant sans entraves, il atteint vite au monstrueux ; mais, reconnu et réglé, il semble qu'il ne doive sortir, comme les forces matérielles, que des résultats bienfaisants. On entend qu'il ne s'agit point ici de la vieille théorie de l'égoïsme, en vertu de laquelle,
dit quelque part Jouffroy, une façon de vivre légitime et conforme à la raison de se distingue « à ce seul caractère
qu'elle conduira l'homme au bien-être. Tout acte, tout moyen d'arriver à ce but est donc bon, convenable, permis, par cela seul qu'il y conduit. La permission de tout faire pour arriver à son bien-être, tel est donc le droit imprescriptible de tout individu » . Cela nous replonge dans la barbarie.
Autre chose est de tenir pour vrai que, l'homme ne pouvant pas plus n'être point égoïste que de n'avoir pas de sang, de nerfs, ou tel autre élément indispensable à la vie physique, l'égoïsme n'est ni un vice ni une qualité, mais seulement une partie constitutive de l'être. Il est la loi de cohésion comme l'amour est la loi de diffusion. Ainsi présenté, personne — malgré l'indéfectible bonne opinion qu'on ait de soi — ne se refuse plus à s'avouer qu'il le recèle, et dès lors ne manque de s'apercevoir que la sagesse n'est point de le réduire jusqu'à l'estropier, mais de s'en rendre maître. Chez le sauvage, où il est un devoir connexe au droit d'exister, il est limité par la force brutale ; nous lui opposons, nous, l'idée du devoir — et au besoin le gendarme, les
lois établies pour le meilleur fonctionnement de ces grandes sociétés dispensatrices d'un bien-être introuvable dans la vie de tribu. Mais, mieux que tout, le raisonnement démontre que l'intérêt social est de le maintenir à la portion congrue, soit toute la quantité nécessaire à l'individu pour résister à la pression des autres égoïsmes et aux circonstances dissolvantes, et, dans les limites du devoir, parvenir à la satisfaction de ses besoins et de ses appétits.
C'est là ce dont l'homme « nouvelles couches » , en ce
malaise où il se débat de par les conditions mêmes d'existence de ce temps, a l'intelligence ou l'instinct. La théorie est sèche, peu large, point sentimentale. Mais les besoins et les devoirs de l'humanité varient avec les époques, et l'individu, malgré qu'il en ait, agit selon ces besoins et ces devoirs, se moule à son époque. La transition, d'ordinaire, est lente et latente ; mais, en cette fin de siècle, les choses vont vite : brusquement la vie a déferlé avec une intensité extraordinaire, menaçant l'homme de toutes parts, le submergeant sans répit : quoi d'étonnant qu'il se débarrasse des impedimenta et déblaie le pont des ballots gênant à la manœuvre, quitte à en jeter par-dessus bord, dans le tas, quelques-uns de précieux ? La seule question est d'échapper au naufrage, et il n'espère plus le secours d'en haut. La soudaineté de cette tempête explique la flagrance de la disparité actuelle entre l'homme de cinquante ans et celui de vingt cinq.
Mais nullement il n'appert qu'il y ait à s'affliger de la métamorphose. Nos aînés se montreraient ingénus à nous en témoigner rancune, eux qui ont contribué, après les autres générations, à rendre ce qu'elle est une vie qui nous fait, nous, ce que nous sommes. Retourner la proposition serait, avec une apparence plus équitable, également naïf :convaincus, à défaut d'une foi plus consolante, que l'humanité obéit à d'inéluctables lois, nous nous formons une idée trop haute de la justice — la justice humaine seulement, puisque l'absence de foi exclut l'idée d'une justice supérieure — pour reprocher rien à personne ; et l'unique sentiment dont soit capable le jeune homme moderne devant les faits advenus est celui d'une immense pitié pour l'universalité des êtres.
C'est là qu'il importait d'aboutir, et d'où, peut-être(ce dernier point ne troublant guère notre sommeil), il sied de tirer la preuve que, obligés par les temps à être plus conscients, plus retranchés en nous-mêmes et moins sentimentaux que nos pères, nous n'avons cependant point déchu et ne valons ni plus ni moins qu'eux en somme. Car où sont les deux qualités suprêmes de l'esprit et du cœur, sinon dans l'idée de justice et dans la charité ? Or, il est à observer que si notre égoïsme nous amène à la pratique plus étroite du « ne fais pas à autrui ce que tu redouterais qu'on te fît à toi-même », base de la justice humaine, il ne supprime point notre sensibilité — qu'il convient de ne pas confondre avec la sensiblerie et laisse intacte notre pitié, dont la charité est inséparable. C'est donc la conclusion même de
l'enseignement chrétien. L'homme a changé d'axe, et voilà tout.
Certes, les manifestations « croix de ma mère », à quoi l'on se prenait communément naguère encore, nous font un peu sourire, et le saule d'Alfred de Musset ne nous émeut point : en vérité, nous n'avons pas le temps. Mais faut-il déplorer la mort de cette sentimentenserie « romance » ? Faut-il se lamenter aussi de ce que notre positivisme, réduisant notre crédulité quant aux beaux sentiments, aux généreuses natures et aux grands caractères, nous épargne de quotidiennes déceptions et nous procure même quelques joies ? Combien amère la vérification de l'ingratitude, par exemple, à ceux qui attendent de la reconnaissance pour le bien répandu ? — Nous préférons nier la reconnaissance, n'y comptant point, et quand, par le plus rare des hasards, elle se rencontre, nous en sommes attendris jusqu'aux larmes...
Il m'a diverti d'écrire sur ces choses, encore que plusieurs fussent d'excellentes vérités de La Palice ;et sans doute est-ce œuvre pie que de tenter rendre la sérénité d'âme à quiconque, soucieux de la destinée des Latins, et un peu myope en la matière, appréhende leur déchéance... Mais si, indéniablement, l'homme se modifie sans arrêt, et progresse en ce qu'il conquiert chaque jour du bien-être matériel, qui nous prouvera qu'en soi, dans son essence, il soit avilissable ou perfectible, et que le plus « XXe siècle » des Gallo-Romains est bien différent de la brute primordiale ?
Alfred Vallette
Septembre 1889
à Charles Merki
À l'horizon cuivré, des archipels de flammes,
Secoués par le vent tels que des oriflammes,
Courent sous l'Astre-Roi dont la splendeur s'endort.
C'est un soir de défaite, et des pourpres tragiques
Ensanglantent ce ciel fauve de messidor,
Tandis que les armets de fuyards fantastiques
Propagent des éclairs dans la poussière d'or.
Mais la mer est très calme et très douce : elle rêve !
Et le reflux berceur de ses flots flavescents
Module en longs sanglots la chanson des absents
Aux pauvres vieux pensifs attardés sur la grève.
Les lames, déferlant sur ce rythme endormeur,
Couvrent de goëmons les ocreuses falaises,
Dont le faîte effrité flamble comme des braises
Aux coruscations de ce soleil qui meurt.
Nulle voile au lointain... Une paix d'élégie,
Que troublent de frissons les coups d'aile éperdus
D'un albatros, s'épand sur les songes perdus,
Et toutes les douleurs tombent en léthargie.
Mais un fanal, soudain, comme un astre banni,
Éclate solitaire et brutal dans le vide,
Poignardant d'un seul rai de lumière livide
Le vespéral recueillement de l'infini.
Et voici que surgit, découpant sa mâture
Sur le décor ardent du couchant fastueux,
Un navire géant, vogueur majestueux
Appareillé pour les rivages d'aventure !
Jean Court
Écrire des maximes, c'est relever chaque jour, comme un épicier d'ordre, les petites recettes de son esprit.
Faire un volume entier, ou seulement tenir toute une conversation sans parler de ces dames, voilà une originalité à prendre, un tour de force à exécuter. Sinon, parlons en tout de suite et que ça finisse.
Et d'abord, nous pensons leur être agréable, et même leur faire un brin de cour (étrange métaphore ! pourquoi pas une botte ?), en numérotant ces quelques notes au moyen de chiffres ordinaires, pour ne pas dire arabes, car il a été fréquemment constaté que les chiffres romains les déroutent, et qu'au delà du nombre XXX elles ne savent plus trop où elles en sont.
Quand une femme vous dit: « Oh monsieur ! moi, je comprends tout ! » traduisez poliment : « Je suis une vieille folle, et, pour offrir des pantoufles à mon amant, j'économise sur les polichinelles de mes enfants et le tabac de mon mari. »
Il est convenu que les poètes, les romanciers, tous les hommes d'art ne travaillent que pour la femme. Ils ont grandement raison et se trouvent
vite récompensés par la façon décisive et délicate à la fois et savante dont elles jugent l'œuvre écrite ou peinte.
Elles disent : « Il y a des choses drôles », ou bien : « c'est joliment troussé », ou bien encore : « est-ce assez chic ! ». Les plus sincères, les enthousiastes, celles dont l'admiration va sans détour à nos cœurs naïfs et vains, se tapent sur le genou avec force et disent : « c'est épatant ! » ―
Je connais un jeune homme d'une grande prudence et d'une sévère méthode. À chaque fin d'amour, il prie sa dernière maîtresse de lui signer ce petit billet : « je reconnais que notre rupture s'est faite d'un consentement réciproque, conformément aux règles les plus droites de la galanterie, et avec une entière bonne foi de part et d'autre. » ― C'est daté, et ensuite fermé avec cinq cachets de cire. Il se croit ainsi garanti contre le vitriol, et peut-être qu'au jour de son mariage il mettra tons les petits billets dans la corbeille.
On voit par les rues des choses orgueilleusement peintes. Elles se font en outre remarquer par une allure interjectionnelle, selon le mot d'Edgar Poe, c'est-à-dire, sans doute, qu'elles sautillent sur le trottoir comme des points d'interjection dans un vers de théâtre. Quand elles baissent la tête, ce qui ne leur arrive jamais, on s'aperçoit que ces choses sont des femmes. Elles ont sous le nez un trait éclatant et dur : c'est leur bouche. Mais il semble plutôt que ce soit une fente de tirelire. Il suffit d'y jeter un louis qui tombe sur leur cœur, sensible comme un pèse-lettres, pour avoir aussitôt un petit flacon d'amour bien imité et ressemblant à s'y méprendre à de l'amour de femme honnête, et, par là, elles méritent de manger leur pain quotidien, et le nôtre.
Vous vous dites : « Enfin, voilà donc une femme sérieuse, nouvelle pour moi et que j'aimerais, réfléchie et même grave, une femme qui ne rit pas à propos de tous les riens ! »
Mais non : elle a les dents d'un bleu de Prusse très-foncé, et la préoccupation de ne pas les faire voir.
« J'adore le beau ! » dites-vous, madame. Quel beau ? Le beau quoi ? Le beau Léandre ! car enfin, vous n'en doutez pas, pour la femme, l'art, c'est l'artiste ; d'où il résulte que :
à Paris, en Province et même à l'Étranger, il y a dans tout ménage bourgeois un artiste qui le ronge au cœur.
Renard
Uranie, par Camille Flammarion (1 vol. illustré, chez Marpon). ―— C'est l'histoire d'une statuette de Pradier dont s'énamoure un mathématicien de dix-sept ans, « Camille Pygmalion », pour ne pas nommer tout à fait l'auteur. Beauté plus Amor égale Science. Inattendu comme résultat, fort joli, d'ailleurs, comme procédé. Camille Flammarion, avec des malices bien extraordinaires chez un savant aussi hérissé de compas qu'il le doit être, mesure la distance du Soleil à la Terre en employant, semble-t-il, la longueur d'un cheveu de blonde. Son Uranie, traité des savoirs exquis, contient des passions ardentes écloses à travers des aurores boréales, des jeunes filles surprises au bain, des apparitions célestes, d'autres qui le sont moins, des nuits embaumées, du magnétisme, des ballons, tout cela appuyé par une fabuleuse orchestration de chiffres.
D'étoiles en étoiles, de Vénus en Vénus, l'astronome virtuose nous promène, sans que nous y pensions trop, dans des domaines algébriques bons à faire peur aux femmes du monde. Et de ci, de là, le miraculeux cheveu blond s'entortille à la redoutable queue d'une comète, la poésie adapte de son doigt léger le loup de satin rose à l'astrolabe de Newton. Des fleurs, énormément de fleurs. Il paraît que la planète Mars possède une humanité privilégiée : mâles et femelles y changent de sexe chaque soir. Plus haut, les habitants, travestis en libellules, ont, nonobstant leurs ailes de gaze, des idées de constance éternelle. Puis viennent des personnages montrant jusqu'à dix membres principaux, des êtres ne se nourrissant que de musique sacrée, des contrées pleines de petits ruisseaux de miel, des montagnes d'or, des volcans lançant de l'émeraude en fusion. Et, perpétuellement, s'accroche au balancier implacable de la pendule Uranie le cheveu blond très doux, très fin. Camille Flammarion aurait-il trouvé une pierre philosophale ayant nom l'Amour ? Ces différentes études cosmographiques sont reliées sous une couverture suggestive, représentant une de ces « âmes vêtues d'air » dont nous parle l'auteur quand il tire les cheveux de Vénus, une horizontale de la Voie lactée en costume d'étoile. Ce n'est pas le nu que signalait Musset à propos du discours d'un académicien, mais, sincèrement, voilà un beau nu scientifique, Monsieur l'astronome ! ― Un volume de Camille Flammarion étant toujours un évènement littéraire, rappelons Uranie à l'attention des jeunes savants de notre époque, et fasse le ciel qu'ils s'en inspirent !
***
Possédée d'amour, par Jean Rameau (chez Paul Ollendorff). « ..... Et Cazala dit : « Je t'aime ! » et elle dit : « Moi, pas encore ! », et pour le fuir elle prit le train de onze heures quarante-deux ; il y en avait bien un autre à minuit moins cinq, mais elle partit trop tôt pour le prendre ; et elle s'installa dans un compartiment de première, et elle garda l'électricité négative des femmes honnêtes, et elle ferma ses croisées implacables. Et enfin l'amour lui vint, et elle avait son centre d'attraction dans la tête, entre ses deux yeux vieil or, et elle accusait une continuelle tendance à baisser son centre d'attraction, et lui accusait vingt-six ans, et, comme c'était un compositeur de musique, il avait obtenu un prix de poésie de deux cent cinquante francs, au concours de l’Écho de Paris, et elle regarda la layette de son enfant, mais rien n'y fit, et ils s'unirent avec des grondements, et elle guida ses doigts, et des cris joyeux sortaient des chocs, et, prudent jusque dans ses transports, il aurait pu passer à bon droit pour la sécurité des familles, et elle parvint à verser deux larmes, et ils montrèrent à tout le monde le beau sourire luisant de leurs joues rouges, et elle le voussoya longtemps avec des lèvres enflées où on aurait pu retrouver la trace des dents, et il aurait bien pris la fille avec la mère, mais quand il essayait de lui baiser les doigts, la fille les retirait vivement en lui disant qu'elle avait cueilli de l'oseille, et elle le priait de ne pas la toucher avec ses yeux, et il dut se contenter de la mère, et le mari, qui toutefois sentait saillir ses os maxillaires, leur dit : « Ite misse est. »
J. R. P.
Sous-Offs, par Lucien Descaves (Tresse et Stock, édit.) Si piètre qu'elle ait été, la saison d'octobre-novembre a pourtant eu son livre à sensation, autour duquel un bruit anormal s'est fait. Je ne pense pas que Descaves, en écrivant Sous-Offs, s'attendait à des récriminations aussi furibondes ainsi qu'à la réclame de ces poursuites imminentes et inconsidérées. Nous ne sommes pas compétents pour juger le côté documentaire de ce Volumineux dossier, nous ne pouvons que dire qu'artistiquement le livre a de la valeur, bien que la phrase y soit souvent pénible et inutilement « emberlificotée ». Stock, en tous cas, peut se vanter d'avoir de la veine. Voilà que le Ministère de la Guerre lui prépare un petit logement à Sainte-Pélagie précisément au moment où menace d'aboutir la féroce campagne entreprise par certains journaux pour le déloger ― dans l'intérêt du Théâtre Français ― des galeries qu'il y habite.
L'Âge de Papier, par Charles Legrand (Kolb, éditeur). Quelque temps avant Sous-Offs paraissait, chez Kolb, l’Âge de papier, de Charles Legrand. C'est un pamphlet, sous forme de roman, dirigé contre les Juifs, et qui n'est pas sans mérite.
Pietro Seracini, par Jean Fusco (Paul Ollendorff, éditeur). Ce n'est pas « parisien » ― le parisianisme ne nous dévore-t-il pas ? ― Mais c'est évidemment une œuvre qui retient l'attention.
L.T.
Vieilles Actrices, par J. Barbey d'Aurevilly (Chacornac, éditeur). ― On connaît ces silhouettes railleuses, parues dans un petit journal du temps, la Veilleuse, que Barbey d'Aurevilly rédigeait seul, avec cette verve tranchante, sans cesse retrempée aux sources du vieux esprit gaulois, qui en a fait le premier journaliste de son époque.
Polémiques d'hier (Albert Savine, édit). ― En même temps que paraissaient les Vieilles Actrices, Savine nous donnait, du même grand maître, les Polémiques d'hier, un recueil d'actrices du Nain jaune et du Gaulois de 1865 à 1870. C'est un livre à la fois profond et gai, dont la lecture ne pourrait que profiter à nos articliers d'à présent, qui ont l'insulte pour argument suprême. Il me reste trop peu d'espace pour faire quelques citations. Et pourtant, combien de ces pages, écrites avant la guerre, sembleraient aujourd'hui d'une curieuse et hurlante actualité !
L.T.
ODÉON. ― Shylock, comédie en sept tableaux, d'après Shakspeare, par Edmond Haraucourt. ― Venant si tard, une critique de cette comédie serait pour le moins inopportune ; il nous amuse cependant d'ajouter notre mot à la kyrielle d'opinions émises et qui toutes circonvoisinent ceci : que le traducteur n'a pas le droit d'adultérer l'œuvre originale. Il est clair que M. Haraucourt mérite la hart, encore que certaines plumes sans vergogne aient insinué que le Marchand de Venise, comme les Joyeuses Commères de Windsor, soient plus près de la bouffonnerie que du drame, et que peut-être la comédie de l'Odéon rend mieux l'original que telle traduction fort grave... Mais, de l'original, avons-nous à nous en soucier en la circonstance ? On nous offre une pièce d’après Shakespeare, et ce d’après ne signifie point, ce semble, traduit de. C'est, si l'on veut, inspirée de l'œuvre initiale, une féerie en sept sujets d'éventails, gracieux ou terribles, évoquant la lagune derrière le pont du Rialto ou noyant les Soupirs dans une eau funèbre : un tableau de Ziem qui se mettrait tout d'un coup à chanter et transporterait d'aise les amateurs. M. Haraucourt, avec son esprit souple ― un esprit en pourpoint brodé ― a écrit allègrement, jetant çà et là l'or parisien sur le fer anglo-saxon. Mais c'est justement ce qu'on lui reproche : Porcia est une chère folle née Chaussée d'Antin, et ses expressions de nerveuse cliquètent comme un collier de Froment Meurice ; l'amoureux va et vient sur un rayon d'électricité, et Shylock lui-même a des mots. Mon Dieu oui, des mots, du factice comme le reste. ― Pour les uns, en somme, des clairs de lune à mille francs le mètre carré ; pour les autres, le simple reflet de cette même lune dans le ruisseau de la rue du Bac... « Voilà la vie ! »
***
THÉÂTRE-LIBRE. — Le Pain d'autrui, pièce en deux actes, traduite de Tourgueneff par MM. Armand Ephraïm et Willy Schutz ; — En Détresse, pièce en un acte, en prose, par M. Henry Fèvre. — On se demande l'effet que produirait Le Pain d'autrui sur le vrai public, quand on songe aux rires qui en ont accueilli certaines scènes. Il faut avouer d'ailleurs que si le premier acte est intéressant pour ce qu'il ouvre d'échappée sur les mœurs des hobereaux slaves d'il y a cinquante ans, le second acte devient du simple mélo et d'une maladresse invraisemblable au point de vue scénique, maladresse aggravée par le jeu des principaux personnages, qui ne me paraissent pas avoir compris leur rôle. Seul M. Antoine a convenablement tenu le sien, et il a dit la scène finale du second acte de façon à en laisser inoubliable le souvenir.
On a été sévère Pour M. Henry Fèvre, et on a eu tort. Sa pièce en un acte, En Détresse, qui met en présence de son ancien tuteur un dévoyé « moderne » devenu misérable, qui fait raisonner le Dénuement et l'Épargne, contient d'excellents passages. M. Antoine s'est montré d'un naturel achevé dans cette piécette, de beaucoup mieux interprétée que l'autre, quoique Mlle Barny ait un peu exagéré son rôle et que M. Paul Cléry ait été faiblot dans le sien. Quant à Mlle Luce Colas, c'est absolument ça, malgré M. Vitu.
A. V.
Exposition Jules Chéret, Galerie du Théâtre d'Application 18, rue Saint-Lazare. — Pour nos étrennes, la délirante joie de l'Exposition Chéret, Polichinelle frénétique gambade en ricanant, des gommeux étiques et monoculés bayent aux corneilles dans leur frac à queue de pie, Pierrot s'effare. Des chapelets de bébés joufflus, crevant de bonheur et de santé, s'égrènent et trébuchent sous le poids des jouets désirés. Et partout la Colombine capiteuse et demi-pâmée, le nez au vent, l'œil champagnisé, toutes quenottes dehors, reine de grâce en la grotesque saturnale de son rouge éclat de rire, réveille les folies épuisées.
Ont été dites — par Huysmans, R. Marx et d'autres aussi — l'imprévue crânerie et les élégantes témérités de ce crayon tout de jaillissement et de spontanéité.
Pourtant la pure note d'art ― j'entends d'art affranchi des nécessités de l'ultérieure traduction ― nous semble être dans une trop courte série d'aristocratiques pastels. Harmonies fastueuses, aériennes transparences : une féerie de couleurs qui serait jouée par des poussières de rubis, d'émeraude, de topaze et de saphirs. Ils reposent délicieusement les yeux un peu brutalisés par la relative crudité des grandes affiches, mal à l'aise dans l'exigu vestibule du Théâtre d'Application.
L. Dse
BRUXELLES. — Nous nous occuperons en notre prochain numéro du Salon des Vingtistes, qui doit s'ouvrir ces jours-ci. Parmi les artistes étrangers invités, nous remarquons Dubois-Pillet, Forain, Pisarro, Redon, de Regoyos, Renoir, Rodin, Signac, Sisley, Vogels, etc.
Le cercle des XX organise des après-midi musicales consacrées aux jeune écoles française, belge et russe, et une conférence littéraire par Stéphane Mallarmé.
D.
Nous adressons nos remerciements à l’Écho de Paris, la Grande revue, la Paix, la Bataille, la Caravane, au Réveil au Quartier, aux Annales Gauloises, qui ont annoncé le Mercure de France. Merci également MM. Arsène Houssaye, Ed. Deschaumes, Louis Kolf, Marc Legrand, Henri Bossanne et Marius André.
Une nouvelle qui ne manquera pas d'intéresser les jeunes d'aujourd'hui, et même ceux d'hier : la résurrection de Lutèce dans les premiers jours de février, sous l'unique direction littéraire de Léo Trézenik, mais avec un autre tire : le Carillon, et un programme qui, sans faillir aux souvenir laissés par Lutèce, sera cependant plus accessible à M. Tout-le-Monde. Trézenik se vante d'ailleurs que la nouvelle feuille aura l'indépendance de plume et la fierté d'allure de l'ancienne. Le Carillon, en tout cas, sera certainement un journal d'avant-garde et de bon combat littéraire, ouvert à tous les talents comme le fut Lutèce.
On nous annonce, pour paraître prochainement, un roman russe : Mlle Wladimir, mon mari, par la comtesse Lydia.
L’Europe, journal international hebdomadaire, paraissant le jeudi. Rédacteur en chef : Georges Blachon. ―— Ce journal a pour but de présenter les choses de l'extérieur sous leur véritable jour, de faire justice de tous les sophismes et de démasquer toutes les manœuvres par lesquelles on s'efforce de duper et de dérouter le patriotisme français. Il veut travailler à l'union franco-slave pour combattre l'ennemi séculaire de l'Europe, le pangermanisme, sous sa formation de combat actuelle, la Triple-Alliance.
En même temps que paraîtront à Paris ses deux livres Lassitudes et Albert, notre collaborateur Louis Dumur publiera à St-Pétersbourg un recueil de poésies : la Néva. Le manuscrit est en ce moment à la Censure, formalité préalable obligatoire en Russie.
Le Théâtre franco-russe, sous la direction de M. de Bernoff et avec M. Julien Leclercq au secrétariat, donnera le 1er février, Galerie Vivienne, sa seconde représentation. Au programme : une traduction en vers français d'un fragment du Démon de Lermentoff ; Le Médaillon, un acte de Mme de la Tombelle ; Philosophe, un acte en russe, par M. de Bernoff ; —― et pour la partie musicale : Elégie, de Dynam Fumet.
Mercvre.