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Elle sent s'insurger une froideur hautaine!
Ainsi, vaguante neige en la chaude noirceur
De l'estivale nuit, tantôt proche ou lointaine,
La Lune, comme un gros nénuphar brimbalant
Au ras des noirs frissons ridés d'une fontaine,
Semble vers la sombreur de ce songe troublant
Parfois tendre et parfois reprendre à l'incertaine
Lèvre au bord du péché, le divin pardon blanc
Qu'offre, d'un cœur en croix, la florale patène!
A Albert Girault.
Couleur cierge, le front, couleur cendre, les yeux,
L'abbesse, gestes lents et pas silencieux,
Porte haut la beauté de son tranquille empire,
Mais c'est l'étang muet quand le jour chante aux cieux
Ce calme taraudé d'un mal que l'ombre empire!
Et quand la nuit, Satane au masque adamantin,
Prête aux profanateurs ses ailes de vampire,
L'abbesse allume et fond la cire de son teint
Où l'œil cilié d'or s'effleurit, clandestin.
Comme, phosphorescent, sous l'herbe le lampyre.
Elle débride alors son limoneux instinct.
Et drapée en l'effroi que son fantôme inspire,
Rôde, frôlant les murs en sueurs du couvent,
Et chaque soir quêteurs d'une luxure pire
Ses regards ont le dur scintillement mouvant
Du fer, qui dans la mort cherche un fourreau vivant!
Grâce ! pour l'horreur que je souffre
Au seuil qui m'attire et m'attend !
Dans mes veines rampe Satan,
Dans mon cerveau flambe du soufre !
Jésus Sauveur, que ma prière en toi
Couvre mon corps, de neige, comme un toit !
Grâce ! la fièvre me martèle,
Me rompt les jarrets et les bras
Des coups sanglants dont tu vibras,
Cœur divin, sur ta croix mortelle !
Jésus Sauveur, exorcise ce fer
Que cloue en moi le sardonique Enfer !