L'absente, par Adrien Remacle (Savine). — L'idée de ce livre, si j'ai bien saisi, est l'insoluble dualité de l'homme et de la femme dans l'amour, quelques efforts qu'ils fassent pour s'identifier. Seulement, ici, la thèse est traitée subjectivement au seul point de vue de l'homme, principe actif, qui tend de tout son être à cette identification, tandis que la femme, terme passif, ne l'appelle ni ne la repousse, sorte de sphinx impénétrable. L'homme, donc, aux premières « cristallisations » commence par voir la femme non telle qu'elle est, mais qu'il la voudrait ; puis, peu à peu, la dotant de tous les éléments qui composent sa propre essence, il a d'autant plus l'illusion d'approcher le but. Mais il souffre, car la femme est énigmatique et muette, et les rares paroles qu'elle prononce le jettent en d'épouvantables doutes. Et l'illusion et le doute grandissent parallèlement, jusqu'au jour où le fait, un acte irrémédiable, lui prouve qu'il ne l'a jamais comprise et qu'elle ne l'a jamais compris, que c'est le reflet de son moi qu'il voyait en elle, et que là où il cherchait une âme il n'y avait rien : d'où l'Absente. — Est-ce cela ? Si oui, pourquoi ces considérations d'atavisme qui compliquent inutilement les situations ? Un autre défaut encore ces « morceaux » en dehors du sujet, fort beaux isolément mais qui nuisent à l'économie de l'œuvre et en obscurcissent l'idée. Néanmoins, le roman de M. Adrien Remacle est un livre d'artiste et de penseur, dont la lecture est intéressante.
A. V.
Au Maroc, par Pierre Loti (Calmann Lévy). — Loti nous prévient dans sa préfacé : « Que ceux-là seuls me suivent, dit-il, qui sont mes pareils et mes frères. Pour ce qui est des autres, qu'ils s'épargnent l'ennui de commencer à me lire : ils
ne me comprendraient pas. » L'avis est un peu inutile. Fraternellement, donc, nous partons avec lui. Il est évident que l'auteur ne s'est pas proposé un but littéraire. Son livre est comparable à une sorte de Guide Conti au Maroc, artistement rédigé par un homme de lettres. Loti enseigne avec l'art de ne pas perdre sa tête en route, le plus court moyen et le plus sûr pour se rendre à Fez, la ville du sultan, où, grâce aux portes étroites et basses, « on a l'impression d'arriver chez des lapins très pauvres ». Le soir, on campe n'importe où, parfois dans un cimetière. Le matin, on plie les tentes. Le lendemain on recommence ; tout va bien. Souvent, et peut-être malgré lui, Loti se rappelle qu'il a écrit : Pêcheur d'Islande, et parle, en poète impressionnable et délicat, « des neiges mortes, des chameaux qui allongent, de droite et de gauche, avec des ondulations de chenille, leur long cou chauve ». Il lit Huysmans aux heures perdues. Il décrit une espèce de cauchemar de guerre, une vision rapide de fantasias arabes, où les cavaliers trouvent le moyen, sans se culbuter ni ralentir, d'échanger leurs fusils et de se donner un baiser ; de fantasias qui passent avec des cris stridents, comme en ont les martinets, les soirs d'été, lorsqu'ils tourbillonnent dans le ciel. Il note une grande montagne toute rebroussée de lumière, la musique nocturne des grenouilles, qui est de tous les pays et qui a dû être de tous les âges du monde, des brochettes d'enfants juchés sur des ânons, l'atroce, l'exquis supplice du sel (recommandé), des ascensions lentes de femmes qui montent sur les terrasses et, après avoir regardé les mains gantées, les mains à deux peaux de Loti, disparaissent. Coucou ! c'est fini. À remarquer que cette fois l'auteur ne semble pas avoir souffert d'amour par une belle marocaine. En somme, ce n'est pas encore de la géographie pure, et, à ce point de vue, le livre est manqué.
J. R. P.
La Jeunesse contemporaine, par Lorenzo Vero (Vanier). — La valeur d'un homme « se reconnaît à ces trois manifestations de son être : la religion à laquelle il obéit, la philosophie qu'il professe, la poésie qu'il porte en lui. » Ces principes posés, l'auteur annonce — sans jamais entrer dans la discussion — quelles seront la religion, la philosophie et la poésie des jeunes hommes de notre temps. Mais M. Lorenzo Vero parait avoir plutôt exprimé ses idées propres qu'induit les réelles et complètes tendances de la jeunesse contemporaine, d'ailleurs si insaisissables encore. Toutefois, il en a certainement noté quelques-unes, et sa brochure, qui décèle un esprit élevé autant qu'original, est intéressante et vaut qu'on la lise.
A. V.
Biribi, par Georges Darien (Savine). — Ce livre apporte à qui l'ouvre d'effroyables sensations, et encore après lecture faite on garde un peu de l'effarement qui suit un très mauvais rêve. C'est, en certains épisodes, d'une intensité de noirceur incroyable. Oui, sous un ciel bleu, ce livre est noir, car le patient, tout à ses haines, l'œil fixé sur les gardes-
chiourmes, est aussi un peu hébété, ne sait pas même en quel pays se passe son aventure. — Rien que dans cette obstination à ne pas égarer un seul instant les impressions du lecteur, il y a du talent ; il y a aussi de la monomanie : le livre a, malheureusement çà et là, de trop pamphlétaires allures (et des revendications sociales bien gênantes). Je ne suis pas de ceux qui sont mécontents de l'écriture de ce livre : plus soignée, elle aurait peut-être adouci, par des bigarrures d'art, les infernales violacités qui luisent au-dessus de ce cimetière. Car c'est un charnier — du moins moral — que Biribi. Il paraît qu'on a dû couper telles pages attentatoires à notre candeur : il en reste assez pour offrir un aperçu de vices qu'on ne voit que là — et dans la Bible.
R.G.
I. Dire du mieux : — I. Le Meilleur Devenir ; II. Le Geste ingénu ; par René Ghil. — « Et si, se plus et plus dénaturant du cercle dont elle est l'équivalente transformation, se développe une ellipse : plus et plus, va à équivaloir en droite l'elliptique périphérie. » Tel est le principe de la « Philosophie évolutives » sur quoi M. René Ghil nous annonce des volumes de poésie. Cette représentation géométrique de la Matière en perpétuel devenir, selon le Transformisme Hégélien, n'eût rien perdu, ce semble, à être exprimée plus clairement. Mais où l'ombre d'une poésie à extraire de là ? Je ne parle, bien entendu, que d'après le concept de l'œuvre, car l'œuvre elle-même m'échappe : si je saisis parfaitement le « vouloir » du poète, j'avoue mon philistinisme devant son expression. Toutefois, même intelligible aux lettrés, la poésie philosophique que rêve M. René Ghil ne saurait être qu'un long et fastidieux ressassement des origines de l'homme, de ses transformations accomplies et devant s'accomplir. Quant à l’instrumentation, l'auteur connaît mon avis sur ce point : nier les correspondances de l'idée, du sentiment, de la sensation ou de la chose même au son, serait aussi puéril et vain que de tenter en fixer les lois.
A. V.
Les Vrais Sous-Offs, par Georges Darien et Édouard Dubus (Savine). — La conscience nationale s'est émue ces derniers temps, d'un livre où l'armée était odieusement trainée dans la boue. En réponse aux accusations infâmes portées contre nos soldats et en particulier nos sous-officiers, M.M. Georges Darien et Édouard Dubus viennent de faire paraître chez l'éditeur Savine, 12, rue des Pyramides, une forte brochure patriotique, qui réduit à néant toutes les inventions dont M. Descaves a tenté de flétrir les défenseurs du drapeau français. Dans un style énergique, tantôt vibrant d'indignation, tantôt débordant d'enthousiasme, les auteurs des Vrais Sous-Offs (envoi franco au reçu de 75 centimes, timbres), après avoir donné le sentiment de tous les organes de l'opinion publique sur la question, démontrent par des règlements militaires, et de nombreux récits, inédits pour la plupart, que les cadres de notre armée ne sont et ne sauraient être qu'une école de désintéressement, de moralité et de courage. Les
Vrais Sous-Offs ont leur place marquée d'avance dans la bibliothèque de tout bon Français.
D.-D.
Pierres d'Iris, par Albert Lantoise (Lemerre). — La notation, en proses et poésies alternées, de sensations guère originales, d'idées un peu 1830 et de tableautins fugaces. Nul souci, d'ailleurs, d'un lien synthétique entre les différentes pièces du livre, dont le seul poème en prose intitulé Le Paysan laisse quelque impression. C'est jeune et déjà lu plutôt que mauvais, bien qu'on y trouve ce vers : « Esprit ! O sens divin qui mes douleurs exprime », et deux ou trois fois, dans son sens vieux jeu, le mot « lyre »
A.V.
Le Clergé sous la troisième République, par M. François Bournand (A. Savine). — L'auteur raconte avec indignation (et beaucoup de documents à l'appui) les misères que firent aux prêtres, moines et nonnes, un tas de minuscules persécuteurs, moins spirituels que Néron.
R.G.
Après le Punch, par Henry de Braisne (J. B. Ferreyrol). — Un volume de nouvelles que l'auteur a publiées dans le supplément littéraire des journaux quotidiens.
A.V.
Théâtre des Variétés. — Monsieur Betzy, Comédie en quatre actes, de MM. Oscar Méténier et Paul Alexis. — Le thème exploité : Un ménage à trois, sans plus. MM. Méténier et Alexis n'ont pas cru devoir, et en cela je les approuve complètement, introduire dans leur comédie ce que l'on est convenu d'appeler une « action ». Ces quatre actes se composent donc purement d'une succession de scènes découpées à l'emporte-pièce, en des situations d'une ironie constante et toujours poussée au paroxysme ; inde le côté comique de la chose, qui, au fond, est d'un féroce pessimisme. On comprend qu'une œuvre ainsi conçue tranche violemment an milieu de la
navrante stupidité des vaudevilles auxquels nous ont habitués de consciencieux manœuvres. Mais pourquoi les auteurs, qui se targuent bien haut d'introduire le réalisme au théâtre, pratiquent-ils encore, abusent-ils même du monologue, cette ennuyeuse absurdité ? Le premier acte et la seconde moitié du troisième sont enlevés de main de maître et frisent de près la haute comédie. Par contre, le deuxième acte est trop conventionnel : il est d'ailleurs gâté par l'entrée grotesque du père Ludinar. Cet incident serait à supprimer ainsi que tout le quatrième acte, qui est franchement mauvais d'un bout à l'autre, et de plus inutile. Finir après la gigantesque scène du parapluie eût d'ailleurs été adroit, car en somme ne constitue-t-il pas toute la moralité de la pièce, ce symbolique en-tous-cas pour deux ? — Ceci dit, il convient de féliciter sans réserve M. Dupuis, vraiment extraordinaire dans son Marneffe nouveau genre, ainsi que MM. Baron, Roche et Mlle Réjane.
J.C.
Expositions de Février Mars. — Et d'abord, chez Petit, Les Aquarellistes. Une impossible collection de truculentes hideurs : d'abominables prototypes de chromos à trente sous, signés : Maurice Leloir, Loustaunau, Adrien Moreau, Bourgain, Escalier, Adrien Marie, Delort, Worms, Dotaille, Maissonier fils, Vibert ; d'assez piteux essais de plein-air de MM. Courant, R. Jourdain, V. Gilbert, Zubert Yon, Priant, Brown ; une ridicule écuyère de Flameng, des chiens de de Penne et des chats de Lambert ; des Clairin, des Duez, des Bontet de Montvel ; de plus intéressants paysages de Béthune et d'Harpignies ; des fantaisies de Besnard (femmes et paons) assez verveuses.
Ensuite, les expositions de cercles : le Volney, l'Union, etc. À l'Union, Deux Bretonnes de Dagnan, un horrible portrait de Mlle Wilson et de sa poupée par Bonnat ; Le cul d'une dame rousse, par Carolus Duran ; des tentatives pleinairistes d'Aublet et de Montenard ; deux têtes de Jean Gigoux : une Lionne vautrée dans un paysage où il neige des pains à cacheter rouges, par Gérôme ; des Coins de Rivière de Pelouse ; une Famille de Besnard ; un portrait bien fadasse, par Flameng ; une infamante confiserie de M. Bouguereau. Puis c'est l'Exposition des Femmes-Peintres et même Sculpteurs. Un portrait de jeune fille de Mlle Loire, assez Caroluadurandique ; des choses diverses, autant qu'ondoyantes, de MMmme Klumpke, Espenan, Mariette Cott, Duncan, Buchet, de Turner, Huillard, Deschamps, Tynard, Blanc, etc.
Enfin, pour terminer, une chose un peu plus intéressante : l'Exposition Pissaro, chez Boussod et Valadon. Voilà de l'art d'un meilleur aloi. M. Pissaro, on le sait, est un chercheur, un consciencieux et infatigable chercheur qui, à l'âge où d'autres se reposent sur leur travail accompli, a voulu, jetant les formules qui lui avaient servi à créer déjà tant de magistrales œuvres, se remettre au pourchas d'un autrement, d'un plus loin et d'un mieux. Les toiles exposées appartiennent toutes à cette dernière manière. La couleur y est divisée infiniment. Les éléments constitutifs de chaque ton sont juxtaposés et non point mixturés ; leur combinaison s'opère dans la rétine et non sur la toile. Quels que soient les inconvénients de ce procédé, un peu compliqué, il est incontestable que M. Pissaro en a obtenu des effets de rutilements et de vibrations prodigieux. Un beau jour d'hiver à Eragny ; les Faneuses, d'un style et d'une couleur tant exquis ; les Glaneuses, d'une ligne si noble et si harmonieusement baignées de couchant ; les mélancoliques, les idylliques Prairies à St Charles ; les Femmes causant ; la délicieuse Gardeuse d'oies, le Verger, tant éblouissant de soleil ; enfin la Cueillette des Pommes, cet indubitable chef-d'œuvre, d'une simplicité et d'une hauteur de style qui fait songer aux primitifs florentins, tout cela le témoigne irrécusablement. Les peintures à la détrempe de M. Pissaro sont d'ailleurs aussi remarquables que ses peintures à l'huile, et elles ont sur celles-ci l'avantage d'être d'une facture moins compliquée, ce qui les fait apparaître plus
simples, plus larges, plus profondes. La Fenaison à Pontoise, les deux Marchés, la Gardeuse de chèvres, les Faneuses, les Bergers pendant l'averse, sont des merveilles. À regarder aussi, dans les mêmes salles, d'un autre très grand artiste, Paul Gauguin, de merveilleux grès-émaillés et un troublant bas-relief en bois sculpté dans lequel je lis le plus farouche hymne à la luxure et à la bestialité qu'aient écrit nuls doigts humains. Au reste, le Mercure de France parlera sans doute un jour plus longuement de ces deux grands poètes : MM. Pissaro et Paul Gauguin.
G. Alb. A.
En librairie prochainement : Sur le Lotus, de Mitrophane Crapoussin, recueil de poésies dont notre collaborateur Laurent Tailhade fut naguère autorisé à extraire la ballade qu'il nous a donnée (n° 2, Chronique, in fine). Et puisque nous parlons de Laurent Tailhade, annonçons qu'il achève un roman de mœurs contemporaines : Le Péché, et qu'il publiera sous peu un livre de poésies : Les Escarboucles.
Nous recevons le premier fascicule des Entretiens politiques et littéraires (A. Savine, éditeur), signés de trois noms estimés parmi les jeunes gens de lettres : M. Francis Vielé-Griffin, qui expose d'une façon très précise une théorie de la Liberté du vers ; M. Paul Adam, bien ennuyeux avec ses Politiciens devant la question juive ; et M. Henri de Régnier, qui, toujours clair pourtant dans les plus hermétiques de ses poésies, atteint du premier coup au comble du charabia dans cette prose : Souvenirs d'un camarade de collège sur le duc d'Orléans.
La librairie Genonceaux mettra en vente, ce printemps, un livre de Rachilde intitulé : Cynismes, avec une préface de Laurent Tailhade. — Ne pas confondre ce livre avec la Sanglante ironie, roman annoncé dans nos échos et qui paraîtra en septembre.
En présence d'une note publiée par une Revue littéraire et visant dans son honneur notre collaborateur L.-P de Brinn'gaubast, résidant à l'étranger aujourd'hui et n'ayant pu encore relever l'attaque, nous croyons opportune cette déclaration que nous n'avons point lieu de douter de l'honorabilité de notre confrère, qui, nous en sommes convaincus, détruira sans peine toute imputation flétrissante. — N. D. L. R.
Au moment de mettre sous presse, nous recevons de M. L.-P. de Brinn'gaubast copie d'une lettre qu'il adresse au directeur du périodique littéraire dont il est ci-dessus question, et de laquelle il résulte que notre collaborateur saisit les tribunaux de l'affaire. — N. D. L. R.
Mercvre.