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L'énergie manque aux âmes supérieures, énergie qui seule serait capable de les détourner du pessimisme. Mais à quoi rappliqueraient-elles, conscientes qu'elles sont de la vanité de la vie?
L'optimisme n'est conséquent que s'il est à la fois matérialiste et se satisfaisant de la matière. L'optimiste qui aurait recours, pour soutenir son optimisme, au monde spirituel et à la vie future, avouerait par cela même l'insuffisance de l'existence actuelle et serait pessimiste.
Le pessimisme ne conclut pas absolument au néant; il n'y conclut que relativement à la vie connue et seulement dans l'hypothèse de l'impossibilité d'une vie inconnue et supérieure.
Toutes les religions sont pessimistes.
Le pessimisme seul est capable des grandes actions : toute grande action étant une révolte contre ce qui est pour l'établissement de quelque chose qui n'est pas encore et à quoi l'on ne penserait pas, si ce qui est n'était jugé insuffisant. Le pessimisme est l'âme du progrès.
Le pessimiste a l'esprit plus noble et plus porté vers le beau et le bien que l'optimiste. S'il n'avait pas un idéal supérieur à la nature, il ne trouverait pas celle-ci insuffisante. Le pessimiste est donc, en réalité, un idéaliste. Le pessimisme est le signe de l'aristocratie intellectuelle. La foule ne-sera jamais qu'optimiste, incapable qu'elle est de rêver un univers différent de celui qu'elle voit.