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b. — L'ENFER
Dans son humble cellule, traversée d'étranges
lueurs qui ne provenaient ni de l'aube naissante,
ni de la lampe moribonde, l'illustre Hérétique écrivait.
Au début de son léger Monitoire, il avait posé
cet indéniable aphorisme, base de toute morale vraiment sérieuse :
il y a un enfer
Maintenant, en de rougeoyantes cornues, il distillait les immondes sulfures, activait dans les
marmites du diable les soupes à la poix ; cuisinait
les sauces au bitume, dosait les rations d'huile
bouillante, trempait dans la résine, pour les illuminations anniversaires, les cheveux blonds des Bien-Aimées et la barbe des Amants ; il élargissait de vastes étangs d'alcool où, comme des ronds
de citron dans un punch, des énergumènes flottaient, sommés de flammes vertes ; il arrosait de
plomb fondu les crânes rebelles au Verbe éternel,
et la chair dévorée renaissait magiquement pour grésiller encore sous l'immortelle pluie de feu ;
ici, un terrible hachoir hachait les mains menteuses ; là, un racloir, d'un mécanisme surhumain,
raclait sur leurs os gémissants la chair stérile des
vierges folles ; — et des cœurs tombaient sous la meule infernale aussi pressés que des grains de blé.
L'illustre Hérétique n'oubliait pas les âmes, fourbissait, avec, le plus grand soin, les fourches de la peur, les flèches du remords, les colliers de l'angoisse, les marteaux de l'effroi, les chaînés de la
honte, les tenailles de la désolation.
Ensuite, il passa aux preuves.