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Parfois, lorsque minuit sonne et que la soirée devient mauvaise, lorsque le travail m'étouffe et que je me sens fatigué comme un vieillard — alors, je m'arrête, je rêve de vous... Vous m'entendez, je ne dis pas que fait-elle, où est-elle?... Ce serait penser à vous. Non, je rêve de vous. C'est-à-dire que j'oublie tout — le livre que je lis, même si c'est du Bourget ; la ville où je suis, même si c'est Paris. J'oublie tout et il me semble que vous venez vers moi, doucement... j'entends sur le tapis le froissement de vos chers pieds et je crois que votre main, que votre petite main d'enfant va se poser sur mon épaule, comme jadis, et que vous me direz de votre voix rieuse comme du Mozart :...
Ce jour, le dernier de l'année, je suis allé au cimetière. Il faisait sombre, bien que ce fut à peine deux heures. Le ciel était gris, sans lumière. Or, le cimetière était situé au sommet d'une colline. M'étant accoudé sur le mur d'enceinte, j'ai contemplé le paysage. C'étaient d'autres collines et puis d'autres collines et puis, toujours, d'autres collines, avec de grandes lignes blanches — des routes qui allaient très loin vers des villes inconnues. Au retour, j'ai dû me tromper de route, car celle que j'ai suivie ne menait pas à la Cité du Bonheur.
Ernest Tissot.