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Violone, qui se sentait regretté, eut la coquetterie de partir pendant une recréation. Quand il parut dans la cour,
suivi d'un garçon qui portait sa malle, tous les petits s'élancèrent. Il serrait des mains, tapotait des visages, et
s'efforçait d'arracher les pans de sa redingote sans les déchirer, cerné, envahi, et souriant, ému. Les uns, suspendus à la barre fixe, s'arrêtaient au milieu d'un renversement et sautaient à terre, la bouche ouverte, le front en
sueur, leurs manches de chemise retroussées et les doigts
écartés, car enduits de colophane ils s'engluaient au premier rapprochement. D'autres, plus calmes, qui tournaient
monotonement dans la cour, agitaient les mains en signe
d'adieu. Le garçon, courbé sous la malle, s'était arrêté
afin de conserver ses distances, ce dont profita un tout
petit pour plaquer sur son tablier bien blanc ses cinq
doigts trempés dans du sable mouillé. Les joues de Marseau s'étaient rosées à paraître peintes. Il éprouvait sa
première peine de cœur sérieuse, mais troublé, et contraint de s'avouer qu'il regrettait le maître d'étude un
peu comme une petite cousine, il se tenait à l'écart, inquiet, presque honteux. Sans embarras, Violone allait
vers lui quand on entendit un fracas de carreaux. Tous
les regards montèrent vers la petite fenêtre grillée du séquestre. La vilaine et sauvage tête de Véringue parut. Il
grimaçait, blême petite bête mauvaise en cage, les cheveux dans les yeux et ses dents blanches toutes à l'air.
Il passa la main droite entre les débris de la vitre, qui le
mordit comme animée, et menaça Violone de son poing
saignant.
— C'est toi, dit le maître d'étude, petit imbécile, te
voilà content !
— Dame ! lui cria Véringue, tandis que, avec entrain,
il cassait d'un second coup de poing, un autre carreau.
Pourquoi que vous l'embrassiez, et que vous m'embrassiez pas, moi ?
Et il ajouta, en se barbouillant gaminement la figure
avec le sang qui coulait de sa main coupée :
— Tiens, moi aussi, j'en ai des joues rouges, quand
j'en veux !
Renard.