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Ah! si Henri Regnault n'avait pas été tué Buzenval, si ce peintre patrouillait encore ses noirs savoyards, ses roses souillées, ses blancs de panaris, s'il se livrait encore, en de luxueux ateliers, à ce que Huysmans appelle « son vagabondage du dessin et son cabotinage édenté des couleurs »! Mais les Prussiens l'ont occis. Cela ne fait jamais qu'un artiste médiocre de moins, ― et il y en a tant!
Puis, à chacun son métier : le sien était de faire de la peinture, même mauvaise, ― comme le métier de Verlaine est à de divines poésies. Le jour, pourtant, viendra peut-être où l'on nous enverra à la frontière : nous irons, sans enthousiasme ; ce sera notre tour de nous faire tuer : nous nous ferons tuer avec un réel déplaisir. « Mourir pour la Patrie » : nous chantons d'autres romances, nous cultivons un autre genre de poésie.
Leur supprimer, à ces « s... b... de marchands de nuages », ― il s'agit de nous, selon Baudelaire, ― leur couper toute religion, tout idéal et croire qu'ils vont de jeter affamés sur le patriotisme! Non, c'est trop bête et ils sont trop intelligents.
S'il faut d'un mot dire nettement les choses, eh bien : ― Nous ne sommes pas patriotes.
Remy de Gourmont.