Ballade à la louange des musiques religieuses et mondaines. - Complainte en forme d’élégie touchant l’absence de métal par quoi l’auteur est incommodé

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Laurent Tailhade, « Ballade à la louange des musiques religieuses et mondaines. - Complainte en forme d’élégie touchant l’absence de métal par quoi l’auteur est incommodé », Mercure de France, t. I, n° 6, juin 1890, p. 185-187.


BALLADE
À LA LOUANGE DES MUSIQUES RELIGIEUSES
ET MONDAINES.


MM. Lombroso et Dubut de Laforest sont dans la désolation, car Madame la vicomtesse de X., la chercheuse raffinée, de qui ils tenaient tant de rares documents, s'est résolue à interrompre ses études d'anthropologie criminelle. On prétend, on se chuchote — cherchez la langue de M. Péladan ― que la mondaine very exquisite sacrifie aujourd'hui à un nouveau genre littéraire, le genre magico-mystique. Si non e vero...Toujours est-il que, dimanche dernier, la vicomtesse a roucoulé de sa voix faucelle le si suggestif PIE JESU de M. Faure en l'église St-Magloire.

Gazette Mondaine.



Au chant des luths et du Kinnor
Gabriel — tout en or — épelle,
O combien soëve ténor !
La Séquence et l'Hymne si belle.
Tout près de lui, sur l'escabelle,
Un marlou de chef démuni
Répond « amen » tandis que bèle
Madame veuve Pranzini.

Quadragénaire mutine ! Or
Elle est vicomtesse et rappelle,
Quant aux chloroses, G. Vanor.
Comme figue mûre qu'on pèle,
Comme raisin dans la coupe, elle
Jute un hippomane infini,
Coco ! pour ton linge isabelle,
Madame veuve Pranzini

Dans Bullier où sont les Connor,
Aux Gobelins, à la Chapelle
Ses yeux trouvent le Kohinor :
Id est : rognon du tout imbelle,
Pin d'Atys, mais avant Cybèle.
Pour ce elle couche en maint garni,
La très ci-devant colombelle :
Madame veuve Pranzini.



envoi



Prince, ton maitre de chapelle
Préfère Bach à Rossini.
Mais, pour l' Inflammatus, compelle
Madame veuve Pranzini.



COMPLAINTE EN FORME D'ÉLÉGIE

touchant l'absence de métal par quoi l'auteur est incommodé.



Je suis nu comme nu sans chemise
Qui n'aurait, pas de suspensoir,
Hélas ! et je manque de mise
Pour bloffer au pocker, le soir.

Les demoiselles incongrues
Qui, pour les jeunes et les vieux,
Stationnent au coin des rues,
Sur moi ne jettent plus les yeux.

Pour moi, le veau mue en squelette
Et les gargotiers irrités
Enguirlandent sa cotelette
D'un cresson d'incivilités

Ces bordeaux auxquels tu veux croire,
Explorateur des tours Eiffel,
N'abreuvent plus ma triste poire :
Vichy me refuse du sel !

Vous qui, jamais ne vous privâtes
Des luxes les plus onéreux,
Qui buvez des copahivates
Pour vos accidents amoureux :

O philistins de toute robe,
Économistes et cornards,
Dites ! quel océan dérobe
Le clair lingot, parmi les nards ?

Où se cachent les effigies
Qui, sur des écus variés,
Constatent les pathologies
Des potentats avariés ?

Où les Républiques augustes
Mais à poils, inscrivant des lois
Sur l'or des louis d'or, très justes
Quand arrivent les fins de mois ?

Dis, le sais-tu, Clémence Isaure
Dont les fleurs auraient eu le don
De réjouir l'ictyosaure,
D'estomaquer l'iguanaudon ?

Et toi, Sarcey, bedaine vaste,
Recteur de tous les odéons :
Sarcey, ton Apollo dévaste
L'âme des vieux accordéons.

Le savez-vous, Ohnet, Lemaître,
Toi, Jean Rameau, qui fais des vers
Hexamètres dont chaque mètre,
Comme toi, marche de travers.

J'irai, fût-ce en Patagonie,
Chercher ce « reingold », oui, j'irai
Sur la grande mer infinie :
Car mon crédit est délabré.

Et je préfère vos zagaies,
Anthropophages batailleurs,
Aux réclamations peu gaies
Des mastroquets et des tailleurs.


Laurent Tailhade.


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