Cantilène pour célébrer les cent beautés de la petite vierge. - Le Sarcophage vif

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G.-Albert Aurier, « Cantilène pour célébrer les cent beautés de la petite vierge. - Le Sarcophage vif », Mercure de France, t. II, n° 17, mai 1891, p. 286-288.


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CANTILÈNE POUR CÉLÉBRER

LES

CENT BEAUTÉS DE LA PETITE VIERGE




Pour toi, petite sœur de Madame la Vierge,
Des cierges, l'on voudrait brûler pour toi des cierges
Et te faire un tapis des bleus pourpris du ciel
Et que le croissant d'or te soit un tabouret!
— Est-ce un geranium, les fleurons de tes lèvres?
Ah ! tes cheveux, couleur de lune qui se lève,

Couleur de poésie et couleur d'auréole !...
— Ce grand vol triomphal, ce vol de cygnes roses
S'effarouchant au froid de ces neiges d'automne
Dont s'effarent les lys et les roses d'automne,
Ce beau vol, n'est-ce pas le parfum de ton corps?

— Qui donc ne te dirait : Tu seras le jardin,
L'exquis jardin fleuri de lys et de jasmins,
Où, sous le ciel rose et or d'éternels matins,
Grisés d'effluves blonds et d'aurore et de thym,
Bondiront des troupeaux de biches et de daims?

— Il pleut, il pleut, dans les jardins, il pleut, il pleure...
— Entends-tu le silence d'un astre qui meurt?...
— Ah! tes mains!... Et tes doigts, qui finissent en fleurs!..

Ah ! le puits bienveillant, parmi les blondes mousses,
Blondes, tels les duvets des Blondes ! et si douces !...
Le charitable puits où j'ai bu bien des coups!...

Ah! tes gestes, pâlis comme un refrain d'antan!
Et ta subtile robe, en effluves d'encens!
Et ton rire de givre! ah ton rire d'enfant!

Et tes yeux, qu'il faudrait pour le bandeau du roi,
Opales qu'on voudrait pour le bandeau du roi,
Tes yeux, ah ! tes grands yeux, bénévoles étoiles
Vers qui vole, en la nuit, la prière des voiles !

Et tes seins! Et ton front! Et ta mignarde oreille
Faite d'un peu de nacre et de beaucoup de rêve!...
Et tes pieds longs et fins, tels ceux de Ganymède!...

Tes cuisses ! N'est-ce pas celles d'un jeune archange
Qu'emporte dans l'azur un beau vol d'ailes blanches?
Et ta voix, paradis immarcessible où chantent

Les Séraphins ailés et les mystiques Harpes!...
Et tes sourcils, tes purs sourcils, d'un blond trop pâle !
Et les serpents très caressants que sont tes bras !
Et tes ongles aigus qui semblent des pétales !
Et ton corps ! Tout ton corps ! Et ta tête, si chaste !...
— Mais ton ventre, on dirait un rêve de vieillard !

 20 novembre 1890


LE SARCOPHAGE VIF



A Charles Wiest



Les Doigts ont dit à la Cervelle : Non!
Et, fors les yeux maléfiques du Rat,
Nul doux espoir d'étoile n'éclaira
Le ciel moisi du sanglant cabanon!

La Tarentule immonde, en faction,
Raille mes cris d'un fou rire moqueur!...
J'ai dans le corps, à la place du Cœur,
Un vieux cadavre en putréfaction...

Un vieux cadavre où la horde des vers
A découvert, pour assouvir sa faim,
Un fin festin, digne des séraphins !...
— Moi! je mettrai, dans mes lugubres vers,

Ainsi que dans mes proses, afin qu'au
Pinde je sois acclamé le vainqueur,
Le plus possible de mon pauvre Cœur!...
— Tant pis, si l'on y trouve un asticot!

Les Doigts ont dit à la Cervelle:Non!
Et, fors les yeux maléfiques du Rat,
Nul doux espoir d'étoile n'éclaira
Le ciel obscur du sanglant cabanon.

Le Scolopendre hydrophobe et pelé,
Le Stercoraire aux airs de matador,
Le Capricorne et la Limace d'or
S'estramaçonnent parmi les bolets,

L'Araignée acéphale fait le guet...
— Toi, ma maîtresse aux suçons trop ardents,
Plante en mon Cœur tes ongles et tes dents!...
L'Araignée acéphale fait le guet...

— Vois-tu les yeux maléfiques du Rat?
—Mange mon cœur, commensale du ver!...
Tu me diras s'il sent le vétyver
Ou le cédrat, ah! ah! ah! ah! ah! ah!
19 Mars 1890

G.-Albert Aurier.

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