Curiosité littéraire : Le Chevalier Maurice Plessys de Lynan

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Ernest Raynaud, « Curiosité littéraire : Le Chevalier Maurice de Plessys de Lynan », Mercure de France, t. I, n° 10, octobre 1890, p. 356-361.


CURIOSITÉS LITTÉRAIRES


I

Le Chevalier Maurice du Plessys de Lynan


 Celui-ci, ce n'est point à feuilleter les quotidiens et les catalogues de libraires que vous apprendrez à le connaître. Il n'édite point, non qu'il ait horreur de l'imprimé, mais parce que l'œuvre une fois produite, il dédaigne de s'en occuper davantage. Il écrit au hasard de l'heure, sur le marbre d'une table d'estaminet, puis de la feuille noircie il va tout à l'heure allumer un cigare, et, n'était l'obligeance de quelques amis, toute la mort serait accroupie sur cent joyaux dont c'est mon orgueil d'être le premier à déceler ici la pure radiance.
 Si l'œuvre du Chevalier Maurice du Plessys est encore inédite (1), sa physionomie toute spéciale, ses allures de Paulus étique, ses excentricités de don Juan d'entre-sol, sont en passe de devenir légendaires. Il est dandy à sa façon, qui n'est celle ni de Brummel ni de Barbey d'Aurevilly et l'un des cas les plus surprenants, certes ! de l'actuelle bohème littéraire.
 La Bohême d'aujourd'hui ne ressemble guère à celle de Mürger. On a compris enfin le ridicule de toutes ces brailleries romantiques, de ces cris échevelés dont, durant un demi-siècle, a retenti la Littérature. Un poète, pensait-on, ne pouvait s'affirmer que par de vastes saoûleries, de véhémentes gesticulations, des oripeaux crasseux, une barbe en jachère, à tel point qu'aux yeux effarés de M. Joseph Prudhomme l'image d'un artiste ne s'évoquait plus que sauçant au coin d'une borne, dans le résidu d'ébriaques déjections.
 Les bohèmes d'à-présent pensent que l'allure réservée, l'intégrité des pantalons et le curage des ongles ne sont point incompatibles avec le renom de poète. C'est même, chez eux, à propos de la vestiture élégante, une émulation louable. Ils lancent des modes ; ils ont une opinion personnelle sur les coupes, les bordures à plat, les pattes-mouille, et ceux qui ne veulent point s'amputer de leur chevelure en avivent la soie d'huiles odorantes, et font ainsi s'épanouir, où ils siègent, un merveilleux printemps.
 Entre deux sonnets s'échangent des discussions de couture. Le chevalier du Plessys préconise le collant, à quoi, d'ailleurs, le voue sa sveltesse délicate. Il n'a cure des objections d'autres qui, comme Cazals, séduits par les redingotes à jupe, les gilets à basques et les pantatalons de houzards, le combattent éperduement aux cris de « Vive l'Ampleur », et il continue l'exhibition de maillots cerise et de justaucorps succulents où chante toute la gamme des rouges anémiés, des bleus attendris, des jaunes qui s'exaltent.
 Il scandalise ainsi, d'un carnaval pérennel, les cénacles inémus pourtant des manteaux espagnols de Laurent Tailhade, des complets chiliens de Jean Moréas et des gilets empiastrés de M. Dujardin.
 S'il osait, il assumerait la perruque et l'épée de Lauzun. Il dit quelque part :

 Peut-être que voilà des Temps, je fus Mozart,
 Je me sens des velours de Maître de Chapelle,
 Et, bien que mon gilet ait quitté ses dentelles,
 J'ai le mépris de tels jabots ruchés sans art ;

 Sans doute que voilà des Temps, ma tabatière
 S'adornait de que d'ors en bosse relevés,
 Et mon doigt simple où sommeillaient de calmes pierres,
 Il fut le pur dépositaire des Avés !

 Il donne l'illusion d'un contemporain de M. de Bernis attardé parmi notre civilisation d'ingénieurs. Un calculateur le fait sourire, et il s'étonne de n'être point pensionné de quelque cassette royale. Riche, son unique soin serait d'une dentelle, à tuyauter, d'une nuance d'habit à faire valoir, d'un salmis à épicer, et de quel cru constituer le bouquet définitif de son menu. Pour l'heure, n'ayant point d'écus à dépenser dans les hostelleries, il s'en tient à aviser ses amis d'inédites recettes culinaires et à les mettre en garde contre les rôtisseurs dont les devantures témoignent de poulardes inconsidérément rôties ou gratifiées de truffes sans l'entier discernement désirable.
 Je me suis étendu sur l'homme pour expliquer le poète, léger d'autant. Il n'a pas les orgueils plébéiens d'aujourd'hui. Il n'a garde, en ses vers, de pontifier. D'aucuns se font, esthètes de rencontre, avec quelques rimailleries laborieuses, une cathèdre d'où secouer les éclats tonitruants d'une voix d'Isaïe. Ils vaticinent, ils prophétisent. Ils se rêvent laurés de palmes sur fond bleu, portés en scapulaires, avec, en papier doré, une auréole. Ils se proclament gravement, à la brasserie, la langue empêchée de trop d'alcool, les Élus de Dieu, pour des fins mystérieuses. Notre Chevalier, pour faire des vers et des meilleurs, ne cherche point à nous en imposer. La Littérature est pour lui, suivant l'expression de Tailhade, une bagne au doigt. Il s'en pare comme d'un joyau, sans plus, et seulement parce que cela complète l'idée qu'il se fait d'un galant homme. Il serait, effectivement, fâcheux qu'un monsieur en quête de toutes les distinctions n'eût point la ressource de faire des vers. Certes, il prise fort un vers élégant, non davantage, toutefois, qu'un geste gracieux, et s'il abhorre une épithète incolore et vulgaire, il déteste an même titre un salut gauche où ne s'observent point de subtiles nuances.
 Finesse, élégance : ainsi se caractérise son talent. Ce n'est point un poète de lieux communs, un grand poète, un de ceux où le vulgaire s'alimente et qu'il vénère ; c'est, à proprement parler, une délicieuse façon de poète d'anthologie, un de ces poetæ minores qui font le régal des lettrés délicats, un décadent, pour tout dire, si on laisse à ce mot merveilleux toute la suggestion de ses ors mourants et de ses pourpes occidentales, où, loin ! quelles silhouettes byzantines et qui s'effacent de dômes violets !
 Il procède surtout de Verlaine, du Verlaine des Fêtes Galantes et des Romances sans paroles. Il en a le tour languide et toute l'élégante corruption, et c'est dans le sens indiqué par le Maitre qu'il innove. Il ne s'en détache que par le mépris de la rime, qu'il néglige à dessein. D'ailleurs, il sen tient à l'assonance le plus souvent. Pour que sa strophe soit envolée davantage, il procède par ellipses. À chaque instant, chez lui, la phrase s'interrompt, interjectionnelle, se suspend d'un tour exclamatif. Il s'attache à tous ces menus détails de la forme, persuadé qu'un vers bien écrit est un vers bien pensé, et qu'une épithète rare contient une idée neuve. C'est faire comprendre qu'il est exclusivement plastique. Il est peintre davantage encore que poète, et c'est son geste d'écarter tout à coup les brumes ambiantes pour, sur l'heure, fixer le soleil d'une vision ; à preuve cette



Frivole



  Comme un faisceau de branches blanches, le chignon
  C'est un Mont Blanc qui fait valoir la porcelaine
  Recuite un peu de la joue âpre aux lignes pleines,
  Et les cuivres du col aux chaleurs de brugnons.

  Et le geste d'éparpiller d'un doigt mignon
  Toute la nuque en vrilles d'or de folles laines,
  Réconcilie, avec la grâce des baleines,
  Les seins surpris d'être si proches compagnons.,

  La glace en cœur comme une bouche minaudière
  En un feston de quels clairs tons ! noue un court vol
  De colombelles et d'amours, tout crème et miel ;

  Et de trois-quarts, elle ne veut de la frivole
  Qu'un coin d'œil tendre, un bout de bouche qui sourit
  Et l'entre-deux d'un haut de gorge blanc de riz.

 Et ce sonnet des « Birbes », plus éclatant encore, s'il est possible, bien que d'un ordre tout différent, pince sans-rire et quasi jovial :

  Que tête à claques, très haut sur col en fer blanc,
  Le plastron boréal et l'œillet au revers,
  Monocle à l'œil dardé d'un trait étincelant,
  Il martyrise une barbiche en fil de fer,

  On que poussif et bedonnant et ahannant,
  Il vocalise, front lyrique, vers les nues,
  C'est toujours toi, bon birbe en quête d'ingénues,
  Et ton œil n'arde plus que pour ce seul nanan !

  C'est qu'elles sont, aussi, garces ! et provocantes !
  Telle coiffe au-dessus du court front des bacchantes
  Une tignasse d'acajou coulé d'or clair ;

  L'autre a l'ombreux velours des cils de quatorze ans,
  Le jersey juste ébauche un buste pauvre en chair :
  — Le monocle du vieux monsieur est plus luisant !

 Parfois, cependant, cette calme ordonnance des vers purement plastiques se dérange d'un brusque mouvement de passion. C'est, par exemple, toute la révolte d'une âme de cénobite poursuivi de hantises charnelles, et qui saigne de ressentir

  Oui, jusque sous l'abat-jour calme, l'indomptable,
  La saôule soif de leurs seins murs et d'y téter !
 C'est l'angoisse d'un cœur saccagé qui se tourne vers le repos et l'image de la chère Béatrice :

  Et que s'allume, tel un front de bonne fée !
  À la baie humble qui ne vent pas que ses bluets,
  Le profil clair d'une qui rêve à son rouet,
  Le front d'Ursule et ses doux doigts de bonne fée !

  J'avais rêvé, sur ma douleur ! d'un front de femme,
  D'un front si bon, comme ce front sur cette trame....
  J'avais rêvé, doigts d'une amie, ô doigts d'Ursule !
  De vos doigts bons sur ce vieux front d'un vagabond !


...................................................



 Et ailleurs, dans les mélancoliques vers pour une Anglaise en allée :

  J'enclorai dans mon cœur les yeux qui l'ont aimé !
  Je ne veux plus, après ses yeux, que l'ombre austère !
  Je ne veux plus rien de l'amour, rien de la terre,
  Puisque deux yeux charmants un instant m'ont aimé !

 Mais ces crises de tendresse sont pour tout dire assez rares chez le poète. Il estime avec raison que la Poésie n'a d'autre objet qu'elle-même, et qu'il est puéril et vulgaire d'y introduire de la passion. Il est assez maître de sa science pour n'avoir point à recourir à ces subterfuges grossiers, à ces ficelles de mélodrame par quoi les rimeurs sans scrupules sont assurés de capter les suffrages des salons.
 Parfois aussi notre auteur moralise ; ses considérations philosophiques aboutissent à l’acceptation de la vie,

  N'aspire plus aux ciels rêvés qui s'ouvriront.
  Assume un sûr, immédiat et proche songe
  Et l'échafaude avec tes deuils pour seuls chevron,
  Et tout le reste, c'est déboire et l'amer songe.

 Il a des conseils où se trahit un profond découragement, cette sorte de noire tristesse et d'écœurement qui suit les voluptés excessives et les déperditions considérables de fluide nerveux. Au lendemain des nuits où s'est exaspérée la névrose, toute la sagesse des bonnes résolutions, méconnue, revient et chante :

  Sois dans la vie un voyageur qui passe un bois :
  Il marche vite ayant de l'or dans sa ceinture ;
  Que le malheur te soit le lest et non le poids.

 Je voudrais pouvoir citer d'autres merveilles, mais je dois, à mon grand regret, me restreindre. Je ne puis que signaler, parmi les poèmes que j'ai sous les yeux, cette piécette : Au bord du chemin, dont seuls l’Apparition de Mallarmé et l’Impromptu pour orgue et flûte de Ghil égalent l'intensité de musique, cette Inscription pour la tombe d'une vierge qui tirait à Laurent Tailhade ravi cette exclamation : « Cela est beau comme du Sophocle », et surtout ces redoutables Vers pour un hussard décadent, la chose de cet ordre, je l'atteste ! la plus forte depuis Laclos. On ne sait quoi le plus y admirer de la sécurité du Poète ou du prestige d'une versification savante où tout est neuf, rhythme, rimes, ordonnance, sentiment aussi, dirais-je, s'il n'y avait sacrilège à mêler ce mot de sentiment à une œuvre toute de glace.
 Aussi bien, l'époque est proche ou vous serez à même d'apprécier l'œuvre, dans sa toute intégralité. Ces poèmes sauvés de l'oubli ne sont pas loin de paraître en recueil. L'auteur a bien voulu condescendre à les unifier d'un titre : « l'Indifférent », qui est en même temps celui du sonnet liminaire où se synthétisent toutes ses tendances, où se résume tout son tempérament. Ce sonnet, précieux surtout à ce titre, tel se module :

  Or, grave ! au pas d'une minceur un peu qui ploie
  Dans le brouillard de perles fines des pelouses,
  Il est le spectre de son cœur, tout soie et joie !
  J'ai peur un peu de tant de bouches à sa blouse...

  Il n'a souci de rien de rien : léger d'autant !
  Il est le ciel du papillon qui pose et part ;
  Et son œil sauf, rien ne l'émeut, ne l'accapare,
  Ni le beau ciel, ni la tristesse du printemps.

  Être l'Hercule de puériles Némées !
  O Jason de toujours mêmes mièvres conquêtes !
  Et parfois sur son cœur passe un vent de framées.

  Le soleil est allé tomber loin de Palmyre.
  Voici venir la nuit riche des seules Fêtes.
  ...Ah ! qu'il voudrait ! ah ! qu'il voudrait ! dormir ! dormir !

 Ce qui est pour clore dignement ces notules, où nulle autre ambition que d'avoir voulu signaler à l'attention l'un des plus ductiles poètes de ce temps-ci.



Ernest Raynaud.


1. Quatre sonnets ont paru néanmoins en des périodiques divers : La Caissière (Chat noir), Sonnet à Saint-Just (Combat), Alberte et Colin, et le Coucher d'Antoinette (Caravane). M'étant imposé de ne citer que de l'inédit, je ne puis les transcrire au cours de cet article. Je le regrette d'autant que ce sont de pures merveilles, et que mieux que tous autres, peut-être, témoigneraient-ils de l'absolue correction du Poète.

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