Heures grises. - Chanson de funérailles amoureuses. - La Pluie purificatrice

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Saint-Pol-Roux, « Heures grises. - Chanson de funérailles amoureuses. - La Pluie purificatrice », Mercure de France, t. II, n° 17, mai 1891, p. 281-283.


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HEURES GRISES



Horloge où le balancier pleure
Sa lourde lacryme d'or,
O colombier de l'heure
Aux œufs de leurre
Et d'ancien cor,
Cesse tes tourterelles
Vers mes tourelles!


L'aspic de trahison
Garrotta ma raison
Dans le désert de jusquiame
Où la cendre complice ensabule mon âme.


Alors que les missels
Grisaient de jolis scels
Ma foi riant à la paresse,
Le chacal a bu ma citerne de caresse.


Hors des ris et du fruit,
Les ongles de la nuit
M'entent l'inane lassitude
En l'insipide et malévole solitude.


Oh tant! que les désirs
Sués dans les loisirs
De cette opaque somnolence
N'accédent même pas à rayer le silence.


O mer des sabliers,
Bannis ces peupliers
De brume ensorcelant le calme
Et verse-moi l'adolescence de la palme !


Cesse tes tourterelles
Vers mes tourelles,
Colombier de l'heure
Aux œufs de leurre
Et d'ancien cor,
Prodigue horloge où le balancier pleure
Sa lourde lacryme d'or!

11 avril 87.



CHANSON
de funérailles amoureuses



Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres!

Pendant la dense danse,
Les Fantômes en selle
Le cavent de leur lance
Ainsi qu'une nacelle.

Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres !

Sous les lunaires linges,
Ce semble une disette
Où d'hystériques singes
Curent quelque noisette.

Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres!

Adieu, chères corbeilles
De mes jeunes golcondes :
Corbeaux, palmes, abeilles
Des vigiles fécondes !

Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres !

Vide coque d'alarmes,
Leste-toi de grenouilles
Et cingle sur mes larmes
Vers les neuves quenouilles!

Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres!

Vite! aux donjons d'ivoire
En l'île de vengeance
Où je serai la Gloire
Aux bagues d'indulgence!

Mon Cœur est chevauché par des sabots allègres
De cavales maigres!

30 octobre 89.


LA PLUIE PURIFICATRICE



Les arrosoirs volants s'épanchent sur la geôle
Où le serpent noua la rogue humanité;
Sous les orteils divins, c'est comme un vaste saule
Eparpillant ses longs rameaux d'humidité.


Néanmoins, j'ai quitté la tuile maternelle
Et je m'offre sans linge au ciel extravagant;
Même je fuis l'égide parvule d'une aile,
Ayant soif du pardon que pleure l'ouragan.


Saintes perles de l'altière Mélancolie,
Entreprenez l'âpre lessive des péchés
De cette viande laide autrefois si jolie;


Et viens, Cygne, au vieux parc de mes os débauchés.
Réaliser le ciel de ma chasuble en pluie
Moyennant le remords de la Ténèbre enfuie !

Ile Tristan, 18 octobre 90.

Saint-Pol-Roux.

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