L'heure en exil I:L'ennemie, II:Vienne l'amie

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Dauphin Meunier, « L'heure en exil I: l'Ennemie, II: Vienne l'Amie », Mercure de France, t. II, n° 15, mars 1891, p. 144-145


L'HEURE EN EXIL


I

L'ENNEMIE


D'abord s'en vint l'Ennemi à l'entour
De mon corps inerme et seul dans sa Tour
Déverse sur sa base de sagesse;


Puis s'essouffla l'Atabule brumal
Qui, sur mon corps inaccessible au Mal,
Gerça la Tour comme écorce gélive.


Elle au plus près de moi venue alors,
Ce fut un ineffable corps à corps
Dont geignait et saignait mon corps brehaigne.


Par griève blessure elle l'émut,
Et m'enveloppa si bien qu'elle m'eût
Brûlé dans sa chevelure ignivome


N'était l'Esprit soudain aide et vainqueur
Qui rendit vaine et froide pour mon cœur
Sa chevelure détorse, sa force.


Ce ne fut que mon corps qui se damna :
L'Esprit permit que la folle entraînât
La fane de mon corps sur son alfane.


Mais depuis mon cœur surveille à l'entour
Et, pour cacher les brèches de la Tour,
Plante l'aurone dans les chantepleures.


II

VIENNE L'AMIE


Très proche cependant que seulement prochaine,
Pour embaumer sans la troubler l'heure en exil,
Parfum de chair et point de chair mais corps subtil.
Qu'ainsi jamais venue,et présente, Elle vienne!
Pour embaumer sans la troubler l'heure en exil.

Dans mon silence où les syllabes stillent toutes.
Aveux que n'acertainent ses lèvres ni rien,
Frais lacis de ses bras en gestes de liens,
Morsures sans l'arille âpre des fruits qu'on goûte,
Aveux que n'acertainent ses lèvres ni rien.

D'un dessin succinct, teinte claire peinte en fresque.
En si folle peur du cœur qu'on pourrait briser
Qu'à peine en amour, à peine un léger baiser,
Et si peu de sexe qu'insexuée ou presque
Par si folle peur du cœur qu'on pourrait briser,

Telle, bien que plus belle peut-être plus vive,
Qu'Elle, l'Amie ainsi, l'Ennemie autrement,
Vienne! sans que son pied pèse comme un tourment,
Sans que se plaigne même une planche jointive :
Elle est l'Amie ainsi, l'Ennemie autrement.


Dauphin Meunier


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