Le Livre des Reines : Luciane. Jézabel. Aude. Bradamantes. Paryse. Médée. Lucrèce

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A.-Ferdinand Herold, «  Le Livre des Reines : Luciane. Jézabel. Aude. Bradamantes. Paryse. Médée. Lucrèce », Mercure de France, t. VI, n° 35, novembre 1892, p. 233-235.


LE LIVRE DES REINES


LUCIANE


Des roses parsemant sa robe diaphane
Et les cheveux mêlés de gemmes, Luciane
Erre sous les arbres lumineux et sacrés.
Les cerfs, de qui les bonds agitaient les fourrés,
S'arrêtent auprès des ondes qu'ils allaient boire
Pour admirer la jeune Reine dans sa gloire.
Elle, moissonneuse de joyeuses moissons,
Écoute s'égrener les candides chansons
Que lui murmurent les doux oiseaux pour lui plaire,
Et de l'été rayonne en son regard stellaire ;
Et voici que les fleurs qui parent les chemins
Grandissent, pour qu'elle les cueille, vers ses mains,
Et les heureuses fleurs meurent sans amertume,
Songeant a la beauté que cette mort parfume.


JÉZABEL


Elle passe, la Reine aux bras clairs, Jézabel,
Souveraine de la gaieté, Dame du rire ;
L'or et les fleurs couronnent son front, et la myrrhe
Parfume ses cheveux fins, roux comme le miel.

Elle écoute jaser les luths au doux appel,
Et, tandis que le peuple des guerriers l'admire,
Elle songe : « Je veux conduire mon navire
Vers la plage où fleurit le jardin immortel.

Que périsse le Dieu farouche qui n'octroie
A ceux qui l'adorent ni volupté ni joie,
Le Dieu noir des pleurs, des sanglots et des frissons.

Et que vienne Vénus, la Déesse opportune,
Pour que, la nuit, l'écho divin de nos chansons
Monte vers le visage azuré de la lune. »


AUDE


L'Empereur Charlemagne est revenu en France,
Dans Aix, le fief royal, la ville noble et grande.
Vers l'Empereur s'en vient Aude, la belle Dame.
« Où est Roland, Prince des gloires triomphales,
Roland, qui m'a juré de me prendre pour femme ? »

— « O Fille, c'est un mort sur qui tu m'interroges :
Saint Michel a ravi son âme au son des harpes.
Ne pleure pas qui gît dans les monts et les roches :
Car tu épouseras mon fils, Comte des Marches. »

Aude répond : « Voilà des paroles étranges.
Vous me vêtirez d'une robe pure et blanche :
Je m'unirai à mon Roland parmi les Anges. »

Aude est tombée, Aude est morte avec un sourire,
Heureuse, et le regard pacifique et limpide.


BRADAMANTE


Fière et souple sur les gaufrures de la selle,
En la pourpre ardente de sa robe aux plis droits,
Elle guide un cortège invincible de rois
Qui dardent leurs regards enamourés vers elle.

Elle est la Vierge des conquêtes ; elle est Celle
Qui, par les aubes ou les soirs, brûlants ou froids,
Chevauche, aventureuse et semeuse d'effrois,
Quand, hors du fourreau, son glaive d'or étincelle.

Elle est la Guerrière qui franchit l'âpre seuil
Des burgs fortifiés de colère et d'orgueil
Et saccage les champs, les palais et les villes.

Et les princes domptés, oubliant les rancœurs,
Et l'implorant avec des prières serviles,
Halètent vers sa bouche et ses baisers vainqueurs.


PARYSE


Près du ruisseau qui court par l'ombreuse vallée,
Seule sous les hêtres touffus et sous les pins,
Rêve joyeusement la Princesse exilée.

Elle ne songe plus aux jours déjà lointains
Où, parmi les clameurs rauques et les fanfares,
Elle vit entrer dans ses villes les barbares
Qui la chassèrent vers le hasard des chemins.

Dans le palais, brillant de gemmes et d'ivoires,
Ses yeux tristes se voilaient d'éternelles nuits
Et même les aurores d'or lui semblaient noires.

Et maintenant, chaque soir, quand meurent les bruits,
S'en vient le doux ami dont l'amour l'a charmée ;
Et plus jamais, au long de sa route embaumée,
Elle ne cueille la fleur pâle des ennuis.


MÉDÉE


« La porte taciturne a tourné sur ses gonds
Et les chiennes n'ont pas aboyé de colère.
Viens, et marchons parmi la floraison stellaire
Des narcisses, des pavots et des martagons.

Par delà le jardin joyeux où nous vaguons,
Se hérisse le bois toujours crépusculaire
Dont le mystère vierge et farouche s'éclaire
D'écailles en flamme et d'yeux rouges de dragons.

Ne tremble pas. Je sais les magiques paroles
Et je sais cueillir les merveilleuses corolles,
Fleurs d'ombre que je mêle en philtres endormeurs.

Les lourds monstres boiront d'une gueule assoiffée,
Et, la Toison prise, en la nef, joie et clameurs,
Je suivrai l'Époux, fier de son double trophée. »


LUCRÈCE


Elle descend les marches glauques du perron,
Les cheveux ondoyants et la poitrine nue.
La troupe des guerriers s'incline, et le clairon
Proclame dans le parc sa hautaine venue.

Et les arbres en fleurs et les lierres grimpants
Ont murmuré de joie et d'amour dans l'allée ;
Les sources ont bondi plus vives, et les paons
Ont déployé l'orgueil de leur roue ocellée.

Elle sourit à la fraîcheur blonde des cieux,
Et, sur un signe de sa main d'ivoire frêle,
Les guerriers qu'a ravis la splendeur de ses yeux
S'en iraient conquérir des royaumes pour elle.

A.-Ferdinand Herold.


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