Le Livre des Reines : Viviane. Blanchefleur. Marozie. Anfélize. Edith. Genièvre. Bazine

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A.-Ferdinand Herold, « Le Livre des Reines : Viviane. Blanchefleur. Marozie. Anfélize. Edith. Genièvre. Bazine », Mercure de France, t. VI, n° 34, octobre 1892, p. 131-134.


LE LIVRE DES REINES
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A Pierre Louÿs


VIVIANE


Dans le jardin planté de peupliers et d'aulnes,
Au rhythme lent et languide des flots lointains,
Elle rêve. Son voile est brodé d'ors éteints
Et ses mains claires effeuillent des roses jaunes.

Près d'elle, des faunesses blondes et des faunes
Dansent parmi des sylphides et des lutins.
Ses esclaves, belles comme de beaux matins,
Semblent sur le gazon des reines sur des trônes.

A ses pieds, souriant et faible, le Harpeur
Qui chanta dans l'orage des flèches sans peur
Murmure des chansons de joyeuse folie.

Pour la charmer il adoucit sa grande voix,
Et, captif bienheureux de la Fée, il oublie
Les hymnes guerroyeurs qu'il aimait autrefois.

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BLANCHEFLEUR


Chaque jour, à l'appel harmonieux des brises,
S'en vient auprès des flots la Princesse captive.

Nulle tristesse, nulle amertume de larmes
Ne défleurit l'aube glauque de ses yeux calmes.

Nuls sanglots d'importunes et vaines nénies
N'étouffent les chansons de sa voix inflétrie.

Nulle cendre sur ses doux cheveux qu'elle pare
De topazes et d'émeraudes triomphales.

Elle sait qu'une aurore où souriront les plaines,
L'horizon blanchira d'une blanche galère.

Un Prince, au front de qui la lumière se joue,
Rayonne, cuirassé d'argent clair, à la proue.

A son poing resplendit la candeur de son glaive:
C'est Lui, c'est le Héros invincible qu'elle aime.

Ils s'étreignent, et loin de la mauvaise plage
S'échappe gaiement la galère nuptiale.

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MAROZIE


Sur la terrasse ombreuse où sa chair extasie
Et qu'enguirlandent les vignes aux blonds raisins,
Parmi les cardinaux et les ducs, ses cousins,
Siège, demi-nue et rieuse, Marozie.

Devant son trône danse une troupe choisie
Des esclaves filles des émirs sarrasins,
Et des poètes lui murmurent des dizains
Dont le rhythme berceur charme sa fantaisie.

L'aile rude, jamais aucun oiseau de soir
Ne frôle son front juvénile d'un vol noir,
Et jamais le mépris d'un amant ne l'enfièvre.

Le Pape viderait pour elle des trésors,
Et clercs et rois mourraient, des chansons à la lèvre,
Pour un regard ami de ses yeux semés d'ors.


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ANFÉLIZE


« O Chevalier, Prince d'amour qui m'apparus
Dans le prestige et le triomphe des tueries,
Voici ma main pour aller aux parcs entrevus.

Nous foulerons les royaumes blancs des féeries,
Où, quand nous serons las d'errer par les sentiers,
Nous dormirons au bord des fontaines fleuries.

Vous oublierez les soirs sanglants où vous montiez
Vers le dur granit des créneaux par les échelles,
Sourd à la voix dolente et lente des pitiés,

Les soirs où vous buviez, assis sur les margelles.
L'eau surie et chaude qui stagne au fond des puits,
Les soirs où vous chassiez les loups et les gazelles.

Voici ma main: l'haleine amoureuse des nuits
Nous caresse le front de senteurs étoilées;
Voici ma main pour fuir loin des plaines d'ennuis

Où croulent les murs de nos villes désolées. »

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EDITH


De blancheur douce, telle une blancheur de cygne,
Elle rêve, les yeux clos d'un demi sommeil.
La robe, chaste et blanche, et le voile pareil,
Se brisent en longs plis dont la roideur s'aligne.

Derrière le vitrail fantasque d'une vigne,
S'annule le sang roux et brumeux du soleil.
Elle rêve, et ses yeux voient le matin vermeil
Où paraît l'Aimé, couronné de gloire insigne.

Le soleil las est mort derrière le vitrail.
Vers l'Aimé, fier sur un cheval au lourd poitrail,
Elle s'avance, pure et blanche Fiancée.

Elle rêve, et sourit à son rêve clément.
La vieille clarté du soleil s'est éclipsée
Par-delà le vitrail fantasque, lentement.

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GENIÈVRE


Voici paraître la belle Reine Genièvre.

Le soir de ses cheveux étoilé de rubis,
Elle passe, dardé vers le vieux Roi le glaive
De ses regards aigus, fulgurants et hardis.

Qu'elle est terrible, la belle Reine Genièvre.

Prés d'elle, l'Enchanteur aux doigts mélodieux
A fait vibrer la harpe d'amour et de rêve
Et lui suscite un sourire mystérieux.

Qu'elle est étrange, la belle Reine Genièvre.

Dans la paix du jardin glorieux et charmé
Monte un murmure, comme d'une source brève:
Et c'est la voix palpitante du Bien-aimé.

Qu'elle est joyeuse, là belle Reine Genièvre.

Où les pages? où l'Enchanteur ? où le vieux Roi?
Le printemps fleurit dans les arbres pleins de sève,
C'est l'heure chère des étreintes sans effroi,

Qu'elle est heureuse, la belle Reine Genièvre.

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BAZINE



L'Amante s'est enfuie à travers les forêts.
Sans craindre les faims lourdes des loups ni les rondes
Des noirs démons et des sorcières vagabondes,
Elle marche, rêvant un rêve clair et frais.

L'hiver pâle a tué le soleil aux doux rais.
Et le vent triste éparpille ses tresses blondes;
Elle boit aux torrents d'âpres et froides ondes,
Et, lasse, dort parmi les lichens et les grés.

Elle marche, elle marche encore; des prairies
Se prolongent, monotones et défleuries:
Nulle larme ne point à son œil calme et fier.

Là-bas, en un pays de jeunesse et d'aurore,
Tenant la hache rude et le glaive de fer,
Règne le Héros qui l'attend et qu'elle adore.

A.-Ferdinand Herold.


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