Les Fusillés de Malines, par Georges Eekhoud (Bruxelles, Lacomblez). — Voilà un très bon livre, malgré quelques pages d'un naturalisme un peu trop de kermesse à la phase excrémentielle. C'est l'histoire de la révolte des Flandres, en 1708, contre l'occupation française et la stupide tyrannie des jacobins. On avait fermé et pillé les églises, déporté les prêtres à Cayenne, supprimé toutes les gildes, confréries, corporations et fêtes locales; à toutes ces vexations (imaginées naturellement au nom de la liberté et l'égalité) ajouté la conscription: — les paysans, un jour, trouvèrent que cela allait un peu loin et prirent les armes. Ils surprirent Malines, mais, surpris à leur tour et cernés, ils furent massacrés, et ceux qui avaient échappé à la tuerie fusillés le lendemain après un simulacre de jugement. L'auteur méprise et hait la Révolution française, — sentiment que tout artiste ne peut que hautement approuver. Ah ! Gantois et Brugeois, si vous nous aviez appartenu, comme nous aurions rasé vos maisons à pignons, vos beffrois, vos couvents, vos hôpitaux, vos chapelles, vos églises ! Comme nous aurions redressé vos rues qui s'en vont sans savoir où ! Et comblé les inutiles canaux de Bruges ! Et rendu toutes ces villes un peu modernes ! Songer que Bruges pourrait ressembler à Saint-Denis ! Sous couleur de patriotisme flamand, cette étude de M. Eekhoud, fort bien écrite d'ailleurs, avec plein de trouvailles de mots et style, est un plaidoyer de l'art contre le vandalisme et de l'idéalisme contre le despotisme utilitaire : donc, à tous les points de vue, un très bon livre.
R. G.
Les Pharisiens, par Georges Darien (Genonceaux). — Un jeune homme de lettres, qui serait sans doute l'auteur lui-même si nous étions encore au beau temps des romans à clef, s'introduit dans les dessous d'une librairie quelconque où il rencontre un célèbre anti-sémite portant le pseudonyme extraordinaire de l'Ogre. Ce jeune homme, un peu candide, s'aperçoit que les grands éditeurs et les grands auteurs cherchent avant tout leur intérêt, les uns quand ils éditent, les autres quand ils écrivent. Ça l'étonne. Il explique son étonnement dans une langue véhémente, ornée de périodes à effets, comme les discours académiques. On ne saisit pas bien s'il est pour ou contre les juifs, mais ou finit par s'apercevoir qu'il est amoureux d'une petite femme. L'idylle est très jolie, trop jolie. Les juifs ne comprendront jamais, eux, que l'indignation
L'ornement des noces spirituelles, par Ruysbroeck l'Admirable, traduit du flamand par Maurice Maeterlinck (Bruxelles, Lacomblez). ― Sur ce livre, un des plus hauts de la littérature mystique, je me réserve de revenir un jour (un mois ou l'autre) en une étude. Celle du traducteur est si complète, si pénétrante, si écrite en le style qu'il fallait, ― que cela pourrait paraître superflu et même téméraire; mais M. Maeterlinck, seul grief, n'a pas assez délimité les deux mysticismes : le catholique et l'alexandrin. Je ne voudrais pas que l'on citât Plotin pour expliquer Ruysbroeck, ou bien il y faudrait apporter une grande prudence. Il y a deux grandes classes de mystiques : les grecs, les latins. Le mysticisme grec évolue dans l'Intelligence; le mysticisme latin, dans l'Amour : l'un, c'est saint Denys l'Aréopagite; l'autre, saint Boniface ou saint Bernard. Ruysbroeck, tout en les ignorant également, semble résumer les deux écoles. Pourquoi spécialement en référer à Plotin? Je sais bien que M. Maeterlinck donne à ce sujet de très subtiles explications, ― justement à discuter.
« Ce saint personnage, dit la très intéressante revue de Gand, Le Magasin littéraire, né au village de Ruysbroeck, entre Hal et Bruxelles, en 1274, fonda dans la forêt de Soignes, au lieu dit Graenendael (Val-Vert), un monastère qui suivit la règle des Ermites de Saint-Augustin. C'est la qu'il écrivit en flamand ses étonnantes œuvres mystiques. Ces œuvres, éditées pour la première fois dans le texte original, il y a quelques années, par les soins de la Maatschappij der Vlaamsche Bibliophilen. n'ont jamais paru en français, sauf quelques passages traduits par Hello sur le texte latin, rédigé au 16e siècle par Laurentius Surins ». Ajoutons que ces « quelques passages » traduits par Hello donnent la quintessence de Ruysbroeck en un petit livre, qui ne doit pas être, il est vrai, littéralement exact, mais qui n'en garde pas moins sa valeur de bréviaire, de « Petites Heures » mystiques.
R. G.
L'Instituteur, par Théodore Chèze (Savine). — Plus impartial, débarrassé de quelques gibbosités, et si l'on n'y recourait de ci de là aux procédés naturalistes, ce livre serait une exacte expression de ce que j'appellerai, faute d'un mot, l'esthétique réaliste de premier degré, à savoir : la notation — point trop analytique, pas encore synthétique — des choses visibles, tangibles, du concret, et la simple constatation des agissements humains, le tout d'une ordonnance qui donne l'illusion du tous-les-jours de la vie. Œuvre de vision grise par conséquent, quelle que soit du reste chez l'auteur la façon de voir. « Simple constatation des agissements », car il est évident que l'œuvre vaudra d'autant plus que l'auteur jugera moins partialement les actes de ses personnages. Cet art, qui est bien un art malgré qu'on en ait dit, exige l'effacement le plus complet possible de la personnalité de l'écrivain quant à l'appréciation des faits, et l'auteur ne peut montrer d'originalité que dans la disposition des matériaux et la qualité du rendu. Il est donc regrettable que le livre de M. Théodore Chèze tourne parfois au pamphlet. On s'y propose la vie — un fragment de vie — d'un instituteur d'école primaire : il est certain que le personnel universitaire déclame et se mutine — c'est si humain! — contre l'université, mais il semble que l'auteur ait forcé la note. Ceci mis à part, voilà bien l'existence d'un instituteur, l'indifférence au travail, la mesquinerie, la sottise, les petites ambitions, la banalité, la misère du corps enseignant et l'intégral fonctionnement de la machine à instruire. M. Théodore Chère possède de tels dons d'observation qu'on a le doigt sur la chose : on y est. Nulle exagération, une ironie discrète, et souvent une grande délicatesse de touche. Bien des passages sont remarquables de sobriété. et certaines scènes d'enfants en classe sont absolument neuves.
A. V.
Harmonies de formes et de couleurs, démonstrations pratiques avec le rapporteur esthétique et le cercle chromatique, conférence de M. Charles Henry (A. Hermann). — Brochure intéressante, quoique aride, d'un des plus ingénieux savants de ce temps, qui collabora à la Vogue, à la Revue indépendante, non moins qu'aux comptes rendus de l'Académie des sciences, — dénicheur d'inédit, retrouveur des si curieux Voyages de Balthazar Monconys. Cette conférence est pour démontrer les influences des couleurs sur les sens, selon la teinte, le ton, la luminosité propre d'une couleur donnée, etc.; en passant, il est touché à plusieurs petits faits curieux. Il aurait fallu assister a la conférence et participer aux démonstrations pratiques pour bien comprendre tout. Page 39, ordre de luminosité des couleurs, quand il s'agit d'y percevoir un point noir : jaune, orangé, rouge, vert, bleu, violet. C'est pourquoi la majorité des couvertures de livres est imprimée sur jaune, et pourquoi si peu recourent au violet. — Profiter de l'occasion pour s'enquérir près de M. Henry sur la signification du dessin qu'il publia dans la Vogue du 2 mai 1886 : il m'intrigue toujours.
R. G.
Théories et symboles des alchimistes, par M. Albert Poisson (Chacornac). — En un élégant volume, orné de plus de quarante pantacles d'une irréprochable netteté, M. Albert Poisson, poursuivant ses patientes et heureuses études sur l’alchimie, apporte aujourd’hui la solution d’un problème que beaucoup avaient cherchée vainement, que quelques-uns, comme Albert Aurier, avaient pressentie, mais que nul n’avait encore élucidée sans conteste, savoir : l’explication définitive des symboles employés par les spagyriques pour décrire les opérations nécessaires à la transmutation des métaux. Désormais, ces serpents ailés, ces oiseaux dans des attitudes diverses, ces lions, ces squelettes, ces corps humains à deux têtes, qui remplissent les livres hermétiques et que n’accompagne parfois aucun texte, deviendront parfaitement intelligibles pour ceux qui auront pris connaissance du travail de M. Poisson. En voici un exemple : Un pantacle, tiré du viatorum spagyricum, représente un roi et une reine enfermés ensemble dans un cercueil, accompagné d’un côté par un squelette et de l’autre par un homme boiteux. « Le roi et la reine, dit M. Poisson, représentent le soufre et le mercure enfermés dans le sépulcre (cornue) philosophique ; le squelette indique que nous sommes pendant l’opération nommée mortification. Le boiteux ou Vulcain, symbole du feu, indique que l’on doit chauffer l’œuf philosophique, (c’est-à-dire le récipient, la cornue, où sont placés le soufre et le mercure ».
Avant d’aborder l’explication détaillée des symboles, l’auteur expose quelle fut la philosophie hermétique. Il la montre appuyée tout entière, dès l’origine, sur la foi en l’unité et l’indestructibilité de la matière, se combinant avec elle-même en modes infinis. Le fameux « rien ne se perd, rien ne se crée », dont s’enorgueillit la science contemporaine, n’a jamais été un mystère pour les alchimistes, et l’œuvre de M. A. Poisson le prouve surabondamment, pour la plus grande joie des bons esprits, qui estiment une mauvaise plaisanterie la théorie scientifique du Progrès.
E. D.
Poèmes et Ballades de A. C. Swinburne. Traduction de Gabriel Mourey. Notes sur Swinburne par Guy De Maupassant (Savine). — Comme le fait remarquer M. de Maupassant, et c’est une vue fort juste, pour goûter pleinement ce volume de Swinburne il faudrait être soi-même très sensuel ou ne le lire qu’en une phase, en une crise de sensualité. Laus Veneris, surtout Anactorio, poèmes qui glorifient le fond de folie érotique qui sommeille ou s’exalte aussi bien dans les paisibles que dans les agités, — selon les occasionnelles et occultes volitions de la chair. Ce n’est pas le rêve de supra-terrestre suavité où se complaît Rossetti, ni la sentimentalité douloureuse de Tennyson ; ici l’amour est presque uniquement physiologique, la rêverie est étroitement liée à la sensation : toutes deux s’envolent ensemble vers les au-delà où se continue insatiablement, sans s’achever jamais, le repas charnel Corps de femme, d’androgyne, d’éphèbe, toutes les formes et tous les caprices de la beauté visible ou imaginable, le poète les requiert pour des assouvissements qui vont jusqu’au vampirisme. Il y a dans ces Poèmes et Ballades des
ballades simplement romanesques et des poèmes ou de paganisme grec ou de mysticisme, des légendes du moyen-âge, un « miracle » (où avec le roi David intervient Sapho) ; partout, une fécondité exceptionnelle de thèmes, un prodigieux fourmillement d’images, une magnifique richesse de rythmes et de strophes, ― mais sans que l'ensemble donne une impression assez nette pour permettre de caractériser le poète. Esprit complexe, cervelle débordante de notions, aimant à la fois les vieux rondels français et la Bible (en vingt endroits on retrouve du Jérémie et du Job), les lyriques grecs et la chanson populaire, connaissant plusieurs langues et toutes les littératures. Swinburne est néanmoins demeuré hautement personnel et original jusqu’au paradoxe. C’est un fort.La traduction est excellente, littérale et littéraire, — travail énorme qu’il faut beaucoup louer, car Swinburne est obscur et dur à interpréter. Du grand versificateur, de l’artiste unique, que dire à propos d’une traduction ? Il reste de la fleur tout ce qui pouvait rester : le parfum.
R. G.
Les Adolescents, par Daniel de Venancourt, Préface de Robert de la Villehervé (Vanier). — L’exiguïté d’une note bibliographique ne permet guère de dire tout ce qu’il faudrait de ce livre charmant, exquis parfois, d’une incomparable fraîcheur et jamais banal. Au reste, la Préface de M. Robert de la Villehervé — où est intercalé un sonnet de notre ami Le Cardonnel à Laurent des Aulnes, pseudonyme de M. Daniel de Venancourt — est certes le meilleur article que suggéreront Les Adolescents : qu’on s’y reporte donc. L’auteur, dit cette préface, est très jeune. Les conceptions de M. de Venancourt ne démentent point cette affirmation, mais l’ordonnance des poèmes et la science du vers sont alors très remarquables. Ceci l’est peut-être plus encore : presque tous les rêves du poète sont dans le bleu, et nulle part — pas une fois ! — ils ne s’échouent en cette sentimentalité bébête qui est la tare ordinaire de telles poésies. Et puis, de l’inattendu dans l’expression : ces vers, par exemple, qui m’ont fait songer à Saint-Pol-Roux :
- Les cloches de ma vie ont seize fois sonné
- ............................................
- Le Prince de mon rêve a mis ses habits bleus
Et ceux-ci :
- … La vierge Marie aux grands gestes blancs
- ............................................
- Viens, petite Eve, il est tard :
- J’ai sommeil de ton sommeil.
A. V.
Le Gorille, par Oscar Méténier (Victor Havard). — Sous la sauvagerie marmoréenne de la couverture, où se prélasse le Gorille de Frémiet, celui-là même dont un railleur disait qu’il représentait Littré enlevant la langue française, Oscar Méténier
a publié un roman très doux. Décidément, le vigoureux piocheur d’argot qu’était jadis notre Méténier devient un romancier pour dame. Il s’agit d’un père qui retrouve l’enfant d’un péché de jeunesse et qui le protège contre les embûches d’un financier véreux (le Gorille, en tant que symbolisme !) Cet enfant est naturellement une fille. Le drame se termine par un duel à la carabine renouvelé des Américains… et de Ponson du Terrail. Comme histoire, c’est intéressant, bien machiné, avec de ci, de là, un petit coup de théâtre d’auteur depuis longtemps rompu aux mouvements scéniques. Mais j’aimerais mieux M. Betsy. En somme, un Méténier correct, un Méténier qui ne cassera plus les assiettes que pour le bon motif ! Vous verrez que l’argot se vengera.* * *
Les Dernières Fêtes, par Albert Giraud (Bruxelles, Paul Lacomblez). — M. Albert Giraud montre, en son très élégant volume, une science accomplie du vers et une connaissance approfondie des poètes les plus modernes. La forme est toujours impeccable, mais tel de ses poëmes rappelle Baudelaire, tel autre Leconte de l’Isle, tel autre Verlaine. Il n’est pas jusqu’à Saint-Pol-Roux qui ne puisse revendiquer « un masque où la fièvre allume ses cactus » et « des regards éperviers pour des chasses mauvaises ». Cependant, en maint endroit, l’auteur affirme une personnalité. Il a une évocation de paysages teintés de bleu tendre et de rose pâle un peu « dessus de boîte à bonbons », mais bien à lui.
E. D.
Sonyeuse (Soirs de Paris — Soirs de province), par Jean Lorrain (Charpentier). — Actuellement, il est peu de journalistes qui soient capables de livrer leur esprit et leur art une fois tous les deux jours dans les colonnes des grands journaux. Ils pondent facilement, Dieu sait, tous ces chroniqueurs féroces, mais la copie se ressent du train habituel de leur existence. Ils sont régulièrement plats, surtout rabâcheurs de traits et de bons mots faisandés. Si l’actualité est leur dada favori, on peut s’assurer chaque jour qu’ils s’entendent à le faire trotter en cercle, et où il a passé les herbes de la Saint-Jean ne poussent plus ! Lorrain, désormais classé parmi les grands journalistes de l’époque, est peut-être le seul qui ait su conserver tous les attributs de l’artiste dans le vil métier que la chronique lui impose. Poète des nuances vert-de-grisées de la passion morbide, ciseleur des idées perverses, et, quelquefois, paradoxant dans la morale du jour comme chez lui, Lorrain est un virtuose que les exigences de la reine Copie ne lasseront pas. Il est lui avant tout, il décompose les tons francs comme un peintre doublé d’un chimiste cruel, mais pour le plaisir des yeux et sans oublier qu’il nous doit la fermeté du dessin sous les successives couches de ses laques vénéneuses. Il écrit avec des encres douteuses et moirées, mais il écrit comme un ange… Sonyeuse, son dernier livre, contient des nouvelles ravissantes, toutes marquées au coin du satanisme voulu par l’époque et qui, si elles cessent plus tard d’être sataniques, conserveront, malgré la griffe du Satan démodé, un parfum extraordinaire, une merveilleuse attitude de
sphinge élégante. L’Égrégore est une des plus jolies gemmes de l’écrin. Avant, Sonyeuse, qui se passe en Normandie, est presque, par ci, par là, un livre de souvenirs personnels, un missel des premières communions… mais qui sentirait le musc. Maintenant, nous attendons le roman commandé par Huysmans. J’ai idée que ce sera bientôt.* * *
Poésies variées et nouveaux chats, par Alfred Ruffin (Jouaust). — Je m’imagine M. Alfred Ruffin comme un bon et honorable vieillard, ami des Muses et de Sully-Prudhomme, et je serais désolé de lui faire de la peine. Ses vers peuvent être lus par tout le monde ; ils sont classiques, réguliers, corrects, et ne contiennent rien, pas même des propos subversifs. Il dit du bien des chats, parle des bateaux qui vont sur l'eau, dédie des Éléphants à madame Judith Gautier (grosse, grosse comme Judith Gautier, disait Mirbeau), note des tableautins, place des anecdotes et fait de l’esprit. — Son livre est édité avec tout le soin de la maison Jouaust.
C. Mki.
Les Asphodèles, par Martin Paoli, Préface de François Fabié (Vanier). — L’âme d’adolescent qui se raconte ici fut touchée de l’inévitable mal, et, dans sa misère , elle déteste ces symboles de joie, de gloire et de clarté :
- … les lys, modèles
- De candeur, les genêts où s’allument les ors
- Les cyclamens neigeux s’ouvrant comme des ailes…
A. V.
La Marmite électorale, par Gaston Rayssac (Albert Savine). Un roman-pamphlet où gigotent d’amusantes silhouettes de journalistes ruraux, de magistrats, de fonctionnaires, dans un tohu-bohu de campagne électorale. De ci, de là, de piquantes anecdotes, des tableaux d’une exactitude photographique. Un peu cursivement, mais nerveusement écrit, ce livre intéressera tous ceux — et ne sont-ils pas légion ? — qui tiennent à être initiés aux mystérieux tripotages des coulisses politiques.
J. C.
Député ! par Féline de Comberousse. (Perrin et Cie). — La députation n’est d'ailleurs que pour mémoire dans ce livre prodigieusement niais. Cela pourrait aussi bien s’appeler : « De l’art de faire des enfants à sa femme pour qu’elle ne vous embête pas quand vous allez la tromper avec une ancienne. » L’auteur s’est essayé à des perversions d’il y a un siècle : livre excellent à donner aux adultes pour calmer les effervescences printanières… Mais quelle politique de village a bien pu inspirer cette ridicule odyssée ! Quand on s’intitule
Féline, sacrebleu, on devrait secouer des crinières plus Comberousse que ça !* * *
Vingt-cinq sonnets, par Paul Dulac (Bruxelles, Paul Lacomblez). — Le titre est ce qu’il y a de plus lyrique dans cette plaquette, d’une douceâtre ineptie, témoin ce quatrain :
- Sous votre petit chapeau rose,
- Votre minois est ravissant,
- Quand votre regard caressant
- Avec douceur sur moi se pose.
E. D.
La Vie en chansons, par Eugène Lemercier.— La chanson n’est point de la littérature ; c’est une chose à côté, toute différente et que les prétentions des chansonniers empêchent de mettre à sa place. Pour formuler sans être méchant, c’est l’art d'accommoder les restes : — trois strophes étiques, et que personne ne remarquerait, deviennent de suite, par la magie du fredon, un petit morceau qu’on s’accorde à trouver très bien. Par contre, toutes les chansons perdent à être lues, n'ayant pas été faites pour ça, et je ne vois pas qu’il soit utile d’en composer des volumes. — M. Lemercier, cédant à l’habitude, a réuni les siennes ; j’avouerai quelque préférence pour des pièces qui, légèrement, résistent : La Vieille savonneuse, Les Marchandes au panier. On y trouve encore ces vieilles histoires de sergots qui firent la joie des cénacles et divers couplets agréables pour tels qui flânent aux gaudrioles. — D’ailleurs, M. Lemercier ne vise point à décrocher la lune. Entre les fabricants du Répertoire Paulus, simples gorets au service des Eldorados, et les Jules Jouy, les Meusy, les Xanrof, demi-dieux et pontifes des chapelles spéciales qui croient naïvement faire de l’art, il s’est taillé une petite place personnelle ; il sait rimailler des choses grivoises, ironiques et amusantes. Avec la sottise du patriotisme et du sentimentalisme pleurnicheur, c’est tout ce qu’on a jamais pu tirer de la chanson.
C. Mki.
Les illusions du cœur, par Émile Pierret (Perrin Cie).— Un peu plus d’ennui et un peu plus de style, ce serait une sorte de Volupté par un petit Sainte-Beuve en herbe. Mais combien poncif et froid déjà ! Un Monsieur tendre qui aime sa cousine Dolorès !… Cela influe sur toute sa vie, sur sa façon de juger les hommes et les choses, sur la manière dont il ferait de la politique ― s’il en faisait — sur ses nuits de salle de police, sur ses habits, sur ses digestions, etc. etc. Il n’y a que dans les romans prétendus moraux qu’on rencontre de ces immoralités-là. En somme, un livre écrit avec de l’eau pure, et on a envie de remuer avec une gaule pour tâcher de faire monter la vase qui contient les petites bêtes intéressantes.
* * *
Puberté, par Michel Réallès (Léon Vanier). — L’auteur confesse avoir mis quatre ans, de 1886 à 1890, à composer sa microscopique plaquette, au titre médical.
On chercherait vainement en quoi les vers écrits au cours de 1886 diffèrent des vers écrits au cours de 1890, si ce n’est
que les derniers, produits déliquescents d’une veine lasse de rimer, se contentent de l’assonance. Tous les sujets traités sont uniformément rococos ou malpropres. Quand M. Réallès ne fait pas mourir une jeune poitrinaire au chant du rossignol, il exécute sur la prostitution féminine ou masculine de pénibles variations.
E. D.
Enivrances, par Alfred Gauche (Savine). — Des vers faciles ; des choses à la Muse qui fait vibrer l’esprit et palpiter le cœur ; à Sully-Prudhomme ; à carpe diem ; à d’autres, tout en écoutant le chant des fauvettes. Si tu veux, faisons un rêve (à V. Hugo, mais c’est oublié). Cependant, il atteste les astres et sa douleur est amarrée. Sur la mousse verte la rose incline la tête et s’endort, et patati, et patata, l’aurore aux doigts de rose, le soleil, les vents, le printemps, l’hymen, la Nature, les étoiles, l’oiseau amoureux de la fleur, et le chant se marie au parfum qui s’évase, et tout renaît, et tout s’éveille. — Antoine Grinoche en jubilerait.
- Respectons les vieillards et chérissons nos mères,
- Et Dieu nous tiendra compte en sa juste rigueur
- Des tendresses de l’âme et des bienfaits du cœur.
C. Mki.
(1) Au prochain fascicule : Les Cahiers d'André Walter (œuvre posthume), Confiteor (G. Trarieux). Là-Bas (J.-K. Huysmans), Daniel Valgraive (J.-H. Rosny), Au Pays du Mufle (Laurent Tailhade), La Création du Diable (Raymond Nyst), Le Circulaire 94 (J. de Beauregard); L'Androgyne (J. Péladan); Diptyque (F. Vielé-Griffin).
Exposition Gagliardini (Galerie moderne, 5, rue de la Paix) ;
Exposition Louise Abbéma (Galerie Georges Petit) ;
Exposition de Poil et Plume (Bodinier) ;
Exposition des Indépendants (Pavillon de la ville de Paris) ;
Exposition Eugène Carrière (Boussod et Valadon, boulevard Montmartre) ;
Le Mercure de France consacrera un article spécial à cette dernière exposition.
Le Ministre de l'instruction publique et des Beaux-Arts vient de commander au sculpteur Baffier une cheminée monumentale, et au graveur Desboutine une copie de Delacroix.
G.-A. A.
Dans L’Observateur Français, un judicieux article de M. Charles Maurras sur les Symbolistes. Nous en extrayons
le passage suivant, relatif à notre collaborateur Ernest Raynaud :
« M. Ernest Raynaud, l’auteur des Cornes du Faune, n’est pas précisément un symboliste de la suite de M. Jean Moréas. Il serait plutôt le disciple du grand poète de Crimen Amoris, et cela paraît clair dès le premier sonnet, où brille ce distique :
Puis, un beau jour, devers la ville, on crut entendre
Un fracas épouvantable d’orage en l’air.
« Voilà des mesures que nous reconnaissons et un emploi du vers trimètre avec lequel Jadis et Naguère, les Romances sans paroles, Sagesse nous ont rendus familiers. Cette influence se fait sentir dans tout le recueil. Et j’ajoute que M. Ernest Raynaud l’a subie avec beaucoup de science, de discernement et de goût. Il est le seul des élèves de Paul Verlaine qui ait su garder sa langue pure et soutenir ses rythmes au-delà des strophes à effet. Il est le seul qui ai su composer et distribuer les parties d’un poème. Il est le seul qui ne croie point que la poésie soit un simple frisson nerveux, une transcription hurlante et toujours agitée de passions suraiguës. M. Ernest Raynaud ne chasse point la pensée de son rêve ; c’est même à elle qu’il confie le soin d’y régner.
« Et ce petit livre est délicieux à lire et à relire. Il a la douceur rosée et la tendresse d’un crépuscule d’automne, dont les vapeurs légères obnubileraient à demi des rangées de marbres apportés d’Italie. Devenus inquiétants par l’incertitude de l’heure, ces Antinoüs et ces Faunes se rapprochent de nous et flottent sur nous comme si l’air du Nord avait changé en fées, en ondins et en sylphes ces parfaites idoles que taillèrent des ciseaux nets, aux flancs de la pure Beauté. Mais M. Ernest Raynaud n’est pas si barbare que d’oublier l’origine de ses visions, et je lui sais gré d’avoir clos dans le cadre exact du quatorzain les symboles qui lui sont venus d’elles. Et la forme est exquise. Plus l’un de ces petits poèmes figurerait dignement auprès des plus parfaits sonnets de l’histoire littéraire. Des jeunes gens se récitent déjà tel Paysage, — comme leurs aînés, il y a quinze ans, récitaient les Danaïdes de Sully ou Vénérable berceau de Leconte de Lisle, — ce paysage occidental, dans un vieux parc, à l’adieu du soir sur un lac, embelli des ruines d’un temple ionien :
- Tout près, sous un massif bas qui se décolore,
- Un faune enfant tout délabré s’accoude encore
- Baissant sa lèvre où fut sa flûte de roseaux.
- Et voyant que le jour tout à fait le délaisse,
- Le Temple, avec sa froide image dans les eaux,
- S’enfonce plus profondément dans la tristesse.
« Et je retrouve aussi chez M. Raynaud le dix-huitième siècle des Goncourt, de Watteau, de Boucher, de Fragonard et des Fêtes galantes, la tristesse des faunes emprisonnés dans les Musées, les fêtes irréelles parmi les îles et les canaux d’une Venisette fantasque. Encore qu’il montre çà et là de savoureux
coins d’ironie, M. Raynaud met peut-être quelque lenteur à suivre les ébats de ces êtres lointains qui aimèrent si peu et ne pensèrent guère, mais il garde toujours de la grâce (avouée en ce vers charmant, au détour d’un quatrain :
- Toute la Grâce féminine vient à moi)
et, par delà, il garde ce haut lyrisme impénitent dont les fils de Vigny et de Baudelaire ne se libéreront point de sitôt :
- La nuit était trop pure, et j’ai clos la fenêtre.
- Il montait trop d’odeurs énervantes des bois
- Et cela réveillait trop vivement en moi
- Le désir éperdu de la voir apparaître…
Charles Maurras.
Le lundi 23 mars, au café Voltaire, se sont réunis dans un banquet les amis du peintre Paul Gauguin, afin de lui dire l'adieu avant son départ pour Taïti. Quarante personnes étaient présentes. Parmi elles : Stéphane Mallarmé, Odilon Redon, Jean Dolent, Charles Morice, Alfred Vallette, Rachilde, Jean Moréas, Roger Marx, Albert Aurier, Édouard Dubus, Julien Leclercq, Ad. Retté, Félicien Champsaur, Gaston Lesaulx, Percheron, Dauphin Meunier, Bernard Lazare ; les peintres : Eugène Carrière, Ary Renan, Willumsen, Fauché, Daniel, Sérusier, Laugier, Mogens-Ballin, l'architecte Trachsel. À l’issue de ce repas amical, Stéphane Mallarmé, le premier, se leva :
« Messieurs, pour aller au plus pressé, buvons au retour de Paul Gauguin ; mais non sans admirer cette conscience superbe qui, en l’éclat de son talent, l’exile, pour se retremper, vers les lointains et vers soi-même. »
Puis c’est Édouard Dubus, qui, avec cette parole facile qu’on lui sait, propose de boire aux critiques qui révélèrent Gauguin au public, à Octave Mirbeau, à Jean Dolent, à Roger Marx, à Albert Aurier, — et aux peintres qui l’applaudirent hautement, à Eugène Carrière, à Ary Renan, comme à ceux qui viennent lui demander le conseil qu’on demande au Maître. M. Charles Morice dit alors les vers suivants :
- Dans un là-bas de nature et de liberté,
- Où marchent dans les fleurs de vivantes statues
- D’enfance humaine, gaies et de soleil vêtues,
- Dans la douce ardeur d’un inaltérable été,
- Dans la forêt dorée où point d’aile ne vibre,
- Dans les îles qui sont l’écume de la mer,
- Ainsi, tu t’en vas donc chercher l’asile cher
- Où tu seras seul dans ton âme claire et libre.
- Là-bas pourra ton rêve, ici demi fané,
- Largement fleurir pour ta gloire et notre joie.
- Où ton œuvre t’attend, que l’amitié t’envoie,
- Fût-ce à regret, et suis ton chemin destiné.
- Buvons le vin brûlant des adieux sans faiblesse,
- Voyageur, comme aussi nous boirons, quelque jour,
- Certes joyeusement, le vin frais du retour.
- Et souviens-toi dans ton bel exil, toi qui laisses
- Tant de souvenirs. Nous sommes de ton combat,
- Et nos pensées te suivent doucement, là-bas.
Après, c'est M. Jean Dolent qui parle :
« Messieurs, je suis près de Gauguin et j’en suis bien aise ; quand il sera parti j’en aurai de l’ennui.
Je tiens à vous dire qu’aujourd’hui paraît dans une Revue douce aux poëtes, le Mercure de France, une étude importante et charmante de Charles Morice sur moi ; peut-être l’oublierai-je un jour… malaisément. Mais Charles Morice, dans son livre que j’aime, la Littérature de tout à l’heure, a fixé d'un trait léger et savant l’image chère de ce peintre, qui est un poëte, Eugène Carrière : cela je ne pourrai l’oublier.
Bientôt, en échange d’un parfait fromage de Melun, un peu confus de l’heureux troc, je ferai, à monsieur Stéphane Mallarmé, l’envoi d’un de mes petits livres. À la première page j’écrirai : À Stéphane Mallarmé, sans moins de hauteur qu’un hommage, avec plus de tendresse. Et je signerai d’un beau geste. »
M. Julien Leclercq se lève à son tour :
« Mon cher Gauguin, on ne peut admirer le grand artiste que vous êtes sans beaucoup aimer l’homme quand on le connaît ; et c’est une grande joie de pouvoir admirer ceux qu’on aime. Pendant les trois années que durera votre absence, vos amis regretteront souvent l’ami en allé ; pendant ces trois années il se passera bien des choses, Gauguin. Ceux d’entre nous qui sont encore très jeunes — et j’en suis — vous les retrouverez grandis au retour ; nos aînés seront déjà pleinement récompensés de leurs efforts. Et comme les temps seront proches qui s’annoncent déjà, tous nous aurons plus d’autorité dans la voix pour proclamer vos belles œuvres. »
M. Adolphe Retté, qui fut longuement applaudi, récite le sonnet du Tombeau d'Edgar Poë. « Ces vers, dit-il, sont de l’admirable poëte Stéphane Mallarmé. »
Et puis, c'est Paul Gauguin qui prononce quelques mots :
« Je vous aime bien tous et je suis très ému. Je ne puis donc parler beaucoup et parler bien. Parmi nous, quelques-uns ont réalisé de grandes œuvres que tout le monde connaît. Je bois à ces œuvres, comme je bois aux œuvres futures.
« Je suis heureux de remercier ici Monsieur Ary Renan qui m’a tant aidé pour l’accomplissement de mes projets de voyage. »
Après des applaudissements, Gauguin lève encore une fois son verre :
« Parmi nous, Messieurs, est une femme, une artiste, qui a bien voulu embellir de sa présence ce banquet d’amis. Buvons à Madame Rachilde. »
L’on se sépare à une heure déjà matinale.
La prochaine représentation du Théâtre d’Art, au bénéfice de Paul Verlaine et de Paul Gauguin, est définitivement fixée au 27 mai. Elle sera donnée au Vaudeville, en matinée. Au programme : Les Uns et les Autres, I acte de Paul Verlaine ; Le Corbeau, poème d’Edgar Poë, traduction de Stéphane Mallarmé ; L’Intruse, I acte de Maurice Maeterlinck ; Chérubin, 3 actes de Charles Morice ; Le Soleil de minuit, poème dramatique de Catulle Mendès ; enfin un poème dialogué de Théodore de Banville.
Ont paru tout dernièrement : Au Pays du Mufle, par Laurent Tailhade, Préface d'Armand Silvestre (Vanier) ; Le Pays de la Fortune, par Léon Riotor et Léofanti (Ducrocq). — À paraître en mai : Théâtre de Rachilde (Savine) ; L’Éléphant, par Charles Merki et Jean Court (Savine) ; Strophes d’Amant, par Julien Leclercq (Lemerre) ; À L’Écart, par R. Minhar et A. Vallette (Perrin) ; Lassitudes, par Louis Dumur (Perrin).
Connaître et juger Laforgue par ses notes de carnet, à la bonne heure ! Cependant, point n'était besoin de prouver du même coup n’avoir pas lu Dostoiewsky : car non-seulement M. Nestor confondit la devise de Colbert et celle de Fouquet, se trompa sur le sexe d’un personnage de Shakespeare, attribua à notre « grand passionné de Racine » :
- Et comme elle a l’éclat du verre
- Elle en a la fragilité,
mais il déclare péremptoirement ― supposant sans doute faire une niche à quelque jeune poète contemporain — ignorer Marmeladoff. Allons, tant mieux.
Très intéressant numéro de La Wallonie, tout entier consacré à M. Pierre.-M. Olin.
Lire dans La Nation les chroniques littéraires et les intéressantes critiques d’art signées Godefroy Maurevert.
Lu sur le rideau-annonce du Théâtre Montparnasse : « Hôtel tout meublé acajou. Tous les lits sont pour 2 personnes ».
Mercvre.