N° 23. – NOVEMBRE 1891

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Mercure de France, t. III, n° 23, novembre 1891, p. 257-320.


DERNIÈRES PAGES (1)
HISTOIRE DE « HANS PFAALL »



Il y a, je pense, à peu près douze ans que le New-York Sun, journal quotidien à un penny, fut fondé par M. M. Y. Beach, qui choisit M. R. A. Locke (2) comme rédacteur en chef. Un prospectus fort adroit annonçait que le but de ce journal était de fournir au public les nouvelles quotidiennes à un bon marché véritablement à la portée de tous, — entreprise dont l'influence sur le journalisme, non moins que sur l'ensemble du monde des affaires, est probablement incalculable.
 Quoi qu'il en soit, ce Soleil se mouvait dans une orbite assez étroite, quand, un beau matin, apparut dans ses colonnes un article liminaire annonçant les très remarquables découvertes astronomiques faites au cap de Bonne-Espérance par sir John Herschell. L'information, disait le Sun, provenait de l'Edinburg Journal of Science, qui avait reçu les communications de sir John lui-même, et dont un exemplaire lui avait été envoyé avant la mise en vente. Cette annonce préparatoire prit très bien (on n'avait encore jamais lancé de canards en ce temps-là), et elle fut suivie de détails complets sur ces fameuses découvertes, qui se trouvèrent avoir trait principalement à la lune et avoir été faites au moyen d'un télescope récemment construit, en comparaison duquel celui du comte de Rosse n'était qu'un simple joujou. A mesure que les découvertes en question furent graduellement exposées au public, l'étonnement dudit public dépassa toutes les bornes ; mais ceux qui mirent en doute la véracité du Sun, — l'authenticité de la communication à l'Edinburg Journal of Science, furent en réalité très rares ; et ceci, je suis obligé de le considérer comme une chose beaucoup plus merveilleuse que tous les hommes-volants (3) du monde.
 Environ six mois auparavant, la maison Harper avait publié une édition américaine du Traité d'astronomie de sir John Herschell, et j'avais été très intéressé par ce que j'y avais lu concernant la possibilité de futures investigations lunaires. Le thème excita ma fantaisie et je fus pris de l'envie de lui laisser la bride sur le cou, de raconter mes rêves au sujet des paysages de la lune, bref d'écrire une histoire où intercaler ces rêves. La première difficulté était naturellement de justifier les accointances du narrateur avec le satellite ; le premier moyen qui me vint à l'esprit pour surmonter cette difficulté fut naturellement la supposition d'un télescope monstre. Je vis en même temps que le principal intérêt d'un tel récit dépendrait de la possibilité pour le lecteur de le considérer, en une certaine mesure, comme un fait vrai et d'y ajouter foi. Pendant cette phase de mes délibérations, je parlai du projet à quelques-uns de mes amis, et le résultat de mes entretiens avec eux fut que les difficultés optiques dans la construction d'un télescope comme je le concevais étaient si rigoureuses et si généralement connues, qu'il serait inutile d'essayer de donner de la vraisemblance à une fiction de ce genre basée sur le télescope. Donc, à contre cœur et à demi convaincu (croyant le public, en fait, bien plus bernable que ne le disaient mes amis), j'abandonnai l'idée d'imposer une stricte vraisemblance à ce que je voulais écrire, — c'est-à-dire assez stricte pour réellement induire en erreur. Étant tombé sur un style moitié sérieux, moitié plaisant, je résolus de donner tout l'intérêt possible à un voyage de la terre à la lune, puis de décrire tous les paysages lunaires, tels que vus et personnellement examinés par le narrateur. Selon ces données, je rédigeai une histoire que j'appelai Hans Pfaall, et je la publiai environ six mois plus tard dans le Southern Literary Messenger, dont j'étais alors le rédacteur en chef.
 Ce fut trois semaines après la publication du Messenger contenant Hans Pfaall que la première mystification lunaire fit son apparition dans le Sun, et je n'eus pas plus tôt jeté un coup d’œil sur le journal que je compris la plaisanterie qui, je n'en pouvais douter un instant, avait été suggérée par mon propre « jeu d'esprit ». Plusieurs journaux de New-York (Le Transcript, entre autres) prirent la chose de même et publièrent côte à côte Moon Story et Hans Pfaall, pensant que l'auteur de l'une de ces histoires avait été pillé par l'auteur de l'autre. Quoique les détails soient, sauf quelques exceptions, très dissemblables, je maintiens encore que les traits généraux des deux compositions sont presque identiques. Toutes les deux sont des mystifications (l'une, il est vrai, écrite sur un ton presque purement plaisant, et l'autre sur un ton absolument sérieux) ; les deux mystifications portent sur le même sujet, l'astronomie ; toutes deux sur la même partie de ce sujet, la lune ; toutes les deux ont pour point de départ un pays étranger, et toutes les deux ont cherché la même vraisemblance dans la minutie du détail scientifique. Ajoutez a cela que jamais rien de pareil n'avait été tenté avant ces deux mystifications, dont l'une suivit l'autre immédiatement, les pieds sur ses talons.
 Après avoir exposé ainsi l'affaire, je dois cependant rendre cette justice à M. Locke qu'il a toujours nié d'avoir lu mon article avant d'écrire le sien, — et je dois ajouter que je le crois.
 Pas une personne sur dix n'avait refusé d'admettre les révélations du Sun, et (fait bizarre entre tous !) les récalcitrants étaient surtout ceux qui doutaient sans être capables de dire pourquoi, — les ignorants, ceux qui n'avaient aucune connaissance astronomique, les gens qui ne voulaient pas acquiescer, parce que la chose était si étrange, si « en dehors de l'ordinaire ». Un grave professeur de mathématiques dans un collège de Virginie me dit sérieusement qu'il n'avait aucun doute touchant la vérité du récit de M. Locke! L'effet produit sur l'esprit du public tenait d'abord à la nouveauté de l'idée ; secondement, au caractère fantaisiste et irrationnel des découvertes alléguées ; troisièmement, au tact consommé avec lequel la tromperie était conduite; quatrièmement, à la vraisemblance aiguë de la narration. Cette mystification eut un immense succès ; elle fut traduite en plusieurs langues ; elle donna même lieu à des discussions (un peu badines) dans les sociétés astronomiques.
 Mais comme elle anticipait sur les principaux points de ma propre histoire, je me résignai à laisser Hans Pfaall inachevé. Mon principal but en amenant mon héros dans la lune était de lui donner l'occasion de décrire le paysage lunaire, mais je m'aperçus encore qu'il n'aurait pu ajouter que bien peu de chose à la minutieuse et authentique relation de sir John Herschell. La première partie de Hans Pfaall, tenant environ dix-huit pages du Messenger, ne renfermait qu'un journal du passage entre les deux planètes et quelques mots d'observation générale sur l'apparence première du satellite ; la seconde partie ne paraîtra sans doute jamais. Je n'ai même pas cru utile de ramener mon voyageur à sa terre natale. Il reste où je l'ai laissé et il est toujours, à ce que je crois, « l'homme dans la lune ».

Edgar Poe.



 (1) Ce fragment est extrait du recueil d'articles et d'essais d'Edgar Poe, intitulé : The Literati, some honest opinions about autorials merits and demerits, with occasional words of personality, — recueil dont rien n'a jamais été traduit. Il contient cependant d'intéressants chapitres, parmi beaucoup d'autres dont seul peut se soucier un lecteur américain : biographies de poètes médiocres, bibliographies d'ouvrages non moins médiocres, — les uns et les autres oubliés ou inconnus, sans injustice. Un choix était à faire qui donnât d'Edgar Poe les toutes « dernières pages », celles où il exprime des idées personnelles sur l'art, sur les facultés intellectuelles, sur la poésie, sur le théâtre, — celles où il se laisse aller à un peu d'autobiographie littéraire, « occasional words of personality. » Avant que ces Dernières pages ne paraissent en volume, nous en ferons connaître quelques autres séries aux lecteurs du Mercure de France. — Pour Hans Pfaall, se reporter au premier tome de la traduction de Baudelaire.

N. D. T.


 (2) Descendant direct du célèbre philosophe.
 (3) M. Locke présentait les habitants de la lune comme des « hommes-volants », — men-bats.

RELIQUAIRE*


LE BUFFET


C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre,
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mères où sont peints des griffons;

— C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

— O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noirs.
 Octobre 1870.

BAL DES PENDUS


Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.


Messire Belzebuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs, grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël!

Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour,
Que serraient autrefois les gentes demoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.

Hurrah! les gais danseurs qui n'avez plus de panse!
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs!
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !
Belzebuth enragé râcle ses violons!

O durs talons, jamais on n'use sa sandale!
Presque tous ont quitté la chemise de peau :
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.

Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont répondant des forêts violettes :
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...

Holà! secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés,
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier, ici, les trépassés!

Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,

Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

  Au gibet noir, manchot aimable,
  Dansent,dansent les paladins,
  Les maigres paladins du diable,
  Les squelettes de Saladins.


VÉNUS ANADYOMÈNE


Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent : le dos court qui rentre et qui ressort :
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor;
La graisse sous la peau parait en feuilles plates :

L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...

Les reins portent deux mots: Clara Vénus ;
— Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.

Arthur Rimbaud.


* Ces poésies font partie d'un livre d'Arthur Rimbaud: Reliquaire, contenant de nombreuses pièces inédites, et que publie cette semaine la librairie Genonceaux.

VOIX NOCTURNES

VIOLONS TSIGANES


A Alaistar Cary Elwes.


I

 Dans la salle verte et banale aux ornements trop dorés, * où les rideaux blancs courent sur les vitres.
 Ils sont au milieu, dans leurs costumes chamarrés de brandebourgs, * l'air prétentieux, sottement semblables à des pitres.
 Ils sont là, ces fils du pays hongrois, avec le violon qu'on mit dans leurs mains d'enfant avant de leur apprendre à parler, * musiciens d'instinct et sans pupitres.
 Dans le café vulgaire où Paris, le soir, s'arrête un moment, * où jamais le rêve du poète n'a pris son essor.
 Et voici avec eux la musique troublante de la pousta (1) : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà csercbogar , petit scarabée en or. »

II


 Sur les tables de marbre uni, dans les verres où se côtoient des liquides de toute couleur, * l'électricité fait éclater brutalement sa lumière crue.
 Dehors, sur le trottoir, vers ses turpitudes et ses plaisirs, * la foule indifférente se rue.
 Et voici le prélude des rêveries bizarres au rhythme déconcertant: * l'archet qui déjà frémit sur la corde émue.
 Que va donc chanter l'instrument aux sons mièvres et tendus, * celui qui berce l'amour et raille la mort ?
 C'est la musique nouvelle pour nous de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

III


 Voici la tranquillité d'un soir de printemps, * la brise nous porte le bruit des baisers de la vingtième année.
 Deux par deux, ils se promènent, les amants, * dans le chemin fleuri de la destinée.
 O les notes vives et lestes comme des rires de vierge en la nuit, * les trémolos attiédis des contacts joyeux de chair satinée!
 Mais soudain le réveil cruel de la vie, en sa vérité, * l'envolement des rêves charmeurs, le néant de l'espérance où notre jeunesse s'endort...
 Et c'est la tristesse morne de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

IV


 La gaieté des trilles se rompt dans l'angoisse d'un sanglot. * Quoi donc la vie et l'amour, la sagesse et la folie ?
 O la désolation de vivre pour souffrir, * d'avoir juré hier l'éternité des serments que demain oublie!...
 Tout au fond de l'âme incertaine nous descendons, * buvant le calice de nos amertumes jusqu'à la lie.
 Tandis que reprend en mineur le thème naïf du début; * que repassent, dans le chemin fleuri, les amants qui s'aiment et croient encore ;
 C'est dans l'inconstante musique de la pousta: * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

V


 Mais les yeux fermés ne voient pas; étourdissons-nous dans le bruit. * En avant pour les czardas enfiévrées!
 C'est à la porte de l'église, sur le sol battu ; * dans la salle enfumée où sont venus les filles et les jeunes gens de la contrée.
 Les mains en l'air et les pieds rapprochés; * c'est le balancement de la danse nationale, la danse quasi sacrée.
 Et les talons heurtent la terre : un, deux, trois; * la cadence se précipite onduleuse et souriante dans l'effort.
 Comme il est loin, le refrain mélancolique de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà Cserebogar, petit scarabée en or. » •

VI


 De même que les danseurs épuisés, halètent joyeusement les violons; * la danse toujours accélère son allure.
 Mille voix accompagnent la ritournelle des musiciens, * mille voix essoufflées où la czarda s'écorche et jure.
 Et le cymbalum, dominant tout de ses tons aigus, * scande les pas et roule le tourbillon des mesures.
 Ivres de joie et de cris, ils vont! ils vont la musique et les danseurs... * toujours plus vite, toujours plus fort...
 Mais en sourdine aussi la raillerie ironique de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

VII


 Les feux sont éteints; par groupes, ils s'en retournent vers la maison perdue en l'immensité du désert hongrois. * La nuit s'étend sur les plaines solitaires.
 La pousta se déroule en son monotone infini, * n'interrompant d'aucun arbre la ligne raide de son horizon sévère.
 Elle s'en va vers le sud comme une mer aux flots lents, et la brise passe sur les moissons, * en molles ondulations, courbant la tête des plantes vers la terre.
 La pousta superbe se déroule en son monotone infini. * Telle la mer où sont rares les havres propices et le refuge des ports!
 Et j'ai compris la sereine tristesse de la pousta: * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

VIII


 Un souffle impur rôde sur la plaine et, dans les veines, brûle le sang. * Les archets grincent, sensuels, aux flancs des violons tsiganes.
 C'est la volupté qui rugit. * La soif des enlacements où les corps s'enchevêtrent comme de souples lianes.
 Voici résonner toute la gamme des baisers éperdus, * se heurter les chocs furieux des accouplements profanes.
 O volupté consolatrice et protection, * liqueur enivrante où la chair s'abreuve, unique trésor!
 Mais déjà la douce musique de la pousta pleure sur le calme perdu! * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

IX


 Maintenant, c'est une rustique berceuse que murmurent les violons. * La jeune mère sur ses genoux tient le premier-né qu'elle allaite.
 Elle l'admire, tout en chantant, * et presse contre son sein rond la jeune tête.
 Que sera-t-il, pauvre petit innocent : * pâtre ou marchand, soldat ou poète?
 Mais les soucis maternels ne troublent guère l'enfantelet. * Il boit à la source féconde et dort.
 Comme elle est tendre la chanson de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

X


 Il sera soldat! Les clairons guerriers éclatent, la fusillade crépite sous les archets; * sur le cymbalum galopent les houzards rapides.
 En avant! Ils volent, le sabre nu dans la main, * laissant derrière eux un sanglant ruisseau que boit goulument la terre avide.
 Les braves ne tremblent pas devant la mort. * Et les yeux farouches de ceux qui sont couchés pour toujours dardent encore sous leurs fronts crispés de rides.
 La guerre a jeté son manteau de pourpre sur les prés verts. * C'est l'heure où l'on cueille tes « roses rouges », Petœfi Sandor !
 Dieu! la navrance du refrain de la pousta. * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

XI


 Les défenseurs du sol ont été vaincus. * Tes fils sont morts inutilement, ô Patrie!
 Et par le champ de bataille plane la mélodie exaspérée, au-dessus des cadavres dispersés, * derrière le vol tournoyant des vautours en quête de sinistres boucheries.
 Ah ! la gloire militaire et les luttes entre peuples ! vaine dérision ! * Tout cela vaut-il le deuil des orphelins et la douleur des veuves flétries?
 Les violons tsiganes s'arrêtent, atterrés, * pour blasphémer la vie et maudire le sort.
 Ah! comme dit la chanson de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

XII


 Soudain pourtant les fronts se redressent, s'illuminent les regards; * les drapeaux déployés ont frémi dans l'air, tous les cœurs ont battu dans les poitrines.
 L'hymne trois fois saint a retenti, * la voix de Rakoczy s'est fait entendre, tous les Hongrois sont debout sur les ruines.
 Ils sont debout, ceux du Nord et du Midi, * de l'Orient et du Couchant, debout et frémissant du désir des libertés et des revanches divines.
 En marche les nobles Magyars et les Croates, de Szegedin à Szathmar! * Les violons tsiganes ont grandi, l'âme d'un peuple vibre dans leur bois, d'un peuple levé pour le même effort.
 Aussi comme ils reprennent le vieil air de la patrie, entendu dans la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

XIII


 La musique s'est tue. Où suis-je? Dans la salle verte et banale aux ornements trop dorés!... * Finis les rêves aux lointaines envolées !
 Les musiciens chamarrés de brandebourgs * couchent, comme de petits cadavres, leurs instruments dans leurs boites que ferment des clés ciselées.
 Mais ils avaient une âme, les violons ! * Elle est donc partie avec les notes ailées?
 Elle est partie où tes rêves ont fui !... * Toi, c'est l'heure de rejoindre ton logis, reprendre la rue où soufflent les bises aigres du nord.
 Ainsi la poésie!... Et tu pourras, tout grelottant, chantonner dans le soir le refrain de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

XIV


 O mélodie inspirée et folle où se reflète le monde entier, * où se dresse chaque sentiment de notre nature à la fois bonne et perverse;
 Toi qui surexcites et subjugues nos nerfs; * tour à tour ravis notre cœur, le broies et le transperces;
 Ceux qui t'appartiennent te resteront, * car ni le haschisch ni l'opium ne saurait donner l'ivresse divinement malsaine où tu nous berces.
 Et vous, je ne vous oublierai pas, ô Farkhas, Praticarius, Pali, * magiciens qui du bout de votre archet dirigiez mes rêves dans leur essor,
 Car j'aime tant la musique troublante de la pousta : * « Cserebogar, ô petit scarabée, ô sargà cserebogar, petit scarabée en or. »

Jean Berge.



 (1) La pusta, prononcez pousta : la plaine hongroise avec une idée semblable à celle attachée, pour la Russie et l'Amérique, aux mots steppe et savane.

LES AUMONIÈRES

Au Docteur A.-F. Plicque.


  Sur la grève qu'avaient souillée
  Les conquérants et les héros,
  Près de la mer pacifiée
  Pleine de frissons auguraux,

  Des poings perdus dans les crinières
  De leurs chevaux roses et blancs,
  C'étaient les bonnes aumônières
  Qui reviennent tous les mille ans.

  Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,
  Au caprice d'un galop fou,
  Elles passaient : leur flamboyante
  Chevelure brûlait leur cou.

  Lèvres plus douces que la soie
  Et plus divines que les cieux,
  Elles chantaient un chant de joie
  Vers l'Océan mystérieux.

  Tandis que vibraient des abeilles
  Autour des étalons loyaux,
  Elles plongeaient dans des corbeilles
  Leurs bras riches de lourds joyaux,

  Et brandissant leurs mains sacrées,
  Douces aux yeux voilés de pleurs,
  Parmi les vagues empourprées
  Semaient des rires et des fleurs :

  Car les corolles millénaires
  Éparses en vol d'Orient
  Calment les antiques colères
  Et charment le triste Océan.

Pierre Quillard.

LES RAINETTES


 Assis sur le banc planté devant la porte, ils échangent leurs souvenirs sans remords et se racontent des histoires, toujours les mêmes, qui ne se passent en aucun temps, en aucun lieu.
 Tandis que les rainettes infatigables roulent au loin leurs r, le plus âgé chevrote d'abord. Comme il fait nuit, chaque apparition de fantôme a son succès d'effroi. Les gamins écoutent, accroupis entre les vieux et le fumier verni de lune.
 — « Êtes-vous crédules de ça? »
 — « On en voit tant. »
 — « Y en a-t-il, des étoiles! »
 — « Si on allait se coucher? »
 Il restent encore. D'une pipe, régulièrement, une bluette de flamme s'échappe et s'éteint vite, toute seule sur la terre contre les astres de là-haut. Un géranium se penche au bord d'un pot cassé, et par ses becs-de-grue égoutte son odeur.
 Le feu d'une voiture file entre les acacias de la route :
 — « Qui donc que c'est? »
 — « C'est le garde-port qui rentre. »
 La voiture s'éloigne et la curiosité cesse avec le bruit.
 Les rainettes continuent leurs appels stridents, si clairs qu'elles semblent quitter les buissons humides les feuilles vertes comme elles, se rapprocher du mur, et, bruyantes, entrer au creux des pierres.
 Il faut pourtant aller se coucher : demain on tire le chanvre.
 Les veilleurs baillent, enfin se lèvent. Quelle douce soirée!
 Ils dormiraient dehors. Au matin, on les trouverait là, engourdis, blancs de rosée.
 — « Bonsoir »
 — « Bonsoir ... soir .... oir .... »
  Ils s'enfoncent dans l'ombre. Quelques femmes, des jeunes, allument une lanterne par peur de buter. Les portes se ferment, poussent leur long cri d'angoisse dont frissonnent les hommes en retard.
 Et les rainettes même, lasses de lutter, leurs roulades étant vaines, vont prudemment céder au silence.

Jules Renard.

EXTERMINATION

A Raymond Caullier.


De grands cavaliers noirs, sans casque ni rondache,
Par la nuit rouge mènent un galop d'enfer;
Courbés sur leurs chevaux, torche au poing, haut la hache,
Ils font gicler le sang des vaincus sous leur fer.

— « Hurrah ! la Ville est prise ! Que flambe la Ville !...»
Et les Arcs triomphaux, les Palais et les Tours
Écrasent en croulant la peuplade servile
Des vaincus qu'épargna la hache des Vautours.

— « Hurrah !... Hurrah !... Hurrah !... » La cohorte sanglante
S'évanouit, cependant que, fous d'épouvante,
Des chiens décharnés lèchent les plaies des blessés...

Et la Lune livide, autour de qui s'effare
Un vol d'oiseaux de nuit, ricane aux trépassés,
Ainsi qu'un mascaron tragiquement hilare.

Jean Court.

PAGES QUIÈTES

TRÉPASSÉS MONDAINS


 Dans le cimetière si parfaitement comme il faut, les gardiens se réjouissent du tombeau monumental de la princesse Amy; d'un clignement d'œil, ils l'indiquent au visiteur, et, courtois, reculent d'un pas pour laisser juger de l'effet. Le soir, ils adressent à l'édifice un adieu amical, chassent d'un souffle modéré les grains de poussière qui souillent les moulures et vont dormir avec soin, pleins de la gloire naïve d'une avantageuse surveillance.
 A la mi-nuit, les morts font brosser leurs squelettes, et, dans les sépultures de granit verni les gentlemen forcent les gants de chevreau, vérifient le luisant des chapeaux aux coiffes quotidiennement renouvelées; les misses babillardes vaporisent du lilas blanc à l'endroit ou furent leurs épaules.
 Dans ce milieu passionnément correct, toutes les démarches sont d'un ton excellent. On inspecte les expositions d'horticulture aménagées en divers points par une élégante piété. Les spirituelles réparties se croisent, d'ailleurs prévues; les mélomanes discutent le dernier quatuor de hiboux et les vieux amiraux geignent un peu, comme les y obligent d'anciennes campagnes.
 Les groupes, à pas indolents, vont prendre une coupe de thé chez la princesse Amy. Les visiteurs se félicitent de leur trépas mutuel, qui permet de jouir d'une compagnie aussi fermée. La mémoire secourue par la liste gravée en caractères dorés sur les murs, avec des gestes mesurés et des intonations douceâtres, ils louent sur ses œuvres la maîtresse de céans. Celle-ci hausse les clavicules et méprise; les défunts, un peu gênés, claquent leurs maxillaires en signe d'approbation.  Le coq chante ; chacun regagne son home. La princesse Amy va pleurer dans un coin, l'âme pauvre et misérable, car ces gens l'obsèdent et il n'y aura pas de compte-rendu. Les journalistes sont restés chez eux : ils habitent très loin, trop loin, au champ des navets.

LA MORT DE SOCRATE
(dialogue)


 Nous étions tous les trois, sur les bords de l'Illissus. Appuyé à un platane, Prôtos regardait la terre, le front morne et les bras croisés. De ses pieds d'ivoire, Prôtê caressait les eaux harmonieuses, et moi, Deuteros, étendu près d'elle, je pleurais amèrement le maître perdu, le divin Socratès, dont la parole dorée ne résonnerait plus sous le soleil.

prôté


 Le rôle des femmes me paraît être de relever le courage défaillant des hommes. Tu me sembles, Deuteros, trop affligé par le coup qui nous a frappés : Socratès était un mortel et il a suivi la fortune des autres mortels ; il serait mal à propos de nous en étonner, nous, les croyants à d'éternelles renaissances. Socratès nous apprit la façon de mourir et nous devait ce dernier enseignement ; il convient de le méditer et non de gémir, comme la populace inconsciente et vile.

deuteros


 J'avais consacré ma vie à écouter les sages leçons de Socratès. Il est triste de vivre, Prôtê, lorsque l'on a perdu la raison de l'existence. J étais habitué aux sublimes discours du maître ; ils me manquent aujourd'hui, et je ne sais comment les remplacer. Tu devrais, étant philosophe, connaître la force de l'habitude.

prôté


 Celui qui ne peut suivre ses habitudes, doit en contracter de nouvelles. Change, Deuteros, tes anciennes coutumes. Si tu étais menuisier et que ton rabot vint à s'user, sans chercher plus loin et malgré les inconvénients d'un outil neuf, tu irais en acheter un second chez le forgeron.

deuteros


 Certes.

prôté

 Tu aimais Socratès, aime autre part. Mieux vaut peut-être qu'il soit mort, car les années commençaient à le frapper fortement. Peu de jours encore, et l'avenir devant ignorer l'abaissement de ses facultés, nous étions forcés de lui attribuer nos propres écrits. Devoir respectable sans doute, mais il est plus juste de recueillir pour soi le fruit de ses travaux.

deuteros

 En effet.

 
prôté

 Il importe de savoir regretter son maître, et si l'on y voit un simple débarras, on déplore sa perte avec un génie plus grand. Les idées non obscurcies par la douleur donnent la vision plus juste, la phrase plus digne et les images mieux colorées. Tu sais de quelle ardeur Platon élabore son dialogue du Phédon. Il craignit de se compromettre en assistant aux derniers moments de Socratès ; j'en atteste la Mère des Dieux, il en célébrera sa mort avec plus de majesté.

deuteros

 Il est possible.

prôté

 Vois-tu notre chagrin, Deuteros, si notre Socratès était devenu gâteux. Dans la ville d'Athènes où chacun sait tout, où chacun raille tout, de l'archonte éponyme au dernier vendeur de lupins, des satires auraient couru sur l'imbécillité du maitre, de bouffonnes épigrammes sur la décadence philosophique. Sans doute, on eût vanté la fidélité des derniers égrégores, mais est-il si doux de conquérir la gloire en écoutant les vagissements d'un idiot, en faisant la phalange autour d'une sentine vivante?

deuteros


 Non, par Heraklès.

prôté


 Les vieillards ont parfois de bizarres idées et ne regrettent pas seulement les chevelures frisées de leur jeunesse. Socratès pouvait abandonner la vertu ancienne, outrager la pudeur par des vouloirs non retenus. Les éphèbes eussent été compromis d'étrange façon.

deuteros


 Il est vrai.

protê


 Louons les Moires impassibles de nous avoir épargné ces ennuis, d'avoir coupé le fil de Socratès, sans qu'il nous devînt un objet de dégoût. Conservons de lui un souvenir pieux et recueilli, comme je conserve la mémoire du jour où, inconnue dans Athènes, je lui remis un message de Diotime de Mantinée, docte en amour et en beaucoup d'autres choses.

deuteros


 Tu portais une longue tunique blanche avec des franges violettes et la brise du soir ondulait mollement tes cheveux. Ta démarche était celle d'une oréade et ta voix avait la douceur du miel fraichement récolté. Je me souviens que tu parlas longtemps des paroles graves et symboliques, et mon âme se reposait en ton discours comme un oisel au milieu de son nid.

prôté


 Ta mémoire est bonne, Deuteros. C'est ainsi qu'il faut te rappeler Socratès, et l'imagination le fera revivre en toi.

deuteros


 Socratès te répondit, mais j'ai oublié sa réponse. Elle a fui comme le lièvre fuit du bois envahi par le chasseur.

prôté


 Je te la redirai, Deuteros, et tu ne l'oublieras plus.

deuteros


 Pourquoi ne pas redire deux autres mots jadis entendus, les mots de la claire nuit de juin où notre primitive unité renaquit dans le mystique secret de l’Éros triomphant.

prôté


 La présence de Prôtos nous impose une réserve qu'il ne convient pas de violer.

deuteros


 Fuyons alors. L'ombre a bleui sous les bois d'olivier.

prôté


 Deuteros! Deuteros !

prôtos (intervenant)


 J'ai trouvé la péroraison sacrée, l'auguste mélodie du verbe terminal, écartant les dissonances et les terminaisons barbares. Maintenant, j'ose le dire, notre divin Socratès sera dignement loué.

deuteros (avec remords)


 Nous étions des ingrats, Prôté. Lui pense toujours à notre maître absent.

prôté


 Non, grand sot, il pense à son oraison funèbre (plus bas) Fuyons, dis.

R. Minhar.

ALLÉGORIE



C'était un vase étrange ;on y voyait courir,
Pantelante sous la torche des Erynnies,
Une foule enroulée en spires infinies ;
Et l'argile vivante avait l'air de souffrir.


Quelque ouvrier terrible avait dû la pétrir
Avec de la chair âpre et des pleurs d'agonies.
Des hydres s'y tordaient ; et les voix réunies
Clamaient la double horreur de naître et de mourir.


Ivres, les Passions fracassaient des cymbales.
L'Avarice et la Haine, ourdissant leurs cabales,
Insultaient la Justice avec des bras sanglants.


Et, seul, un lys élu pour les miséricordes
Priait dans la lumière, et sur l'enfer des hordes
Versait son élue triste et noble en parfums blancs.


L'HERMAPHRODITE



Vers l'Archipel limpide, où se mirent les îles,
L'Hermaphrodite nu, le front ceint de jasmin,
Épuise ses yeux verts en un rêve sans fin.
Avec sa langueur torse empruntée aux reptiles,


Sa cambrure élastique et ses seins érectiles,
Il suscite la soif de l'impossible hymen ;
Et c'est le monstre éclos, exquis et surhumain,
Au ciel supérieur des formes plus subtiles.


L'éternel désir brûle et tord ses cheveux blonds,
Un sourire infini, frère des soirs profonds,
S'estompe en velours d'ombre à sa bouche ambiguë.


Et sur ses pâles chairs se traîne avec amour
L'ardent soleil païen qui l'a fait naître un jour
De ton écume d'or, ô Beauté suraiguë!

Albert Samain.

CONTES D’AU-DELÀ
LA PENDULE



 « La pendule était de vieux Sèvres, délicatement travaillée ; des pastorales y déroulaient la grâce champêtre de leurs amours. Il y avait là des bergères qui donnaient la main aux bergers enrubannés, des paysages effacés, avec des moutons qui paissaient, une faveur à la toison. Sur un cadre d'émail bleuâtre, les heures se succédaient en pâles reflets blancs, et les aiguilles tournaient, repliées comme de petits serpents. Elles se suivaient l'une l'autre : la plus grande était fort pressée, la petite attendait toujours que son aînée fut passée, indifférente aux carillons que l'autre faisaient sonner.
 « Oh, le joli timbre qu'elle avait! Un son qu'on imaginerait de vert-pâle ou de vieux-rose, un son fin comme une aiguillée ténue de soie, qui mettrait son mince liseré aux bords d'une draperie ondoyante, fort sévère. Il faisait penser, un peu triste, aux temps lointains où la comtesse, en robe décolletée, avec ça de poudre aux sourcils, dansait gracieusement, donnant la main au marquis, le menuet ou la pavane, lui accordant, sous l'éventail, complice discret, un tendre rendez-vous, que le comte toujours ignorerait ..
 « Et le champ camaïeu des ors bruns en était fleuri de telles fleurs, que je n'en sais pas de plus belles. Lilas musqués venus d'Espagne ou de Perse ou d'autres lieux, roses fraîchement décloses dans un jardin mystérieux — car au pays seul des Rêves il peut s'en trouver de pareilles —, iris bleutés comme d'inquiétantes prunelles de jeune fille, violettes pures, narcisses des prés, bleuets, marguerites, toute ma flore favorite, grands lys au regard limpide et coquelicots, épandaient des gammes en crescendos avec des teintes charmantes et douces.
 « Au fronton, un délicieux Cupidon, la mine friponne à plaisir, un petit carquois sur l'épaule, bandait l'arc du désir. Il était porté sur des nuages très légers, prêts à s'envoler : sa pose indiquait même, qu'une fois la flèche décochée, le dieu-enfant va de suite retourner à Cythère, tendre son front mutin au long baiser de sa mère. Ses yeux rieurs étincellent, la corde est maintenant tendue... l'Amour va faire une victime — de plus.



 « Elle était posée là, sur ce meuble, hier encore.
 « Le cartel de la salle à manger annonça de sa grosse voix neuf heures. J'attendis alors que la bonne petite vieille eût répété, grêle et cristalline, les neuf coups... Un... deux... mais la douce musique s'arrêta au huitième. Tout ceci est fort naturel ; elle retarde, me dis-je ; et je fis avec précaution tourner la mince aiguille d'or. Or, comme je la regardais, quelques instants après, je vis de nouveau l'angle ouvert m'indiquer huit heures. Fort étonnée, je remis les deux pointes à la place qui convenait... A ce moment commença ce duel fantastique où je finis par être vaincue.
 « La pendule ne voulait pas marquer une autre heure que VIII.
 « J'eus peur ; je me regardais dans une glace ; j'avais une figure bizarre, presque étrangère. Est-ce que je rêvais?.. Un meuble me heurta, et la douleur me fit prendre conscience de mon état de veille. Retournant au cadran, où les deux lignes serpentines se figeaient obstinément dans la même indication, je recommençai l'expérience : elle ne réussit pas mieux. Sitôt que mes yeux cessaient de fixer le cercle bleu-pâle, l'étrange phénomène se reproduisait. Prenant alors d'une main furieuse l'objet jusque-là tant aimé — et mille pensées contradictoires se heurtaient en moi ; je pressentais que ce devait être une hallucination qui m'obsédait ainsi, et que j'allais regretter ma violence ; puis devant la constatation de ce fait, dont la constance m'exaspérait, la colère, aveugle et méchante, reprenait le dessus — je le jetai, avec un mauvais sourire, dans la cheminée où brûlait un feu de bûches.
 « Un tintement suprême s'entendit, puis la porcelaine éclata, avec un bruit de mousqueterie... pendant qu'agenouillée devant les flammes je laissais, détente nécessaire, de tièdes larmes mouiller mes yeux. »

Gaston Danville

STRATAGÈMES

A Octave Mirbeau.


 Amères flâneries parmi des femmes successives.
 Lointaine et première souvenance. Elle vient à moi : gaucheries d'une fille grandelette dans le sarreau d'école. Au sarreau, des taches d'encre au nez, des taches de son. Les yeux couleur de mûres ; les dents comme des noisettes : — mûres mangées ensemble, noisettes croquées le long des haies, par les chemins creux, et dans les herbes, les rosées, les fleurs fraîches.
 Ensuite... Oh! celle-ci fut vraiment la vraie. Près d'elle, à lui parler, à rire, à rougir, il y avait une joie toute neuve, une joie de floraison. Les cheveux frisaient joliment sur le front.
 Chloé chantait, lavandière à la rivière. Ah ! fille de roi! Ah! vieil Homère! Je crus que c'était Nausicaa.

Il mit la main sur mon estomac,
Je lui ai dit : mettez-la plus bas,
Je lui ai dit : mettez-la plus bas!


 Chloé chantait, lavandière à la rivière.
 Après?

...............................


 C'est tout ce que j'en sais.
 Après? Les stores baissés : passent les poteaux, les arbres, les maisonnettes. Sur les plaques tournantes, les roues grondent. L'ombre est violette. Le roulis roule le fugace enlacis... Par la portière, adieu! Jamais plus? Jamais plus. Ton nom ? Ta demeure ? Les baisers ont pris toutes les lèvres, les lèvres n'ont pas remué pour des paroles. Ah! ce train qui va, qui va! Ah! ma vie qui va, qui va!
 Après? Rencontres. Non. Non plus. Oui. Pourquoi ne pas revivre une minute ceci : l'agréable rêveuse sur mon épaule pleurait son exil. Elle avait peur, la nuit, dormant seule...
 Petite bourgeoise du petit bourgeois, très avenante dans l'attifage économique d'une femme d'ordre : « Pas de cadeaux, disait sa voix ferme et discrète, une ligne nouvelle, plutôt, sur mon livret. Comme cela, mon mari est content, il m'appelle sa fourmi. Quand le mille est complet, cela fait de la rente, de la bonne rente, mon mimi. » Elle était charmante, vraiment, dans ses silences.
 A pas muets sur le parquet criant. La porte se pousse, à l'heure dite déverrouillée. De l'imprudente lumière, mais le plaisir, en l'ombre, s'alangit trop. Pourtant, il y a des yeux au bout des doigts, des yeux de chat faits pour les ténèbres... La lumière, parfois, je la souffle. J'aime mieux ton cœur que la couronne brodée sur ton cœur, — et tu n'aimes pas les distractions. Les feuilles tombèrent. A Paris? Là, elle avait ses habitudes et l'imprévu.
 Je me souviens qu'elle n'aimait pas les distractions.
 Vraiment, cela vaut-il la peine? La peine qu'on se donne ?

Adieu, mon pucelage,
Ha! Tu vas me quitter!


 Disait la petite pucelotte... Vraiment, cela vaut-il la peine?
 La Suédoise m'aima et nous eûmes de jolies chevauchées frileuses vers le bleu pâle des nuits polaires. Ah ! comme elle pleura, un jour, et comme je fus mauvais pour celle qui était bonne!
 Telle est la fin, et je n'ai trouvé rien depuis le bleu frileux des chevauchées polaires...
 ... Mettre de l'esprit dans la saveur, de l'âme dans le parfum, du sentiment dans le toucher...



 Désirs, grenades pleines de rubis prisonniers dont un coup de dent fait ruisseler l'éblouissance, — un coup de dent de femme.  
Des femmes, au bon endroit, savent mordre. Elles ne doivent pas être méprisées, ces conservatrices des traditions milésiennes, — mais c'est bien monotone et les artistes sont rares.  
.. Faut-il reprendre l'amère flânerie parmi des femmes successives ?...



 Au Louvre, devant la Mater Dolorosa dont les yeux sont deux gouttes de sang,

(O quam tristis et afflicta!)


 Une femme en extase (je le crus, - mais elle s'ennuyait, tout simplement), qui, du coup, m'intéressa, quand elle eut tourné la tête vers l'indiscret accoudé, par la froideur éteinte de son regard, l'ironie vague d'un sourire gelé... Le blond de la chevelure allait au roux clair, sous le chapeau noir, que fermaient, vers les oreilles perlées d'améthystes (assez équitablement assorties au violet mourant des prunelles), des brides épinglées d'une argenterie ancienne.
 Je me provoquai à des riens qu'elle répéta...
 Quand elle marcha, m'ayant d'un cillement — presque doux — permis de l'accompagner, la lenteur ondulée des mouvements décelait un corps développé selon l'esthétique orientale, avec des os minces, une flexible charpente, la chair tassée, — non sans une tendance a rompre un peu la proportion.
 Nous sortîmes par les Mantegna. De brèves paroles, et devant les symboles nous demeurions des instants, perplexes de nous-mêmes... Elle voulut bien, excitée par telles énigmes, et d'une voix pareille à l'indolente procession de son allure, dévoiler un peu de sa spiritualité : alors, je la vis inavouée et imprécise, appelée, sans conscience de ses tendances secrètes, par celui qui dirait : « Voici ce que tu veux. »
 En descendant l'escalier vers Ariane, au milieu elle s'arrêta, remonta quelques degrés, comme saluant d'un adieu la Victoire. Mais je compris que c'était la moitié d'une ruse, car elle se retourna très brusquement : elle voulait me voir sans prendre l'air de me regarder.
  « À demain! » dis-je avec une certaine ferveur.
 Elle daigna rire un peu, baissant sa voilette mimant un peut-être pas trop problématique, — puis s'en va.



 Je la retrouve gravissant l'escalier. Nous laissons la robe de pourpre frissonner aux vents glorieux de l'Archipel, et, d'un accord muet, nous gagnons la porte, — amis déjà, à ce qu'il paraît.
 Entendre les doléances nécessaires : nul homme, plus d'une seconde, n'a séduit son désir... Elle eut le mari qui échoit pareillement à chacune, initiateur de tous les à peu près... Il est mort... C'était un personnage occupé à gravir avec élégance et décision les bâtons de perroquet du perchoir social...
 Je n'écoute pas. Que m'importe ce qu'elle est, fille ou marquise, ou les deux? Et je songe : voici un compagnon pour le jeu des sensations élémentaires, une chair malléable aux expériences du presque et une âme qui s'ennuie assez pour accepter des navigations vers l'île où les Chimères jouissent d être chimères...
 « —... Riche... »
 A ce mot de conversation, j'interromps pour dire :
 « — Le seul parfum d'un brin de réséda peut mener très loin, et toutes les véracités de l'opulence sont dépassées par le simple froissis d'un morceau de soie ancienne...»
 La Seine franchie, nous atteignons les déserts de l'avenue de Breteuil (où s'est réfugiée sa Solitude), pendant que, apprivoisée, elle me questionne avec une désespérance qui flatte mon rôle choisi de consolateur extravagant :
 « — De combien un très perspicace esprit peut-il pénétrer en tel autre?
 — De très peu.
 — Qu'est-ce donc que l'intimité?
 — Le troc des volontés. »
 Je réponds cela, — et pourquoi pas?
 Elle me congédie. Nous nous séparons, toujours inconnus. C'est imprudent, mais quand j'y pense, il est trop tard. « Puis, que m'importe, redis-je encore, le baptême de son essence, — et de moi, si je te fais agréablement souffrir, quels comptes subsidiaires exigeras-tu, à moins d'être insensée? »



 Elle vient chez moi.
 « — Un moine en scapulaire chante des antiphones à la Vierge qui pleure de terreur et d'amour...
 — Où?
 — Là, sur ce parchemin rayé de rouge et ponctué de noir, ne vois-tu pas? — et cet autre qui, à la flamme d'une lampe de fer (plus tordue qu'une viourne), amollit la cire-vierge des sceaux de l'Abbaye, ne le vois-tu pas? — et cet autre qui arrose les flambes sacrés du jardin des rêves, ne le vois-tu pas?...
 — C'est toi!
 — Elle commence à comprendre.»



 « — Daphné! Vois comme le Laurier leurra l'Apollon nimbé d'or. Elle eut, la méchante, l'ironie de s'investir d'écorce, — et les boutons de pourpre de ses seins imbaisés fleurissent entre les cornes d'or de la Diane jalouse. Nulle chèvre n'a brouté les lichens axilaires de ses branches nues, et le Faune ivre a délaissé pour la fente des frênes pervers l'hiatus impollué de son sexe gemmé d'ambres et de topazes... Apollon t'aurait plu, à toi ? Vois comme il est beau, et plus amoureux qu'un thyrse turgescent, qu'un chaton cambré d'où pleurent des larmes de pollen...
 — Oui, mais ce nimbe?



 « Oh! je t'aimerai! je t'aimerai, — lorsque le Dragon vert aura perdu ses cornes! »
 « — Qui a parlé, chère, est-ce moi, ou toi?
 — Oh! moi, quand je parle, c'est pour dire des choses à la portée de tout le monde. »



 Pareil à cet Almindor que poudra Eisen, je m'étends un peu sur l'herbe des coussins et je lui fais compliment de son teint très blanc.
 Un coup d'éventail sur les doigts me répond.
  « — Sommes-nous pas embarqués pour Cythère?
 — Nulle brise ne gonfle les voiles de soie mauve et nous n'avons point de rameurs.
 — Je vous l'assure, je ramerai, charmante Alcine, et vous régirez le gouvernail.
 — Ho! Je suis si peureuse. Une distraction...
 — N'en attendez pas de ma part!
 — Ho! je ne m'y risquerai! »



 Chez elle.
 Pendant que me troublent les enchantements de la Sonate que le hasard de mon doigt lui a désignée, je m'assieds, loin-d'elle, sur le sofa, les yeux fermés.
 « — ...Ah! Ce sont donc mes propres désirs qui t'ont déchiré? Voilà le premier trait, le premier cri, le premier sourire, le premier pleur, le premier doute... Elle fuit! Reviens, reviens! Reviens, la pourpre de ta robe ensanglante mes yeux, je vois le néant rouge où ma vie va sombrer, tout est rouge: ta bouche et ma chair dévorée! Ton sein fleuri de rouge fut doux et douloureux... Joies! c'était l'âpre rêve où s'écorche le cœur: sa bouche me parfume et ses cheveux m'effleurent! »
 Nuit: plus de notes, plus de lumière.
 « — Où donc êtes-vous? »
 A demi je la prends: sa bouche me parfume et ses cheveux m'effleurent...
 « — Lisez-moi et j'éveillerai sur le clavecin de très mourants accords.

— « Un soir, dans la bruyère...


 — Où lisez-vous?
 — Je ne lis pas, je dis par cœur.
 — Quel ton?
 — Mineur, oh! mineur.



  « Un soir, dans la bruyère délaissée,
  Avec l'amie souriante et lassée:
  O soleil, fleur cueillie, ton lourd corymbe
  Agonise et descend tout pâle vers les limbes, —
  Ah! si j'étais avec l'amie lassée,
  Un soir, dans la bruyère délaissée!


  Les rainettes, parmi les reines des prés
  Et les roseaux, criaient énamourées;
  Les geais bleus font fléchir des branches frêles,
  On entendait les cris énamourés
  Des rainettes, parmi les reines des prés.


  Un chien, au seuil d'une porte entr'ouverte,
  Là-haut, pleure à la lune naissante et verte,
  Qui rend un peu de joie au ciel aveugle;
  La vache qu'on va traire s'agite et meugle, —
  Un chien pleure à la lune naissante et verte,
  Là-haut, au seuil d'une porte entr'ouverte.


  Nos pieds meurtrissent l'herbe diamantée,
  Nous gravissons la ravine argentée,
  Pente mourante à la sente effacée,
  Les genoux, las et les, cœurs délassés, —
  En gravissant la ravine argentée
  Nos pieds meurtrissent l'herbe diamantée.


  Pendant que nous montons, l'âme inquiète
  Et souriante, vers la courbe du faîte,
  Le Rêve, demeuré à mi chemin,
  S'assied pensif, la tête dans sa main,
  Et nous montons vers la courbe du faîte,
  Nous montons souriants, l'âme inquiète.»


 Je suis parti, courageusement, à moitié dupe.

 Passer près d'une femme des heures en une intimité qui va jusqu'aux contacts et ne point tenter la pénétration décisive: je ne retrouve plus, quand je la regarde, l'ironie vague du sourire, — ses yeux, plutôt, expriment maintenant l'inquiétude... Voyons, le tacite accord qui nous lie n'est-il pas exclusif de la joie dernière? ...
 ...Comme il était entendu, tu es venue me prendre et le chemin de fer nous emporte à travers des bois roussis et dorés par les flammes de l'été. L'automne est joyeux et doux ainsi qu'une fin prématurée: les hêtres sourient à la mort prochaine; échevelés, tels des bacchants, les ormes s'endorment; les chênes, gladiateurs aux muscles tordus, attendent, ironiques, l'aura suprême, et les pins, seuls, et les mélèzes s'attristent d'être immortels.
 Le train s'arrête, pionnier, en pleine forêt. Nulles maisons, nul chemin visible; un sentier dans les broussailles: à l'aventure.
 Autour de nous, des airs voilés de syringe, des odeurs bruissent: le chèvre-feuille alangui, le sureau âcre comme un accord imparfait, les mousses murmurantes, les criantes feuilles mortes; les autres notes fondues en une indécise mélopée.
 Quelques pas, et, sous la grisaille des aunes, de la menthe humide se vaporise: sa fraîcheur poivrée nous grise.
 Daphné (Daphné, — elle croit presque s'appeler ainsi) s'assied, s'étale un peu, et, couché près d'elle, c'est elle que je respire. Parfums inattendus: les cheveux orangés, qui, par illusion peut-être, fleuraient des fois l'orange, à cette heure exhalent les odeurs composites des foins fanés au soleil; la peau de la nuque évoque les feuilles du frêne, et sur le cou, vers la gorge, c'est un jonchis de mineures digitales... « Arbuste charmant couché par un vent de désir, je ne veux m'intéresser qu'à l'extrémité de tes branches, à ces mains qui sentent l'herbe où elles trempent, à ces poignets empreints de l'odeur des pâquerettes, — à ta tête, à cette bouche, source où coule l'humidité violente de la menthe en fleur...»
 D'un tour de jarret, la voici debout, puis:
 « — Partons, n'est-ce pas? »  La voix, très brève, s'énerve vers de la colère, — amusante colère d'oiseau qui a cru boire un peu dans le creux d'une feuille, a renversé son verre en se posant dessus.
 Nos pas, côte à côte, s'allongent, et nous nous taisons, attentifs seulement à l'émanation compliquée de la forêt, qui, le soir, s'évapore plus abondamment, — femme, lasse de la réserve du jour, libérant, au premières ombres, les prisonnières folies.
 Le train nous attendait, car à peine fûmes-nous assis dans notre coin qu'il siffla. Il nous attendait et il nous ramena, tels que nous étions partis.
 « C'était bien la peine, » disaient les yeux de Daphné!
 A la porte, avant d'ouvrir la voiture, je pris sa main et la baisai, — sa main qui sentait encore l'herbe fraîche, où elle avait trempé.



 Chez elle.
 Je la trouve parmi des corbeilles de vieux chiffons de soie, l'air très amusé, sérieuse, toute la sensation amassée dans les doigts qui s'exacerbent aux chatoyantes caresses. Le pouce sur les trames se frotte et voit le dessin des fleurs, les nuances d'après la forme du relief.
 Elle ferme les yeux:
 « Des roses, des roses avivées de quelque carmin, des églantines plutôt, et au cœur, n'est-ce pas? il y a du blanc jauni pour les pistils apparents. Un feuillage de deux verts les entoure un peu, s'épanouit plus large, et roses et feuilles s'en vont le long de l'étoffe comme les grains alternatifs d'un chapelet oriental, déroulées lentetement sur le fond d'un très pâle vert, pâle tel que le reflet dans l'eau du retroussis des feuilles. »
 Elle jette l'étoffe sans la regarder.
 « — Oui, je vois mieux, certains jours, avec les doigts, et la perception est plus fine, pénètre la chair comme des piqûres très douce... Combien cela doit être absurde, dites, des piqûres très douces! »
 Je ne souris qu'un peu, car me voici, à mon tour, à genoux dans les soies, et la contagieuse névrose me gagne: c'est amollissant, bien plus que l'herbe... Oh! voici un pourpre brûlé d'où s'émancipe une tiédeur charnelle, Galathée (Elle croit presque s'appeler Galathée, maintenant), charnelle comme de tes joues en fièvre, et ce velours cerise attire mes lèvres comme tes lèvres...
 « — Vous embrassez mes chiffons, maintenant! »
 Elle rit, se renverse un peu, les reins sur les talons. Je me penche, elle se redresse. Pour me rendre l'équilibre, ma main s'appuie au hasard: c'est le talon nu de Galathée, nu, sortant de la sandale, et les doigts s'amusent à une telle douceur, sentent la peau rosir vers la cheville et frémir un peu aux articulations... Le talon m'a échappé: elle s'est assise sur un coussin et la robe au rouge étrange, rouge chiffonné de coquelicot, a été ramenée jusque par-dessus les sandales.
 Nous recommençons à pétrir les amusantes soies. Les mystiques bleus surgissent, pâlissant les rouges et faussant les verts. Adieu, les herbes, les ombres virescentes promenant sur l'eau des reflets de retroussis! Adieu les pourpres brûlés par le désir! Adieu, charnels pourpres!... Les fenêtres ouvertes sont bleues, nous voici partis vers des ciels pâles... Pourtant, je reprends pied: au contact de ce velours bleu vert j'ai sauté de la nacelle et je te retrouve, Galathée, je baise le bleu vert des veines qui se ramifient à tes poignets... Vert? De quel vert? Non, bleu, décidément, ce poignet, par les bleus qui le ceignent de leurs ombres bleues... O Sang! emporte-moi vers le cœur de Galathée, ô galop chimérique des veines, emporte-moi! Et là, prends-moi, galop chimérique des artères, prends-moi et promène-moi par les allées secrètes et par l'intimité de sa chair... D'abord, je suivrai les contours... Mais le rêve cède aux mains: Galathée s'abandonne aux mains précises: voici les bras formés en leur vraie forme, avec la jointure composite du coude, la saignée où des cordes tendues se rebellent, et, en dessous, la double pointe arrondie, et, vers l'épaule, la courbe adorable et fugitive du muscle de l'étreinte... Les épaules, le cou, la nuque aux petits cheveux ébrélés, les oreilles ourlées, océaniens coquillages, conques mythologiques où bruit un chuchotis d'amour... Le dos, comme une onde, frissonne, et voilà que les flots se divisent en deux vagues gémellées; croupe marine vouée à l'Aphrodite! .. Hanches, orgue féminin si compliqué!... Ceinture, je te dessine de mes mains jointes, et de quel doigté délicat je vous modèle, mamelles de Galathée, et toi, ventre, oreiller plus doux que l'oreiller de nuées où Phœbé repose son front lunaire... La nuit est venue, sournoise: Adieu, Galathée.



 Chez moi.
 Basse, comme pour des enfants, émergeant un peu de l'accumulation des coussins, la petite table de citronnier porte le dragon de bronze, où déjà médite le thé jaune, et les opalines coquilles d’œuf pour le boire; le steinberger en sa flûte bohème; de spéciales pâtisseries aux épices; puis, quelques confitures, tamarins, airelles et gingembre de Chine.
 A son entrée, ce capricieux préparatif l'inquiète. Cela sent le philtre: de secrets aphrodisiaques sans doute se cachent savamment dosés et dilués dans les pâtes, les fruits et les fluides... Comme elle s'entend vraiment à pénétrer mes intentions, et qu'elle est singulière de ne plus vouloir, alors qu'elle croit que je veux!
 Mais je ne m'embarrasse pas d'une telle disposition, et souriant, lui contant d'amusantes galanteries, je la dévêts de la voilette, du chapeau, du manteau, des gants.
 Tout d'un coup, elle reprend son manchon jeté en arrivant sur un fauteuil et le lance en l'air jusqu'au plafond, le rattrape, recommence, le manque. Je l'atteins, nous jouons à la raquette, elle s'ébouriffe, court à la glace, tapote les ébrélures, s'assied: c'est tout.
 La défiance, dans le jeu, s'est évaporée : elle me dit sa journée; moi, les minutes de l'attente, très douces quand on a foi en la promesse donnée, avec pourtant le petit frisson de l'incertitude: enfin, le pas connu qui piétine l'escalier des vertèbres, — le baiser de prise de possession...
 « — Bien faible prise, réplique Galathée, car on peut même se laisser prendre... prendre, enfin... sans se déposséder soi-même.
 « — Du moins, c'est l'oiseau en cage et privé, jusqu'au bon vouloir du geôlier, de sa liberté matérielle... Plus vraie, oui, doit être la joie de l'oiseleur si c'était une âme qu'il eut captivée, mais le sait-on jamais? Comment pénétrer les métempsychoses et s'assurer si la proie est animée du souffle divin?
 — Quel est le signe de l'âme?
 — S'il en est un, je ne le connais pas. Telle bête a une intime spiritualité, tel humain est comme un rameau de buis jeté en la fontaine pétrifiante, matérialisé d'une imperméable couche qui s'oppose aux transsudations mentales.
 — Moi? demande Galathée.
 — Âme chère à ma perversité, est-ce que je t'aimerais si je n'avais pas senti en toi une âme?
 —Pervers? oh! »
 Évidemment, elle croit que la perversité c'est de faire chopper une femme sur des combinaisons de coussins ou de tapis, et, là, violant les mystères de la lingerie et du caramara, de lui faire bien aise, malgré elle, — non sans impertinence.
 « Ne suis-je pas, songe-t-elle, en plus d'une âme, douée de quelque corporéite formulée selon une esthétique assez estimable?... Achève-la, ta Galathée.»
 Je n'ai pas l'air de comprendre et lui verse du thé. Au thé trop parfumé, Galathée préfère l'énervant steinberger et la voilà, très excitée, qui me donne à manger dans sa cuillère de la confiture d'airelles, à croquer le gâteau rompu par ses dents, à boire le vin dont viennent de se mouiller ses lèvres... Moi, je baise les doigts qui ont goût de gingembre et je me sens faim de chair vive, d'une peau plus odorante que le thé jaune, — de tes cheveux épicés, Galathée, des émanations fines de ta flore, fleur, — des violents piments de ta faune, femme... Non, pas plus, seulement te boire et te manger...
 ... Ah ! quelles saveurs j'ai trouvées, inédites et réconfortantes!...
 ... Non! Le reste, Daphné, éternisons-le par le désir: entre dans ton écorce et rêve pendant que, nimbé d'or, je viendrai poser mes lèvres attristées sur la chair arborescente de mes amours stérilisés...
 Ici finit le jeu des sensations élémentaires.

Remy de Gourmont.

CHANSON

O nala mecum consule Maulio...

Horace.


Vin qu'on mit en bouteille au temps de ma naissance,
 Soit que tu provoques les jeux,
Ou les rixes, ou les noires concupiscences,
 Ou les sommeils de plomb, tu peux
 Pour célébrer ce jour heureux
 Te répandre avec abondance!...


Que ta pourpre dorée, berceau des chansons,
 Corvinus le veut! ne diffère.
Bien que Socrate l'ait nourri de ses leçons,
 Ce sage n'est pas si sévère
 Que d'aller refuser son verre,
 Un jour de fête, à l'échanson!


Puisque Caton lui-même a senti tes amorces,
 Puisque de ce vieux sage aussi,
Pour échauffer le cœur, tu sus percer l'écorce!
 Est-il remords, est-il souci,
 Est-il cœur si hautain d'ici
 Ou d'ailleurs, vin! que tu ne forces?


D'un coup tu raffermis les esprits ébranlés;
 Par toi, le lâche a la vaillance;
Aux gueux, tu rends l'orgueil; Ô Pourpre, enivre-les:
 Tu les verras plein d'insolence,
 Au milieu des camps et des lances,
 Braver jusqu'aux rois assemblés!


Donc, coule! et si Vénus, la déesse aux beaux voiles,
 Daigne sourire à nos amours,
Avec les Grâces, qu'on voit jointes sur les toiles,
 Mes flambeaux conduiront leur jour
 Jusqu'à cette heure où, de retour,
 Phœbus chassera les Étoiles!

Ernest Raynaud.

L'AUTOPSIE DE LA VIEILLE FILLE

A Emile Bergerat.


 Sur le marbre gisait le Corps vieil et de cire: on eût dit une âme solide, perceptible.
 Autour goguenardaient trois Carabins, la pipe en la mâchoire, avec un air de tribunal décisif et final.
 — O la voisine de l’Église aux doigts jardiniers du missel!.. O la chèvrefille aux lins de nonne et coiffes de vallée!.. O la parleuse en feuilles mortes dans la brise!.. O la pucelle sans chemise!..
 On allait voir: si c'était vrai!
 Et les Impies écartent ainsi que les aiguilles d'un compas, voulant se rendre compte, écartent les deux jambes du Corps vieil et de cire...
 l'oiseau n'avait pas fait son nid.
 Déçus, les Carabins jettent ce chant de coq:
 — Cela ne prouve rien, sinon la peur de la Bedaine puis du Péché-qui-tette, ou que, prudente et sagace gourmande, la tartufe hantait le Désir Pers aux persiennes closes!.. Mais nous allons savoir!
 Les voilà qui décident la subtile autopsie — des Sens, en quelque sorte.
 Éparpillant un zézaiement d'insectes crépusculaires, d'invisibles aciers — fines langues d'aspics — aussitôt conjuguent le Cadavre.
 D'incrédules valses essoraient, en caragol, des pipes: fumées narquoises à la façon des moustaches qu'on frise.

 Ses Pieds dévoilèrent des pèlerinages vers la naïve colline où la Firmamentale inspira, sous le sceau de son orteil fugitif, un bouquet d'eau consolatrice. La caresse fréquente et capricante d'un rosaire et divers touchers d'objets bénits émanèrent des Mains.
 En ses Narines furent prises des senteurs d'encens, d'aubépines, de cierges, d'herbes sépulchrales, d'os précieux enfouis dans les cercueils de verre.
 Derrière ses Dents pures, on trouva des saveurs d'hosties, de poissons à chair blanche, d’œufs, ainsi que l'abstinence de vins et de friandises.
 Les deux Yeux produisirent, sous forme de banderolles diaphanes, des regards exprimant les cérémonies aux chasubles arcencélestes, des processions aux bannières laudatives, et telles visions miséricordieuses où florissaient une Vierge avec des lys, un Saint Pierre avec des Clefs, un Poupon grandiose emmailloté dans l'haleine primitive d'un âne.
 Les Oreilles livrèrent des sonores lingots d'angélus, de préceptes en chaire, d'orgues et de louanges. Mais aussi, lointainement, comme à peine écoutés, ces mots jà vieux de cinquante ans, mots las! inutiles d'un fier pâtre qui passa, nubile, sous l'innocente et candide fenêtre, un matin: « Madelon-Madeleine, humblement je vous aime; prenez le pâtre et ses moutons, si vous m'aimez comme je t'aime! »

 Afin d'aller jusques au Cœur, fut déclose la poitrine tant grignotée par les quenottes du cilice.
 Il en jaillit un parfum de presbytère.
 Puis le Cœur apparut, transpercé de sept glaives comme Celui de la Dolorosa.

 Alors on s'agenouilla, révérencieusement, parmi les pipes tombées des mâchoires, — et trois signes de croix, faits par trois mains rouges sur les trois tabliers blancs des Carabins, ressuscitèrent vaguement trois Chevaliers de Malte...


 (les magnificences, février 90).

Saint-Pol-Roux.

A PROPOS DE « LA MER »


 En peu de mots, à propos de La Mer à l'Odéon, je veux parler ici de Jean Jullien. Certes, il y aurait beaucoup à dire au sujet de ce révolté, mais l'heure n'est pas encore sonnée pour nous de livrer toute notre pensée. Aimer l'art dramatique et vouloir m'y vouer: voici qui me rapproche de Jullien et qui, aussi, m'en sépare.
 Parmi ceux qui, depuis naguère, luttent pour la vic- toire de cette théorie: la réalité au théâtre, — qu'on ne dise pas: la vérité, — Jean Jullien s'est entre tous distingué avec, à ses côtés, Georges Ancey, Henry Fèvre et Georges Lecomte. Jean Jullien, qui est doublé d'un polémiste ardent, me semble devoir être cité en tête pour son parti-pris de théoricien et l'intransigeance de sa mise en œuvre. Pour son caractère inflexible, pour sa foi, pour son mépris des charlataneries, pour tout ce qui contribue à sa fierté d'attitude, qu'on parle de lui cordialement. Le vénérable mais peu éclairé M. Sarcey qui laissera son nom à la postérité comme celui d'un La Harpe de temps démocratiques où la familiarité du style s'imposait, reprochait à Jean Jullien d'avoir prémédité ses théories; or, qu'on y songe, celui-ci a déjà produit La Sérénade — glissons sur L'Echéance — et Le Maître, qui furent parmi les meilleures pièces qu'ait données le Théâtre Libre: et voici La Mer.
 La constance de l'effort légitime l'espoir: — mais ce dernier drame n'a pas eu le succès qu'espérait son auteur. Il dira qu'on ne l'a pas compris. Serait-ce possible? c'était si simple. La vérité, c'est qu'on ne l'a pas aimé parce qu'il n'a pas ému; non pas qu'il ne soit un artiste ému lui-même par les choses de la vie, mais à cause de pauvres théories dont il me semble être la dupe. Si je supposais un seul instant que le dénouement de ce drame vint d'un défaut d'acuité du sentiment éprouvé par l'auteur au moment de la conception, ou de précision de la pensée dans l'observation, comme, par exemple, une pitié vague ou un pessimisme sans profondeur, La Mer ne serait même pas à discuter. L'insuccès de ce drame ne nous prouve-t-il pas qu'il y a là erreur?...
 Que j'aie dit « insuccès » ou que tout à l'heure je dise « succès », cela ne signifie pas, bien entendu, que j'accorde au public énigmatique l'attention que ses enthousiasmes mériteraient, si l'on pouvait se fier à ses sympathies et les accepter pour critère de l'excellence d'une œuvre. Mais nous ne devons pas oublier que nos drames et nos comédies, nous les communiquons à ce public sinon comme à un juge devant qui nous nous inclinons, du moins comme pour nous assurer sur des êtres de notre faculté de persuasion ou de charme. Le public est femme, il aime bêtement, mais il a ceci d'humain: qu'il aime. Quand le public applaudit à une mauvaise pièce, soyez persuadé qu'il y ajoute par son imagination, comme une femme fait un héros d'un stupide garçon de magasin ou sergent-major. Qu'il applaudisse à une belle œuvre, cela montre qu'un artiste s'est imposé à lui et a satisfait ses désirs en les dépassant. Qu'une femme rencontre un beau peintre de génie, un poète magnifique, elle le préférera au commis de magasin, ou même au sergent-major malgré le décor de sa tunique galonnée. De la scène à la salle, le mystérieux drame humain se joue. Ceci dit en passant, car je crois que les partisans de Jean Jullien méprisent outre mesure la Foule, à qui s'adresse l'homme d'action qu'est l'homme de théâtre.
 Tout d'abord, dans ce vain combat, une chose me navre. Pourquoi ce départ en croisade contre les « commis de magasin » du théâtre, contre tous ceux-là qui ont laissé cœur et entrailles derrière de vieux décors dans le carton desquels ils ont taillé des silhouettes inarticulées? Jean Jullien s'insurge contre la sottise de la comédie de mœurs et la niaiserie du vaudeville à situations. S'il s'agit d'art, est-ce que cela existe? L'excès de leur colère aveugle Jullien et ses partisans; il se pourrait bien qu'à l'antipode où les fait courir leur horreur, ils ne trouvassent qu'un contraire équivalent. Alors, que nous importeraient leurs efforts?
 Les erreurs de ce clan dramatique sont nombreuses, et celles de l'intransigeant Jullien plus encore que de tout autre. Il s'actionne à détruire l'unité qu'ont toujours voulu créer au théâtre ceux qui, à travers les siècles, ont eu de hauts soucis d'art. Ce m'a paru évident au spectacle de La Mer. Qu'est-ce, pour la forme, qu'un drame ou une comédie? — une phrase dont chaque personnage (1) est une proposition, c'est-à-dire un élément essentiel au sens de la phrase. Beaucoup de mauvais auteurs savent cette vérité que leur ont révélée les bons, mais ce qui les distingue c'est de faire des phrases sans avoir rien à dire. Non, mon cher Julien, vos douaniers, vos mendiants n'ajoutent pas à la puissance de votre expression de vie — au contraire ; et quant au décor (qui vous a bien mal servi cette fois), mon avis est que, sur la scène, sans requérir toute l'attention, le décor doit être suffisant tout au plus pour éviter des courants d'air par où s'envolerait l'idée, ainsi maintenue entre trois frontières. Si nous isolons du reste de l'humanité un certain nombre d'individus pour les assembler sur une scène, leur nombre doit être restreint à la stricte nécessité. Oh ! je comprends, je sais que vos personnages auxiliaires font, dans votre pensée, partie du décor, mais vous oubliez qu'optiquement sur une scène il n'y a pas, comme dans un tableau, des plans qui, par la perspective, grandissent ou rapetissent les figures ; et puis, mêler du décor de chair avec du décor de carton, c'est par là encore — comme par la mobilité, l'indécision de vos premiers personnages — que vous vous montrez destructeur d'unité. En art, il n'y a pas de beauté où il n'y a pas d'unité. L'unité, c'est la force de concentration ; or, l'émotion ne naît pas de la diffusion. Que sont aussi ces théories de la vie en bien ou de la vie en mal ? Le Bien n'est-il pas inclus dans le Mal, et réciproquement ? La vie n'est ni bonne ni mauvaise, elle est les deux ; et nous n'avons pas à conclure contre elle ou pour elle : nous sommes sa voix.
 Soyons des artistes et non des insulteurs, comme le sont tant de romanciers qui se posent en témoins et s'assermentent pour répondre inutilement à des questions qu'on ne leur pose pas.
 Vaucanson s'est inspiré de l’œuvre de Dieu pour fabriquer ses ingénieux pantins. Je pense, mon cher Jullien, qu'il n'y a pas à se soucier des Vaucanson du Théâtre.

Julien Leclercq.


 (1) ou chaque groupe de personnages.


« HISTOIRE
GÉNÉRALE DE LA VÉLOCIPÉDIE »


 A remarquer d'abord le portrait de l'auteur, les places fortes de ses épaules, l'ossature nette de sa face, et son nez renifleur de bon air. M. Baudry de Saunier doit faire sérieusement toutes les gymnastiques, et estimer grandement ceux qui « sortent vainqueurs de la lutte », quelle qu'elle soit.
 Le poète Richepin présente le livre dans une préface-express : « Que les malingres, dit-il, nous jugent ridicules, si cela les console ! Ainsi se consolait le pauvre renard à la queue coupée. Il théorisait aussi contre les queues de ses confrères. N'empêche qu'il est beau de l'avoir, sa queue, c'est-à-dire d'être complet. Or l'homme complet, harmonique, doit être athlète autant qu'artiste. Et puisque le vélocipède y aide, vive le vélocipède ! »
 Voilà une belle exclamation.
 La difficulté était d'écrire un tel livre avec esprit. M. de Saunier,en bonne humeur, s'en est donné. On ne le croira pas dupe ou fanatique. Il fait un choix dans le monde des cyclistes, si mêlé, plus encombré de sots que la politique, de naïfs qu'une religion, et voici un charmant couplet qui lui vaudra un amical signe de tête des gens bien élevés : « Le véloceman est l'être doux et sans tapage, qui n'éclabousse aucun pantalon clair dans les villes, n'écrase aucun enfant dans les villages ; l'enthousiaste discret, qui ne pédale sur les nerfs de personne, et se contente d'avoir mis à ses pieds deux roues ailées pour voler dans la campagne près des blés jaunes ou sous les bois frais. Il chérit son véloce comme Platon voulait qu'on chérît sa patrie, comme une maîtresse, et vos beaux écrous, petite bicyclette, le font mourir d'amour. »
 Et c'est ainsi tout le long du livre. M. de Saunier raconte cette histoire de la vélocipédie en ironiste finement moqueur, en littérateur qui joue et construit, pour se reposer, des phrases du genre élégant. Sa manière rappelle celle des Goncourt dans leurs études sur le dix-huitième siècle. Selon son expression, « il chiffonne un peu dans le tas des systèmes nouveaux, sans dédain, avec égards même, non avec des pincettes d'or, mais sans crochets ». Les documents sont triés avec soin, et il ne cache pas son goût pour ceux qui font sourire.
 Quel peut être l'ancêtre de la vélocipédie ? La Fortune sur sa roue d'or, Noé descendant rapidement les côtes dans une barrique de vin, le premier des rémouleurs, le premier des joueurs d'orgue de barbarie, ou le premier cul-de-jatte qui osa confier à un chariot rudimentaire la moitié de sa personne ?
 Le défilé qui a commencé pittoresquement continue sans monotonie. Notons au passage :
 — La vélocipédransiavaporiana, sorte de voiture rapide qui « fait quatorze lieues en quinze jours ». — La voiture manuvotive : « J'ai eu l'occasion, dit un journaliste de l'époque, de monter sur cette machine, et j'en ai conclu que, pour donner de l'exercice au corps, elle n'était pas précisément mauvaise ; mais pour voyager, je vous avoue franchement que je préfère la diligence ». — Le vélocipède à selle tournante ainsi qu'un tabouret de piano et permettant au vélocipédiste de se détourner, pour voir, disaient les loustics, si la roue de derrière suit le train. — Un appareil compliqué dont la partie essentielle est une roue unique, et qu'on a vu, dans les Champs-Elisées, monté par un homme grisonnant, Courbet, le peintre de l'Enterrement d'Ornans. — Le monocycle à contre-poids : d'un côté de la roue le cavalier s'assied, de l'autre est installée une boîte de zinc qui renferme de l'eau.— Le monocycle Rousseau « qui n'allait bien qu'aux pentes ». — Le monocycle à deux roues de front : « Sur les épaules du cavalier se trouvait un large collier de bois relié à la machine, pour que dans les montées trop dures il pût porter sa machine à la façon des porteurs d'eau. — Le vélocipède de l'âge mûr : il est à trois roues et ne peut verser. — Le vélocipède à double selle : « Ainsi, dit le marchand dans sa réclame, disparaît le reproche d'égoïsme que l'on fait au bicycle. Il jouira désormais du privilège des palefrois sur lesquels les preux portaient les dames en croupe ! Je vends le nouveau bicycle 275 francs.» — Un coquet bicycle spécialement construit pour dames : « L'attention que nécessite la direction du vélocipède détourne les jeunes esprits des pensées vagues et dangereuses auxquelles leur âge et leur sexe les prédisposent fatalement ». Mais le coquet bicycle n'eut pas de succès. Ce qu'il fallait aux dames, c'était « des machines d'hommes ». — Le bicycle de trois mètres, de Renard : « Six marchepieds conduisaient au faîte de ce colosse de 70 kilos, qui développait 9m 50 à chaque tour, mettait son guidon à toutes les fenêtres et ne trouvait jamais gîte à sa taille ». — Un tricycle dit « vélocimane », modèle d'un nouveau véhicule mis en mouvement « par la personne même qui est dessus ». — Le véloce Fantôme : « A peine est-il en marche, que tous les rayons semblent s'évanouir, et l'œil ne perçoit plus qu'une sorte de vapeur fantastique qui voltige des jantes au moyeu ». — Le vélocipède aérien, le vélocipède plongeur et le vélocipède moulin...
 Ici s'arrête la revue incomplète des petits monstres de la vélocipédie. Ils lui ont valu quelques persécuteurs. M. Sarcey demande à la police, dans la France de mai 1869, de supprimer « cette excentricité dont il ne voit nullement l'avenir ». — Le maire du bourg obscur de Luc, en Provence, interdit la circulation dans ses États de tous les vélocipèdes, « sauf de ceux qui seront conduits par une personne à pied ». — Le Gaulois déclare : « Les vélocipédistes sont des imbéciles à roulettes. » Le Parlement riposte : « O vélocipède, chameau de l'Occident ! » — En 1869, l'entrée du bois de Boulogne est fermée à tout vélocipède « qui n'est pas en fiacre ». — Enfin, en 1870, Madame de Puyparlier exige la séparation de biens d'avec son mari : « Il est fou, dit-elle. En doutez-vous ? Mais la seule preuve en serait qu'il monte à vélocipède ! »
 Prenez donc ce livre gai. Vous rirez en vous instruisant. Vous avez bien le temps de lire des traités de littérature. Pour une fois qu'on s'amuse !
 Il va de soi que M. de Saunier n'a pas écrit son livre seulement parce que « les billets de banque, dont on brise l'échine pour leur donner l'habitation chaude du gousset, ont un bruit délicieux de froissement de feuilles d'or ». Il voudrait encore convertir son lecteur.
 Je reste froid.
 Oui, je sais, on va vite sur une bicyclette, plus vite qu'à pied. O jouissance, dites-vous, courir, fût-ce sur un cercle de tonneau ! courir, dût-on en mourir !
 Pourtant, quand on a bien couru, faut-il encore recommencer ?
 Et puis, c'est si bon de ne pas jouir trop vite.

Jules Renard.

LITTÉRATURE ANGLAISE
THOMAS LOVELL BEDDOES



 De ce poète, dramaturge ultra-romantique, macabre, morbide, et l'un des génies lyriques les plus originaux de ce siècle, les œuvres étaient devenues des raretés pour bibliophiles.
 On vient de les réimprimer avec des notices de M. Edmund Gosse, ce qui a donné l'occasion à notre ami Arthur Symons d'une intéressante étude dans un récent numéro de l'Academy. En voici le résumé.
 Si Beddoes n'est pas un grand poète, il est, du moins, dans le sens le plus absolu du mot, un poète surprenant. Lisez ces vers, en vous souvenant qu'ils ont été écrits précisément pendant la période de stagnation littéraire qui s'étend entre Keats, Shelley, Byron et Browning, Tennyson (1821-1826). C'est un meurtrier qui parle :
  I am unsouled, dishumanised, uncreated ;
  My passions swell and grow like brutes conceived ;
  My feets are fixing roots, and every limb
  Is billowy and gigantic, till I seem
  A wild, old, wicked mountain in the air :
  And the abhorred conscience of this murder,
  It will grow up a lion, all alone
  A mighty-maned, grave-mouthed prodigy,
  And lair him in my caves : and other thoughts,
  Some will be snakes, and bears, and savage wolves,
  And when I lie tremendous in the desert,
  Or abandoned sea, murderers and idiot men
  Will come to live upon my rugged sides
  Die, and be buried in me. Now it comes ;
  I break and magnify, and lose my form,
  And yet I shall be taken for a man,
  And never be discovered till I die.
 « Je n'ai plus d'âme, je ne suis ni un homme, ni une créature vivante ; — mes passions se gonflent et grandissent, imaginaires animaux ; — mes pieds sont de fixes racines, et chacun de mes membres — est houleux et gigantesque, et je vais ressembler — à une sauvage, vieille et misérable montagne très haute : — et l'abhorrée conscience de mon meurtre, — la voilà qui devient un lion, tout solitaire, — un prodige avec une puissante crinière, une bouche de tombe, — et il faut que je le terre dans mes cavernes : et mes autres pensées — seront des serpents, et des ours et de cruels loups, — et, gisant formidable dans le désert, — ou dans une mer abandonnée, des meurtriers et des idiots — viendront vivre sur mes rugueux flancs, — mourir et être enterrés en moi. Cela commence : — j'éclate et je m'immensifie, et je perds ma forme, — et pourtant je serai toujours pris pour un homme. — et je ne serai jamais découvert jusqu'à ma mort. »
 Beddoes est toujours ainsi grandiloque et impressionnant ; son œuvre la plus importante, Le Livre des Bouffonneries de la Mort, est nominalement un drame en cinq actes, mais il n'y eut jamais rien de moins substantiellement dramatique que cette admirable poésie dialoguée. Le génie de Beddoes était d'essence lyrique : il avait l'imagination, le don du style, la maîtrise du rythme, le sens du choix des mots, de l'organisation de la phrase, — mais de vrai sentiment dramatique, néant. Il n'a jamais pu ni concevoir un plan logique, ni développer une situation vraisemblable. La nature humaine lui échappait, ainsi que le caractère distinctif de l'homme et de la femme.
 Constamment on trouve, en ses drames, la plus superbe poésie là où elle était inutile, mais il est rare d'y rencontrer de ces cris du cœur, de ces brèves phrases, absolument mémorables.
 Dans les scènes qui voudraient être passionnées, c'est une constante inhabileté à être naturel. Toujours de la littérature, — jamais moins, jamais plus. Beddoes écrivait cérébralement, sans émotion, sans inspiration. Tous ses personnages parlent le même langage, expriment les mêmes désirs : tous également nous stupéfient par leur vie purement spectrale en dehors de la chair et du sang. « L'homme est fatigué de n'être qu'une créature humaine, dit Siegfried dans Les Bouffonneries de la Mort : Beddoes s'est fatigué de l'humanité, avant même de l'avoir comprise.
 N'importe, quels que soient ses défauts comme psychologue on comme dramaturge, il n'en a pas moins produit une œuvre tout à fait à part dans la poésie anglaise. Les Bouffonneries sont peut-être le livre le plus morbide de notre littérature. Pas une page où l'on ne voie, triste, grotesque, gaie, horrible, apparaître l'image de la mort. Baudelaire n'a pas été plus amoureux de la corruption, ni Poe plus effrayé par des idées de cimetière. En somme, Beddoes a écrit une nouvelle Danse des Morts en poésie. « Fatigué d'être un homme », il a peuplé un drame de purs fantômes, il a créé une humanité funéraire.
 J'ai dit que le génie de Beddoes était plus lyrique que dramatique ; il faut ajouter ceci, qu'il ne fut jamais mieux inspiré que dans la chanson, — chanson d'un genre très spécial, à la fois amoureux et macabre. Ainsi :
  If thou wilt ease thine heart
  Of love and all its smart,
  Then sleep, dear, sleep ;
  And not a sorrow
  Hang any tear on your eyelashes ;
  Lie still and deep,
  Sad soul, until the sea-wave washes
  The rim o'the sun to-morrow,
  In eastern sky.
  But wilt thou cure thine heart
  Of love and all its smart,
  Then die, dear, die,
  'Tis deeper, sweeter
  Than on a rose-bank to lie dreaming
  With folded eye ;
  And then alone, amid the beaming
  Of love's stars thou'lt meet her
  In castern sky.
« Si tu veux soulager ton cœur — de l'amour et de toutes ses brûlures, — alors, dors, cher, dors ; — et pas un chagrin — ne suspendra ses larmes à tes cils ; — repose en profonde paix, — âme triste, jusqu'à ce que la vague revienne laver — la jante du soleil, demain, — dans le ciel oriental.
 « Mais si tu veux guérir ton cœur — de l'amour et de toutes ses brûlures, alors, meurs, cher, meurs ; — paix plus profonde et plus douce, — que de gésir en rêvant sur un banc de roses, — les yeux clos, — et alors seul, parmi, les rayonnements — des étoiles d'amour, tu la retrouveras — dans le ciel oriental. »
 Poète lyrique supérieur, artiste de magnificence, Beddoes existe et restera, non pour la foule des lecteurs, mais pour les chercheurs et les délicats, à côté d'Ebenezer Jones et de Charles Wells, — moins dramaturge que Wells, moins personnel que Ebenezer Jones, le rude et tumultueux poète, — mais peut-être, au fond, doué plus qu'eux du génie poétique essentiel : et n'est-ce pas tout?
 Ajoutons que Beddoes, né à Clifton en 1803, mourut à Bâle en 1849, après une vie assez vagabonde. Fils d'un médecin, il fut médecin lui-même, passa même pour un physiologiste très distingué. On en avait longtemps douté, mais la notice de M. Edmund Gosse est décisive : Beddoes se suicida, dans un moment de surexcitation maladive, — à l'imitation, jusque dans les détails, du personnage d'un de ses drames.

R. G.



LES LIVRES(1)


 Histoire Générale de la Vélocipédie, contenant plus de 150 gravures, estampes anciennes, caricatures anglaises et françaises sur la vélocipédie, dessins spéciaux des machines employées depuis trois siècles, — par L. Baudry de Saunier, préface de Jean Richepin (P. Ollendorff). — Voir page 298.
 Chantefable un peu naïve. (Sans nom d'auteur ni d'édition). — L'auteur de ce livre au titre si peu significatif s'est fait du poète une idée à la fois très hautaine et très modeste : le Poète, c'est celui qui chante derrière un triple voile, sans que la foule lui puisse faire l'hommage — injurieux, peut-être, après tout — de la joie qu'elle ressent à l'ouïr. Me pardonnera-t-il de déchirer à mon tour, après quelques autres mécréants, l'ombré sacrée où il se réfugiait et de lui dire : « Cygne qui te voudrais anonyme, tu t'appelles Albert Mockel. »  Il ne faudrait point sur la foi du mot Chantefable s'imaginer qu'A. Mockel soit un précurseur de la très précieuse école romane : il veut simplement indiquer par là que son œuvre est mélangée de prose et de vers. Mais le vocabulaire n'a rien d'archaïque, et, malgré la volonté bien évidente d'être simple et ingénu, rien ne rappelle ici la gaucherie médiévale et le sauvage désordre des longues gestes : premier regard émerveillé des enfants vers les choses coutumières, émoi de l'adolescent qui se sépare presque avec angoisse des heures puériles, lutte dans le cœur du jeune homme entre la douce sollicitation d'amour et le désir d'être un triomphateur dans l'universelle mêlée, puis, après les inutiles batailles, la venue vers la Petite Elle, aussi vaine, et enfin, à la suite des Voix qui parlent en nous-mêmes, la recherche de celle dont toutes les autres ne sont que des reflets et qui s'évanouirait aussitôt contemplée et l'intuition presque divine qui se crée un monde de lumière et de gloire, telle, en une série de poèmes, se développe avec le nécessaire caprice des variations une histoire d'âme.
 Je crains seulement que la naïveté ne s'y rencontre point, sauf sur la couverture du livre, et pour ma part je n'y vois pas le moindre mal ; la prétention d'être simple ne peut-être, maintenant, qu'une extraordinaire facétie ou le signe d'une monstrueuse perversité : ainsi une courtisane usée qui se grimerait en Agnès. L'art d'Albert Mockel est des plus complexes qui soient, tant qu'il devient parfois obscur. Je ne parle pas seulement de la langue, qui est en général assez claire et accessible au commun des mortels (et cependant, il faut bien au moins condamner un étrange emploi de participes passées accompagnés d'un pronom réfléchi : « à dire les mains aux bouches s'unies ») ; il en est de même du rhythme. La place me manquerait pour discuter cette difficile question du vers polymorphe. J'admets donc en principe la technique adoptée par A. Mockel. Mais alors il faut s'entendre et je demanderai que l'alexandrin — le vers type pour les poètes traditionnels — n'apparaisse qu'exceptionnellement, tandis qu'ici, neuf fois sur dix, tous les autres mètres employés ne sont que la résolution ou l'extension de ce vers type. Je ne vois plus alors pourquoi le renier et l'usage des rhythmes libres prend un caractère d'arbitraire qu'il importerait d'éviter. Ainsi tels vers, fort beaux par eux-mêmes, rompent ici l'unité d'effet par le ressouvenir des musiques régulières, tandis qu'ailleurs le charme provient uniquement d'harmonies nouvelles, obtenues par des allitérations et des assonances. Mais si j'oublie un instant cette analyse esthétique meurtrière de toute joie, des vers comme ceux-ci m'agréent infiniment et ma peine est que ce soit peut-être contre le vœu du poète :
  Je cherche le sourire élu par mon sourire,
  l'aigue jaillie ainsi que l'épuise ma lèvre,
  et mon rêve est aussi de chose disparues
  et vivre, et les soupirs d'aimer, et je voudrais
  dire à l'Amaryllis les mots de mon rêve.
 N. B. La Chantefable d'A. Mockel est précédée d'un prélude musical que je ne saurais apprécier avec compétence.

P. Q.


 Chansons d'Amant, par Gustave Kahn (Lacomblez, Bruxelles) ; — Le titre du volume indique assez combien l'unique sujet choisi par M. Gustave Kahn est familier aux poètes de tous les temps. Aussi faut-il louer sans réserve l'absolue nouveauté avec laquelle l'auteur a su revêtir sa pensée. S'abstenant rigoureusement de toute manière directe de traduire ses sentiments ou ses idées, il les a perpétuellement suggérées en de symboliques poèmes. Ceux-ci sont parfois de véritables drames, où, parmi de féeriques et significatifs décors, les nuances d'un seul état d'âme s'incarnent en divers personnages, qui agissent et dialoguent selon l'intensité ou la lueur de vie qu'il a été esthétiquement nécessaire de leur attribuer. Ces personnages ont le geste surtout hiératique et le verbe d'une rare splendeur, témoin cette strophe :
 Sous les averses des soleils, les mystiques tambourins,
 devant ses pas heureux, psalmaient les annonciateurs
 et les bannières des nuées et les arômes de la mer,
 et les voiles, grand lys de mer, et les calmes de la mer,
 et les senteurs des haies, et les cortèges en ferveur
 préparaient les portiques à sa démarche aventurine.
 Cependant, non loin de tels fastes se rencontrent d'exquises simplicités comme celles-ci :
  Je rêvais d'un oiselet
  qu'un enfant cruel torturait
  pour sentir palpiter ses flancs.

  Je rêvais d'une terre comme maternelle
  avec des siestes d'ombre et des frolis d'ailes
  et des allées de rêves blancs.

  Je rêvais comme d'une sœur
  aux lèvres uniques de douceur
  et belle et chaste et femme et sœur.
 Il est presque inutile de terminer cette trop courte note en ajoutant que la nouvelle œuvre de M. Gustave Kahn est écrite en vers et strophes libres, d'après des lois que le premier de tous, dès 1886, il a nettement posées, et qu'ont inventées depuis, à les en croire, bon nombre d'un peu bruyants imitateurs.

E. D.


 Souvenirs entomologiques. (Quatrième série.) Études sur l'instinct et les mœurs des insectes, par J.-H. Fabre. — C'est, ici, une revue trop spécialement de littérature pour qu'il puisse être insisté sur ce livre, — dont le titre modeste dit mal l'intérêt et la portée philosophiques. L'auteur est le redoutable et l'irréfutable adversaire des darwinistes : cette série porte à plusieurs centaines les observations, prises sur les insectes et diverses bêtes, d'actes impossibles à expliquer par la méthode de l'évolution. Il y est montré qu'en telles bestioles une intelligence et une science parfaites de leur métier d'ouvrières coexiste avec une stupidité absolue pour tout ce qui n'est pas le travail nécessaire et inéluctable de la conservation de l'espèce ; il y est montré encore que l'accomplissement de ces actes, d'apparence régis par une intelligence et au fond mécaniques, ne doit rien à l'éducation, puisque chez les insectes les parents meurent avant même l'éclosion des œufs. Ce livre va très loin, et M. Fabre apparaît comme un des rares savants de ce temps doués du sens philosophique et aptes à émettre, en une langue qui n'est pas mauvaise, des idées qui ne sont pas médiocres.

R. G.


 Vers l'Absolu, par Benoni Glador (Léon Vanier, éditeur). — Les vers de ce volume ne sont ni mauvais ni bons, ils sont médiocres. Rimés et rhythmés suivant le mode parnassien, ils engoncent indistinctement les sujets les plus disparates. Les épithètes banales s'y marient avec des images neuves il y a tantôt vingt ans. Le tout est dans ce ton :
  Sur les calices purs, tout pesants de rosée,
  Que les grands lys rêveurs balancent au soleil,
  L'Aurore promenant un long baiser vermeil
  Fait pâmer leur blancheur sous sa lèvre rosée.
 Pour comble d'originalité, M. Benoni Glador a cru nécessaire de terminer son volume par une sorte de poëme dialogué : Le Graal, où il a imité en conscience les menus défauts qui se rencontrent dans l'exquise Fille aux mains coupées de M. Pierre Quillard.

E. D.


 Ægyptiacque, par William Ritter (Savine). — Une diffusion savante des gammes chromatiques dans un style à la gouache très rehaussée d'or. Roman-peinture par le soin des détails clairs-obscurs et les tons vifs des toilettes de femme, qui sont longuement, amoureusement décrites. Roman-sonate par tous les accords plaqués au début de chaque symphonie littéraire. C'est peut-être aussi une orgie de tout ce qui est susceptible de flatter les névroses wagnériennes ; mais quand il n'y a pas qu'une histoire d'amour, il faut bénir l'auteur. Trame légère, comme arpégée sous une broderie fantastique de motifs captivants. Une fille naturelle de Liszt s'éprend d'un pauvre pianiste. L'amoureuse est un corps si l'amoureux est un cœur, de là le désenchantement final et le mariage bête avec un autre virtuose... du nerf. A noter une symphonie en or majeur d'une rare beauté d'exécution (Et, du reste, pourquoi pas la harpe des couleurs après la flûte à parfums !...), et un singulier portrait moral du grand Rubinstein.

***


 Le Serpent de la Genèse, Livre I, Le temple de Satan, par Stanislas De Guaita (Librairie du Merveilleux). — Ce livre, de tout point remarquable, mérite mieux qu'une simple mention bibliographique. Aussi une étude complète lui sera-t-elle consacrée dans un prochain numéro du Mercure. Il importe en attendant de le signaler à l'attention de tous ceux qui veulent apprendre chez un auteur absolument initié, rigoureusement informé et soucieux d'écrire en belle langue française, quelque chose des problèmes les plus obscurs et les plus captivants de la magie noire. Les lecteurs de Là-bas trouveront à la fin de l'ouvrage des révélations troublantes sur l'un des personnages les plus mystérieux du roman de M. Huysmans.

E. D.


 Il ne faut pas mourir, par Jules Bois (Librairie de l'Art Indépendant). — Dialogue entre Psyché et l'Esprit : — l’Âme humaine et Dieu. Psyché, « lasse jusqu'au dégoût » de son état, voudrait n'être plus, convoite ardemment le néant. « Le rêve stable de primitive harmonie — ce souvenir de l’Éden, — qu'en reste-t-il au milieu de ces perpétuelles renaissances pour une proche mort?... L'immuabilité qui lui semble chimérique dans le Bien et l’Être, elle espère l'atteindre dans l'ombre vide du Rien. » Mais l'Esprit guette sa défaillance. Et « ce ne sera plus la sublime mais lente ascension par le Christ. Ineffable, l'Amour se révèle ». L'Esprit pénètre Psyché, « emportée bientôt dans le vertige du divin ». Et qu'elle « ne redoute plus d'être quittée : la prière est le grand rite magique par lequel on conquiert Dieu ». — Les phrases citées sont extraites d'une Glose qui accompagne le poème, car le dialogue est en vers — et je le regrette. Je voudrais que le vers ne servit qu'à la suggestion de l'inexprimable. Or, rien de ce que dit ici M. Jules Bois n'est inexprimable en une prose rythmique, harmonieuse et souple — où ne voisineraient point nécessairement, un peu comme dans les romances, les mots : amour et jour, femme et flamme (p. 15) : la majestueuse gravité des sujets où se plaît l'esprit de M. Jules Bois s'accommode mal de ces petites faiblesses.

A. V.


 Un Poète inconnu de la société de François Villon. — Le Grant Garde derrière, poème du xvme siècle publié avec Introduction, Glose et Index, suivi d'une Ballade Inédite de François Villon à sa dame, par W.-G.-C. Bijvanck (Honoré Champion, libraire). M. Bijvanck, d'abord, avoue franchement qu'il hésite à rapprocher — de trop près — son poète sans nom de Villon. Mais, pour qu'on lût cet échantillon d'un poète inconnu du xvme siècle, l'étiquette avait son importance. Qu'est-ce qu'un grant garde derrière ? « La maîtresse du poète, du moins il le croyait, avait un arrière garde, un amant secret, qui entrait par quelque porte dérobée. Cette presque certitude exaspérait le poète, au point qu'un jour, excité par ]'exemple de Villon, il voulut crier sa propre honte à la face du monde et bravement jeta ce titre sur le papier : Le grant garde derrière. »
 Il est, en plus d'un point, exquis, ce poème, et il faut vivement remercier M. Bijvanck de nous l'avoir fait connaître. C'est plein de moderne, ces vieilles choses. Ecoutez le poète rappeler ses insuccès de danseur :
  Un petit jars danse selon le temps.
  Qui se tricote au stile de la court ;
  J'en suis ouvrier, mais je tourne trop court.
  . . . . . . . . . . . . . . .
  . . . Je ne sçay saillir les piez ensemble.
  A quoy tient-il que tout le cueur me tremble,
  Quant il me faut danser les quatre pas ?
 Il continue :
  Bien pert sa peine, qui se mesle d'amer.
 En retour d'un bienveillant regard de sa maîtresse il baise jusqu'au seuil de la porte :
  Mais c'est sans feuille, bec à bec, nu à nu !
  S'il fait crotté, j'en rapporte une moue,
  Dieu sache quelle, — toute pleine de boue.
 Il fait mieux : il garde la crotte comme une relique.
 Il n'aime pas qu'un autre se mette en travers de son chemin, et fièrement :
  Quant un autour son gibier a marché,
  Ce n'est raison qu'un buisart le luy tolle :
  Arrière, escoufle, depuis que l'autour vole.
 Mais ne déflorons le poème que juste assez pour en donner le goût. M. Bijvanck complète sa brochure avec une ballade inédite de François Villon à sa Dame. Il se réserve de donner plus tard les preuves de son authenticité. « Moi-même, ajoute-t-il, j'eus le bonheur, il y a quelques années, de trouver deux ballades, qu'il était impossible de récuser parce qu'elles portaient sa signature en acrostiche dans leur envoi...... Quant à la valeur de la petite découverte, même à un point de vue simplement biographique, elle était bien mince. Pour Villon rien n'était changé, il y avait seulement deux mauvaises poésies de plus. » — Faut-il dire : trois?

J. R.


 Hedda Gabler, drame en 4 actes, de Henrik Ibsen, traduction de M. Prozor (Savine). — Hedda Gabler est une petite fille orgueilleuse et ambitieuse ; elle a soif de vivre une vie active de bourgeoise cossue, de femme coquette et libre, d'héritière jalouse; tout lui sera marche-pied, moyen de parvenir. Son mariage avec Tesman — un jeune homme blond, à lunettes, qui écrit sur l'industrie domestique au moyen-âge, dans le Brabant, et semble tout de suite un imbécile — a été une affaire de calcul ; elle est fille d'un général et veut tenir son rang ; Tesman était le plus sérieux de ses prétendants ; il sera nommé professeur et touchera de grosses sommes ; Hedda songe même un moment à le pousser vers la politique ; elle donnerait des soirées, aurait son cercle d'adorateurs et d'intimes, des domestiques, cheval et voiture; mais Tesman a si peu de moyens! Tout cela avorte et tourne au grotesque. — Henrik lbsen a voulu montrer qu'il n'était point d'union possible entre gens de castes différentes, de milieux divers. — Hedda, fille orgueilleuse, volontaire et fantasque, a mal à l'âme, s'ennuie à mourir; elle n'aime rien ni personne de ce qui l'entoure. Exaspérée encore par un état de grossesse, la voilà condamnée à vivre intimement près d'êtres qu'elle méprise presque, d'êtres odieux et ridicules, d'êtres qu'elle estime inférieurs et qui l'assomment de leur tendresse et de leur sollicitude. - A la fin, elle se tue pour ne pas tomber aux mains de l'assesseur Brack, un vieux beau, l'ami du mari, qui profite de la première occasion et veut se faire accepter comme amant. Elle se serait peut-être donnée, par ennui et lassitude; son amour-propre se révolte à l'idée d'une contrainte.
 Les personnages de ce drame, on doit le remarquer, sont d'ailleurs insupportables surtout à Hedda, qui ne se résigne point, qui n'en a, sans doute, pas même la pensée. Les tantes de Tesman apparaissent comme de bonnes vieilles qui se sacrifient pour l'aisance du nouveau ménage; Tesman, égoïste et pusillanime, qui ne voit rien au-delà de ses petites paperasses et s'effare d'un concurrent pour la chaire de professeur qu'il convoite, est un caractère doux; il a bon cœur et s'attendrit quand on lui rapporte d'anciennes pantoufles. Loevborg, le concurrent, est un cerveau fêlé, un utopiste ivrogne qui serait presque sympathique; son Égérie même, Théa, l'inspiratrice aux cheveux d'étoupe, un type curieux des milieux littéraires du nord, peut se dévouer et prétendre au romanesque. — Mais quoi, chacun découvre un côté de ridicule, un trait caricatural que l'aristocratie énervée d'Hedda n'accepte pas. Elle dépérit dans leurs bonnes intentions, parce que personne ne cherche à la comprendre, à l'aider dans la vie, à lui montrer la route qu'il faudrait, et se tue de dégoût — avant toutes choses — de rancœur, de spleen, dans la désespérance du lendemain.
 Bien d'autres aspects seraient à signaler dans la nouvelle œuvre d'Ibsen, mais il faudrait dépasser la mesure d'une note bibliographique. En somme, c'est là du bon théâtre et très jouable, à côté du grand poème décoratif. On a parlé de monter Hedda Gabler au Vaudeville ; l'aventure serait amusante; le public ne comprendrait pas; la presse dirait des bêtises; M. Sarcey, encore une fois plongé dans la pluralité de la stupéfaction, nous servirait une de ces joyeuses chroniques dont il a le secret. — Pour nous, ce serait le cas de reparler de cette pièce curieuse et de l'étudier plus longuement.

C. Mki.


 Représailles, par George Bonnamour (Savine). — Psychologie de femme et de jeunes grands mondains à la Bourget. Livre cependant personnel par la forme très froide, comme discrètement analytique, de M. Bonnamour, qui semble, de ci de là, avoir peur de ses propres fougues. Juliette surprend son mari dans les bras d'une cabotine à crinière rousse; elle croit se venger en tombant assez piteusement sur la poitrine large d'un viveur, lequel cueille les femmes pour le seul plaisir de grossir son bouquet. A côté de ce drame, déjà suffisant, des aperçus, des esquisses, des portraits pris dans le monde politique et artistique. Des luttes fiévreuses sur le terrain du combat pour l'amour et des orages dans le ciel parlementaire. Le type de Vimeuse, un écrivain fils et frère de fille, est d'une jolie perversité contenue, intéressant par ses brusques tressauts d'honnêteté, ses rechutes dans la volupté, ses folies cérébrales, le garçon intelligent que les abjections détraquent tout en lui étant nécessaires. A la fin du livre, quelques lignes vraiment belles et bonnes, poignant et consolant à la fois comme ces mélancoliques paysages du nord de l'Angleterre où tout est d'un ordre grandiose et en même temps voilé de brumes morale de l'œuvre qui s'enveloppe d'un scepticisme élégant.

***


 Les Principes supérieurs, par J. Camille Chaigneau. (Librairie des sciences psychologiques). - Les spirites considèrent dans l'homme trois principes: 1° le corps; 2° le périsprit, 3° l'esprit. Les occultistes, Kabbalistes ou bouddhistes, en reconnaissent sept. M. Chaigneau, dans une remarquable étude, où il emploie successivement la méthode analogique et la méthode expérimentale, établit que les spirites et les occultistes sont, au fond, absolument d'accord, les premiers comprenant sous une seule dénomination des éléments dont les fonctions sont analogues, mais que distingue l'analyse plus minutieuse des seconds.

E. D


 A toute volée,par Marc Stéphane (Savine). — Des nouvelles faites de chic sur des sujets bien étranges, tels que l'introduction d'une écrevisse dans le pantalon d'une jeune personne. Du musc, du patchouli; par instant, des illogismes de bas-bleu et des outrances de collégien qui a peur de ne jamais en dire assez. Une citation au hasard : « Ma gigolette était une brune toute frisée et gamine, qu'avait poussé su' les fortifs comme un champignon dans de la merde.»

***


 Idylle russe, par Dolguine, traduit par X. Kouprianoff et J. Couturier (Paris, Gazette Critique). — Une des mille formes de la niaiserie sentimentale et de l'accouplement gallo-slave; de la littérature pour les demoiselles, avec des petites fleurs bleues et des fautes de français; une préface d'une bêtise alarmante, mais point factice, déclarant par exemple ceci :
 « La note sympathique qui est apportée par Nastia sera certes goûtée, les lecteurs s'éprendront de cette héroïne charmante et plus d'un regrettera de n'être point à la place de Dimitri...
 « Le vœu sincère des traducteurs comme de nous-même est que ce volume dans sa petite sphère d'action ressèrent (sic) les liens qui unissent les deux peuples...
 « Vive la France!.. Vive la Russie!.. »
 Allons, tant mieux; jeunes filles, allez en paix, — et que les journaux de modes vous soient propices.

C. Mki.


 (1) Aux prochains fascicules : Henry Pivert (Fernand Clerget) ; Sainte Rosalie-aux-Bois (Ouida) ; Nos Frontières de l'Est (Gaston Démassue) ; Vers de l'espoir (Maurice Desombiaux) ; Roi de théâtre (G. du Vallon); Fleurs de Caprices (Henry Fuzeré) ; La dernière « réimpression » de M. Émile Zola (Émile Redard) ; et les livres annoncés antérieurement.
 Nous rappelons aux auteurs et aux éditeurs qu'il n'est rendu compte que des publications récentes.

JOURNAUX ET REVUES


 De Nieuwe Gids (Amsterdam. — Suite des intéressantes études de M. van Eeden sur les nouveaux prosateurs anglais: Whistler, Walter, Pater; — Afrodite, poème par M. Boeken; — analyse et commentaires, par M. Yan Deyssel, du Là-bas de Huysmans: « Ni poème en vers, ni poème en prose; c'est une libre causerie, une suite de discussions écrites en Un style artistique » (octobre).
 Gazzetta Letteraria (Turin). - M. Lenzoni étudie Carducci, en lequel il reconnaît un classique, un poète qui ajouta l'érudition à son génie naturel, un de ceux en somme que le public admet sans les comprendre : la partie la plus choisie du public en est toujours aux guitaristes du XVIIIme siècle, et Métastase ne fut jamais détrôné. Lire Stendhal, âme tellement italienne qu'il donne encore aujourd'hui un bon résumé des goûts italiens — distingués (26 septembre et 3 octobre).
 Cronaca d'Arts (Milan).- De beaux vers de M. Rapisardi, l'Isola; du Lamartine (27 septembre).
 Critica Sociale (Milan). — Cette courageuse revue s'est attiré, à propos de la « cara patria », l'indignation du professeur Martinozzi, de Livourne. Elle réplique en promettant une étude de cette question — dangereuse, et veut bien faire remarquer qu'il est des écrivains que l'on peut frapper, mais dont on ne tirera jamais aucune palinodie ni aucun consentement à gratter des cordes usées sur le ventre des vieilles harpes (30 septembre).
 Mélusine. — La Belle dans la tour, restauration, ingénieuse, savante, mais ultra-hasardée, du texte primitif de cette ballade populaire. (octobre).
 L’Étoile, kabbale messianique, socialisme chrétien, spiritualisme expérimental. — Organe de la religion intitulée Jhounéisme ou Rocaïsme.; on n'est pas encore bien fixé. Voici le programme du culte pour la présente période :
  I. Elévation fraternelle 'vers Dieu;
  II. Invocation aux esprits supérieurs;
  III. Union par les fluides.
 (Le 13 octobre, de midi au soir.
 Le 1er novembre, de midi au soir).
 Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire de l’Église, M. Jules Bois.
 La Curiosité Universelle. — Journal hebdomadaire intéressant les collectionneurs, les bibliophiles, etc. J'y ai relevé une note curieuse sur la jeunesse de Watteau et ses premières œuvres avant qu'il n'eût quitté Valenciennes.
 Revue Générale (Bruxelles). — « Certes, il faut une étrange audace, ou bien une inconscience plus étrange encore, pour oser signer d'un nom d'homme un livre qui porte comme titre ce seul mot : Dieu. » Il s'agit du dernier livre de Victor Hugo; que Paul Adam réfléchisse, — il est encore temps.
 Revue Philosophique, dirigée par Th. Ribot. — M. Ribot donne les résultats de son Enquête sur les idées générales. La question à résoudre était celle-ci : « Lorsqu'on pense, entend ou lit un terme général, qu'y a-t-il en sus du signe, dans la conscience, immédiatement et sans réflexion? » L'enquête a porté sur des mots tels que : chien, animal, couleur, forme, justice, bonté, loi, temps, force, rapport, infini, etc. Au prononcé de ces mots, les uns voyaient une image; les autres voyaient le mot typographié; les autres réentendaient le mot comme en écho; les autres — rien. Il ressort de là que dans la moitié des cas à peu près, le terme général est accompagné d'une représentation quelconque : c'est la classe des esprits concrets, qui pensent par images. L'autre série, celle du rien, est celle des esprits abstraits : alors le travail cérébral nécessaire a comprendre le mot se fait en dessous de la conscience, et le résultat seul de ce travail arrive à la conscience.
 Quelques réponses : Cause : un signe arithmétique; loi : juges en robe rouge; forme, une épaule de femme; force, le maréchal de Saxe brisant un écu de six livres; infini : un horizon; temps : un métronome.
 Maintenant, n'est-il pas possible que dans tel état d'esprit une personne questionnée n'a rien vu, qui, en tel autre état d'esprit, aurait perçu une image?
 En somme, le mot n'a qu'une valeur de convention; c'est un signe qui semble clair et qui ne le demeure en apparence que par un prodige — inconscient — de concessions. Si le mot infini me suggère un clair horizon sur la mer et à mon interlocuteur un trou noir, comment nous entendre si nous ne faisons pas abstraction de l’image pour nous en tenir au signe pur et simple? L'accord se tait sur les mots, sur ce riende nihilo in tenebris — que M. Ribot a si supérieurement analysé.
 Dans le même fascicule, notre collaborateur Gaston Danville réfute avec sagacité la théorie de M. Fouillée sur les idées-forces. L'a-t-il absolument réduite à néant? Je ne le crois pas, et je dois même avouer un certain penchant pour le pur idéalisme qui me ferait partisan des idées-forces, — si je devais prendre parti. Sans doute, pour devenir force, l’idée a besoin d'un instrument; le mental agit par le physique, — vérité élémentaire. Du moins est-ce l'apparence des choses. Mais quelle est la valeur propre du physique et son essence? La matière existe-t-elle en soi? Conditionne-t-elle l'esprit ou est-elle conditionnée par l'esprit? L'auteur considère les facultés mentales comme une acquisition de la matière organisée, et pour lui « le physique n'est pas plus l'ombre du mental que le mental le reflet du physique ». Cette étude témoigne de connaissances philosophiques peu communes et d'un vrai talent pour la discussion de ces sortes de questions, — si peu familières à la plupart des littérateurs.

R. G.


 Les Entretiens Politiques et Littéraires publient une lettre de M. Bernard Lazare à M. Anatole France, et j'imagine que le critique du Temps lui-même n'a su se défendre d'en goûter l'exquis persiflage : « Aujourd'hui vous apportez à ceux qu'on voulut bien nommer les symbolistes et qui ont, sauf quelques récentes dissidences félibréennes, accepté ce nom, l'appui de votre autorité et de votre talent; ils seront fort mal venus certes à ne pas vous en savoir gré. Je vous reproche d'avoir attendu, pour vous prononcer, que la gravité de M. Brunetière ait affirmé la légitimité de nos efforts, que la presse ait donné à quelques-uns des nôtres la notoriété qu'ils auraient dû recevoir de vous seul, puisque vous étiez le seul, dans la critique, ayant qualité pour parler, pour servir de parrain à ceux qui vinrent se mêler, nouveaux, aux luttes ». Dans le même numéro, une intéressante appréciation de l'évolution dramatique par M. Paul Adam, et un article de M. Alphonse Germain : Ceux de l’École, sur le sujet pas très neuf de la néfaste influence de l’École des Beaux-Arts; mais on ne redira jamais trop ces choses.
 La Plume du 15 septembre est tout entière consacrée au Livre Moderne, la curieuse publication de M. Octave Uzanne. Portrait hors texte de M. Octave Uzanne. Dans le texte, entre autres dessins et caricatures extraits du Livre Moderne, les portraits-charges de Balzac, Victor Hugo, J. Barbey d'Aurevilly, Alexandre Dumas père, Monselet, Champfleury. Dans le numéro du 1er octobre, un article de Léon Bloy : Rêverie sur les Pauvres Anges, — le portrait d'Adolphe Retté, accompagné d'une biographie signée Édouard Dubus, — des vers de R. Darzens, F. Redonnel, etc.
 Dans L'Endehors du 8 octobre, M. Georges Darien, sous le titre : Le Roman anarchiste, délibère si oui ou non, le roman sera socialiste, ainsi que l'affirmait naguère M. Octave Mirbeau; et il conclut :« Non ». — Le numéro du 15 octobre contient un article de M. P.-N. Roinard à propos de l'appel à la concorde que nous publiions en tête de notre dernière livraison. Mais le rédacteur de L'Endehors n'est pas absolument du même avis que M. Saint-Pol-Roux : « Quant à prêcher, comme le voudrait notre confrère, nous craignons de ne convaincre, hélas, que des convertis ou des goujats intéressés à nous suivre. Et puis, qu'est-il besoin des faibles pour cortège, pour cohue, pour foule qui commence par pousser et finit par noyer! »
 L'Album des Musées. — Revue artistique hebdomadaire, nous envoie son premier numéro ( Dir. : A. Defaucamberge Fils; Rédacteur en chef : Léon Riotor. — Gr. in-4° de 4 p., avec couverture en couleur et 3 gravures hors texte. Le numéro ; 20 cent.; un an : 12 fr. — 40, rue Milton). Nos souhaits de bienvenue à cette jolie publication, qui se propose de vulgariser, sous la direction de M. P. Puvis De Chavannes, les œuvres de peinture et de sculpture des musées de Paris et de province: « ... Conduire son public partout où l'art règne, sans aucun dérangement, sans fatigue, sans frais, lui permettre d'en conserver la vision nette et indéfinie, produire au jour les belles œuvres qui dorment ignorées dans l'oubli et la poussière de la province... » L'Album des Musées commence son intéressante série de reproductions artistiques par : La Becquée, de J.F. Millet; Une Fête au Colysée, de Watteau; Odalisques dans les jardins du Sérail, de Diaz de la Pena. Dans le texte, une héliogravure : Goudéa, prince de Tello, accompagnée d'un article de M. E. Ledrain sur les nouvelles statues chaldéennes au Musée du Louvre. — Puis un sonnet de notre collaborateur Albert Samain : Amour de l'Art; une notice de M. Th. Lefebvre : Sur Théodule Ribot; et des Notes artistiques, de M. A. Thézard.
 Dans les Hommes d'Aujourd'hui, portrait-charge de Charles. Diguet, par Luque, texte de Delaunay.

A. V.


 Un journal que son incontestable austérité devrait garder contre les plaisanteries, Le Temps, est victime depuis plusieurs années déjà d'une mystification littéraire qui n'est plus douteuse pour personne, après la lecture des numéros portant les dates des 12, 16 et 23 septembre, 6, 7 et 8 octobre 1891 : M. Anatole France n'a jamais existé ; ce nom, comme celui d'Homère, représente une collectivité d'écrivains.
 Jusqu'ici les ouvrages publiés sous cette raison sociale pouvaient en somme faire croire à l'existence réelle d'un habile diascévaste qui aurait arbitrairement mélangé des mystères écrits en latin archaïque, au cours du moyen-âge, par une religieuse allemande, quelques contes de M. de Voltaire, la Tentation de saint Antoine, et le Banquet d'Alexandrie et la Légende de saint saint Hilarion de Louis Ménard. La Vie Littéraire, publiée chaque samedi dans le Temps, présentait déjà un caractère moins homogène; et il était difficile d'assigner au même auteur dès pages exquises sur la poésie, de médiocres chroniques à propos de romans féminins sans valeurs, et d'ennuyeuses études touchant le monde parlementaire et Louisphilippard cher à M. Bardoux. Seule une constante habitude de la perfidie la plus délicate donnait quelque unité à ces articles hebdomadaires. Si bien que M. Jules Huret, d'ordinaire mieux informé, se laissa prendre comme les autres et crut interviewer quelqu'un qui était M. Anatole France. C'est précisément un menu fait emprunté à cette conversation qui, rapproché des notices sur les Jeunes Poètes, nous a permis de découvrir la supercherie. Le Monsieur chargé ce jour-là de s'appeler Anatole France avait déclaré à M. Huret qu'il connaissait bien Jean Moréas, mais point du tout ses émules, et voici que, peu de semaines après, un long catalogue de jeunes poètes est publié sous ce même nom avec de savantes gloses : lectures et commentaires impliquent un travail auquel aurait à peine suffi, en dix ans, la patiente congrégation de Saint-Maur. Les opinions les plus contradictoires s'y heurtent : ainsi Paul Verlaine, jadis proclamé le plus grand poète du siècle, descend au rang de violon criard, et J. M. de Hérédia, ailleurs fort dédaigneusement traité, reprend la place qui lui est due. En outre, le catalogue est en même temps surabondant et incomplet : on y trouve des poètes presque inédits, et d'inexplicables oublis sont à regretter. L'un d'eux, surtout, montre bien que nous ne sommes point en présence d'une œuvre raisonnée et conçue par un seul ouvrier : Ephraïm Mikhaël, qui, en sa courte vie, chanta tant de beaux poèmes admirés également par ses aînés et par ses pairs, est tout à fait passé sous silence; louer les morts coûte peu cependant aux plus envieux des vivants, et la sagesse aurait suggéré à n'importe quel critique travaillant sur un plan déterminé de ne point oublier quelqu'un qui fut au premier rang parmi les jeunes.
 De ce qui précède, il appert clairement que M. A. France est un personnage mythique et collectif : il est impossible en effet d'attribuer à un seul homme, si heureusement doué qu'on le suppose, autant de contradictions, de défaillances et de palinodies. La dernière manifestation de cet être imaginaire parait provenir de quelques scribes romans que la crainte de cruelles rimes induisit à beaucoup de politesse envers Laurent Tailhade, et la haine sagace de la bonne littérature à beaucoup de malveillance pour Henri de Régnier.

P. Q.


 Dans la Revue Indépendante de septembre, un article de M. J. Ayme, intitulé : M. Josephin Péladan, et sous-titré : L'Amour platonicien en 1891; un poème de M. Paul Guigou : La Cathédrale merveilleuse; — dans L'Ermitage, des notes de voyage de M. G. Bernard-Kahler: Au bord de la Baltique, et l'acte dernier de la pièce de M. Henri Mazel : La Fin des Dieux; — dans La Jeune Belgique, des poésies de MM. Fernand Severin, A. Arnay, Eugenio de Castro, des poèmes en prose de M. Maurice Desombiaux, et un article de M. J. Neve : Le Jubilé de l'Ecole Saint-Luc et la Renaissance de l'Art en Belgique; dans Chimère, des articles de MM. Paul Redonnel, Pierre Devoluy, des poésies de MM. Armand Silvestre, Ch. Frappart, L. Dumur; — dans Le Progres Artistique et Littéraire, un article sur le Théâtre vivant, de M. L. Serizier, à propos de la dernière pièce de M. Jean Jullien, de laquelle M. Simon Heldé fait dans le même numéro un compte-rendu remarquable. — Signalons la naissance d'une revue bimensuelle: Le Bluet (28, rue Mont-Thabor. Directeur: C. Cilwa. Un an: 7 fr.)

CHOSES D'ART


 Le musée de Birmingham prépare l'inauguration d'une salle spéciale consacrée à l'école pré-raphaélite : Rossetti, Millais, Holman Hunt, Burn Jones, Simeon Salomon, etc.

R. G.


 Musee du Louvre : - Plusieurs dons importants viennent d'être faits au Louvre: : un Courbet, offert par Mme Champfleury; La Vérité, de Paul Baudry, offert par Mme de Baumont-Castries; une aquarelle de M. Paulin, architecte (Restitution des Thermes de Dioclétien).
 Quand donc seront terminées les prétendues réparations qu'on exécute dans la grande galerie? Depuis plus de trois mois, une centaine de tableaux sont absents des murs et remplacés (piètre compensation) par quelques ouvriers perchés sur d'énormes échelles et absorbés dans le scrupuleux mais lent masticage d'invisibles éraflures du plâtre. Personne, aujourd'hui, parmi les habitués du musée, ne doute que ces zélés ouvriers ne soient payés à la journée.
 Musée du Château de Chantilly : — Le duc d'Aumale vient de se rendre acquéreur pour le Musée de Chantilly de quarante miniatures de Jean Foucquet. Ces quarante miniatures, destinées à l'illustration des Heures d’Étienne Chevalier et conservées jusqu'aujourd'hui à Francfort, ont été payées 300,000 fr.
 Luxembourg : - On vient de placer dans le Jardin du Luxemboure (mais devrais-je parler ici, sous cette rubrique : Choses d'Art, du Luxembourg, musée ou jardin?) plusieurs statues assorties: Les joies de la famille, groupe marbre de Daillon ; une Horde de Cerfs, groupe bronze de Leduc. Prochainement on y installera : Au but, groupe bronze de Boucher: Œdipe et Antigone, groupe marbre de Hugues; Après le Combat, groupe marbre de Levasseur.
 Chez Boussod et Valadon (Boulevard Montmartre): — De Whistler, deux pastels (femmes couchées, nues, jouant de l'éventail). C'est distingué, joli, très joli, trop joli, presque du Grévin, bref du mauvais Whistler. Je préfère de beaucoup deux autres minuscules tableautins du maître anglais: une pochade de femme orchestrée en blanc et rouge et un petit

paysage adorable de limpidité et de fraîcheur. De Daumier, une intéressante peinture. De Raffaelli, un détestable bûcheron, évidemment bâclé pour l'exportation. Des Monet, Degas, Redon, Gauguin, Pissaro etc.
 Chez Durand Ruel : — A voir : un superbe paysage avec figures, de Collantes, le Marat de Louis David, une très belle assomption de la Vierge de Careno de Miranda, une famille hollandaise dans un paysage d'Albert Cuyp, deux portraits de Largillière, l’Exécution de Maximilien, de Manet; les Anges au tombeau de Jésus-Christ, de Manet, les portraits de Rouvière en Hamlet, de Manet,,L’Été, de Puvis de Chavannes, la Décollation de Saint-Jean, de Puvis de Chavannes, une Liseuse (pastel) et une Dormeuse (pastel), de Puvis de Chavannes, une Scène de guinguette et une Baigneuse, de Renoir, des Courbet etc. Le Louvre, si pauvre en maîtres espagnols, ne possède qu'un seul Collantes et aucun tableau de Careno de Miranda ; ne vaudrait-il point mieux acquérir les deux très remarquables tableaux de ces peintres que dépenser l'argent disponible en mastic pour les éraflures des murailles?

G.-A. A.


 Au Louvre : — Les conservateurs doivent avoir en sainte horreur l'école picturale moderne. Dans cette petite pièce obscure, sorte de boyau, qu'on traverse après la salle Lacaze, on a entassé depuis quelques mois des Daubigny, des Chasseriau, deux toiles de Chintreuil, l’Enterrement de Courbet, la Jeanne d'Arc d'Ingres, la Décapitation de Regnault. Auparavant il y avait là des barbouillages de Joseph Vernet ; ils y étaient bien et personne ne réclamait; mais au Louvre c'est une manie d'arranger et de déplacer perpétuellement; heureux qu'on ne mette pas les choses la tête en bas ; cependant qu'on étale en belle lumière les infamies des Lesueur, les immenses tartines des Lebrun et des Rubens, on relègue les tableaux intéressants dans les couloirs et les coins sombres. — Qui veut voir apporte sa lanterne. — Nous avons déjà une salle entière consacrée à des portraits de peintres, tous gens à perruque, une galerie entière pour les allégories du dieu Anversois, une autre galerie pour l'histoire de Saint Bruno, deux salles énormes pour les bonshommes médiocres du xviiime siècle. Si pourtant on choisissait dans ce bric à brac une centaine de toiles encombrantes afin de les reléguer dans les greniers, les amateurs d'art n'y perdraient pas grand chose, et ça ferait de la place.

C. Mki.



CURIOSITÉS


acte de naissance d'isidore ducasse


 « Du 4 avril 1846, à midi, acte de naissance de Isidore-François, du sexe masculin, né le même jour à 9 heures du matin, à Montevideo, de François Ducasse, chancelier délégué du Consulat Général de France, âgé de 36 ans, et de Célestine-Jacquette Davezac, son épouse, âgée de 24 ans.
 « Dressé par M. Denoix, gérant dudit Consulat Général de France, sur la présentation de l'enfant et la déclaration faite par le père susnommé, en présence de MM. Eugène Baudry et Pierre Lafarge, commerçants français, demeurant à Montevideo. »
 Isidore Ducasse, qui signa Comte de Lautréamont ses Chants de Maldoror était donc de quelques années plus âgé que ne l'a dit M. Genonceaux dans sa Notice — sur la foi d'un renseignement d'ailleurs fourni par un oncle de Ducasse.

Échos divers et communications


 On annonce la mort du poète portugais Anthero de Quental, né aux Açores en 1842. Il y a quelques beaux vers, d'une inspiration suffisamment sinistre, du romantisme sombre sans aucun sourire, dans son volume intitulé Os Sonetos completos (Porto 1886). Très connus étaient ses Captifs, où l'humanité est symbolisée par des prisonniers qui regardent l'espace à travers les barreaux de leur cage et auxquels, interrogés, les oiseaux de passage, le vent, les étoiles répondent : « Où nous allons, nous ne savons pas. — Qu'y a-t-il au-delà? Rien, la mort, l'obscurité, l'abîme, le néant... »
 A noite, a escuridao, o abysmo, o nada. En le sonnet Altas horas da noite, il voit la vie ainsi : « Rien, le fond d'un puits, humide et morne, un mur de silence, la ténèbre autour et au loin la promenade sépulcrale de la mort... »

Nada ! o fundo d'um poço humido e morno,
Um muro de silencio e treva em torno
E ao longe os passos sepultaes da Morte.


 Ayant descendu pas à pas l'escalier étroit du palais de l'Illusion...

Do palacio encantado da Illusâo
Descri a passo e passo a escada estreita...


 ... Il se suicida.

R. G.


 De Camille de Sainte-Croix, dans la Bataille Littéraire du 6 octobre:
 « Pour des raisons très spéciales mais que nous ne pouvons qu'approuver, la publication des Valentines de Germain Nouveau est ajournée.
 « Compensons cette nouvelle mauvaise par une autre, excellente.
 « Nous avons reçu, de la main même de notre ami et maître, une charmante lettre très nette, très sensée et qui nous donne toute confiance en sa guérison prochaine. »
 Prochainement, chez Lemerre, un nouveau livre de M. Gabriel Vicaire : A la bonne franquette, — et un volume de M. Jean Berge : Voix nocturnes.
 Notre aimable confrère M. L. Baudry de Saunier, ancien directeur du Carillon, et dont la librairie P. Ollendorff a publié l'autre jour une intéressante Histoire Générale de la Vélocipédie, vient d'accepter les fonctions de rédacteur en chef du journal Le Cycle, que nous recommandons chaudement aux amateurs du sport à la mode. — (Le Cycle, organe hebdomadaire spécial de la Vélocipédie, 9, rue de Fleurus. Un an : 12 fr. ; six mois : 7 fr.)
 Comment on écrit l'histoire... littéraire :
 « Les symbolistes ont introduit leur système dans la prose. Ils entassent dans leurs phrases des mots français, latins, grecs, des mots qui ne sont d'aucune langue. M. Verlaine écrit dans son Traité du Verbe... etc. » — Histoire Générale de la Littérature Française depuis 1815 jusqu'à nos jours (p. 394). par Charles Gidel, Proviseur du Lycée Louis-le-Grand, Lauréat de l'Académie Française et de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres (Lemerre).
 D'un discours ministériel (M. Yves Guyot): « Le gouvernement républicain, en instituant le service militaire obligatoire, a fait appel aux plus nobles passions de l'homme. »
 Du XIXme Siècle. Interview d'un attaché militaire allemand sur les grandes manœuvres :
 « Je connais votre objection : Nous lançons l00,000 hommes; il en tombe 50,000, mais les 50,000 autres arrivent.
 « Erreur; il n'est pas de troupe, à mon avis, qui puisse résister à l'effet moral d'une pareille hécatombe... »
 M. Paul Just est prié de nous donner son adresse.
 Échantillon de romance patriotique (n° 2) :
  C'était le soir. Dans une chambre rose,
   Un frêle enfant dormait dans son berceau;
  Il souriait, la lèvre demi-close,
  Car dans son rêve il voyait un drapeau!
 Nous sommes obligés de remettre au prochain mois la « Petite Tribune des Collectionneurs »

Mercvre.


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