N° 26. – FÉVRIER 1892

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Mercure de France, t. IV, n° 26, février 1892, p. 97-192.


DE L'ART MAGNIFIQUE

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À Anatole France .

 Divers passants profèrent: — « Somme toute, l'Art Magnifique est l'art superficiel et byzantin du métal rare et de la pierre précieuse! »
 C'est connaître injustement d'un art qui s'autorise de « la splendeur du vrai » de Platon et de la « la beauté, c'est l'idée visible » de Plotin.
 Dans l'Art Magnifique la forme est le rayonnement de l'essence; l'arbre de l'œuvre a ses racines dans l'Idée infinie et foncière, ses fleurs et ses fruits écloses et mûris dans l'espace et le temps sont les manifestations formelles et finies de l'Idée.
 Le Magnifique n'a pas pour office de brasser des perles ni, tel un habile manouvrier, de doubler d'une plaque d'or radieuse encore que chétive un bois médiocre, mais d'évoquer l'excellence captive au sein du Mystère et de la réaliser, de l'accessibiliser par son individuel et charitable talisman, au bénéfice de l'humanité.
 Le diamant de nos èves banales n'est point le matérial indispensable; il est d'ignorées richesses autrement fabuleuses que cette goutte de lumière. Tous les diamants de toutes les oreilles,de tous les doigts, de toutes les gorges, ne valent pas les larmes vendangées sur les cils de l'Idée, larmes hélas pleurées dans les ténèbres! et nous devons pieusement violer les yeux légendaires où rêvent ces merveilles plus enivrantes que les étoiles.
 Le magnificisme est, je le répète, l'art de la recherche de l'Absolu: l'être présenté à travers l'orchestration de ses phénomènes.
 C'est la symphonie des trouvailles qui résout une œuvre « magnifique », ne contînt-elle pas une pépite d'or ni un rais de soleil.
 Qui cherche une base ouvrière à l'Art Magnifique la trouvera dans la Théorie des Cinq Sens.
 S'il n'est art parfait, du moins est-il art universel, étant latin par la sensation et germanique par la pensée.

 Il serait oiseux de redire ici mes pages sur la Beauté-Vérité, néanmoins j'y renvoie ceux qui me blâment de négliger le Monde-où-nous-vivons, pour que vite ils se persuadent de leur tort.
 On le sait, nous considérons la Beauté comme la forme de Dieu (les Idées corporisées) et la Vérité nous parait cette Beauté soumise, dans de certaines conditions et sous un certain angle, aux sens et à l'esprit de l'homme. Une semblable Vérité figure une Beauté quelque peu malheureuse, de par cet angle et ces conditions, dont l'Art a pour élémentaire passion d'écarter le voile triste. Cette tristesse métamorphosée en joie, voilà, pensons-nous, la mission filiale du Poète; il doit guérir la Beauté du pire des maux, ce "juste-milieu" dont elle se meurt depuis la naissance des choses.
 La Vérité que professent les Magnifiques ne saurait se confondre avec celle exploitée par les opportunistes du goût courant, que nous désignerons sous le vocable de Modistes. La Vérité modiste est superficielle, la Vérité magnifique est essentielle. Elle n'est donc pas ce caméléon grimé des us et des lois éphémères, mais ce marbre immarcessible sculpté de toute éternité : la Vérité Originelle, toujours existante, que toutefois il faut dégager, couverte qu'elle est par les alluvions des douleurs successives à l'instar de cette antique ville endormie sous la cendre pyramidale des siècles éteints.
 Les Modistes, n'exprimant que « l'accident » des marionnettes fugitives, contemporaines du seul moment, font besogne imbécile et périssable; les Magnifiques, exprimant l'être éternel, c'est-à-dire contemporain du toujours, feront œuvre solide et pérennelle. Airain qui reste, feuille qui s'envole! Arnolphe, Alceste, Valère n'ont du temps où régna Molière que la perruque passagère, leur relief caractéristique relève de l'entière humanité. En Célimène nous reconnaissons la femme qui tendit le fruit coupable à notre jadis de premier homme; Célimène a vingt mille ans, n'ayant que vingt ans : vingt mille ans de jeunesse. Aussi bien ces synthèses, devrait-on les présenter sous ce costume immuable, le seul qui convînt aux Idées, la nudité.

 Que les Progressistes ne se hâtent point de nous attribuer un esprit retardataire!
 Le progrès en Science et le progrès en Art, cela fait deux: la Science est humaine, l'Art est divin. Il appartient à l'extrême Vieillesse du monde de voir sans doute, après de nombreuses tentatives et d'innombrables composantes, triompher la résultante et le succès de la Science, par ce que la Science est devant être créée par l'homme. Par contre, la Beauté triomphait avant que l'homme ne fût. Alors quele génie de l'Ouvrier est de trouver le triomphe de la Science, soit le Bien-Être dans l'amour-propre et dans l'orgueil, le génie de l'Artiste est donc de retrouver le triomphe de l'Art — la Beauté.
 (L'Art et la Science, ne sont-ce pas un peu celle-ci: le cerveau créant, par le désir et l'intéressé besoin, une beauté humaine; celui-là: l'âme recréant, par le regret et l'amour charitable, la Beauté divine ? Ne pourrait-on signifier encore que la Science est l'art humain, et que l'Art est la science divine? Quelque chose de pie, la gratitude et le respect apparemment, présida à l'éclosion de l'Art; quelque chose d'impie, la vengeance et la jalousie peut-être, présida à la formation de la Science. Celle-ci date du serpent comme celui-là date de la première larme, ou mieux l'une date de la Faute et l'autre du Repentir).
 Il appert que vieillir, pour l'Art, c'est se rajeunir!
 Que si le progrès en Science est une course à la vieillesse, le progrès en Art est une course à la jeunesse. L'Art avance, avec toutefois les pieds à rebours comme le Souvenir. Afin d'être pur, l'Artiste, disons le Poëte, doit retourner à la source des Idées; loi suprême que ce retour.
 La résultante où vont les Poëtes est la résultante dont ils viennent; partis d'un point, ils y retourneront après leur tour d'existence humaine. Ils quittèrent la Beauté au sortir de la Vie Antérieure et la retrouveront au rentrer de la Vie Future, à moins qu'à la suite des siècles leurs dévouements solidaires ne l'aient réalisée ici-bas. S'il en était ainsi, la Vie Future serait un ici-bas où la Beauté serait sensible, — et notre monde aurait fini sans fin-du-monde saisissable.
 Affirmons-le avec orgueil, l'arbre généalogique des Poëtes est plus riche que celui des Rois, puisque son principe est dans le sein lumineux de la Primitivité blanche ainsi qu'une aïeule mais fraîche comme une vierge, et nos biens héréditaires ont de qui tenir, émanant de celui dont notre œil distingue si naïvement la longue barbe de neige: Dieu l'aïeul premier!
 Or, ce Dieu, nous le percevons à travers notre intuitive mémoire, et, cette Primitivité, nous l'apercevons dans les fumantes entrailles de la Nature.

 Les Idées sont des enterrées-vives que l'Art révélera par évocation. Ne sont-elles pas du présent, étant de toujours? La cause première en est Dieu, le Poëte en sera la cause seconde ; c'est pourquoi l'Art est, à ma sentence, la seconde création.
 La Résurrection de Lazare me semble le parfait symbole de l'Art.
 L'Art, c'est l'humanité de Dieu ; aussi l'Art une fois s'appela-t-il Jésus.
 Vaste cimetière que l'univers, vaste cimetière pour lequel il est glorieux aux Poëtes de sonner la diane mansuétudinale!
 Ainsi, Poëtes, étendons nos spontanées mains de résurrection, car il est, sous la sépulchrale efflorescence, des trésors dont chacun est un rayon d'éternité! Réveillons les Idées, belles au bois dormant — oh ce réveil couleur de fiançailles ! — puis baisons ces brunes et ces blondes rêvant d'advenir les mères immaculées de notre génie! L'œuvre alors sera vraiment la Vie, et les mondes filiaux évoqués, par notre spéculation propre, du monde initial de Dieu formeront un firmament terrestre devant qui pâlira le firmament céleste; nous aurons enrichi l'humanité pauvre d'autant d'astres nouveaux, et nous seronsdes dieux offrant l'hospitalité de nos propres soleils!


***


 À ceux qui disent école magnifique j'annonce qu'il ne saurait être question d’école.
 Ici combien je regrette telle involontaire omission de l'impavide et judicieux ordonnateur de l’Enquête sur l'évolution littéraire, M. Jules Huret, que je priai en mai d'ajouter, quelque part dans ma lettre, cette phrase oubliée par mégarde: « Le Magnificisme ne sera pas le titre vain et particulier d'une École, mais l'universelle désignation d'une Époque d'art. »
 Nenni, ma prétention ne fut pas de créer une École, ne me reconnaissant mie les capacités fondatrices des Camarades!
 Je prétendis seulement pressentir l'avenir artistique, et mon pressentiment, on le sait aujourd'hui, date de 1886. De propos délibéré j'indique à cette place l'origine, déjà vieille en ma pensée, des Magnifiques à venir afin de convaincre les souriants que ma déclaration à l’Écho de Paris ne naquit point d'une fantaisie prompte, mais qu'elle fut bien la mûre expression d'une réflexion nombreuse et d'une constante observation de notre époque arcencéleste. Ma libre parole était d'ordre divinatoire, et nous parlâmes sans le souci mesquin de constituer un groupe, je veux dire une légion qui s'établira d'elle-même, à la longue, logiquement, parce que c'est ainsi, parce que cela doit être.
 Je déclarai donc que l'Art allait traverser une Terre Promise aux grappes miraculeuses. Ma foi robuste est que nous sommes devant vivre cet âge appelé par moi l'Ère Magnifique, âge où florira dans sa prodigieuse expansion l'Idéoréalisme.
 Voilà ce que résolument nous signifiâmes, concluant : tel est l'Avenir! Et ma signature dont on regarda trop le sens ancien, pas assez l'acception neuve, ma signature avant tout courageuse affirmait une fois pour toutes : je suis de cet Avenir.
 Au lieu de hocher le chef, si les riches d'esprit possédaient les yeux réclamés par le Psalmiste, sans peine ils verraient incontinent ce qu'ils ne verront qu'après les pauvres d'esprit : le but où l'Art se dirige chaque jour plus, but auquel ascendent nos esprits hétérogènes et parfois ennemis. Les uns partent de gauche, les autres de droite, mais les uns et les autres convergeant, nous aboutirons, depuis ceux qui font leur chère d'un panaché Tractatus græcolatinus jusqu'à ceux qui pratiquent les orgues de Helmholtz, tous, dis-je, nous aboutirons au seuil de cette Terre Promise que notre génération et la suivante et la suivante encore traverseront d'un même pas, émerveillées.
 Nos esprits ennemis, ai-je risqué! Justement, nos confessions contraires — ô les Contraires du Camus-à-la-jambe-philosophique! — engendreront à elles toutes l'Harmonie chère à celui qui nomma la guerre : mère de toutes choses; or la Fille espérée sera Magnifique, et vous aurez garde alors de la renier, ô vous qui participerez ensemble à cette indivise paternité!

 En vérité, certaines apothéoses n'ont lieu qu'à une époque déterminée, avant laquelle c'est la sourde période d'exil ou d'incubation. Ainsi de la Poésie, par dessus tout potentielle! Son adéquate atmosphère n'était pas prête encore, soit que les Poètes manquassent de courage,soit que les avorteurs traditionnaires rendissent inviable ce courage. Depuis la Genèse se lamentent des astres dont la lumière ne nous est pas jusqu'ici parvenue, bien que leur lumière se hâte vers nos yeux avec une vitesse folle, — pourtant splendira le noël de ces astres! Or la Toute-Poésie tient de ces pèlerins lumineux. La Révolution ayant préparé ses langes dans nos âmes vaillantes, elle peut apparaître enfin, vierge ardente des siècles révolus, hôtesse parfaite de la Liberté, c'est-à-dire de la Vérité.

 Bref, dans cette nouvelle « période d'assaut et d'irruption » on ira plus loin que l'harmonieuse écorce de la forme où s'attardait Théophile Gautier,

nostalgique amoureux du seul paros épris,


selon notre vénéré maître Léon Dierx ; on percera, l'utilisant, l'orchestration des effets suggestifs

(Les parfums, les couleurs et les sons se répondent

baudelaire)

pour en exprimer les causes précieuses. A tout jamais sera délaissée la Caverne de Platon (si génialement paraphrasé par Maeterlinck dans les Aveugles) et le soleil rédempteur aura définitivement fondu les dernières chaînes académiques. Ainsi sera faite l'émancipation de l'Art; et je parle de tous les arts comme de leurs moindres fiefs, s'agissant de l'Art.
 L'évidence, au demeurant, n'éclate-t-elle pas, ainsi que les micas parmi le sable, entre les efforts des artistes nouveaux, peu ou prou? Des écrivains de bonne volonté, M. Anatole France en tête, l'ont indiqué déjà, s'étayant même de jeunes noms magnifiquement choisis; j'aurais mauvaise grâce à ne pas être de leur avis.
 Quant aux sceptiques, qu'ils observent nos Revues de plus en plus; leur édification sera soudaine et vive.
 Avant peu vous verrez que le moins Magnifique du monde ce sera moi.
 Et c'est la grâce que je nous souhaite !

Saint-Pol-Roux.

HORTORUM DEUS

I

Hujusnam domini coluntme Deumque salutant.

Catulle.

Respecte, ô Voyageur, si tu crains ma colère,
Cet humble toit de joncs tressés et de glaïeul.
Là, parmi ses enfants, vit un robuste aïeul;
C'est le maître du clos et de la source claire.


Et c'est lui qui planta droit au milieu de l'aire
Mon emblème équarri dans un cœur de tilleul;
II n'a point d'autres Dieux, aussi je garde seul
Le verger qu'il cultive et fleurit pour me plaire.


Ce sont de pauvres gens rustiques et dévots;
Par eux la violette et les sombres pavots
Ornent ma gaine avec les verts épis de l'orge;


Et toujours, deux fois l'an, l'agreste autel a bu,
Sous le couteau sacré du colon qui l'égorge,
Le sang d'un jeune bouc impudique et barbu.
II

Ecce villicus,
Venit...

Catulle.


Holà, maudits enfants ! Gare au piège, à la trappe,
Au chien! Je ne veux plus, moi qui garde ce lieu,
Qu'on vienne, sous couleur d'y chercher un caïeu
D'ail, piller mes fruitiers et grappiller ma grappe.


D'ailleurs, là-bas, du fond des chaumes qu'il étrape,
Le colon vous épie et, s'il vient, par mon pieu!
Vos reins sauront alors tout ce que pèse un Dieu
De bois dur emmanché d'un bras d'homme qui frappe.


Vite, prenez la sente à gauche, suivez-la
Jusqu'au bout de la haie où croît ce hêtre, et là,
Profitez de l'avis qu'on vous glisse à l'oreille :


Un négligent Priape habite au clos voisin;
D'ici vous pouvez voir les piliers de sa treille
Où sous l'ombre du pampre a rougi le raisin.


III

Mihi corolla picta vere ponitur.

Catulle.


Entre donc. Mes piliers sont fraîchement crépis
Et sous ma treille neuve où le soleil se glisse,
L'ombre est plus douce. L'air embaume la mélisse.
Avril jonche la terre en fleurs d'un frais tapis.


Les saisons tour à tour me parent; blonds épis,
Raisins mûrs, verte olive ou printanier calice;
Et le lait du matin caille encor sur l'éclisse,
Que la chèvre me tend la mamelle et le pis.


Le maître de ce clos m'honore. J'en suis digne.
Jamais grive ou larron ne marauda sa vigne
Et nul n'est mieux gardé de tout le Champ Romain.


Les fils sont beaux, la femme est vertueuse et l'homme,
Chaque soir de marché, fait tinter dans sa main
Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome.
IV

Rigetque dura barba juncta crystallo.

Divers. poetarum lusus.


Quel froid! Le givre brille aux derniers pampres verts,
Je guette le soleil, car je sais l'heure exacte
Où l'aurore rougit les neiges du Soracte.
Le sort d'un Dieu champêtre est dur. L'homme est pervers.


Dans ce clos ruiné, seul, depuis vingt hivers
Je me morfonds. Ma barbe est hirsute et compacte;
Mon vermillon s'écaille et mon bois se rétracte
Et se gerce, et j'ai peur d'être piqué des vers.


Que ne suis-je un Pénate ou même simple Lare
Domestique, repeint, repu, toujours hilare,
Gorgé de miel, de fruits ou ceint des fleurs d'avril;


Près des aïeux de cire, au fond du vestibule,
Je vieillirais, et les enfants, au jour viril,
A mon col vénéré viendraient pendre leur bulle.


José Maria de Heredia.

LE SONNET



 — « N'oublions pas, mesdames et messieurs, que nous avons parmi nous un poète, un vrai poète, celui-là ! »
 Ainsi parle la maîtresse de maison comme elle dirait autre chose.
 Le poète, ses yeux un moment seuls contre les yeux de tous, faiblit, baisse la tête et ronronne:
 — « Je ne sais rien, non, là, franchement. Oh! si je savais ! »
 Il se défend encore, qu'on l'oublie. En effet, des artistes, des artistes dignes de ce nom, attendaient et se précipitent. Déjà c'est un pianiste qu'on applaudit. Le poète imprudent a cédé son tour. Il rouvre les paupières : il a l'air d'une personne effrayée sans cause qui s'aperçoit soudain de son erreur. Il méprise le pianiste dont il envie le succès, et la gloire lui paraît une femme appétissante quoique vulgaire.
 — « Je me déciderai, pense-t-il, quand on me priera de nouveau. »
 La maîtresse de maison se rapproche.
 — « Alors, vous nous refusez votre concours? »
 Au moyen d'une phrase adroite il sauvegarde son orgueil.
 — « Soit, madame, mais vous verrez que ça ne portera pas. »
 — « Sommes-nous des imbéciles ? » semblent dire les invités; et, profitant de l'hésitation, un chanteur aussitôt élève une voix dramatique.
 Et toujours le poète au supplice laisse passer son numéro.
 Cependant la soirée se termine, très réussie. La maîtresse de maison reconduit dans l'antichambre, jusqu'au palier même, des gens qui ne se sont jamais tant amusés.
 — « Vous seul n'avez pas donné, dit-elle au poëte. C'est mal de faire des façons entre intimes. Houe! le vilain ! »
 Et les invités, bravant sans risque le danger, approuvent en chœur:
 — « Houe ! Houe ! le vilain ! »
 — « Vous êtes trop aimables », dit le poëte qui multiplie les salutations empressées.
 — « J'espère que nous serons plus heureux une autre fois », dit madame.
 — « Certainement », répond le poëte.
 Puis, avec la brusquerie des folles résolutions:
 — « Tenez, pardonnez-moi. La mémoire qui m'a manqué tout à l'heure me revient: voilà un sonnet. »
 — « Ah! c'est gentil, dit la maîtresse de maison. Hep! silence, là-bas! attendez! chut un peu ! »
 Et tandis que hâtivement, comme on force l'ami pressé de partir à manger un morceau sur le pouce, le poëte récite ses vers, de beaux vers, ma foi, les invités, saisis, n'achèvent pas le geste commencé. Des pardessus font bourrelet aux épaules. Un bras hésite à l'entrée d'une manche. Deux mains qui allaient s'étreindre, retombent. Une canne reste en l'air. On interrompt la lecture des initiales de chapeaux. Cette dame a le doigt pris dans un talon de caoutchouc. Celle-ci ne montre plus qu'une moitié de gorge et s'assied. Les jeunes filles disent: « Maman, écoute ! » Un monsieur, penché sur la cage de l'escalier, offre une cigarette au bec de gaz et la lui tient haute. Enfin cet autre, trois marches descendues, s'arrête, un pied levé, prête l'oreille et, poli, se découvre !

Jules Renard.



POUR S'EN ALLER



Car, que fus-je, sinon, en ta vie, un passage,
Et que fus-tu, sinon, en ma vie, un passage
Des drames du Guignol où vont les enfants sages?


N'avons-nous pas assez rossé le commissaire?
Oh ! laisse donc un peu dormir le commissaire
Et mon cœur pantelant que tes ongles lacèrent....


Assez longtemps, je fus Monsieur Polichinelle,
Et toi, tu fus trop Madame Polichinelle
Dans les portants de ces décors de Tour de Nesles....


Crois-moi : c'est assez vivre entre ces murs de toiles...
Ah ! saluons le bon public ! Baissons la toile!
Au dehors, le vrai ciel est scintillant d'étoiles.


Chère mignonne, allons nous-en : c'est plus pratique.
Laissons-la le bâton, la bosse et la pratique,
Et, sans retard, quittons le métier dramatique:


La farce en cent tableaux, que nous avons jouée,
N'est-elle pas (il est minuit !) assez jouée?
Reprends ton chapeau blanc et ta mine enjouée!


Au plus vite, quittons ce stupide théâtre,
Embrassons-nous encor aux portes du théâtre,
Puis courons dormir, seuls, chacun près de son âtre,


Car, que fus-je, sinon, en ta vie, un passage,
Et que fus-tu, sinon, en ma vie, un passage
Des drames du Guignol où vont les enfants sages ?...



G.-Albert Aurier.


PARADE IMPIE



À Remy de Gourmont.


Décor : La nuit, dans une église.
Personnages : Rimes des choses et Raisons des gens.


  La Lune (entrant par le vitrail)  : Comme il fait noir dans ce puits !
  Le Clocher (avec résignation)  : Elle me prend pour un puits ! Si c'est ainsi qu'on écrit l'histoire, là-haut...
  La Lune (ressortant indifférente)  : Et il y a d'énormes toiles d'araignées.
  Le Saint Du vitrail (se réveillant sons son linceul de poussière)  : Oh ! qui va là ! j'ai vu passer une blonde. Elle a mêlé sa chevelure à mon nimbe. Ces créatures ne respectent rien. Heureusement que je suis en verre, aujourd'hui, et moins fragile qu'autrefois. (Il bâille) .
  La dernière vibration de la cloche du baptême : Plus tard ils comprendront la mélancolie des airs joyeux.
  La dernière vibration de la cloche de l'enterrement : La bonne fête, et comme le sonneur a bu!
  Première chauve-souris (tournoyant)  : Ciel et terre! je né suis qu'un pauvre oiseau, mais tout cela me paraît bien ridicule.
  Première chauve-souris (tournoyant)  : Terre et ciel ! je ne suis qu'une pauvre souris, mais tout cela me dérange.
  Le grand cierge de droite : Ma cire a la blancheur des belles épousées.
  Le grand cierge de gauche : Ma cire a la blancheur des jolis enfants morts.
  Une bougie dans un coin : Pureté des stéarines, vertu chimique.
  Première lampe-veilleuse : je suis un cœur de femme rempli de rubis roses.
  Seconde lampe-veilleuse : Je suis l'œil d'un amant qui a beaucoup pleuré.  Un mort sous une dalle : Au secours ! Tirez-moi d'ici ! J'étouffe ! Otez la pierre, car mes ongles poussent en racines et s'allongent sans trouver aucune fente... Otez la pierre!
  Une morte sous une autre dalle : Que ne m'ont-ils plantée au bord d'un ruisseau ? Je porte dans mes yeux deux graines de myosotis.
  Un vieux squelette : Ils m'ont jeté au fond d'une cave juste à l'heure où je ne n'avais plus soif.
  Un confessionnal : Je suis une provision d'obscurité enfermée dans un placard.
  Le tronc pour les pauvres : Ils m'ont rempli de rondelles de bronze, de rondelles d'argent, de rondelles d'or ; mais, au milieu de ces monnaies vulgaires, brille une pièce merveilleuse, unique sans doute. Elle est percée de quatre petits trous et s'orne, en exergue, de mots mystérieux. Ah ! Celui qui l'a donnée était un homme vraiment charitable. Je voudrais le connaître.
  Un prie-Dieu : Ses genoux sont bien légers. Sa robe sentait bon, et je conserve des brins de soie parmi mes brins de paille.
  Une chaise : Oh! les rotondités des vieilles femmes!
  Un tapis : Tout frais encore un pétale de lis était collé à son talon, et j'ai su qu'elle venait du jardin de son père.
  Les marches de l'autel : C'est indigne ! le prêtre ne regarde jamais où il a posé les pieds avant d'entrer à l'église.
  Chœur des tuyaux d'orgue : Dies irœ ! Te Deum ! Alleluia ! De profundis !
  Une hirondelle(se penchant du haut de la rosace}  : Je crois qu'il fera beau demain!
  Un écho : Amen!


(Silence.)


 (Une porte matelassée s'ouvre lentement et retombe avec un bruit sourd. Entrent le Maudit, la Prostituée et le Juif, qui se meuvent à tâtons.}


  Le Maudit (titubant un peu et se baissant pour allumer une lanterne)  : Hein ! quand je vous le disais ! Personne! Ces endroits-là sont toujours vides, la nuit... l'humanité ne s'occupant de Dieu que lorsqu'elle ne peut pas faire l'amour. (Il secoue ses guenilles en riant d'un rire triste.)

  La prostituée (d'un ton énervé, serrant son châle de deuil sur sa robe de satin rouge)  : Tais-toi! Ce n'est pas le moment de plaisanter. Moi, je déteste les maisons dont les plafonds sont... au diable !
  Le juif (ôtant son bonnet de peau de lièvre)  : On doit toujours le respect, ça n'engage à rien.
  Le maudit(d'une voix navrée)  : Vous êtes des animaux immondes, et pourtant vous êtes plus en sûreté que moi, ici : vous ne croyez pas. (Tous les trois se dirigent vers l'autel et le Maudit place la lanterne sur la balustrade du chœur.)
  La prostituée(soutenant le Maudit qui chancelle)  : Parlons peu, parlons bien; tu nous as promis des bijoux extraordinaires : où sont-ils?
  Le maudit (étendant le bras d'un geste raide, et désignant le tabernacle)  : Ils sont là.
  Le juif (hochant le front)  : Il est entendu que vous irez les chercher tout seul...
  La prostituée : Tout seul, puisque l'idée vient de lui. Moi, je n'aurais jamais songé à une pareille farce.
  Le juif (railleur)  : Moi non plus, c'est une idée géniale, et si simple !
  Le maudit (torturé)  : Alors, si c'est si simple, allez-y.
  Le juif (sortant de dessous son manteau une balance, des poids, une pince de fer)  : Prêteur, acheteur, soit. Voleur, non ! Je viens surtout pour complaire à Madame.
  Un écho : Dame !
  La prostituée(furieuse)  : Mon amant serait-il un capon !
  Le maudit (relevant la tête fièrement)  : Quel capon oserait se mesurer avec Dieu ?... Oui, je veux le voler ; seulement, je tiens à le combattre. C'est ici la forêt où je détrousserai loyalement, après avoir exposé mes raisons. Je parlerai très haut, dussiez-vous ne pas m'écouter, vous, les brutes.
 (II fait un bond et saute dans le chœur en passant par dessus la balustrade. Machinalement la Prostituée s' agenouille, pendant que le Juif examine le fléau de sa balances. Le Maudit reprend d'un ton grave en s'adressant au tabernacle :)
 Mon Dieu, je suis la proie que vous amènent les bêtes de proie; mais, en galant homme qui désire égaliser les chances de ce duel fabuleux, je vais compter mes griefs; de votre coté, préparez vos foudres, je ne vous violenterai pas en plein sommeil. Oh ! ma vie est bien nue, Roi des rois! Si vous n'avez pas souvenir de mes misères, je vous les apporte. Jugez ! Maudit par mon père charnel, abandonné par ma mère, j'ai roulé d'abime en abîme. J'ai tué, j'ai triché au jeu et j'ai menti. Vous m'avez laissé marcher jusqu'à vous pour mieux m'anéantir, je pense, et voici venue l'heure de la suprême chute, du péché sans rémission, du sacrilège; je n'hésite pas, j'essaie de me justifier. N'êtes-vous pas plus coupable que moi, dites, Dieu dont la droite est trop immobile, et ne pouvez-vous pas m'épargner comme complice ou me détruire soudainement ?... Je vous rends mon paradis, sinon arrachez-moi le cœur de la poitrine. Il est temps de vous décider. Je suis peut être le dernier des croyants. Et regardez derrière moi cette femme avec sa robe rouge, ses épaules pales comme des flocons de neige fondant sur un feu vif. Il lui faut des bijoux, je n'en possède point. Quand elle agite sa petite main, Seigneur, vous qui voyez tout, vous avez bien dû vous en apercevoir, il semble que tout à coup le bout d'une aile d'ange vous pousse, et l'on va éperdûment jusqu'au grand crime. Dieu, ayez compassion! Quel supplice inventerez-vous plus fort que son mépris! J'ai parcouru des routes, j'ai eu faim et j'ai eu l'envie pressante de brouter l'herbe fleurie entre les jambes des bœufs. A l'extrémité du chemin, j'ai trouvé la ville pleine de gens ivres: j'ai bu, comme les autres ; on m'a demandé de l'argent et j'ai mendié. J'ai même appris à faire le chien, à ramper, à tirer des sons rauques de ma gorge séchée par la soif. J'ai mordu... puis j'ai rencontré cette fille qui m'a caressé; ma seule minute de joie, elle la détient dans les plis secrets de sa jupe de flamme, et mon pire tourment est encore de l'avoir connue! Vous saisissez, Dieu très intelligent, j'ai besoin de vos diamants... C'est chez vous qu'on en voit le plus... (Il lève les bras.)
 Un écho: Plus!
 Le maudit : Seigneur ! Il faut me les donner de bonne volonté.Vous n'en faites rien. (S'attendrissant) Et elle, c'est un enfant qui ne peut rire sans un jouet. (Il s'impatiente) Ma croyance en vous est toute ma fortune. Répondez-moi! La bourse ou la mort ! Tuez le criminel avant le crime ou enrichissez-le, au nom de la foi. (Avec explosion) Ah ! si j'avais le tonnerre à mes ordres...
 La prostituée (bas au juif) : Je lui ai versé des liqueurs chaudes pour qu'il soit gentil. Un homme bavard finit toujours par retrouver son courage.
 Le juif (agacé) : Je crois que nous perdons un temps précieux et je n'aime guère les discours. (En réfléchissant) Après tout, les églises sont remplies d'ossements.
 Le maudit (désespéré) : M'entends-tu, Dieu mort et immortel, Dieu aveugle et clairvoyant, Dieu le maitre et Dieu enchaîné... Je suis prêt, je m'approche; constate que mes doigts se hérissent comme des pieuvres. Il me faut le soleil, de l'or,des étoiles, des perles, l'océan,des émeraudes,car mon univers à moi c'est cette femme, et je n'aurai pas trop du tien pour parer l'étendue sombre de ses cheveux... (Silence) Rien ! c'est à se briser le crâne contre la porte de ta prison, prisonnier impuissant qui te laisses insulter, toi qui demeures enfermé dans une coupe moins large que le sein de ma maîtresse. Et tu peux te délivrer, me délivrer! (Il sanglote) Seigneur, soyez bon! je suis chétif. Je ne vous brave que parce que j ai peur! Seigneur, ma mère m'a enseigné qu'il fallait vous demander le pain quotidien; or, j'ai besoin de me nourrir de cette femme, et cette femme se nourrit de joyaux ! Vous qui destinez les brebis au loup, donnez-moi vos parures pour que j'en achète mon pain quotidien...(Silence)
 Le Juif (ricanant) : Jamais ivrogne ne s'est vu en face d'un pareil mur.
 La Prostituée (avec un geste d'ennui) : II ne songe même pas que je suis décolletée. Il ne fait pas chaud ici...
 Le Maudit (se rapprochant du tabernacle et délirant) : Toutes mes larmes pour vos pierreries, des siècles d'enfer pour un morceau de ce métal jaune qui vous est inutile. Seigneur, l'aumône au gueux, votre serviteur en sacrilège, c'est-à-dire à celui qui croit encore en vous puisqu'il se donne la peine de vous outrager!
 Le Juif (bas à la Prostituée) : Vous avez bien remarqué ce ciboire? Les curés font courir des légendes souvent...
 La Prostituée (vivement) : Je suis venue ce matin à la messe pour le contempler. Oh! superbe! Des cabochons tout autour, et au centre un diamant gros comme un œuf de colombe.
 Le Juif : je me défie des gros diamants. Ils ne sont généralement pas d'une belle eau.
 La Prostituée : D'une belle eau! Vous riez! La seule chose pure de la terre c'est un diamant,mais vos sales imaginations troublent tout à l'avance!
 Le Juif (s'inclinant moqueur) : La seule chose pure de la terre, c'est le regard d'une vierge, Madame.
 Le Maudit (criant) : Malheur ! Trois fois malheur! Dieu veut ma damnation! (Il va prendre la pince de fer sur la balustrade.) Je vais forcer la porte du ciel avec cela! (Il brandit la pince et se met a rire d'un rire douloureux.) Et demain l'église banqueroutière n'aura plus d'hostie à tendre par le guichet de son bureau. Je vais ravir le trésor des élus. (Il frappe sur le tabernacle.) Quelle ironie! Cette porte ressemble en en effet au guichet d'une banque. (Il introduit la pince et fait sauter des lames de bois.) Tu l'as voulu, Madelon... Et maintenant, tombe la foudre!...
 La Prostituée (poussant un cri de joie) :Donne!
 Le Juif (reculant) : Qu'allez-vous faire des hosties? Moi, je refuse de m'en occuper.
 Le Maudit (dressant le ciboire avec un mouvement d'horreur) : Vide! Il est vide!
 La Prostituée : Tant mieux! Ça leur arrive quelquefois d'oublier de le remplir... et comme il n'y a pas de contrôle...
 Le Maudit (roulant des yeux fous) : Personne, pas de Dieu, pas même un simulacre de Dieu!
 Le Juif : C'était à deviner, puisqu'il ne vous répondait rien, mon cher garçon...Voyons toujours l'objet.
 Le Maudit
(le laissant s'emparer du ciboire) : Et la foudre ne tombera pas.
 La Prostituée (haussant les épaules) : Tu nous ennuies avec tes perpétuelles exagérations.
 Le Juif (retournant le ciboire aux lueurs louches de la lanterne) : Tiens! Tiens! Tiens! je n'imaginais point si mal! Oh! Les fameuses légendes. (Il se penche, prenant des airs apitoyés.)
 Le Maudit (se tordant les mains) : Madelon ! Madelon! Ni Dieu ni foudre! Mon crime n'était donc pas encore assez grand... moi qui espérais des preuves dans le châtiment! Je me noie, Madelon! Une eau glacée monte à ma bouche! Madelon! Tu auras les bijoux, et en échange, moi, j'aurai le doute. En présence du doute effroyable toutes les misères ne sont que délices. Madelon, couvre-moi de ta robe, j'ai froid. (Il se jette aux pieds de la Prostituée.)
 La Prostituée (radieuse, s'appuyant sur lui pour mieux regarder le ciboire) : De l'or, des émeraudes, le gros diamant...
 Le Juif (lâchant le ciboire qui tombe à terre, et remettant son bonnet) : De la fumée, Madame, de la fumée!... Il a voulu voler Dieu, et c'est Dieu qui le vole... Tout est faux.
 Un écho (très loin) : Faux!

(Évanouissement du décor et des personnages.)

Rachilde.

PETITS APHORISMES
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SUR L'AMOUR-PROPRE


I

 L'homme est un mécanisme que l'amour-propre remonte chaque jour.

2

 Nos mérites, nos désirs, nos prétentions et jusqu'à nos fautes, nous faisons tout entrer dans le piédestal de la statue que nous nous élevons à nous-mêmes.

3

 On renonce au monde plus facilement qu'à soi-même.

4

 On sacrifie ses goûts à ses préjugés, moins souvent ses intérêts, jamais son amour-propre, vu que l'on se fait gloire justement d'avoir de tels préjugés.

5

 La satisfaction personnelle que l'on apporte à la vie est le meilleur moyen de la supporter allègrement.

6

 Nous nous méprenons souvent à nos capacités et toujours à notre mérite. Nous rangeons à l'actif de celui-ci non seulement ce que nous accomplissons réellement, mais encore tout ce que nous voudrions accomplir.

7

 Il y a des hommes qui ignorent leur véritable mérite; il n'y en a pas qui soient exempts de prétentions.

8

 Lorsque l'on s'indigne contre le pharisien, n'est-on pas soi-même pharisien, et ne dit-on pas comme lui : Je te rends grâce, ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme cet homme-là?

9

 Celui qui est vraiment humble ne blâme personne. Il se garde même de se blâmer soi, car, en le faisant, il se diviserait en deux personnalités, dont l'une blâmant l'autre manquerait par cela d'humilité.

10

 Si nous sommes parfois plus fiers de nos défauts que de nos qualités, c'est que nous pensons que ceux-là sont plus capables que celles-ci de nous créer une personnalité.

11

 Nous décernons des prix à nos vertus et des accessits à celles des autres.

12

 On peut être content de soi et des autres, content de soi et mécontent des autres, mécontent de soi et des autres: jamais mécontent de soi et content des autres.

13

 L'homme est en général si content de lui, qu'il ne changerait pas sa peau contre celle de celui qu'il envie le plus.

14

 Nous n'aimons à être plaints de nos malheurs que quand ils sont de nature à nous faire valoir dans l'opinion d'autrui.

15

 La plus sincère des émotions est celle que l'on éprouve en découvrant que l'on a du génie.

16

 On prend son plaisir où on le trouve : ordinairement un degré plus bas qu'on ne l'avoue.

17

 Nous sommes plus attachés à nos convictions qu'à nos certitudes. Dans celles-là nous mettons de notre amour-propre.

18

 Il arrive qu'on défende par amour-propre des opinions que l'on n'a plus, et cela d'autant plus âprement qu'on les a moins conservées.

19

 C'est surtout lorsqu'il y va de notre amour propre que nous avons le courage de nos opinions.

20

 Nous avouons notre faiblesse, mais nous ne manquons pas de l'appeler faiblesse humaine.

21

 L'amour-propre est une pièce de monnaie dont l'orgueil est face, tandis que la vanité est pile. La vanité est de l'amour-propre mal placé.

22

 L'orgueil a cela de bon qu'il distrait l'homme de sa faiblesse.

23

 La modestie est un amour-propre réglé par la raison.

24

 L'hypocrisie et la franchise sont deux modes de l'amour-propre.

25

 Lorsque nous avons reconnu nos torts, nous pensons avoir plus fait que si nous ne les avions pas eus.

26

 Le souvenir des plus cruelles souffrances morales ou physiques est moins désagréable que celui de minimes piqûres de l'amour-propre.

27

 On sent plus vivement la honte d'être ridicule que celle d'être coupable.

28

 Le cœur pardonne souvent, la raison parfois, l'amour-propre jamais.

29

 Nos déchéances n'ébranlent pas notre amour-propre.

30

 II n'y a qu'une excuse à l'ingratitude, mais elle est bonne : c'est l'humiliation que l'on éprouve d'avoir été obligé.

31

 Les leçons que nous recevons de la vie nous donnent de l'expérience, rarement de l'humilité.

32

 On n'arrive à se mépriser soi-même qu'après avoir longtemps méprisé les autres.

────────
SUR LES PASSIONS


1

 L'indépendance de l'âme consiste à s'affranchir des passions, sa science à les connaître, son bonheur à les assouvir. Conciliez cela!

2

 L'homme ne sent jamais plus vivement sa faiblesse que lorsqu'il entreprend d'épurer son âme.

3

 Le cœur est un élève insubordonné, la raison un maître ignorant.

4

 Les grandes passions sont l'indice de petits caractères; mais les petits caractères n'ont pas toujours de grandes passions.

5

 Les caprices sont les passions des personnes légères.

6

 Ce qui vient de l'âme est noble, ce qui vient du corps est ignoble. Pour savoir si une passion est noble ou ignoble, il suffit de voir si elle pourrait s'exercer chez un être incorporel. Mais il ne s'en suit pas que les passions immatérielles soient recommandables: elles sont seulement d'un ordre supérieur. L'envie, qui est de cet ordre, et qui n'est par conséquent point une passion ignoble, est une passion mauvaise. La sensualité, par contre, sans être proprement une passion mauvaise, est une passion ignoble. Il y aurait donc quatre catégories de passions. Mais comme ce qui captive l'âme importe plus que ce qui captive le corps, autant une belle passion psychique l'emporte en bien sur une belle passion physique, autant une laide passion psychique l'emporte en mal sur une laide passion physique.

7

 Nos habitudes dégénèrent en vices, et nos vices en habitudes.

8

 Vis-à-vis de nos passions, la retraite n'est jamais qu'une déroute.

9

 La volonté n'a d'action sur les passions que si elle est une passion elle-même.

10

 Il faut traiter les passions comme certaines maladies : les couper à leur début, ou alors les laisser couler.

11

 Pour l'âme, comme pour le corps, la chirurgie est plus sûre que la médecine.

12

 Nous conserverions peut-être des passions éteintes des souvenirs assez doux, si elles ne laissaient pas en nous les traces de leurs ravages.

13

 Nous regrettons de nous être guéris de nos passions, lorsque la sagesse ou la charité ne viennent pas remplir le vide que cause leur absence.

────────
SUR L'ENVIE


1

 L'envie est la seule passion qui ne procure aucune jouissance.

2

 L'envie est un sentiment irréfrénable; la seule chose que nous puissions faire, c'est de l'emprisonner soigneusement en nous.

3

 On est jaloux par tempérament; on est envieux par vocation.

4

 On ne se décourage jamais d'être envieux, surtout lorsqu'on réussit.

5

 L'envie est tellement illogique, qu'elle s'attaque de préférence à ceux dont les succès nous sont le plus utiles.

6

 Nous n'éprouvons de réelle sympathie que pour ceux qui nous font pitié ; dès qu'ils ne sont plus absolument pitoyables, l'envie vient peu à peu ronger la sympathie.

7

 On rend d'autant mieux hommage à un mort, qu'on n'a plus à l'envier.

─────────
SUR L'HYPOCRISIE


1

 Tu aimeras le bien par tous les moyens qui tendront à le faire croire: tel est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu tromperas ton prochain comme toi-même.

2

 Nos paroles démentent nos pensées, et nos actions nos paroles. C'est d'une double hypocrisie que nous vivons.

3

 La vanité commet plus de mensonges que l'intérêt.

4

 Un sourire du cœur se répercute toujours sur les lèvres; rarement un sourire des lèvres se répercute dans le cœur.

5

 Il y a des gens qui, par haine contre l'hypocrisie, feignent des vices qu'ils n'ont pas. Ce sont des hypocrites du mal.

6

 Sauvons les apparences: elles nous sauvent à leur tour.

7

 Il faut mentir pour être cru.

8

 Les hommes ne demandent pas la vérité : ils demandent seulement qu'on leur déguise le mensonge.

9

 Celui qui ne veut pas mentir lorsqu'il le faut est semblable à un maniaque qui s'obstinerait à marcher droit dans une rue tortueuse.

10

 Il n'est point permis de blâmer l'hypocrisie à celui que la vie n'a jamais acculé à la nécessité d'en user.

11

 C'est l'intolérance qui a créé l'hypocrisie.

12

 L'hypocrisie bien comprise n'est autre chose qu'une pudeur.

13

 Faire croire aux autres que nous sommes ce que nous voudrions être n'est pas tant d'un méchant que d'un idéaliste.

Louis Dumur.

LA BELLE AU BOIS DORMANT

A Pierre Quillard.

I
C'est, au milieu des bois que la lumière dore,
Un parc inviolé par les souffles d'hiver
Où les rayons éternels d'une chaste aurore
Se mêlent aux parfums des fleurs et charment l'air.


La douce clarté vague en des blancheurs heureuses;
Elle baise, le long des candides chemins,
Les roses pâles et les grêles tubéreuses
Et les lys glorieux et les calmes jasmins.


Et là, loin des cris lourds de haine et de colère,
Loin des hommes tremblants et voués aux douleurs,
La Belle qu'a surprise un sommeil séculaire
Dort parmi le triomphe immaculé des fleurs.
***
Des voix
Dors, ô Belle, dors dans le mystère,
Où des rêves d'azur illuminent tes yeux,
Dors comme la Guerrière en sa virginale armure;
Et les voix de l’Été, les voix de la lumière,
Les voix des impérissables ramures
Te berceront avec des cantiques pieux:
Dors, ô Belle, dors dans le mystère.


Contemple, ô Belle, les célestes prairies
Que nul monotone automne ne vient faner,
Contemple les harmonieuses prairies
Étincelantes d'or calme et de pierreries
Où vaguement apparaît le Prédestiné.


Le voici survenir, l'idéal Fiancé,
Le Héros conquérant des suprêmes territoires,
Celui vers qui ton rêve s'est élancé,
Le souverain vêtu d'aurore et de victoire,
Le voici survenir, souriant
Et guidé par de merveilleuses mélodies,
Et, comme en des splendeurs d'étoiles brandies,
Sa royale beauté flamboie à l'Orient.
II
Le bois en fleurs est plein de joyeuses querelles:
La clarté du printemps y réveille les bruits.
Les abeilles d'or roux passent, les sauterelles
Frôlent de leur gaieté les myrtils et les buis.


La pervenche bleuit près de la violette
Dont les parfums montent vers le ciel éclatant;
Le nénuphar d'ivoire s'ouvre et se reflète
Dans le miroir limpide et moiré de l'étang.


Les oiseaux, gazouilleurs de légères matines,
Épandent par les airs des hymnes triomphants,
Et, parmi les halliers étoiles d'églantines,
Bondissent des troupeaux de biches et de faons.


Des joyaux qui vivent embellissent les sentes,
L'hiver ne blesse plus les arbres de chocs lourds,
Et, dans la fraîcheur des clairières bruissantes,
Vole et rayonne comme un jeune essaim d'amours.
***
Des voix


Lentement, des pas sonnent par les sentiers;
Ils frôlent, sans les fouler, les fleurs frêles;
Vague et douce, une chanson se mêle
Aux chansons qui s'échappent des nids printaniers.
C'est un prince qui approche par les sentiers.


Son front rayonne de lumière;
II sourit un sourire d'extase,
Ses yeux que les larmes n'ont jamais ternis,
Ses yeux que des feux divins embrasent,
Ses yeux sereins et purs comme l'aurore première,
Semblent suivre quelque songe dans l'infini.


Le Prince


J'écoute des voix de lutins
Chanter dans les blondes haleines
Qu'imprègnent la verveine et le thym.
O voix, c'est votre chant qui mène
Vers les parterres clairs du glorieux jardin.


Dans la bonne forêt grandissent
Les chansons mystérieuses et propices;
Je vais comme emporté vers le ciel,
J'ai quitté le mensonge:
Oh,guidez-moi,voix chères, voix fraîches, voix de miel,
Guidez-moi
Vers celle que j'ai vue en la lueur des songes.


Des voix


Dans le parc aux fleurs impérissables,
Loin des cris mornes, loin du choc des glaives,
La Belle dort.
Bercée d'hymnes ineffables,
Elle suit longuement son rêve.


Qui es-tu, Toi qui veux conquérir le Trésor?


Le Prince


Je suis le royal Solitaire,
Je suis le Pur.
Les hydres d'orgueil m'ont crié leurs cris durs:
J'ai forcé les hydres à se taire.
Et maintenant, je veux aller vers le mystère,
Je veux aller au jardin d'azur
Où la Belle dort en des rhythmes de mystère.


Des voix


Malheureux...
Tu ignores le jardin où tu cours.
Tes pauvres yeux, tes pâles yeux
Ne peuvent contempler la chaste aurore,
Et, parmi les parfums d'amour,
Tu languirais vers la victoire humaine, encore.


Le Prince


Que m'importent les luttes vaines?
La divine lumière rayonne à mes prunelles.
O Voix, guidez-moi vers la Belle,
Oh, guidez-moi vers l'éternelle Souveraine.


Des voix


Es-tu le Renonciateur?
Es-tu Celui qui méprise a jamais
Les âpres désirs, faux et menteurs?
As-tu bien écouté les Messagères?
Pourras-tu, dédaigneux des villes étrangères,
Boire l'onde bénie aux fontaines de paix?


Le Prince


Mes ardeurs vers la nuit sont mortes.
J'ai suivi le vol doré des Chimères
Qui m'ont guidé loin des royaumes éphémères
Et je peux franchir la lumière de la Porte.


C'est moi qui verrai la Dormeuse
Et c'est moi qui l'éveillerai;
Et nous écouterons, par le jardin sacré,
Chanter les harpes bienheureuses.


Des voix


Va donc, ô Vainqueur:
Puisque tu as oublié les vaines pensées,
Éveille la Fiancée
Qui t'a vu dans l'espoir de son rêve, ô Vainqueur.


III


En le lit virginal de jasmins et de roses,
Le Prince a contemplé la Dormeuse au front blanc,
Et, pour rendre le jour aux prunelles encloses,
Il approche, orgueilleux à la fois et tremblant.


Le parc éblouissant frémit d'un long sourire.
L'Élu frôle le front clair d'un baiser vermeil;
La Belle ouvre ses yeux où le printemps se mire
Et chante doucement l'hymne du bon réveil.


***


La Belle


L'aurore fatidique empourpre les allées.
Au baiser attendu je m'éveille parmi
La chaste royauté des fleurs immaculées.


]e m'éveille du beau sommeil que j'ai dormi,
Et voici que l’Étoile du bonheur m'éclaire.
Oh, c'est toi qui devais venir : approche, Ami.


Toi qui pour mon amour as méprisé la terre,
Toi de qui la splendeur hantait mes rêves saints,
Approche, ô Conquérant couronné de lumière.


Les Esprits de paix nous entourent par essaims,
Et les blancs oiseaux fils des candeurs inflétries,
Les cygnes immortels chantent dans les bassins.
Et c'est l'heure où s'ouvre la fleur des songeries;
Nous irons par l'éclat fraternel du verger
Sous les branches que nulle grêle n'a meurtries


Et qui nous béniront d'aimer et de songer.


La Belle et le Prince


Une brise impalpable et pure nous caresse,
Des Femmes de soleil parent nos cheveux blonds,
Ses astres luisent sur la route où nous volons
Et tous deux nous montons vers la divine ivresse.


Dans le printemps royal nos clartés confondues
Volent éperduement d'un sidéral essor,
Et nous buvons la vie aux flots de pourpre et d'or
Qui fécondent le champ des chères étendues.


Nous sommes la blancheur de la lune rieuse,
Nous sommes le saphir argenté de la mer,
Nous sommes la pâleur du soir limpide et clair
Et la rougeur de l'aurore victorieuse.


L'impérissable Jour de l'Extase se lève.
Nous moissonnons l'espoir superbe à pleine faulx,
Nous sommes les chants et les rhythmes triomphaux
Et nous sommes la Joie éternelle et le Rêve.


A.-Ferdinand Herold.

MONSIEUR X.
Poète français, volontaire de la bataille pour le Mieux, guide désigné des races montantes.


Quand ils ont geigné (sic) huit jours...
......................................
Comme le Christ sur la colline,

Étincelants d'ardeur divine,

Vous gravirez votre Thabor,

Sans vous soucier si, dans l'ombre.

Là-bas, sous un nuage sombre,

Le Golgotha vous guette encor.

(Monsieur X., passim.)


Quand j'écris: Monsieur X., « Poète français, volontaire de la bataille pour le Mieux, guide désigné des races montantes », peut-être l'X assez indéterminé de son nom, les qualificatifs étranges qui l'accompagnent et la surprenante fantaisie grammaticale et esthétique des paroles qui lui sont attribuées laisseraient croire que le personnage ainsi défini appartient à la classe exquise des êtres de fiction, et que par un choix heureux de mots bien appropriés j'eusse voulu suggérer d'une manière cursive l'idée même et l'image d'un pauvre d'esprit trop parfait pour exister ailleurs que dans le royaume du ciel. Qu'on se rassure, il existe sur cette terre; il s'est donné lui-même tous ces titres et quelques autres analogues, tels que: « servant altier des rénovations à venir »,« gardien de la pensée », « pasteur des âmes indécises », et, le plus souvent qu'il peut, il proclame par le livre ou par le journal la beauté de son cœur et ses aspirations éventuelles à l'apostolat, voire au martyre. La seule vertu chrétienne qui semble lui manquer jusqu'ici est l'humilité, et il n'abhorre pas avec assez de ferveur d'attirer l'attention sur le mérite qu'il se croit. Aussi est-ce dans l'intérêt de son salut et de son définitif épanouissement moral que je préfère ne le pas nommer, pour la mortification de sa vanité que je n'imagine point insensible à la sorte d'importance mondaine que donne la critique, même la plus justement sévère. En outre, si je satisfaisais aux curiosités en éveil en divulguant les lettres privilégiées qui, dans la vie courante, servent à distinguer des autres hommes ce scribe sans génie, je perdrais le bénéfice de la pénombre et du mystère indispensable à l'éclosion des mythes; et Monsieur X.,indigne par lui-même de distraire une minute les têtes bien faites, ne prend toute sa valeur que considéré comme le représentant accompli de certaines doctrines à qui leur indiscutable niaiserie acquit assez rapidement l'adhésion enthousiaste des sots.

 Monsieur X. est, en compagnie de quelques autres, confesseur de la foi selon Nos Seigneurs Ernest Lavisse et Melchior de Vogüé. On admirera ici l'extraordinaire puissance d'illusion et de crédulité qu'il faut aux gens qui se créent un dieu, même médiocre. Ceux-la voulaient un directeur de conscience : ils auraient pu s'adresser à un sage comme M. Louis Ménard, qui a interrogé passionnément toutes les philosophies et toutes les religions et dont l'âme fut assez grande pour accueillir tous les dieux. Sans doute une telle pensée était trop haute et trop noble pour eux et, modestes ce jour-là, ils allèrent trouver un professeur adroit et se firent prêcher l'impératif catégorique par M. Ernest Lavisse,qui ne se refusa jamais à des accommodements avantageux, à des transactions utiles entre ses principes de la veille et ceux du lendemain: démagogue à sa façon, il ne cesse de prononcer devant ses disciples le panégyrique de leurs propres vertus, moyen sûr, sinon très élégant, d'acquérir une popularité sans grandeur. L'attitude notablement plus prestigieuse de M. le vicomte E. Melchior de Vogüé expliquerait peut-être l'erreur des deux ou trois personnes intelligentes qui se laissèrent séduire par la foi nouvelle; ses lèvres de gentilhomme semblaient ennoblir encore les mots qu'elles profèrent habituellement: « Idéal, Charité, Réconciliation sociale, Action, Devoir.» On ne s'est point aperçu tout de suite que c'était là seulement le caprice d'un homme bien élevé pour des sentiments et des idées dont il parle, comme de toutes choses, plutôt par ouï dire et en amateur que pour en avoir fait une étude spéciale; et la gravité ecclésiastique de ses discours était d'apparence si respectable qu'elle dissimula longtemps tout ce qu'il y avait en lui d'étourderie charmante et presque d'espièglerie (1). C'est à cette double école que Monsieur X. apprit l'art de vivre, en quelques heures, l'enseignement qui s'y transmet n'étant point de ceux qui réclament un effort intellectuel considérable. Dès lors, plein de confiance en sa faconde méridionale — que n'est-il félibre lui aussi! - il se destina dans la comédie humaine un rôle éminent : être celui qui parle au nom de la jeunesse française; et il attendit impatiemment une occasion propice pour faire ses débuts.

 Précisément il y a quelques semaines, M.Saint-Genest, je crois, à propos de trois jeunes macrocéphales de bonne famille, riches, oisifs, à la cervelle vide préoccupés exclusivement de sport, de baccara de chanteuses de café-concert et, en littérature, de documents humains, fit entendre que toute la génération de 18 à 25 ans était semblable à ces trois petits imbéciles. Monsieur X., qui n'était pas en cause, cependant, jugea l'heure venue de remplir sa mission et répliqua sans tarder. Son manifeste contenait deux parties bien distinctes, l'une de critique sociale, l'autre de critique littéraire établissant toutes deux la haute supériorité de la jeunesse contemporaine. Que s'il s'en était tenu a cette affirmation flatteuse pour les gens de notre age, je ne pense pas que personne y eût trouvé à reprendre. Mais il donnait ses raisons, il apportait ses preuves, également piteuses. Et d'abord, disait-il, un signe infaillible que nous nous sommes régénères, c'est qu'il y a à Paris trois associations d'étudiants : Association générale, Cercle des étudiants catholiques, Association des étudiants socialistes: et que dans toutes les trois « on aime le peuple ». Ce ne sont point les termes exacts dont s'est servi Monsieur X.: mais cette formule n'est pas plus vague que sa pensée, et, sans se demander si cet amour universel et inattendu des classes bourgeoises et patriciennes pour ceux qui souffrent n'est pas simplement la crainte propitiatoire de représailles futures, il n'est point indifférent de savoir en quoi il consiste. Le manifeste ne le disait pas: mais la préface d'un livre de vers publié récemment par le même auteur donnait quelques détails. Selon lui, les hommes de pensée « qu'une révolution à fait princes » doivent diriger « l'éternelle marche humaine » et conduire la foule, pour laquelle ils éprouvent beaucoup de pitié. Voila une manière d'aimer qui n'est point sans égoïsme et se rapproche assez de celle que pratique le député Maurice Barrès, si durement excommunié par Monsieur X.. Et puis il y a là une confusion peut-être volontaire, à coup sûr pernicieuse, entre la hiérarchie intellectuelle et la hiérarchie sociale, qui n'ont rien de commun. La première ne saurait léser l'individu que dans ses prétentions intimes; elle est fatale, et de loin, à des échéances parfois séculaires, les poètes et les philosophes mènent le monde. Mais l'autre, rien ne la justifiera jamais : toute autorité est mauvaise, établie sur la violence et la spoliation, et nul artifice de paroles ne saurait rendre légitime ce fait monstrueux : n'importe quel homme s'arrogeant de commander quoi que ce soit à n'importe quel homme. Quant à la pitié, il n'est pas de passion plus auguste ni plus douce pour celui qui l'éprouve; mais elle ne va pas non plus sans un sentiment d'infériorité et d'humiliation chez le malheureux qui l'inspire, et tantôt deux mille ans de christianisme nous ont trop fait oublier peut-être une idée d'une valeur sociale plus mathématique, partant plus grande, l'idée de justice. Celle-là, primordiale et absolue, ne participe point à l'instabilité du sentiment et n'a rien d'arbitraire ni d'imprévu. Je l'indiquerai volontiers à Monsieur X. comme une excellente règle de l'action, qui n'est point, ainsi qu'il le suppose gratuitement, la fin mais la condition nécessaire de la vie; agir est un simple fait qui indique la' tendance de l'être à persévérer dans l'être et rien de plus, aussi bien quand nous nous écartons machinalement d'une voiture qui nous pourrait écraser que sous les deux formes moins immédiates mais aussi significatives du militarisme international et de l'assassinat privé.

 Mais il y a toujours quelque chose comme un manque de pudeur à exprimer publiquement tel ou tel choix secret de la conscience, fût-ce même pour échapper au reproche d'être un vulgaire bandit capable de crimes bas et louches. Par contre, l'examen des opinions littéraires de Monsieur X. n'entraînera pas avec lui le regret de réticences omises. Il constate dans son manifeste que les romans naturalistes et psychologiques « sont quelque peu tombés en discrédit parmi nous ». L'aphorisme n'a rien de particulièrement hardi ni de bien nouveau : mais les motifs assignés à cette déchéance ne sauraient être acceptés, non plus que les conseils de Monsieur X. touchant la « pensée écrite », comme il dit par dédain de la littérature. Il classe en effet les naturalistes et les psychologues parmi les adeptes de l'art pour l'art, et, à le croire, « l'art n'est jamais qu'une distraction » et « la pensée écrite n'est pas un art ». Nous nous imaginions à tort que l'œuvre d'art n'était pas l'expression du rêve intérieur seulement par le son, le relief ou la couleur, mais aussi par le mot qui résume et rappelle toutes les sensations et toutes les conceptions abstraites, si bien que l'art du mot est l'art suprême, le seul qui de toutes pièces puisse recréer un monde. Point; l'Iliade et les Méditations (je cite les autorités de Monsieur X.) ne sont à aucun titre des œuvres d'art, et au nom de J.-J. Rousseau (2) qui n'en peut mais et de Lamartine transformé en fantoche ridicule, Hugo, Flaubert, de Vigny (accaparé ailleurs par le Volontaire en question) Baudelaire, Leconte de Lisle « ont menti »; ils n'ont jamais été des poètes : « le poète est celui qui... », il y a six strophes de suite pour l'expliquer fort mal; quelques syllabes suffiraient à rendre clairement la pseudo-pensée de Monsieur X. : « Le poète est celui qui ignore le rhythme, la langue, tout; le poète, c'est Moi ». Personne n'y contredirait, à moins de mauvaise volonté, et des morts illustres ne seraient pas compromis par des louanges de cette délicatesse:

Toi qui fus beau, toi qui fus bon, toi qui fus juste,
Lamartine, salut ! — Ton nom immaculé
Sonne comme un appel de l'idéal auguste;
Quand tu chantes on croit que Dieu même a parlé.

Quiconque ne juge pas à propos d'employer ce jargon informe est un « diseur de foutaises », selon une tournure galante empruntée à la préface déjà mise à contribution, comme s'il était nécessaire de mal écrire pour avoir le droit d'être jugé un homme sérieux. Insister n'aurait point de grâce ni sortir de leur ombre quelques autres strophes aussi étrangères à la beauté. Le silence complet eut encore mieux valu peut-être, Monsieur X., après tout, n'ayant reçu le mandat de parler au nom de personne et ne représentant que soi-même, ce qui est peu, autant qu'on a pu le présumer par cet aperçu panoramique de son œuvre. Mais on me pardonnera pour la pureté de l'intention et parce que la race de chanteurs que je ne rougis point d'avouer mienne ressemble aux antiques Corybantes: une nuit, les Initiés écoutaient, au fond du bois interdit aux profanes, les flûtes merveilleuses des ténèbres qui sanglotaient vers les étoiles, afin de redire à leurs frères ignorants des rites les tristes et pures harmonies qu'ils auraient entendues; un satyre éveillé par le clair de lune insulta de ricanements leur extase surnaturelle; ils l'égorgèrent sans scrupule et, reléguant dans l'oubli la tête dérisoire que la mort même n'avait point consacrée, ils s'enivrèrent à nouveau, dans l'ombre purifiée désormais, avec les mystérieux murmures qui, jusqu'aux astres, montaient des sources, des feuillages ou de leur âme.


Pierre Quillard.


 (1) Il me semble bien qu'un écrivain des plus déliés, qui raconte de temps à autre les Mémoires d'aujourd'hui avec peu d'indulgence et infiniment d'esprit secret et rare, ait exprimé comme il le fallait l'illusion particulière produite par M. de Vogüé en cette épigramme inédite à la mode du XVIIe Siècle:

Tout ce qui reluit n'est pas or:
Vogüé reluit en Melchior.


 (2) Cf. Rousseau (Confessions. Partie II, Livre VIII): Je méditois dans mon lit à yeux fermés et je tournois et retournois mes périodes dans ma tête avec des peines incroyables.

RÉFLEXIONS
SUR LES ARTS DITS « D'EXPRESSION »

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I


 Sans doute, n'es-tu pas sans avoir fréquenté quelque peu chez les comédiens. Je ne t'apprendrai rien sur eux, si ce n'est qu'il faut les cerner d'un grand respect, car la bassesse, la bêtise et la vanité se jouent sur le masque qui est cette fois leur vraie face, à la clarté non trompeuse du jour, chez des vivants pourtant coutumiers de singeries et de dol.
 Le dol est clair.
 Ils interprètent. Traduttore traditore.
 Tes stances, ô poète — vaniteux, toi, sans bassesse ni bêtise, vaniteux noblement — ils les travestissent inéluctablement. Ils découpent à jour leur opaque pensée sur ta lumière, et ne laissent passer à la foule noire que le transparent de ton âme. Ainsi se mue le soleil à la nuit tombante en rampe à gaz historiée du doigt indicateur vers des beuglants sous bizantins, parmi les bocks amers et les troubles absinthes.


II


 Là, ou ailleurs, tu vas ouïr sur les scènes subventionnées, académie nationale ou premier théâtre français:
 D'une part —
 Hommes et femmes, solidaires de la pensée moderne efflorescente en les actuels Shakespeares — porte-voix de l'idéal — tuteurs de l'Art-grappe au suc décevant, ce qu'il y a de mieux comme article de Paris (S. G. D. G.) breveté sans garantie du Conservatoire.
 D'autre part —
 Les mêmes — misérables histrions bornés à des horizons de sociétariat et qui en meurent fous; chers instruments dont s'inquiète la nation potinière, curieuse des bulletins sanitaires, affûtée à l'esquinancie d'un ténor, mais indifférente à l'Agonie d'un poète, parce qu'il est Turc, Allobroge ou Lombard.
 Mais tout ceci importe assez peu.


III


 Rêves de gloire — Puissance de l'idée fixe.
 En omnibus, les feux rouges, verts, jaunes semblent au poète rêveur: rubis, émeraudes, topazes: beaux horizons diamantés, paysages de Golconde, fleuves sacrés charriant les pépites dont une seule triomphera du corps divin d'Angèle, rat on ne peut plus rat de l'opéra.
 Tout ça pour 0 fr. 30 à l'intérieur, — correspondance pour l'Infini.
 Dans la chambre d'hôtel tout se transforme : le reps rouge prend des rythmes pourprés ; la table de nuit en noyer se mue en bois parfumé d'Iles mal découvertes ; le linge douteux devient certain, la femme se gondole, passe-temps à la fois vénitien et vénérien. Mais sa chair s'est frottée à celle du poète, et n'en faut pas plus pour allumer l'incendie des illusions génésiques: la créature ores est belle mieux que Titania ; spasme rime à Swinburne, pauvrement il est vrai — mais dans une chambre d'hôtel si pauvre...


 
IV


 « Diamants et femmes, la gloire me donnera cela. » Poète injoué, tu as raison, mais tu te trompes.
 S'il est vrai qu'en tes cartons se gangrènent des lambeaux de cris humains découpés en (actes) tranches au scapel, ou des idéalités représentables quoique ruineuses, en lesquelles tu prodiguas sur le papier des cauchemars asiatiques, réjouis-toi d'être injoué, bénis les directeurs sévères.
 Génuflexe en frappant le sol de ton front, les mains jointes, les lèvres tremblantes d'hosannahs discrètement formidables, clame:

Vous n'aurez pas la peau

de mon ours.

La peau, chers directeurs, la peau.


 Un pris de Rhum te fera là-dessus d'assez profitable musique, dans le genre Beethoven, mais plus moderne.


V


 Voici pourquoi:
 Toute réalisation implique déchéance.
 De formuler son rêve, déjà quels désespoirs, quelle gésine, quel avortement. Et le filtre à travers la veulerie cabotine ! Ah non ! Chante pour qu'on t'écoute avec l'âme.
 Sans doute peu de cerveaux auront la puissance exquise d'évoquer par un pur effort mental la substance de tes visions. Qu'importe, si de ceux-là tu es le père chéri, l'élu dont les muses ont stellé le front....


Alfred Mortier.

DERNIÈRES PAGES (1)

LA PERSONNALITÉ ET L'ORIGINALITÉ


 Sans nul doute, l'impopularité de M. Hawthorne est due principalement à ces deux causes. — qu'il n'est ni riche ni intrigant; — néanmoins l'explication serait insuffisante si l'on n'en référait encore à l'idiosyncrasie de M. Hawthorne lui-même. En un sens et d'une façon générale, être personnel c'est être original, et l'originalité est la plus haute vertu littéraire. Cependant cette véridique et très estimable originalité implique une personnalité non pas uniforme, mais continue, une personnalité jaillissant de l'énergie d'une fantaisie toujours active et, mieux encore, de la puissance d'une imagination toujours présente, donnant ses propres teintes, son propre caractère à tout ce qu'elle touche, et, enfin, irrésistiblement poussée à toucher à tout.
 On a souvent dit, assez inconsidérément, que l'écrivain original n'arrive jamais à la popularité, que tel et tel sont trop originaux pour être compris par la masse. « Trop personnel » serait plutôt le mot, « trop idiosyncratique ».
 En fait, c'est l'excitable, l'indisciplinée âme-enfant du peuple qui sent le plus vivement l'originalité.
 Il est certain que si M. Hawthorne était réellement original, il n'eût pas manqué d'être compris par le public, — mais il n'est pas original, en quelque sens que l'on prenne ce mot. Ceux qui l'appellent original veulent tout simplement dire qu'il diffère par la manière, par le ton, par le choix des sujets, de tous les auteurs de leur connaissance,— leur connaissance ne s'étendant pas à l'Allemand Tieck, dont la manière en quelques-uns de ses ouvrages est absolument identique avec celle qui est habituelle à Hawthorne. Mais il est clair que l'élément de l'originalité littéraire est la nouveauté. C'est aussi l'élément de l'appréciation du lecteur. Tout sera originalité pour lui qui lui aura donné l'émotion d'un plaisir neuf, et quiconque lui aura donné fréquemment une telle émotion, il le considérera comme un écrivain original. En un mot, c'est d'après la totalisation de ces émotions qu'il décidera du droit d'un écrivain à l'originalité. Je dois cependant faire observer ici qu'il y a certainement un point où le nouveau lui-même cesse de produire son effet logique d'originalité, si nous jugeons, comme il le faut, cette originalité d'après l'effet cherché: ce point est celui où la nouveauté ne donne plus l'impression du nouveau; alors l'artiste pour conserver son originalité sera tombé dans le lieu commun. Personne, je pense, n'a remarqué que, précisément par suite de son oubli de ces principes, Moore a relativement manqué son « Lalla Rookh ». Peu de lecteurs et même peu de critiques ont loué l'originalité de ce poème, — et, en effet, il ne semble aucunement original, encore qu'il soit plein des plus heureuses originalités. Mais elles sont si excessives que, finalement, elles tuent dans le lecteur toute possibilité de les apprécier.
 Ceci bien compris, on verra que le critique (ignorant de Tieck), qui ne lit qu'un conte ou qu'un essai de Hawthorne, n'est pas injustifiable de l'avoir jugé original; mais le ton, la manière, ou le choix du sujet qui auront donné à ce critique la sensation du nouveau, en arriveront — sinon après le second conte, après le troisième et les suivants — d'abord à ne plus lui donner cette sensation, enfin à lui en donner une autre exactement contraire. Quand il aura lu un des volumes, mais surtout quand il les aura lus tous, le critique ne songera plus à appeler l'auteur « original »; il se contentera de l'épithète de « personnel ».
 Quant à la vague opinion qu'être original c'est être impopulaire, je pourrais peut-être l'accepter si j'acceptais en même temps la conception de l'originalité que, à ma grande surprise, j'ai entendu professer à beaucoup de personnes réellement dignes du nom de critiques. Elles ont limité, dans leur amour du mot pur et simple, l'originalité littéraire à l'originalité métaphysique. Elles ne regardent comme originales en littérature que certaines combinaisons de pensées, d'incidents et seulement en tant qu'absolument nouvelles. Il est clair cependant que, d'abord, c'est la nouveauté de l'effet qui est uniquement digne de considération; ensuite, que cet effet s'obtient mieux, étant donné le but de toute fiction, par la négligence que par la recherche d'une nouveauté de combinaison absolument neuve. L'originalité ainsi comprise impose à l'intellect une tâche et un effort, et, ainsi, oblige à une activité indue des facultés auxquelles, en ce genre de littérature, nous ne nous attendions pas à faire appel. Et, ainsi comprise, l'originalité ne peut pas manquer d'être impopulaire près de la masse, qui, cherchant dans la littérature un amusement, se trouve positivement offensée par un enseignement.


 La vraie originalité, — vraie relativement à son but, — est celle qui, en élaborant les informes, les inconscientes, les rétives fantaisies de l'humanité, ou en excitant les plus délicats mouvements passionnels du cœur, ou en donnant naissance à quelque sentiment universel, à quelque instinct embryonnaire, combine ainsi avec l'effet de plaisir de la nouveauté apparente de réelles et égoïstes délices. Le lecteur dans le premier cas (celui d'absolue nouveauté) est excité, mais embarrassé, troublé, et, jusqu'à un certain point, il souffrira de son impuissance à comprendre, de la sottise qui l'empêche de mettre le doigt sur l'idée. Dans le second cas, son plaisir est doublé. Il goûte des délices intrinsèques et extrinsèques. Il jouit avec intensité de la nouveauté de la pensée, il en jouit comme d'une chose réellement nouvelle et absolument originale, non seulement chez l'écrivain, mais chez lui, — lecteur. Tous deux, s'imagine-t-il, et seuls parmi tous les hommes, ont pensé ainsi. Tous deux ont créé ceci ensemble. Il y a donc entre eux un lien de sympathie, — une sympathie qui irradie chacune des pages du livre.


Edgar Poe.


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(1) Traduction inédite. — V. Mercure de France, N° 2 et 24 (novembre-decembre 1891.)

LE SERPENT DE LA GENÈSE »(1)

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 Il existe à Paris un Monsieur qui ne proclame non seulement Mage, mais Archi-Mage. Dans l'espoir de justifier ce titre, il emploie des moyens variés, mais également grotesques: il annonce, d'année en année, l'apparition d'un Amphithéâtre des sciences mortes, et se contente de rééditer des romans assez mal écrits, où l'un des personnages, doué de pouvoirs surnaturels, tantôt exécute avec désinvolture des miracles inexpliqués, tantôt dévoile d'un ton mystérieux de profonds secrets imperturbablement empruntés soit à Eliphas Lévi, soit à P. Christian, que le public ne lit guère. Il s'affuble encore de costumes de carnaval, avec la prétention outrecuidante de continuer ainsi les traditions de Barbey d'Aurevilly, dont il se réclame.
 Tel, il a su merveilleusement capter l'attention des badauds. Ceux-ci, dès qu'il s'agit de science occulte, ont aussitôt à la bouche son nom de Joséphin Péladan ; pour eux, il est le Seul, l'Unique, il l'a toujours été, il le sera toujours.
 Et l'Archi-Mage se garde bien de prononcer jamais un seul mot qui puisse détruire une aussi déplorable erreur. Il veut conserver son monopole, et il y réussit à souhait.
 Il serait juste, pourtant, qu'un tel état de choses prît fin, et que les véritables occultistes fussent désormais l'objet d'une attention trop longtemps accaparée par un bouffon. Aussi est-ce un devoir de signaler aujourd'hui aux lecteurs du Mercure de France une récente œuvre d'occultisme, le Temple de Satan, due à la plume autorisée de M. Stanislas de Guaita, un consciencieux et savant écrivain qui, depuis des années, attend quelque renom du seul mérite de ses travaux, d'ailleurs bien connus des lettrés. M. Anatole France le présentait naguère en ces termes, dans une étude sur quelques poètes publiée par le journal Le Temps:
 « M. Stanislas de Guaita est Mage. On estime dans le monde de l'occulte ses Essais de science maudite ; et ce sont, en effet, des livres intéressants, écrits dans un langage ardent et pur. Même dans son recueil de vers, Rosa Mystica, M. de Guaita est Mage. Cette familiarité avec le monde invisible n'est pas le seul charme de ses poésies. Comme l'a dit M. Rodolphe Darzens, ses rythmes sont très sûrs et ses hautes pensées se formulent en beaux vers ».
 Faut-il ajouter que M. Stanislas de Guaita, qu'il importait de présenter aux mal informés comme pur de toute compromission avec les Mangins de l'occultisme, est l'âme d'une société d'ésotéristes plus éprise d'étude que de bruit, et qui a dû rayer M. Péladan du nombre de ses membres ?


***


Le Temple de Satan, livre premier d'un ouvrage en 3 tomes, intitulé Le Serpent de la Genèse, traite de sorcellerie, comme il est facile de s'en rendre compte en lisant l'entête de chacun des sept chapitres qui le composent : Le Diable, Le Sorcier, Œuvres de sorcellerie, La Justice des hommes, L'Arsenal du sorcier, Modernes avatars du sorcier, Fleurs de l'abîme.
 Il ne s'agit point ici de fables présentées comme des réalités, d'imaginations terrifiantes dont le degré d'imprévu est le seul mérite ; le Temple de Satan n'est ni un roman, ni une série de contes ; c'est une œuvre de science pure où l'érudition se joint aux vues les plus personnelles.
 Ce que la sorcellerie a été depuis les temps reculés jusqu'à nos jours, les actes judiciaires dont elle a été l'objet, ses adeptes et ses manifestations dans tous les pays, les questions de physique ou de métaphysique qu'elle comporte, voilà ce qu'a traité M. de Guaita.
 Sans doute, on trouvera chez lui plus d'une exposition historique déjà faite, plus d'une appréciation déjà donnée ; mais nulle part on ne les rencontrera en aussi grand nombre, groupées d'une manière aussi synthétique et surtout éclairées d'une semblable lumière. Il a su être profondément original où toute originalité semblait interdite désormais.
 Tout le monde, en effet, connaît l'histoire d'Urbain Grandier et des religieuses de Loudun, le tableau du Sabbat, la Messe noire. Michelet, le mieux informé des écrivains modernes sur ces étranges sujets, les a traités dans la Sorcière avec un style féerique, et toute nouveauté paraissait impossible après lui ; M. de Guaita a su pourtant enrichir son œuvre d'un élément capital, l'élément occultiste, omis par le grand historien.
 Michelet, lorsqu'il écrivit la Sorcière, avait l'évidente préoccupation de combattre l'opinion des écrivains religieux, qui, croyant à l'existence d'un diable et de sous-diables anthropomorphiques, expliquaient tout par l'intervention de Satan et de ses suppôts en personne. Qu'il y ait dans l'Univers des forces tirant leur puissance d'un plan autre que le plan purement physique, douées de propriétés absolument ignorées de la presque totalité des hommes, et par lesquelles, ou sous l'empire desquelles, certains individus acquièrent la faculté de produire des phénomènes naturels, mais si bien inexplicables pour les non initiés que ceux-ci les traitent de surnaturels ou les nient, Michelet parait n'en rien savoir. Il décrit avec un art consommé les scènes historiques que l'auteur du Temple de Satan a reprises après lui, mais il les explique par l'action des forces de la nature vulgairement connues, et ses explications ne satisfont point ; d'ailleurs, il parait apprécier lui-même ses théories a leur juste valeur : il pressent manifestement la véritable solution des problèmes qu'il agite, mais cette solution, souvent latente, n'est jamais exprimée.
 Pour Michelet, Satan est un souvenir des dieux du paganisme,demeuré au cœur de tous les opprimés du moyen-âge, avec une auréole de grâce consolatrice. Il symbolise la Science, luttant d'abord dans l'ombre, puis au grand jour, contre les dogmes solennellement affirmés par l’Eglise, et placés par elle hors de toute discussion ; il est encore l'esprit de révolte pour la Justice et la Vérité contre l'injustice sociale et l'erreur imposée par les pouvoirs ecclésiastiques et féodaux ; il est le droit du peuple en face de la tyrannie ; il incarne « la logique et la libre-raison ».
 « L'église, écrit-il, avait bâti à chaux et à ciment un petit in pace, étroit, à voûte basse éclairée d'un jour borgne, d'une certaine fente : cela s'appelait l'Ecole. On y lâchait quelques tondus, et on leur disait: « Soyez libres. » Tous y devenaient culs-de-jatte. Trois cents, quatre cents ans confirment la paralysie. Et le point d'Abailard est justement celui d'Occam ! Il est plaisant qu'on aille chercher là l'origine de la Renaissance. Elle eut lieu, mais comment ? par la satanique entreprise des gens qui ont percé la voûte, par l'effort des damnés qui voulaient voir le ciel. » Ainsi, Satan n'a pas de réalité objective, il est seulement l'emblème d'une collectivité de nobles et persévérants efforts.
 Tout autre est l'opinion de M. de Guaita. S'il admet avec Michelet que le diable n'a point cette personnalité anthropomorphique que lui attribua l'Eglise agnostique, il « voit en lui le type abstrait d'un état accidentel et transitoire, ou encore, sous un autre jour, une synthèse relative des êtres mauvais, envisagés en tant que mauvais, et non en tant qu'êtres ».
 Partant de définitions aussi dissemblables, il n'est pas étonnant que l'auteur de la Sorcière et celui du Temple de Satan ne soient pas tombés d'accord sur la nature des œuvres de sorcellerie.
 Pour Michelet, la Sorcière est la consolatrice des âmes et la salvatrice des corps : « Les sorcières observaient seules, et furent, pour la femme surtout, le seul et unique médecin ». Si elle manie des plantes vénéneuses, celles-ci sont de simples remèdes : dans leurs mains, pas ou presque pas de philtres maléfiques. Ceux que l'on qualifie de la sorte sont destinés, pour la plupart, à donner à des malheureux l'illusion bienfaisante de l'amour. Quelquefois, cependant, ces philtres punissent de maladie ou de mort d'injustes oppresseurs.
 Il suffit de parcourir dans le Temple de Satan le chapitre intitulé : l'Arsenal du Sorcier pour se convaincre que, sur ce point, Michelet est tombé dans une inconcevable erreur.
 Appuyé sur une masse prodigieuse de documents authentiques, M. de Guaita prend le sorcier en flagrant délit de maléfice. Toutes les plantes qu'il rencontre dans ses mains sont des stupéfiants ou des poisons ; toutes les recettes qu'il lui voit employer ont un but coupable ; enfin, « c'est au nom de l'Enfer que le sorcier vaticine, promet, menace, maudit...»
 « Pour être basée sur un mensonge, ajoute l'auteur, sa puissance n'est pas vaine. »
 Cette mystérieuse puissance ne consiste pas seulement dans la vertu propre de la matière employée pour l'œuvre, elle consiste surtout dans la force efficace que lui ajoute la foi du sorcier.
 Comment un pur état d’âme peut-il avoir une action sur le monde physique ? Comment la parole peut elle accroître la force des propriétés naturelles d'un breuvage ? Michelet ne soulève même pas la question. Quant à M. de Guaita, il ne l'explique pas ici, mais il démontre expérimentalement que cela est, se réservant de donner dans un prochain volume la clef de la Magie noire, le pourquoi du comment, qu'il expose invinciblement aujourd'hui.


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 L'écrivain de la Sorcière s'est occupé seulement de la sorcellerie au moyen-âge. S'il avait, comme M. de Guaita, poursuivi son étude jusqu'à nos jours, il lui eût été difficile, après les expériences de Croockes, de sir Russell Wallace, et de tant d'autres ! de mettre sur le compte de l'hallucination les apparitions posthumes, les évocations d'outre-tombe, si fréquentes dans les milieux spirites. Certains médiums, ces sorciers contemporains, dont le Temple de Satan nous révèle les mœurs honteuses et la réelle puissance, auraient eu quelque peine à passer à ses yeux pour de charitables consolateurs.
 Aussi la thèse de l'infamie du sorcier soutenue par M. de Guaita est-elle la bonne. Les pièces qu'il produit sur les modernes adeptes de la magie noire, et notamment ces hypocrites que M. Huysmans amis en scène dans Là-bas, les montrent tous en communion d’œuvre avec les sorciers du moyen-âge. Les rites actuels ne diffèrent guère des rites anciens : on dit encore la Messe noire à peu près comme il y a six cents ans ; et ces rites ont d'abominables conséquences. Pourquoi, en dépit de Michelet, leur horrible vertu n'aurait-elle pas été la même dans le passé?
 Telles sont quelques-unes des réflexions suggérées par le livre de M. de Guaita. Si elles ne suffisent pas à donner une juste opinion de son importance, elles témoignent au moins de l'érudition et de la conscience qui ont présidé à sa composition
 Il n'était peut-être pas inutile d'attirer sur ce point l'attention des lecteurs, dont les notions d'occultisme ont été puisées trop souvent dans les romans d'un ignorant qui a osé publier, parmi d'autres sottises : « que le texte du Zohar couvrait bien une page et demie d'imprimerie. »


Edouard Dubus.


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(1) Un vol. grand in-8, par M. Stanislas de Guaita.

LE FANTOME

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V. — L'ORGUE


 « O Face adorable qui avez réjoui dans l'étable les anges, les pasteurs et les mages ! »
 A genoux devant rien, au milieu de sa chambre, la tète entre ses mains, déroulée vers ses reins l'innocence de ses cheveux pâles, elle proférait avec une grande pureté de voix cette éjaculation pieuse et la répétait, toujours la même, telle que la strophe amoureuse d'un chapelet.
 J'attendais la suite ; il n'y en eut pas, et elle se releva pour me sourire et me dire :
 — « Je prie par la musique des mots. Cette phrase trouvée en un ancien livre n'a-t-elle pas quelque chose d'assez doux et d'assez fort pour briser les portes de la négation et attendrir même, selon l'harmonie de sa grâce vocale, l'oreille aux aguets du Seigneur Jésus ? Oui, l'attendrir, pour que tout y passe, les litanies de mes peines secrètes et l'anxiété de faire ta joie... Et puis je songe à la Dame du très vieux temps, à la dame Véronique qui gagna par son bon cœur le privilège d'un mouchoir miraculisé. Oh ! entre toutes que je fusse celle-là, et m'écarter de la foule contente d'un spectacle et venir vers celui qui porte sa croix et doucement, comme d'une angélique main, essuyer la sueur sacrée de la Face adorable !... Et sur les images on me verrait, debout à mi-côte, avec à mes pieds la triste Jérusalem, déployant pour l'étonnement des Juifs stupides l'empreinte inestimable, et le condamné monte vers le sommet du monde, aux yeux de tous il souffre, il meurt, et moi je demeure là, les bras étendus afin que l'on vénère ce que je porte, et mon attitude survit à la résurrection, — car je suis la sixième station du Chemin de la Croix ! »
 Je répondis avec une ironie qui la déconcerta :
 — « Etre, n'est-ce pas, une Figure historique, afin de vous faire peindre à fresque par Fra Angelico, et votre nom écrit sur une banderolle et répété, en une antienne apocryphe et indulgenciée, par des anges que le théorbe accompagne ?
 — « Eh bien, oui ! reprit-elle en rougissant. Vous m'auriez choisie entre plusieurs peintures au lieu d'entre plusieurs femmes, et ne m'auriez-vous pas aimée tout autant ?
 — « Tout autant.
 — « Peut-être plus ?
 — « Peut-être plus.
 — « Et j'aurais peut-être dévoilé à votre contemplation, rien que par mon genre de regard, toujours le même, une âme plus agréable et certainement moins contradictoire, plus facile à satisfaire et moins embarrassée, sûre de toujours vous plaire et pas effarée de tout comme je suis, — car, je puis bien vous le confier, Damase, je ne comprends rien ni à vous, ni à la vie, ni à moi, ni à rien.
 — « Hyacinthe, l'orgueil de vouloir comprendre est dangereux, immoral et, de plus, démodé. La devise moderne (la dernière) n'est-elle pas : « Marcher, sans savoir pourquoi, et le plus vite possible, vers un but inconnu » ? Agir et penser sont des contraires qui ne s'identifient que dans l'Absolu. Beaucoup de gestes, remuer la tête, remuer les bras, remuer les jambes, — sans pourtant ressembler expressément à un pantin, — accomplir ces mouvements avec la sécurité que donne la conscience du droit, voilà ce qui est recommandé par dessus tout. Soyons des citoyens de l'activité universelle et oublions de prendre conscience de nous-mêmes. Le cheval aveugle galope sans hésitation, car ignorant d'où il vient il ignore où il va : crevons-nous les yeux.
 — « Vous manquez d'indulgence, Damase. Il ne faut pas me traiter par l'ironie, cela me fait souffrir.
 — « Plus tu sauras, plus tu souffriras. L'Absolu a souffert absolument, et peut-être encore ! Une infinie tristesse s'est répandue sur le monde, et d'où sinon d'en haut? Songe à la douleur divine, après la vanité du rachat, vain comme la vanité qu'il rachetait ! Le sacrifice fut incompris, hors de quelques-uns qui n'ont aujourd'hui que des héritiers obscurs, imbéciles ou désarmés.
 — « Pensons à nous-mêmes, dit Hyacinthe.
 — « Oui, soyons égoïstes et nous serons peut-être sauvés. Le salut est personnel. Nous, d'abord, et délestons de toute fraternité inutile le vol de la chimère qui nous emporte aux étoiles.
 — « Ne devons-nous pas aimer les autres ?
 — « Nous ne devons pas aimer les mauvaises volontés : elles se sont, d'elles-mêmes, mises en dehors de l'amour. Mais il n'est pas nécessaire de les haïr ni de les mépriser.
 — « Je voudrais, dit Hyacinthe, les aimer quand même, — un peu.
 — « Non, ce sont des négations : ce serait aimer le mal qu'elles symbolisent.
 — « Pourtant j'aime les bêtes.
 — « Les bêtes sont innocentes.
 — « Ah ! nous allons devenir bien pharisiens ! »
 Cette remarque m'interdit, car Hyacinthe avait raison, — relativement. Pratique, telle que toute femme, elle ne voulait pas fermer le cercle sans espoir de solution ; il lui fallait garder une possibilité de cousinage avec l'humanité. Je lui concédai son désir pour le cas où nous serions devenus l'un pour l'autre des sachets empoisonnés.
 Toutefois, je repris :
 — « En toute religion, — même en celle que nous pratiquons (oh ! surtout en paroles, comme des gens que l'acte déconsidère, au moins momentanément, à leurs propres yeux), — il y a un ésotérisme, un mystère qui, une fois pénétré, dispense le fidèle de toute charité médiate. N'ayant plus de relations qu'avec l'Infini, il s'abstrait de la création, n'est tenu envers ses frères, mauvais ou bons, à aucune sorte d'amour effectif ou théorique : c'est l'état d'indifférence, la nuit de la volonté, l'un des stages de la nuit obscure de l'âme qui comprend également l'anéantissement sensuel et l'anéantissement intellectuel, — prologue de la vie en Dieu, pénultième station avant la vision béatifique.
 — « Et quel est, dit Hyacinthe, ce mystère à pénétrer ?
 — « A peine si c'est un mystère, Hyacinthe, à moins que l'évidence n'ait droit, elle aussi, à ce nom plus prostitué qu'une conscience d'évêque. Il s'agit tout simplement de la science du néant, qui s'acquiert plutôt par un acte de foi que par une déduction logique, — bien qu'en somme son acquisition soit le but dernier de la logique elle-même. Mais, vous avez dit vrai, il y aurait du pharisaïsme à croire que nous avons conquis cette connaissance suprême !
 — « Pourquoi donc, Damase?
 — « Ne sommes-nous pas des sexes?
 — « Oui, oui ! cria-t-elle, oui ! J'y tiens, au mien et au tien. Il n'y a que cela que je comprenne, — presque ! Et encore cela m'attriste.
 — « Je le sais, petite adorable menteuse, tu me l'as déjà dit : cela t'attriste — après ! Tu fais semblant de m'écouter et tu penses à des baisers. Tu n'es — comme les autres — qu'une gaîne !
 — « Hé ! puis-je pas être cela, et autre chose en même temps ? Je suis une gaîne aussi pour tes idées, — et elles sont rudes, parfois, tel qu'un mauvais rêve.
 — « Tu es fallacieuse !
 — « N'est-ce pas ton désir, Damase ? Ne dois-je pas être pour toi une illusion ? »
 Nous étions sortis de la chambre et de la maison, — accueillis avec la déférence due aux seigneurs par la vieille avenue de hêtres respectueuse et solennelle: et reconnaissants aux nobles arbres nous marchions avec une lenteur comme de procession, d'accord avec le ploiement des larges branches que le vent, une à une, inclinait vers nos têtes. L'orgue vaste chantait : nous écoutions, et nos oreilles accoutumées distinguaient le bruit des hautes et des basses feuilles, les dires du hêtre, des peupliers, des pins et des chênes circonvoisins. L'avenue proférait les notes dominantes, et dans l'accompagnement précipité des peupliers les pins jetaient leur lamentable plainte et les chênes la sonorité grave d'une voix de mâle.
 La chute de la nuit pacifia tous les bruits : ils semblèrent descendre et rentrer dans l'herbe, qui, maintenant, craquait sous nos pieds.
 — « Enfin, dit Hyacinthe, où voulons-nous en venir ?
 — « Mais, répondis-je, il me semble qu'une croyance positive et stricte, par exemple en nous-mêmes, en notre utilité absolue et mystique, libérerait notre logique de bien des inconséquences. Je crains que nous ne soyons un peu enclins au jeu. Vous êtes-vous arrêtée, parfois, en un jardin, à Paris, devant de petites immanences, cheveux dans le cou et jambes nues, jouant à la raquette ? Et avez-vous pénétré le profond sérieux, sous de plaisantes apparences, avec lequel ces animalcules se renvoient, en glapissant de volupté, leurs âmes à plumes, leurs volants immortels ? »
 Au bout de l'avenue des points lumineux apparurent, deux ou trois, surgissant comme des fanaux au-dessus de l'immobile mer des choses. Silencieusement nous nous arrêtâmes, éprouvant les incertitudes de l'imprévu, puis en les maisons devinées, derrière la fenêtre vive, nous imaginions de paisibles vies heureuses de l'abri et du repos, délivrées du souci, de la pensée, contemplatives de leur douce végétalité, lentes au geste et peu de paroles. Ah ! qu'il fait bon vivre là où l'on n'est pas.
 L'église était ouverte encore, personne n'y priait et les ténèbres intérieures dormaient sous la lampe éternelle.
 Nos genoux heurtèrent l'orgue du chœur, je soulevai la lourde chape de chêne et les doigts d'Hyacinthe chantèrent la gloire triste de vivre dans l'indéniable et essentielle obscurité. Sans rancune contre les lumières éteintes, contre la noirceur du ciel, ils demandaient très humblement pour nos âmes une lueur, — oh ! pas davantage ! - une syllabe de flamme pâle. Aux doigts en mouvement les pierreries des bagues chatoyaient un peu parmi la pénombre, — ainsi que des pensées confuses, mais vraies : rien que cette vérité-là, intermittente et vague, mais certaine !
 Donc, je m'élevais aux cimes du désir métaphysique tout en caressant d'une distraite main les petits cheveux d'Hyacinthe et le contour de ses oreilles, vérité non pas douteuse, celle-ci, mais authentique et d'une certitude si candide ! Les cheveux étaient doux comme des aveux : ils s'abandonnaient à mes doigts et s'enroulaient si naïvement, avec tant de bon vouloir à me faire plaisir, et l'oreille était si inquiétante avec ses méandres et en même temps si docile à mon jeu de manipuler, et Hyacinthe était si bien toute frémissante et si parfaitement isochrone avec le galop de mes pulsations, — que l'orgue se tut.
 Nous observâmes le respect dû au Saint Lieu en nous unissant selon toute la modestie compatible avec les gestes de l'amour.


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VI. — LES IMAGES.


 Regarder des images pieuses, des représentations de saintes dont la face blême s'amincit dans un halo d'or, d'amantes qui laissèrent toute terrestre inquiétude oubliée entre les lys, de celles qui firent saigner leur corps, qui furent folles de leur cœur...
 — « Croyez-vous, me demanda Hyacinthe, qu'elles aient éprouvé des joies plus pures que nous, pécheurs, en notre péché ? N'était-il pas très pur, notre péché ?
 — « Hyacinthe, vous déraisonnez.
 — « Nullement, Damase, je me réalise, j'affermis mon fantôme, je le repétris dans le ciment des souvenirs sensationnels. Cette seule fois il y eut un après, une persistance de volupté, la permanence d'une caresse qui, à travers la forêt des fibres, avait atteint mon âme et l'avait sensibilisée, — peut-être pour toujours !
 — « Cher enfant gâté, il lui faut le péché !
 — « Oh ! ceci vous regarde. Moi, je n'ai pas de conscience, puisque je vous fis don de mon libre-arbitre, et que vous l'aceptâtes.
 — « Et si je vous emmène dans les ténèbres extérieures ?
 — « Je vous suivrai, mon ami, sûre d'être bien partout où je serai avec vous. »
 Cela valait un baiser, que je lui donnai ; ensuite je dis :
 — « Ce n'était pas un péché.
 — « Oh ! par exemple ! »
 Incrédule, elle me raillait. Il fallut consulter des auteurs, lui prouver par des textes la vénialité de notre abandon. Elle en fut chagrinée, ou bien ce n'était qu'une vaniteuse feinte, car je ne lui connus jamais de perversité réelle, une bravade propre à m'émouvoir et à susciter ma contradiction.
 — « Le péché, dis-je, est toujours médiocre. C'est, en soi, un acte incomplet, borné par sa propre nature et qui n'élabore qu'une simagrée nulle. Contraire à la pensée divine, il demeure à mi-chemin de la contradiction, puisque l'absolu dans le mal est impossible, même à concevoir.
 — « Je ne cherche pas l'absolu, moi, dit Hyacinthe, et seules, même incomplètes, les sensations me font vivre. Je veux bien qu'elles soient vaines, si leur vanité m'est douce. Tu te souviens qu'aux premières initiations je fus déçue et qu'ensuite telles expériences me contristèrent : eh bien, d'hier la lumière dure encore, — dans le cœur de la modeste peccatrice, mon cher Damase. Pourquoi ?
 — « Parce que l'ironie est un des éléments de la joie et qu'il vous a paru notablement irrespectueux de vous pâmer sous la vigie du Tabernacle, mais il y a de divines indulgences pour ces distractions : ce ne fut qu'un manquement à l'étiquette, — et le reste, vous l'imaginâtes.
 — « Et quelle différence voyez-vous entre l'imaginaire et le réel ?
 — « Subjectivement aucune, Hyacinthe, vous le savez bien. Toutefois ces deux sortes de faits, différenciés initialement par le verbe, ne marquent pas l'âme des mêmes cicatrices, la pensée se nie par la pensée, et l'acte par l'acte. Vous n'ignorez pas que le péché se commet selon trois modes : en pensée, en parole, en action...
 — « Et vous croyez vraiment que je pense ?
 — « Peut-être, — sans le savoir ! Ayant étudié de très près les femmes, Schopenhauer put établir sa théorie de l'Inconscient : il avait compris que l'intelligence peut coïncider avec l'automatisme. Son Dieu-Monde est une femme élevée à l'infini, — genre de Dieu fort dangereux et sous le gouvernement duquel il faut s'attendre à toutes sortes de cataclysmes, Dieu inconnaissable pour l'humanité et inconnaissable pour lui-même. Et toi, petit Dieu ironique, je voudrais m'imboire de ta spiritualité, — et je ne puis. Tu fuis sous le tranchant de mon intelligence comme les folles herbes marines sous le fil de la faux... »
 Hyacinthe semblait distraite aux images...

 Scholastique, à son poing, mystique épervier, l'Esprit se symbolisait en oiseau familier, les ailes comme un double bouclier épandues sur les seins de la vierge élue.
 Claire, ses mains gantées capturent l'ostensoir et ses yeux clairs pleurent des larmes surnaturelles.
 Ida la blanche au chef réceint d'épines, et Colette, agnelette égorgée par l'Amour.
 Sur la croix que porte Catherine, des lys ont daigné fleurir.
 Christine, à ses épaules de grandes ailes surgirent dans la déchirure de la bure, et ses pieds nus stygmatisés ensanglantaient les dalles du monastère.
 — « Eh bien, connais-moi ! » proféra Hyacinthe, en se tordant sur mes genoux selon un rythme tel qu'elle en paraissait dévêtue.
 Le divan aux coussins de sinople fut notre intermédiaire.
 Après, elle me garda sur elle une seconde pour me dire:
 « Voilà comment on peut me connaître, — et pas autrement! »


VII. — LES LARMES


 Songeant aux sensations fictives et aux visions équivalentes, il m'arriva de torturer Hyacinthe très cruellement. Je lui en avais fait la promesse, mais une native bonté d'âme et la nouveauté des fatales occupations amoureuses m'aveuglaient et restreignaient jusqu'à la naiveté indulgente mon devoir d'inquisiteur.
 Pharmacoper les âmes par la seule drogue qui les purge, la douleur, — c'est assurément la suprême charité, mais combien difficile à exercer envers les êtres que l'on aime! D'innocentes hosties ne sentent pas le prix du martyre immérité, et quel courage pour braver, de la bouche qu'on adore, la vocifération de : bourreau!
 Hyacinthe accueillerait-elle comme des amies mes mains allumeuses de bûchers ou les mordrait-elle, à dents par la révolte empoisonnées?
 Mais il le fallait, et j'avais un autre motif: c'est que les larmes sont toujours un peu révélatrices du parfum intérieur, de l'essence enclose dans le flacon secret.
 — « Hyacinthe, dis-je, en secouant le bras vilainement, un soir que nous revenions d'une promenade par les allées où pleuraient déjà les feuilles sèches, — que vous êtes lourde!
 — « Oh! Par exemple! »
 C'était le mode familier de son indignation ou de sa surprise.
  — « Lourde, ma chère, ou alourdie peut-être. Seriez-vous lasse?
  — « De quoi?
  — « Mais, de me suivre, ombre ! »
  Elle me trouva méchant et s'attrista.
  — « Ombre ! Eh bien, n'est-ce pas mon devoir et ma joie ! Quand tu m'appelas à la vie (je ne sais comment) ce fut pour te suivre, il me semble, pour te répliquer selon des modes explicatifs et non contradictoires, — enfin, pour matérialiser en la substance que je te parais, en la forme que je t'apparais, ton rêve d'un autre sexe. Est-ce mon rôle, oui ou non ? Alors, que me reproches-tu et pourquoi me fais-tu pleurer, — moi, ta pensée même ?
  — « Tu est lourde, parfois, comme un ennui, — et tu te matérialises trop.
  — « Je suis ce que tu as voulu, reprit Hyacinthe, et je t'appartiens tellement que de me blâmer, c'est toi-même que tu offenses.
  — « Elle n'a donc jamais pensé, l'Hyacinthe adorée, dis-je, en émettant d'atroces sous-entendus d'ironie, que ce qui a commencé doit finir ?
  — « Je ne sais plus quand j'ai commencé à t'aimer, c'est-à-dire à vivre, dit Hyacinthe en tremblant, mais je ne veux pas finir.
  — « Imbecilla pluma est velle sine subsidio Dei . La volonté n'existe que conforme à la logique la plus haute. Si tu m'appartiens, tu ne peux vouloir. La rébellion d'un fantôme ! »
  Elle devint amère:
  — « Cependant j'ai une âme.
  — « On dit aussi l'âme d'un violon et l'âme d'un soufflet, — mais je vous l'accorde, Hyacinthe, votre âme immortelle de femme, immortellement futile et négatrice. C'est elle qui me gène et dont les émanations s'élèvent en fumée autour de moi et obscurcissent ma vision de l'infini. Si je pouvais t'aviver jusqu'à la lumière, charbon sans flamme, mais tu restes noir sous mon haleine et tu infestes d'odeurs charnelles le laboratoire de mes désirs purs.
  — « Annihile-moi, Damase, pulvérise l'ininflammable charbon, — mais tais-toi, et qu'en mourant je puisse adorer encore tes lèvres muettes !
  — « Pourquoi t'aimerais-je, même en paroles, puisque tu me damnes et que je le sais ?
  — « Au moins, Damase, ne me sépare pas de ta damnation, et que nous soyons deux — en Enfer !
  — « Tu me l'as déjà dit. Ah ! stupidité des amoureuses excessives. « Mon Dieu, que je sois damnée, pourvu que je vous aime ! » — n'est-ce pas?
  Mais, enfant plus irraisonnable que la trajectoire brisée d'une idée de fou, — damnée, tu me haïras. L'enfer n'est que haine, et si une lueur de joie phophorescente irradia jamais les prunelles dédiées aux éternelles ténèbres, ce fut dans les yeux morts d'un damné souffrant côte à côte avec l'être pour lequel il ouvrit jadis l'inestimable fontaine de son cœur sacrifié.
  — « Tu me fais peur ! Tu me me fais peur ! »
  Hyacinthe se jeta mourante dans les bras du tortionnaire. Elle se serrait contre la raison même de son effroi; elle baisait la main qui l'endolorait, les érignes qui lui déchiraient les seins, le sphondylotrobe qui lui écrasait les vertèbres.
  Ne pouvant peut-être, tout au fond d'elle-même, me croire si méchant que je me faisais, elle leva vers mes yeux ses yeux épouvantés, quêtant une fuyante étincelle de douceur, une débile nuance de consolation précaire, — mais, impitoyable, je maintenais le sérieux triste dont j'avais imposé l'esclavage aux muscles de ma face.
  La baisant au front, je dis:
  — « Que la plupart des paroles que je prononçai soient dissoutes, mais les dernières, non. »
  Soudain, je sentis naître et croître en moi une idée diabolique, — évoquée sans nul doute par les mots spécieux que j'avais antérieurement prononcés.
  Je renversai Hyacinthe sur le divan où elle était venue tomber vers moi, et je dévorai la joie mauvaise de posséder une femme paralysée par la terreur.
  Selon de brusques retours elle passait de la souffrance au plaisir, mais sans oublier encore, au milieu de la musique des chatouillements sexuels, le discord des impressions pénibles, partagée entre l'indiscutable violence des actuelles sensations et la peur qu'après l'extase le monstrueux étau de la haine ne la capturât en ses bras de fer pour l'éternité.
  J'eus le courage de prolonger l'expérience, dosant avec scrupule les arrêts et les mouvements, variant le rythme pour déconcerter la certitude, et Hyacinthe, effarée des contradictions qui martyrisaient sa chair heureuse, souffrait délicieusement, prête à s'épandre en sanglots, prête à mourir d'amour dans un paradis infernal.
  Enfin, les larmes jaillirent : je les bus comme de précieuses perles de sang.
 

VIII. — LES LICORNES

 Après cette crise, Hyacinthe m'ayant pardonné, — avec presque l'étonnement que j'eusse besoin de pardon, — nous entrâmes résolument dans la forêt mystique, où ne vivent nulles autres notables bêtes que les peureuses licornes. Comme elles fuyaient devant elle, secouées par de grands airs dédaigneux, ce fut pour mon amie une occasion excessivement propice de regretter sa virginité. Je lui fis comprendre qu'il y avait un mérite évident en un tel regret, une dorure très fine pour son âme fanée, une parure de repentir peut-être supérieure même à l'intégrité perdue, et elle consentit à offrir à Jésus l'oblation des plaisirs où elle avait compromis la native candeur de sa toison.
  De métaphores en métaphores nous nous élevâmes au mystère du Sacrifice. « Mon Amour est crucifié»— ό ὲρὁς έρως έστάνρωται. Le mysticisme tel que nous l'acceptâmes nous paraissait la suprême dignité d'une âme humaine dédaigneuse d'intermédiaires entre sa noblesse et l'infinie noblesse de Dieu, entre sa quotidienne agonie et l'immortelle agonie du Christ. C'est selon ces dispositions que nous décidâmes d'assister désormais à la messe que chanteraient en nos mémoires le prêtre et les diacres choisis parmi les plus sanctifiés dont les gestes d'adoration s'élèvent entre les lames de plomb des vieux vitraux.

IX. — LES FIGURES

 Cloches, vases sacrés, oints, bénits et baptisés, trompettes et marteaux de jadis, semanterions et xylophones, noles, campanes, airains, tintinnabules, cloches, vases sacrés !
  La hiérarchie est convoquée jusqu'au plus modeste, qui n'est rien et qui va devenir égal en immunité aux plus hauts saints : il participe au signe de la croix.
  Source lavatoire, l'eau salée mugit dans le bénitier comme un océan de conjurations.
  Femmes, vierges, clercs, lais : il n'y a plus de pénitents captifs sous la symbolique chaîne d'un démon de pierre ; il n'y a plus de chœur des vierges, la cloison est abattue et la vierge a perdu la fierté de son état. Il n'y a plus de grille aux strictes mailles : le sanctuaire s'est ouvert. Le prêtre n'est plus vieux par règle et même il est jeune et ses cheveux blonds dorent d'un reflet de concupiscence l'œil des matrones dévoilées.
  Seul, le Pauvre, liturgiquement se tient à la porte, avec le devoir de gémir, afin que les oreilles heureuses s'épouvantent au cri de l'éternelle misère.
 Des sépulcres, sous les dalles, s'exhale une odeur de vie permanente ; et des ossuaires, une radiance d'étoiles. Les reliquaires contiennent de la poussière d'amour.
  Le chrême a sacré la table de l'autel (ainsi le très saint Jésus se purifie lui-même) et, tel que d'un parterre impérial, les cierges, sous l'arrosoir enflammé des accolytes, vont surgir et fleurir.
  Les anges prient, humanisés par des simulacres très raisonnables, car il est bien véritable qu'ils odorent les parfums essentiels, qu'ils goûtent les suavités saintes, qu'ils entendent la parole incréée : ils sont jeunes, forts, libres, plus féconds que les plus puissants reins. Ils vont nus, sans corruption, et s'ils se vêtent, c'est de la transparence du feu.
  Ange aussi, l'aigle du lectorium, aux élévations royales ; anges, les lions couchés, autoritaires et obscurs.

Oraison

 Jésus, le grain d'encens fume dans l'encensoir : la Victime s'allume et l'oblation future s'accomplit en désir. Elle s'allume et fume et son amour apparaît sur la scène du monde : les Figures surveillent leurs accomplissements.
  Le Prêtre. — Exorcizo te, creatura salis, je t'exorcise, ô créature, pour que tu guérisses la stérilité des eaux. Exorcizo te, creatura aquae, je t'exorcise, ô créature, pour que tu apaises l'amertume du sel.

Oraison

 Dorénavant, l'eau sera salée et il pleuvera d'incorruptibles rosées : dénudez vos tètes, ce sont les larmes de Jésus.

Procession

 Les Palmes absolues s'érigent en concerts alternatifs autour du Prédestiné que le Verbe antérieur donne à la vie. Il se mêle au peuple, et le Sacrifice, comme une constellation, s'avançe le premier.
 Le Prêtre. — Veni, Sancte Spiritus.

Prose

 Le Choeur Saint Esprit, Esprit des cimes, Esprit radiant.

Esprit prodigue, Lumière!
Très bon consolateur,
Hôte très doux des âmes,
Refuge ombraculaire!
O flamme très heureuse,
Lave les cœurs sordides,
Arrose les cœurs arides,
O toi l'Esprit!
Fléchis les cœurs rigides,
Fromente les cœurs frigides,
O toi l'Esprit,
O Flamme très heureuse!
Nous attendons le sacré Septennaire,
Amen.
O Flamme très heureuse,
Amen.
Oraison

 Flambez, flambeaux ardents, soyez l'illumination de l'Agneau! Brûle, cire vierge de l'homme: ton essence est incombustible.
 Le Prêtre. — Seigneur, votre Fils accepta le fardeau de la chair, je couvre mes épaules du joug de la chasuble.
 Au nom des Trois qui sont Un, soient baisés à jamais tes pieds divins.
 Jésus-Christ. — Introibo. Je suis pareil aux victimes nourries dans le Temple : j'attends l'heure propitiatoire.
 Le Prêtre. — Introibo. Je monterai à l'autel, je monterai vers Celui qui me réjouira d'une éternelle jeunesse.
 Juge-moi, Seigneur, discerne ma cause d'entre la gent des Gentils; de l'homme inique et dolosif arrache-moi!
 Jésus-Christ. — Le Dragon illusionne les âmes: plantez la Verge fleurie.

Oraison

 La droite est la dignité du Roi, mais la gauche est réservée à l'Amour : c'est là que l'on goûte la plénitude des influences excessives. Les cheveux de Jean ont la douceur des âmes fraîches : il reçoit d'un cœur pâmé les caresses de son Maître.
 Le Prêtre. — Ab illo benedicaris in cujus honore cremaberis. Amen.
 Jésus-Christ. — Je suis venu incendier la terre: ce que n'ont pas fait les Chérubins, je l'accomplirai, car l'Esprit est en moi et tout le reste est stupidité.

Oraison

 La navette est un navire, les grains d'encens sont l'équipage: la navette est un navire sans voilure et sans cordage: la navette est un navire et ses flancs sont gonflés d'or. Vierge, et toi, Thuriféraire, tu portes entre tes mains la barque de saint Pierre, stable et profonde comme le sein de Dieu. La navette est un navire, l'or de ses flancs, ce sont les peuples : un sacrement les pèche et les sauve et les plonge dans la fournaise. La navette est un navire et l'encensoir est la fournaise.
 Le Prêtre. — Kyrie eleison.
 Le Choeur. — Christe eleison.

Oraison

 Le parfum s'élève au-dessus des roses, car les roses moisiront, mais le parfum des roses est une oblation imputrescible.
 Le Prêtre. — Gloria in excelsis.
 Le Choeur. — Gloire, gloire, gloire à l'Esprit.

Gloire à la Béatitude,
Gloire à l'Essence,
Gloire à l'Unité,
Gloire à la Plénitude,
Gloire, gloire, gloire à l'Esprit.

 Le Prêtre. — Je suis la Voix qui crie dans le désert, la Voix qui n'est pas bénie et mon infécondité me désespère.
 Je suis un ministre de mort, un ministre d'aveuglement: les voiles de deuil m'accablent de nuit.
 Jésus-Christ. — Plantez la Verge fleurie.

Epitre
S. Paul, Rom. 24.

 C'est pourquoi Dieu, selon les convoitises de leur cœur, les à livrés à la souillure: tellement qu'ils ont déshonoré leurs propres corps. A cause de cela, Dieu les a livrés aux passions de l'ignominie : car les femmes ont changé l'usage de nature en des usages qui sont contre nature. Et pareillement les hommes, abandonnant l'usage naturel de la femme, ont l'un pour l'autre brûlé de désir, les mâles sur les mâles opérant des turpitudes et recevant en eux-mêmes le convenable salaire de leur égarement.
 Le Prêtre- — O Virga ac diadema.

Séquence

 Le Choeur. — O verge et diadème du roi de pourpre,
 Tes gemmes ont fleuri en une haute prévoyance, dès le temps où dans l'homme dormait le genre humain.
 O fleur, tu n'as pas germé de la rosée, ni des gouttes de la pluie, et l'air n'a pas plané autour de toi, mais tu es née sur une très noble verge par l'œuvre de la seule Clarté.
 O verge, tu as surgi tout en or, ô verge et diadème du roi de pourpre.
 Jésus-Christ. — Ce que je vous dis dans les ténèbres, redites-le dans la lumière.

Évangile

 En ce temps-là le Seigneur, interrogé par une certaine Salomé sur le temps de son règne, répondit : « Lorsque deux feront un et lorsque ce qui est en dehors sera comme ce qui est dedans, et lorsque le mâle étant sur la femelle, ils ne seront ni mâle ni femelle. » Salomé demanda : « Jusques à quand les hommes mourront-ils? » Le Seigneur dit: « Tant que, vous autres femmes, vous enfanterez. » Salomé demanda : « J'ai donc bien fait, moi qui n'ai pas enfanté? » Le Seigneur répondit : « Nourrissez-vous de toute herbe, mais ne vous nourrissez pas de celle qui a de l'amertume. » Le seigneur dit encore : « Je suis venu pour détruire les œuvres de la femme : or ses œuvres sont la génération et la mort. »
 Le Choeur. — Ainsi soit-il.

Prône

 Dieu, lisons-nous en saint Denys l'Aréopagite, Dieu n'est ni âme, ni nombre, ni ordre, ni grandeur, ni égalité, ni similitude, ni dissemblance. Il ne vit point, il n'est point la vie. Il n'est ni essence, ni éternité, ni temps. Il n'est pas science, il n'est pas sagesse, il n'est pas unité, ni divinité, ni bonté. Nul ne le connaît tel qu'il est et il ne connaît aucune des choses qui existent telle qu'elle est. Il n'est point parole, il n'est point pensée et il ne peut être ni nommé, ni compris.
 Prière. — O Trinité très essentielle, nous te supplions de nous recevoir en ta trans-lumineuse obscurité.
 Le Prêtre. — Credo.
 Jésus-Christ. — Brisez la Verge morte, plantez la Verge fleurie.
 Le Chœur. — Credo. Je crois à la faute et à la rédemption, je crois à la mort et à la résurrection. Credo. Amen.

Oblation

 Elle a trouvé douze corbeilles dans son héritage, douze corbeilles de pain bénit.
 Les Figures sont les gardiennes du mystère, et toutes les figures obéissent au Symbole.
 Le ventre de la Femme est un autel d'offrande et la première station du Calvaire, l'habitacle premier choisi par l'Hostie : oblation obscure, prélude sanglant de la Transfixion.
 Le Prêtre. — Reçois, Père, l'immaculé sacrifice de primordiale intention : l'azyme a la blancheur d'un front divin. O Jésus, pain candide ! O Jésus, pain neigeux ! Le vin des gémellions a des grâces de cordial, mais le sang est thaumaturge. Reçois, Père, l'immaculé sacrifice, et toi, peuple, pense au prix de ton rachat.

Oraison

 La Patène apporte la paix.
 Marie, nimbée de rouge, élève sous un dais de pourpre l'Enfant-Roi, deux anges offrent la fumée procellaire de leurs encensoirs, et Jésus aussi s'auréole de sang, et les anges, et sur le ciel bleu, doré par les étoiles, des nuées de tonnerre s'amoncellent, couleur de colère et couleur de paix, couleur de sang.

Antiphone

 Le Roi était couché, le Roi dormait dans son lit royal, mais le nard de mon amour a pénétré son sommeil, et le Roi s'est levé et a dit: « J'entrerai dans ce corps à la bonne odeur et je dormirai là. »
 Le Prêtre. — Que mes mains soient des mains innocentes.
 … Dans tous les siècles des siècles.

Préface

 Les glorifications angéliques, les adorations archangéliques, la révérence des Dominations, le tremblement des Puissances, l'extase des Thrônes, la joie des Vertus, la volupté des Séraphins : Peuple, ton humble exultation atteindra, si tu es pur, à la concordance des Béatitudes.
 Le Choeur. — Sanctus, Sanctus, Sanctus. Les yeux des anges sont sous leurs ailes, et nous, ta gloire nous aveugle, ô Seigneur.
 L'Orgue. — Des ténèbres du profond exil, l'âme d'un seul bond s'exalte aux bleus violents de l'espérance, puis se profuse en laudations couleur de soleil.
 De glauques ondulations agitent les abîmes, l'océan de la peur se soulève en vertes écumes, mais une main paraît sur la surface des eaux troublées et d'une cassollette invisible se répandent d'abondantes fumées violettes.
 Les vagues humaines se gonflent vers le ciel, et dans les corps transfigurés les cœurs palpitent comme des roses au vent du matin, et les yeux sont vraiment de pures améthystes : des nuages candides dérobent les ventres frissonnants d'amour et tout s'apothéose dans la blancheur totale.
 Le Choeur. — O salutaris Hostia,
 Quae Coeli pandis ostium.
 Le Prêtre. — Père clémentissime, accepte l'oblation sacrificatoire de notre servitude. Nous la signons de ton sang, nous la scellons de ton corps.

Oraison

 Magie d'une surnaturalité terrifiante, ô puissance absolue, invincible domination des mots, merveilleuse fonction des syllabes : Verba consecrationis efficiunt quod significant : et la parole, ici, est une immolation
 Jésus-Christ. — La Verge a poussé comme un cèdre et le cèdre a étendu des bras cruciformes: plantez la Croix du Salut.

Elévation


 L'hostie s'élève dans les flammes solaires: l'Agneau demeure et saigne sur la terre.
 Le Prêtre. — Souviens-toi, Christ, du sommeil de la paix. Accorde-nous la paix du tombeau et le silence sacré des nécropoles.
 Jésus-Christ. — Vous dormirez en paix trois jours, si vous m'aimez, et la pierre de vos tombes se brisera, et vous connaîtrez la Vie, si vous avez connu l'Amour.
 Le Prêtre. — Pater noster.

Oraison


 Le Verbe est la splendeur de la gloire et la figure de la substance.
 Le Choeur. — Agnus Dcei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis.

Oraison


 Les baisers sont les endormeurs des anciennes querelles, les baisers sont les pacificateurs corporels.
 Le Choeur. — Agnus Dcei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis.
 Jésus-Christ. — Plantez la Croix dans vos cœurs.

Communion


 Chair du Salut, Sang de l'éternelle joie, soyez la macération de ma chair et l'apaisement de mon sang. Je crucifierai mes désirs sur la croix du calvaire, je couronnerai mes pensées de la couronne d'épines, j'enfoncerai dans mon côté la lance du renoncement, je boirai le vinaigre de la dérision et nul plaisir jamais n'amoindrira mon âme.
 Jésus-Christ. — Le plaisir s'arrête à l'unité et les douleurs sont au nombre de sept fois sept. 
 Le Choeur. — Pitié ! Pitié! 
 Jésus-Christ. — Tout est consommé. 
 Le Prêtre.— Ite, missa est.

Evangile


 Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Dès le commencement il était en Dieu.Toutes choses ont été faites par lui et sans lui rien n'a été fait. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes: et la lumière était dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise.
 Amen.

Remy de Gourmont


 (La fin dans la prochaine livraison.)


LE LIVRET DE L'IMAGIER
FRONTISPICE


 Ne fut-ce en celle-ci, ou bien en celle-là, ou même en cette autre, parmi les très antiques bibliothèques d'on ne sait plus quels Là-bas — les très antiques bibliothèques, autrefois parcourues et, voracement, grignotées?...
 Quand et où — courbant nos dos sur des rampes, fleuries de cauchemardantes horticultures en pierre grise — avions nous gravi les longs escaliers, qu'on ne se rapelle qu'à peine, spiroidaux ainsi que des tire-bouchons, et quand et où — heurtant nos coudes et nos genoux aux folles sculptures des plinthes, aux allégoriques grimaces frissonnantes en les frises — avions nous suivi les corridors qui convenaient, les corridors étroits et froids et obscurs et qui — vraisemblablement — nous menèrent (sans doute par des porches bas) en de bien oubliées petites salles innombrables endormies sous des voûtes, et mal éclairées par les verrières de rares ogives, et toutes remplies de silence, de renfrognement et de grimoire ?...
 Et, alors, dans ces petites salles voûtées où, peut-être, flottai éternellement une fade odeur de rêve desséché, parmi ces bouquins entassés selon un ordre méthodique et morne le long de murailles, jusques aux architraves, qui donc, quel providentiel savantas à lunettes rondes en corne, à perruque et à culotte, eut l'adorable lubie de nous révéler les rayons des merveilleux manuscrits où, entre mille missels dorés et enluminés comme des belles dames, il nous arriva (on croit se le remémorer) de découvrir (ne fallut-il pas bien que cela se passât ainsi?) ce petit livret sali, jauni, crasseux, fripé, corné, sans somptueuse reliure et sans miniature, ce petit livret qu'évidemment nous primes, à première vue, pour l'aide-mémoire familier et de poche de quelque pauvre jongleur?
 Pourtant, ce n'était point cela, point le portatif guide-âne d'un chanteur ambulant, d'un héroique râcleur de rebec, et ces feuillets contenaient (ou l'affirmerait quasiment) une œuvre, certes, moins précieuse que la moindre épopée du dernier trouvère, mais aussi, avons nous cru, plus rare, et, qui sait? plus curieuse: l'album de voyage d'un de ces artisans qu'il faut bien appeler sublimes, d'un de ces naifs et glorieux Imagiers, tailleur de pierres ou colorieur de fresques, enlumineur de parchemin ou orfèvre, ciseleur ès-métaux ou peintre de verrières, sculpteur de chêne et d'érable ou tisserand de trames de haute-lice, qui, bien que, déjà, hélas! vivant en pleine Renaissance, avait pourtant conservé dans son cœur la foi tenace du Moyen-Age, l'ardent spiritualisme de l'art gothique, la haine du matérialisme et du classique pastichisme de la nouvelle école ! Sur ce petit cahier de vélin, chaque jour, au hasard des belles choses rencontrées, il consignait, le bon artisan,ses réflexions, ses rêveries, ses émotions, ses critiques, ses admirations. Il y notait, non point pour l'approbation d'un banal lecteur, mais pour lui, pour s'instruire et pour se rappeler, les visions suggérées, ses imaginations interprétatives, des observations techniques, ces mots d'énigme qu on dérobe parfois aux chefs-d'œuvre et qu'on n'apprend jamais dans les académies !...
 Et, vraiment, ne fut ce pas de cette heure trouble et douce, en cette très vieille et mal ressouvenue bibliothèque de Là-bas et d'Autrefois, que nous prit la fantaisie de nous métamorphoser pour quelques semaines, aujourd'hui, en ce pauvre Imagier du passé, — et puis,oubliant tout, doctrine, philosophie, esthétique, science, théories, de pieusement rechercher, parmi les usines et les casernes du maintenant, les débris méprisés des choses qu'il aimait, lui, pour, nous aussi, avec sa naïve émotion de bon artisan, noter, sur un livret pareil au sien, nos réflexions de dociles écoliers devant les chers rêves éternisés des magistraux ancêtres de ces âges si péremptoirement défunts?...

L'I.


 Au LouvreSalle Michel-Ange: — Terre cuite polychrome. Ecoles d'Italie (XVe siècle). — Sur champ d'or la Vierge et l'Enfant Jésus, tous deux effarés en leurs auréoles, où, en lettres pures, se gravent les prophéties. L'un et l'autre regardent dans le noir, dans l'infini, et devant leurs prunelles se dresse le Calvaire. L'Enfant aux fins cheveux d'or ramène à sa gorge astrictée sa menotte tremblante ; il est à moitié dévêtu : sa chemisette blanche, semée de sanglantes étoiles, lui tombe de l'épaule, et sous sa brassière rouge ponctuée d'or, remontée par le roulis des muscles, le ventre se dénude, et paraît son sexe puéril de Dieu chaste. L'attitude est la peur nerveuse du nourrisson, et s'il ne se rejette pas au sein maternel c'est que, — raison et amour infinis en un corps d'enfançon, — il ne veut pas la faire pleurer: elle ne pleure pas. Elle est transfixée par de la terreur. Elle voit. Toute sa face porte les effroyables stigmates de l'hallucination douloureuse. L'œil, fixe, est terrifié par l'indéniable apparition. Il y a dans cet œil l'agonie au Jardin, la trahison de Judas, le reniement de Pierre, la verbération au poteau, les crachats, la croix traînée comme une chaîne le long du Golgotha, les mains fendues par les clous, les pieds déjointurés, le sang qui coule de la criblure des ironiques épines et aveugle les yeux, obstrue la bouche, le sang des mains, le sang des pieds, le sang du côté et le sang des sacrifices futurs, la mort en ignominie et la mort en gloire, qui est encore la mort. La bouche est selon la courbe de la douleur la plus avérée, et quelle pâleur ! Sa tète se penche un peu, comme fascinée. A peine sent-elle le présent fardeau de l'enfant : c'est l'homme qu'elle porte, et cadavre, sur ses genoux pitoyables. Sa main gauche, sortant d'une étroite manche dorée et damassée, retient plus qu'elle ne soutient le bambin, qui s'en va d'elle, la reine-mère, dressée dans la chaise aux volutes d'or. La robe bleue étreint une poitrine où l'angoisse, s'il n'était divin, ce lait de vierge, le ferait tourner, comme aux nourrices qui ont eu grand'frayeur. Les cheveux, — et cela a un air de lamentation bien symbolique, — un mouchoir sombre les recouvre et retombe en pleurant sur les oreilles: coiffure peut-être de contadine, peut-être authentique de dame florentine, mais qui, là, accentue et remémore le deuil de l'âme. La merveille, c'est la tristesse inconsolable de la Mère et du Fils n'osant pas se regarder, se connaissant tous les deux voués à un supplice ineffable et sans rémission: mais la nature humaine, naturelle en la mère, imposée au fils par l'Ordre suprême, se crispe un instant sous l'inéluctable réalité : ils ont peur, peur l'un de l'autre, peur du spectacle visible en leurs yeux, ils ont éternellement peur, et ils savent, les Inconsolables, qu'ils ne doivent pas être consolés.
 Telle est cette effroyable et glorieuse œuvre d'un Inconnu, qui a eu le génie d'évoquer avec rien que cela, une mère et son nourrisson, les XIV Stades de la Passion du Sauveur (avec les mêmes éléments, Raphaël donne à satiété l'impression de l'animale joie de la pouliche et de son poulain). Je ne crois pas que l'on puisse aller plus loin dans la représentation de l'invisible par le visible, — ce qui est l'art tout entier.

L'Imagier.

THÉÂTRE LIBRE


 La Dupe, comédie en cinq actes, en prose, de M. Georges Ancey. — Je n'étais pas seul, l'autre soir, au Théâtre Libre. . J'avais à ma gauche un monsieur dont une main était chargée de bagues si pesantes qu'il était obligé de la soutenir avec l'autre. Il remuait péniblement des doigts où le sang ne circulait plus. Il causait avec sa compagne ; tous deux jouaient au petit jeu des réflexions sottes, tant à la mode dans le grand monde. Ils gagnaient chacun leur tour. Le souci des convenances les empêchait d'admirer les grandes lignes, l'entrainement qui pousse tous les personnages de la pièce jusqu'au bout, Albert de sa rosserie inconsciente, madame Viot de son égoïsme vulgaire, Marie de sa méchanceté sournoise, et Adèle de son imbécillité sentimentale. Incapables d'idées générales, préocupés des seuls détails, ils en étaient choqués comme de menues insultes à leur propre distinction et démontraient l'inutilité du théâtre.
 — elle: Un peu grosse la plaisanterie de Marie : « Je t'ai dit que ce mariage serait une combinaison excellente pour tous. Je t'ai dit qu'il fallait absolument qu'il se fit, mais, à part cela, je ne m'en suis pas mêlée ! » — lui: C'est comme l'histoire de cette robe qui était rose... ou plutôt bleue, non... grise, oui, grise. J'ai lu ça quelque part. — elle : Albert parle de la pluie, des rues salés, des trottoirs encombrés. Est-ce intéressant? — lui: De ton avis. On peut-être forcé de marcher dans la boue, mais il ne faut pas s'en vanter. — elle: Encore une plaisanterie: « la mère a un frère dont la femme est la fille d'un juge au tribunal de commerce ». Est-ce fort? — lui : J'en ferais autant. — elle: Couplet d'Adèle sur la manière dont ses petits sens se sont éveillés. Du romantique, à présent ! Jamais tu ne m'as fait éprouver ça, toi. — lui: Albert a pris 200,000 fr. d'un coup et sans effraction dans une caisse. Il a eu son nom dans les journaux. Ce doit être un chic type. Cet Antoine en fait un monsieur malpropre que je  ne vois pas manger un million. — elle: Le malin ! il avoue tout de suite qu'il a une maîtresse. N'avouez jamais. Et quelle grossièreté d'en parler toujours. Est-ce que tu me parles toujours de ta femme, toi ? — lui: Révoltant! abandonner une femme qui s'évanouit! D'abord, on ne s'évanouit plus — elle: Scène de famille! chanson de Béranger! joli! — lui : Peuh! système des contrastes. On chante. Pan! une tuile. Je connais mes hommes de théâtre; tous les mêmes. — elle : Bafouille! il me semble que « bredouille » aurait suffi. — lui: Que veux-tu ? ce sont des gens mal embouchés qui s'engueulent. — elle : Ah ! très drôle le : « Je pars pour Bruxelles. » — lui : oh ! un mot d'auteur. Un mot d'auteur n'est jamais drôle. — elle : Encore cette Caroline! Va-t-on la voir, enfin? Je parie qu'elle ne se montrera pas, pour nous faire bisquer. — lui : Albert bat sa femme, mais c'est qu'il tape dessus. Tiens, la lorgnette. La femme ne se défend même pas. — elle: Au contraire, elle l'en aimera davantage. Comme c'est nature! Si jamais tu levais la main sur moi, je te tuerais. — lui: En ce cas, tu prouverais que tu es plus méchante que moi, voilà tout. Dame! — elle: Cinq actes entre quatre personnages, beau tour de force! Antoine est très bien dans ce rôle de voyou bourgeois gentilhomme. — lui : C'est le mieux de tous, mais il serait peut-être mieux encore s'il jouait seul. — elle: Les femmes sont admirables, ainsi que lapins mécaniques. Regarde celle-ci comme elle met ses poings sous le nez des gens, tout en les remuant sous le sien. Achète-lui un petit tambour. — etc., etc.
 Son petit cœur, pièce en un acte, en vers, de M. Louis Marsolleau. — elle : Exquis! — lui: Délicieux! — elle: Ça repose. — lui : Ça remonte. — elle: Enfoncé le Passant! — lui : C'est égal! ce que j'en aurai vu de Pierrots dans mon existence. Ne pouvait-on pas le remplacer, à la fin, par un farinier, un jeune mitron, un bonhomme de neige, si on tient au blanc? — elle: Et Arlequin ? — lui: Est-ce que je sais? par un Ecossais, à cause des petits carreaux. — elle: Et Colombine? — lui: Par ce qu'on voudrait. Une idée : par Henry Fouquier.

J. R.

LES LIVRES (1)


 La Paix du cœur, par Jean Blaize (Dentu). — Un beau livre, un bon livre à signaler. Tout un ordre de préoccupations philosophiques et morales dédaigneusement rejetées par son aînée hante la génération présente. L'art de Flaubert, le solitaire Narcisse qui se mire dans son œuvre à en mourir, aspire à redevenir humain, à redescendre dans la vie. Jean Blaize à son tour vient de prendre hautement sa place dans cette évolution, et les pages de son livre sont tout éclairées des lueurs d'aurore qui filtrent à l'horizon. Le plan de l'œuvre est tout psychique. D'un côté Octave de Najante, dont l'esprit inquiet et raffiné, intoxiqué de scepticisme, a glissé peu à peu à la perversité, et s'enfonce dans l'enfer de la négation absolue. De l'autre, Mrs Thursnane, une créature d'élection, qui porte dans ses yeux tristes le deuil d'une existence perdue, mais dont la bonté foncière n'a pas voulu désespérer. Le drame, c'est la rédemption d'Octave par l'amour, par le rayonnement de tendresse projeté par un cœur profond et plein de foi. L'ami — car leurs nuptiales ivresses, à travers des révoltes saignantes, resteront tristement chastes — retrouvera à la fin la paix du cœur dans la voie indiquée par le doigt levé de la martyre que dévore lentement un implacable cancer. On le voit, la donnée n'est point banale. Jean Blaize me permettra-t-il de dire que la Paix du cœur est un livre chrétien, dans tout ce que ce mot, par la légende fervente des siècles, implique de chanté active et profonde, de roides espérances, d'ascension dans le pur? On reprochera peut-être à l'auteur cette idéalité. Il se trouvera facilement à Paris, où l'esprit court les rues, de délicieux critiques pour railler doucement ces amants transis, ces péripatéticicns galants qui se grisent de caresses métaphysiques. C'est pour nous au contraire l'attrait de ce noble livre tout imprégné de pensée et monté au ton d'une intellectualité sévère. On pourrait seulement regretter que, par les conditions de son plan, il se soit astreint à suivre parallèlement l'évolution sentimentale de ses deux héros, mis en égale valeur. Quelque monotonie, superficielle d'ailleurs, se degagerait de cette comptabilité spirituelle tenue en partie double. Mais, pour éviter cet inconvénient, il eût fallu sans doute un escamotage, et sa conscience d'analyste y a répugné. La Paix du cœur est écrite dans une langue dense et substantielle. Des notations exquises, de larges touches justes. Partout aux marges du livre l'arabesque vivante des choses, l'atmosphère puissante ou tendre des ambiances. — Ces paysages d'Etretat, et ces affolantes promenades dans un Londres de vertige!...

A. S.


 L'Elite, par Paul Radiot (Dentu). — Il y a, je crois, différents lecteurs de romans. Les uns y cherchent l'intérêt de la passion; d'autres le style des phrases évocatrices de doux paysages entrevus ; ceux-ci des flatteries de leurs sens ; ceux-là des satisfactions de leurs chères manies. Il en est de peu compliqués qui demandent simplement à pleurer ou à rire. J'avoue pour mon compte ne point tant m'intéresser au roman même qu'à la mystérieuse âme de celui qui l'écrit. Il me plait de reconstituer derrière ces pages imprimées le moral de leur auteur. Ainsi j'ai beaucoup aimé M. Remy de Gourmont lorsque j'ai lu Sixtine, car je lui ai trouvé un beau moral de sadique-cérébral, tout à fait en conformité avec ceux que j'estime le plus. Il semble uniquement affairé de sa propre jouissance, et pour qu'il jouisse, il faut que ses facultés, intellectuelles comme physiques, même ses éréthismes bas, passent au crible  de son cerveau. Cette sorte de moral m'attire et m'inquiète à la fois profondément. Au demeurant, je plains les pauvres femmes qui s'en amourachent, et elles ne sauraient trop se défier de la cruauté pointilleuse et raffinée des gentlemen qui font profession de le posséder.
 L'âme dont je veux parler aujourd'hui, celle de M. Paul Radiot, est encore parmi celles que j'adore le plus. D'abord elle constitue une primeur littéraire, et une primeur littéraire aussi authentique est un sûr régal de gourmet. Et puis elle ressort de cette admirable catégorie d'âmes timides et héroiques, ou bien absurdes, comiques et enthousiasmées à la façon de ce Don Quichotte qui eût dû rester le modèle de nos vies !..... Elles paraissent même souvent arrivées à un tel point d'« emballement» dans la souffrance, ces âmes martyres, que l'évolution complète de la douleur s'étant accomplie chez elles, elles ne crient plus, mortes au monde, se contentant de rédiger une sorte de testament, que publie la maison Dentu, ou la maison Perrin, en vue de la plus grande stupéfaction des gens. A l'ouverture de ce testament, on s'aperçoit que pour se venger de leur famille ou de leurs héritiers naturels, elles ont laissé leur fortune à des maisons mal famées, à d'anciens condamnés à mort pour rébellion, même à quelques associations non autorisées de vénérables chenapans et gredins. J'eusse donc très bien compris que Paul Radiot, au lieu de ce sous-titre : « Roman épique moderne », qui semble plutôt s'appliquer aux meilleurs romans de Zola, eût mis celui-ci sur son volume: l'Elite, œuvre posthume d'une sensibilité qu'on a tuée, et qui s'en venge en substituant aux lois qui la meurtrirent, les lois idéales qui eussent assuré son parfait développement.
 Au fond, cette agréable fantaisie d'une âme de mouton-bourreau, douce ainsi que la colombe et assassine à l'instar de celle d'un débardeur soûl (2), renferme, je crois, et c'est pour cela que je m'y intéresse, le cri de protestation je plus élevé qu'ait encore poussé une jeunesse artiste et ardente contre cet éteignoir dont on la menace journellement depuis quelques années, ce concomitamment éloquent et pue-des-pieds de socialisme!
 — « Nous voulons... dit Radiot par la bouche de son héros qui est un ancien capitaine, l'instruction réservée aux cerveaux d'élite (d'où le titre !), la masse laissée à son niveau et transformée par un dressage précis, les immenses forces aujourd'hui dispersées au hasard par un stupide nivelage, distribuées à chacun suivant la valeur rigoureuse de sa race — les castes ainsi constituées formant un terreau d'une succulence inconcevable pour la culture de l’Elite, »
 Plus loin:
 — « Il ne faut plus se préoccuper du peuple, mais laisser grandir les tiges d'une belle venue, sans s'entêter sur des taillis sans sève et sans rouvre.... La vie misérable prolongée ne sert à rien ; il faut donc diminuer les hospices et laisser s'éteindre les estropiés. La masse doit vivre peu, étant un déchet. Donc plus de fourneaux nourrisseurs, plus de distributions de vêtements, d'institutions de prévoyance, de caisse de retraites!... L'instruction religieuse importe peu; que la foule croie ce qui conviendra le mieux à la hauteur de son intelligence, elle redeviendra sans doute fétichiste, adorera les monuments élevés ou les dernières découvertes électriques... Enfin, ce qui importe avant tout, c'est de reprendre la civilisation au point où elle était avant que le Christianisme l'eût troublée par le règne des loqueteux! »
 On le voit, c'est la théorie anarchiste elle-même, mais un anarchisme à système, ramenant infailliblement à cette conception d'une féodalité héréditaire. Ainsi lorsque deux vrais nobles, deux membres de l'Élite, voudront s'unir pour fructifier, ils devront être en état physique et moral de premier ordre, afin de fonder une belle postérité. Sans cela l'homme devra dire à la femme:
 — « Chère amie, stérilise ces germes préliminaires de notre race; ils pourraient avoir l'attitude de la lâcheté bourgeoise, car nous avons courbé la tête, et nous ne pouvons encore la relever avec noblesse! »
 On peut, suivant son éducation, trouver ce passage délicat ou odieux; mais ce qu'on ne peut refuser à Paul Radiot, c'est dans la narration, une fantaisie échevelée, intense, délirante. Il est question de duels à cheval étonnants, de conversations avec Guillaume II ou avec le tzar Alexandre!... Enfin la prochaine guerre européenne y est narrée tout au long avec d'infinis détails.
 Achetez donc le livre, ô âmes souffreteuses et criminelles, ô sœurs de celle de Paul Radiot!... C'est, je vous le répète, le roman le plus extraordinaire, le plus stupéfiant, le plus enthousiasmant que j'aie lu depuis longtemps!... Aussi, bien que ces invraisemblables péripéties ne découlent pas toujours logiquement l'une de l'autre, cela vous apprendra toujours, ô vous les méprisés de la vie, comment l'on arrive à mépriser à son tour!

M. Beaubourg.

  Sanglots d'Extase, par Michel Abadie. (Vanier). — Voici, sous une couverture élégante, une série de petits poèmes charmants où se décèle une âme éprise surtout d'élégances modernes. M. Abadie nous promène à travers des jardins fleuris de villas, des parcs rêvés aux corbeilles opulentes, il note la chanson fuyante des fontaines, le murmure frêle des orangers sur les terrasses, les senteurs mouillées des pelouses matinales. Parfois un écartement de branches, un détour brusque d'allée, nous montre l'aimée toujours correctement aimée, en toilette délicieuse, sous la flamme rose ou bleue de l'ombrelle. Pour traduire ces visions, le poète use d'une langue savamment maniérée, fraîchement artificielle. Aucune de ces innovations prosodiques où excellèrent les décadents ne lui est étrangère. On sent qu'il se tient au courant des systèmes et des écoles. Il a lu Verlaine et ses disciples et il s'en inspire parfois avec bonheur, à preuve ce sonnet charmant:

 Ta toilette! avec ses tapageuses couleurs,
 Et ses parfums riants et frais, Chère si frêle
 On dirait qu'elle porte éclatante sur elle
 Un idéal parterre éblouissant de fleurs.

 Et ta voilette t'enjolive de pâleurs!
 Et l'on croirait que sous ta voltigeante ombrelle,
 S'opposant aux rayons qui te cherchent querelle
 Un bataillons de papillons frôleurs!

 Et tu me réjouis le cœur comme une fête
 En donnant chaque jour à mes yeux de poète
 Le pain essentiel des clairs rayonnements.

 Et je te bénis Toi qui compris, seule Reine,
 Qu'il fallait des atours lumineux et charmants
 Pour griser mon âme solitaire et sereine.

Z.


 Opinions, par J-B. Sheridan. (Adélaïde. Australie. Scrygmour and Sons). — C'est en quelques pages un recueil de polémiques australiennes assez spirituelles, semées d'aphorismes tels que: « Ceux qui ont le plus de désirs sont les plus intelligents. Les pauvres ont beaucoup de désirs: donc les membres du Parlement devraient être choisis dans les dépôts de mendicité. » — « L'altruisme est l'hypocrisie de l'égoïsme. » — « Le capital est une idée basée sur le crédit, lequel est un fantôme. » — « Les voleurs sont généralement patriotes. »

R.G.


 L'Amour chemine, par Marie Krysinska (Lemerre). — Il est même arrivé, je crois! Rien de plus joli, de plus délicatement ouvré que cet Amour en biscuit de Sèvres, statuette fort chaudement encadrée de peluche feu, de roses rouges, parfois de gouttes de sang. Aujourd'hui que le Nouvelle se meurt sous les doigts grossiers des hommes qui font bien et qui font vite, se trouverait-il des femmes capables de la ressusciter avec tous les soins qu'exige sa fragile constitution? Mme Krysinska, doublement poète, puisqu'elle est musicienne, a su entourer son œuvre de mille savantes coquetteries; elle n'a négligé ni la métaphore neuve, souple, ni le trait, ni la forme, et cet Amour, si fin, cheminera encore longtemps que d'autres, d'apparence plus robuste, iront s'effriteront du haut de leur socle. Comme je veux au moins chicaner sur un détail, je reprocherai seulement à l'auteur de dédier, pêle-mêle, semble-t-il, ses nouvelles à tous les journalistes célèbres... bien empêchés de les comprendre! C'est là un excès de courtoisie littéraire dont une femme de talent à le devoir de se passer, Madame!...

***


 Mavra, une heureuse erreur judiciaire, par Lazare Goulin (Savine). — C'est, en l'espace d'un mois, le huitième livre à prétentions franco-russes qui sort de chez Savine, et ce dernier roman possède cinq cent trente-sept pages. Il y a de

quoi devenir fou! L'ordinaire littérature de terroir n'est pas déjà bien fameuse, mais cette soudaine introduction, dans nos bas feuilletons, de Natacha, de bârines, de serves ou de serfs, de knout, de kopeks, de popes et de wodka (eau de vie), parachève l'abrutissement du lecteur. On raconte que l'enthousiasme russe va jusqu'à payer des filles à nos matelots; prenons les filles, soit; seulement renvoyons les études de mœurs, qui sont moins légères et beaucoup plus encombrantes.

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 Un Volontaire de 1792, par Jean Lombard (Savine). — Depuis que Lombard est mort, de nombreux partisans n'arrêtent point de crier au génie méconnu; on n'ouvre guère un numéro de périodique sans y trouver quelque copieuse étude sur son œuvre et des exclamations douloureuse; c'est toujours la même histoire; Lombard trépassé n'est plus gênant; c'est une concurrence de moins et chacun est bien aise de faire de la copie en matière d'oraison funèbre. — Malheureusement, en plus de Byzance et l'Agonie, — livres d'ailleurs contestables et sur lesquels il serait bon de revenir — Lombard laissa, P.P.C., ce Volontaire de 1792, tome compact et cette fois absolument vide, qui est le bien plus cruel démenti aux allégations des siens.
  Mon Dieu! je ne voudrais pas être accusé de basse envie; il est toujours pénible de chicaner les défunts; je respecte autant qu'une autre désolation de la famille; mais on doit mettre à part ces autres considérations sentimentales. La prière d'insérer — plus sincère qu'on ne pense — nous affirme que Lombard avait l'étoffe d'un historien; ayant lu, je ne suis point persuadé. Je vois dans ce bouquin posthume une complication, des extraits de vingt auteurs médiocres, des arrêtés et des discours municipaux, des certificats de civisme, des lettres insignifiantes de François Mireur, parti simple soldat en 1792 et mort en général en Égypte, un résumé des campagnes de l'époque. — La psychologie révolutionnaire et militaire dont parlait le titre n'apparaît nulle part.
  Et puis on nous a tellement rabattus des dires et gestes de tous ces grandiloques de la République! Il faut l'enthousiasme et la frénésie d'un Michelet, les phrases magiques de son poème — beaucoup plus poème qu'histoire — pour qu'on s'y arrête. Lombard n'était pas de force. Je dirai plus, son livre n'est pas écrit du tout. Le style bizarre et torturé des précédents ouvrages pouvait faire illusion; les philistins s'arrêtaient, ébaubis; ici, rien; des notes crayonnées, peut-être, mises bout à bout. Et quand il accumule vingt pages pour nous prouver, par exemple, que la Marseillaise fut apportée à Marseille par Mireur et non par Jacques, Paul ou Jasmin, on se demande ce que cela peut nous faire.
 Ah! Je sais bien. Il y a les lettres qui servent de prétexte. Tout acteur de grands évènements qui raconte ce qu'il a vu est curieux à consulter. Mais Mireur ne raconte rien. Il écrit à papa et maman, à peu près dans ce goût: — « Je ne me suis battu hier, je me battrai demain; envoyez-moi de l'argent; portez-vous bien et moi aussi. » — Si Lombard tenait à la publication de ces lettres, un opuscule suffisait; il en a tiré 400 pages; et c'est lourd, lourd à l'estomac comme le plum-pudding du saint jour de Noël.

C. Mki.

  Geneviève, par Henr. Germain (Heymann). — Un roman doux comme miel. Le vice est puni, la vertu récompensée, et on montre une belle-mère qui est le modèle du genre. À lire ces livres d'intentions pures, on éprouve autant de stupéfaction que de rencontrer une robe de soie rose sous une averse. Le préfacier, M. C. Dumont, nous prévient que l'auteur est un homme du monde. Cela se sent, n'ajoutons rien.

***

  Paul Verlaine, par Alfred Ernst (Extrait de la Nouvelle Revue). — Étude tout à fait excellente, et comme il est bien que M. Ernst ait évangélisé les barbares voués, en la revue où elle parut, aux vers de M. Chantavoine, et contents de ces petits pains au son!

R.G.

 Mademoiselle Rondecuir, par Henri Bossanne (Labbé). — Tout petit roman de poche à l'usage de Mesdemoiselles et Messieurs les employés de l'administration des... lettres. Ne pas s'imaginer que parce qu'on touche aux... lettres on est de la littérature, c'est la morale de l'histoire. Écrit avec une gaieté bonhomme, des saillies amusantes et tout ce qu'il faut d'esprit pour avoir raison, ce petit roman est plus gros d'observation que beaucoup d'autres études de mœurs pompeusement étalées dans un format charpentier de six cents pages. À citer cette jolie boutade de l'auteur, qui, pour prouver qu'un de ses héros est décidément bête, se fait en a parte cette réflexion: « ...Et d'ailleurs il avait prêté l'argent à un député! »

***

  La Première Glane, par Joseph Bouchard (Nadaud et Cie.) — « Les vers de la Première Glane, avoue l'auteur lui-même dans une préfacette, ne sont pas un peu mais tout à fait des vers d'écoliers. » Alors pourquoi les avoir publiés? La plaquette de M. Bouchard est dédiée avec « timide hommage de sincère admiration » au « poète préféré et cher maître François Coppée. » Puisque M. Bouchard sort du collège et qu'il lui faut encore des maîtres, disons-lui qu'il eût pu choisir un meilleur que le prosaïque auteur du petit épicier de Montrouge, et attendons pour le juger qu'il nous présente un nouveau livre moins enfantin, plus personnel et d'une prosodie plus intéressante.

G.-A. A.

  L'éditeur Nicolo Giannotta, de Catane, nous annonce la prochaine publication de plusieurs volumes, parmi lesquels: confessioni litterarie de Luigi Capuana, le romancier veriste (notons en passant que ce motif fut écrit pour la première fois, en France, par Édouard Rod, Revue indépendante, août 1884, et qu'il n'a de sens qu'en littérature italienne, où il désigne un groupe de romanciers à tendances naturalistes spéciales, parmi lesquels Verga et Capuana). — Du même Capuana vient de paraître chez Pedone-Laurier, à Palerme, un roman, Il Profumo, où se modifie un peu, vers le sens idéaliste, la manière de l'auteur de Giacinta.

R.G.


 (1) Aux prochaines livraisons : La Montée (Gabriel Sarrazin); L'Ecornifleur (Jules Renard) ; Etude de Jeune Fille (Henry Maubel) ; et les livres annoncés déjà.
 (2) Il s'agit de M. Vaubourg, qui coupa la tète de son meilleur ami M. Boutry.

JOURNAUX ET REVUES


 La Société Nouvelle (nov.-déc.) est comme à l'ordinaire très riche en littérature et en philosophie: Strophes en prose d'Émile Verhaeren; le Mangeur de Lotus et Locksley Hall de Tennyson, traduit par Georges Destrée; les Lois de l'esprit d'Emerson, traduction d'I. Will; Francis Nautet continue son Histoire des lettres belges d'expression française; dans les nouvelles du mois, cette note: « Le parti ouvrier et les étudiants socialistes ont créé une section d'art à la Maison du peuple de Bruxelles. Le but des organisateurs de cette section est d'initier le peuple au mouvement intellectuel contemporain et de lui faire connaître les œuvres des principaux écrivains, peintres et musiciens. » La première séance a été consacrée à Wagner: conférence de M. Kufferath: exécution de fragments de la Tétralogie. En la seconde soirée, on entendit M. Eekhoud exposer le mépris des bourgeois belges pour l'art et la commune horreur du temps présent qui unit tous ceux qui pensent; ensuite récitation de vers et de prose. La tentative a été bien accueillie; elle est intéressante: l'illettré est peut-être notre suprême ressource, notre public de réserve.
  M. Godefroid Kurth offre dans la Revue Générale (décembre) quelques conseils à la jeunesse sur la lecture des auteurs contemporains; il avertit de prendre garde et signale que le génie païen, ressuscité, refait couler à pleins bords le fumier de Pétrone à travers les imaginations.
  De la Revue du Nord (janvier): M. Ch. Desmaze vient de donner au musée de Saint-Quentin les manuscrits, lettres, portraits de Quentin de la tour.
  De Nieuwe Gids (décembre). Ch.-M. Van Deventer, Alkibiades, of over den Eerbied, Delang, Eene Bloem, poème en prose descriptif de l'étrange et colossale fleur, Victoria regia; Frans Erens, Gedichten in proza; A. Diepenbrock, Melodie en gedachte of de muziek in de intellectueele evolutie, avec cette épigraphe à Stéphane Mallarmé: « Je crois que la Poésie est faite pour le faste et les pompes suprêmes d'une société constituée où aurait sa place la gloire dont les gens semblent avoir perdu la notion »; M. Van Eeden étudie les théories de Lombroso sur le spiritisme et le dernier livre du célèbre critique hollandais M. Jan Ten Brinck, sur les vieilles et les nouvelles écoles littéraires, De Oude Garde en de Jongste School (Amsterdam, Jan Leendertz en Zoon).
  Un nouveau giornale d'arte paraît toutes les semaines à Florence; titre: Germinal. Ne se réclame nullement de M. Zola, ce qu'aurait pu craindre, et le déclare.
  Numéro double de la Cronaca d'Arte (1-2 de la seconde année). M. Valcarenghi y commence un roman, Dedizione; musique, très intéressante, de M. Celega; une étude M. A.-G. Bianchi sur la peinture abyssinienne. C'est à l'exposition de Palerme que l'on a pu voir des spécimens de cet art primitif, quoique contemporain; la Cronaca donne des reproductions d'un saint George et et d'une Vierge à l'enfant. L'auteur de ces enluminures, né et vivant dans le Tigre, royaume abyssinien et éthiopien indépendant, se nomme Haleka-Luccas. « Âgé d'une trentaine d'années, dit M. Bianchi, il a l’œil vif et paraît assez intelligent. Je le vis dans sa cabane, assis par terre; il dessinait sur un morceau de carton un Christ en croix entre deux saintes femmes et il soignait le buste avec une immense minutie, arrivant à le rendre épouvantablement squelettique. Il travaillait sans arrêt, comme un homme sûr de lui-même et dont la main est faite à la besogne. Près de lui son frère coloriait trois pères éternels déjà dessinés et destinés à représenter la Trinité; il se servait d'un unique pinceau trempé successivement dans des godets pleins de couleurs délayées à l'eau; ces couleurs étaient le jaune, le rouge, le bleu, le vert, le noir, le violet, le chair et rien de plus:
  « Haleka-Luccas, ayant lui-même terminé son dessin, prit un pinceau et se mit à colorier. Je lui demandait pourquoi il ne le donnait pas, comme les autres, à colorier à son frère; il me répondit:
 « — Parce qu'il est trop difficile.
  « Je vis en effet qu'il était plus habile à manier le pinceau.
  « — Combien de temps vous faut-il pour faire un tableau?
 « — Une heure. »
  La précision et la rapidité formaient tout l'idéal de cet artiste étrange. M. Bianchi remarque que toute la peinture abysinienne se ressemble prodigieusement; il y a une seule manière de faire tout le nécessaire d'un personnage. Tous les yeux, et non seulement des figures humaines, mais des animaux, sont ordonnés de même (cela s'appelle les fresques égyptiennes): un ovale allongé avec une boule noire dans un coin, — ce qui produit un certain effet de pétrification, surtout quand il y a plusieurs paires d'yeux dans le même tableau.
  Tous les chevaux galopent; tous les vieillards et tous les dignitaires ont des barbes de fleuve; tous les Christ sont de cette maigreur qui permet de compter les côtes; jamais de paysages; les sujets sont de piété ou d'anecdote: miracles saints, batailles. Le saint George est ainsi colorié: le fond,

jaune; le cheval, blanc, cerclé de violet; la selle, rouge; le cavalier, bleu, sauf les mains, le visage et les pieds, naturellement chair; le dragon, vert.
  Ce saint George ressemble encore beaucoup aux peintures que l'ont voit sur les vases étrusques; il a une certaine allure et séduit plus, en sa noble barbarie, que toute la bondieuserie académique.
  Un volumineux journal de Melbourne, The Age, s'occupe de l'Enquête sur l'Évolution littéraire et s'arrête au mot imprudent de M. Zola: « Ils veulent du nouveau: je le ferai, moi. » Je relève dans les annonces une singulière collection de poésies funéraires: lorsqu'un Australien perd un parent, il est de bon goût qu'il fasse insérer dans un journal quelques vers attendris; même cérémonie aux anniversaires. C'est toujours un peu de besogne pour les poètes, si atteints par le déclin du mirliton et de la papillote à devise.

R.G.


  Revue Philosophique, dirigée par Th. Ribot. — Prenant texte de deux travaux médicaux de valeur inégale: O espissimo no ponto de vista da psychologia morbida, de J. de Magalhaes, Des rapports de l'arthritisme avec les manifestations nerveuses, du Dr G. Huyghe, M. Bernard Peret, l'auteur de travaux si remarquables sur la Psychologie de l'Enfance, se demande si aux diverses maladies du corps ne correspondent pas des tendances particulières de l'esprit. Ainsi, le pessimisme, par exemple, ne serait-il pas en rapport avec une « diathèse » spéciale? Sans doute, conviendrait-il, — et c'est là un point sur lequel l'auteur à tort, à notre sens, — de ne pas insister, de nous dire d'abord ce qu'on entend par le ce terme de « diathèse morbide », attendu que les médecins eux-mêmes, croyons-nous, ne sont pas tout à fait d'accord sur le sens qu'il faut attribuer à ce terme. Est-ce un état morbide ou une prédisposition? combien doit-on admettre de diathèses, etc.? Mais, sans non plus nous attarder à cette question préjudicielle, nous signalerons le réel intérêt qui s'attache à la mémoire de M. Peret, en raison surtout de la nouveauté du point de vue qu'il découvre, et des considérations de tout ordre qu'il est loisible d'en faire procéder.

G.D.


  La nouvelle série de la Revue Blanche (trois numéros depuis le 15 octobre 1891) n'est point supérieure aux précédentes par le seul charme de la typographie, mais aussi par la qualité des articles qu'on y peut lire. La revue fut inaugurée par les Promeneurs, une délicate prose d'automne signée Henri de Régnier, et invita successivement des poètes comme Gustave Kahn, Stuart Merrill, Paul Verlaine, Francis Vielé-Griffin; récemment M. Henri Céard y a célébré à sa manière, toute de mépris discret, le centenaire de M. Scribe. Mais les rédacteurs habituels se suffiraient fort bien à eux-mêmes et l'hospitalité qu'ils offrent à leurs amis de lettres est donc toute désintéressée, on ne saurait reprocher à M. Lucien Muhlfeld, qui parle mensuellement de la littérature, qu'un peu trop d'impartialité; mais peut-être n'est-ce qu'une rare et précieuse aptitude à comprendre; M. Maurice Beaubourg invente des cadres ingénieux pour l'expression de ses fantaisies esthétiques. M. Ludovic Malquin défend avec une grande force logique les louables doctrines de l'an-archie, et M. Tristan Bernard, en d'exquises allégories comme Rédemption, ébranle, sans avoir l'air d'y toucher, les fictions fondamentales de la Société du respect des richesses par exemple. Enfin, les poètes ne sont point absents de ce recueil, et les vers de MM. Romain Coolus, Claude Céhel, L.-A. Natanson, de M. Paul Leclercq surtout, ne déplaisent point à entendre, encore qu'ils rappellent parfois les thèmes et les variations de Paul Verlaine, de Jules Laforgue et d'Henri de Régnier.

P.Q.


 Notre collaborateur Remy de Gourmont a consacré sa première Semaine littéraire, dans la Petite République Française (6 janvier), à deux livres de grande valeur: Vitraux, de M. Laurent Tailhade, et Thulé des Brunes, de M. Adolphe Retté. Nous croyons intéressant de reproduire le début de l'article:
  « Jamais peut-être autant qu'en ces dernières années on en parla d'écoles, de clans, de chapelles et même de catacombes littéraires, et jamais il n'y en eut moins, s'il on veut bien admettre qu'une école, en littérature comme en art, se compose d'un maître, d'une théorie et de disciples. De maîtres qui aient le vouloir de commander et d'enseigner, point; de théories, à peine; de disciples, néant, tout fabricateur de sonnets selon la formule se croyant nimbé d'une personnelle gloire qui lui suffit. Néanmoins, voici toute une armée de pèlerins engagés dans la rude besogne de traverser l'obscure et dangereuse forêt de l'art; chacun va, se frayant son propre sentier vers la lumière et vers les hôtelleries et, quelques-uns tombent en route, ayant buté contre les troncs pourris de l'imbécillité, s'étant égarés dans les ronces empoisonnées de la mauvaise foi, ou enlisés dans les marécages de la traîtrise; quelques autres iront jusqu'au bout et ils touchent déjà aux derniers arbres de la longue forêt sombre, pernicieuse et sanglante: les bandits sont peu à craindre, — si lâches qu'un coup de bâton les fait fuir. Le nom de symbolistes a prévalu dans le public pour désigner ces pèlerins: il en vaut un autre, si on lui laisse sa signification confuse et illimitée, si on permet que, ni plus que le mot roman romantisme, il abrite hospitalièrement des talents divers et même contradictoires.
  « En termes très généraux, le symbolisme (cela a été dit, mais il faut être net) est un mouvement de réaction contre le naturalisme. Il s'agit donc non plus de mettre en des livres la vie toute brute, mais de se servir de la vie, même quotidienne, même banale, pour faire autre chose que la vie brute. La littérature, en effet, doit être explicative, analytique et critique des matériaux qu'elle emploie et que l'observation lui

a fournis. Des faits, soit, mais non tous nus comme des ânes en foire, des faits harnachés d'une idée. Cela revient un peu à la conception que l'on se faisait de l'art aux époques classiques où l'écrivain avait ce but: exprimer sous une forme sensible une vérité éternelle. Comme il règne maintenant dans les esprits une grande liberté, comme toutes les idées ont été délivrées, toutes les prisons spirituelles ouvertes, une infinie quantité de vérités, dont on ne soupçonnait plus l'existence, on franchit les portes des geôles, se sont répandues par le monde, et c'est à courir après pour se familiariser avec elle, les pénétrer et les féconder, les comprendre, que veulent travailler les symbolistes. Ah! les idées incomprises nous donnent bien du mal. Ce labeur, du moins, est propre et profitable à l'avancement intellectuel de chacun et de tous.
  « Le style, en ce genre de littérature, acquiert naturellement une capitale importance, nulle vérité consentant à s'envelopper définitivement que de vêtements somptueux, précieux, irréprochable esthétique, de nuances concordantes à la couleur de son âme et parfumés (M. Roinard nous l'a fait comprendre) d'un parfum adéquat à l'odeur de son essence. Le style est tout, en ce sens que sans le style, rien n'existe. »

  L'Avenir de Bordeaux (numéros des 10 et 18 janvier) contient une longue et belle étude de l'œuvre de notre collaborateur Laurent Tailhade. Félicitons M. Jean Berge, qui la signe, de sa double audace: 1° Commencer une série de feuilletons littéraires (titre: Sur l'Art Moderne) par un poète dont la presse se garde assez ordinairement de parler — parce que... quoi? 2° Avouer dans un grand quotidien son admiration pour l'auteur de Au Pays du mufle.

  M. François de Nion quitte la Revue Indépendante. Ci-dessous sa lettre de démission:

Paris, le 11 janvier 1892


  « Mon cher Savine,
  « Quand j'ai accepté la rédaction en chef de la Revue Indépendante, c'était une publication littéraire d'une certaine valeur artistique.
  « J'aurais voulu, dans la faible mesure de mes moyens et secondé par des amis et des collaborateurs tels que Jean Ajalbert, Paul Adam, Lucien Descaves, J.-K. Huysmans, J.-H. Rosny, etc., etc., continuer cette tradition; mais, depuis plus d'un an, sous un prétexte ou sous un autre, vous refusez de me communiquer les sommaires mêmes de vos numéros, me mettant dans l'impossibilité de contrôler, comme c'était mon droit absolu de rédacteur en chef.
  « Aujourd'hui encore, vous opposez un refus formel à ma dernière sommation; ne voulant pas accepter la responsabilité de ce qui peut être écrit dans votre périodique, je vous adresse ma démission de rédacteur en chef de la Revue.


 « Agréez, mon cher éditeur, l'expression des sentiments que j'ai pour vous. »
  C'est M. Georges Bonnamour qui devient rédacteur en chef de la Revue Indépendante.

 Chimère annonce la publication prochaine d'un livre de poésies de son secrétaire de rédaction, M. Pierre Devoluy. Elle ajoute: « La préface sera la contre-partie, paraît-il, de l'article: Le Joujou Patriolisme, paru dans le Mercure de France et signé Remy de Gourmont. »

  Les Entretiens Politiques et Littéraires de janvier publient de curieuses notes inédites de Jules Laforgue, et des articles de MM. F. Vielé-Griffin, André Gide, Henri de Régnier, Bernard Lazare. Le même fascicule contient cette lettre d'une sœur de Rimbaud dont nous parlions dans nos derniers échos, lettre insérée d'abord dans le Petit Ardennais et reproduite par la Bataille Littéraire. Elle est cette fois suivie d'un billet de M. Paul Verlaine, protestant contre une phrase où il est question de sa « violence » et de sa « méchanceté réelle ».

  Rouen-Artiste consacre son dernier numéro à la mémoire de Mme Agar. Pour la circonstance, il a sollicité de poètes et de journalistes notoires des poésie et des articles. Les uns se sont exécutés; les autres se sont excusés par des lettres que publie le journal et dont plusieurs sont... au moins bizarres. M. Auguste Dorchain, par exemple, termine ainsi la sienne: « .. je ne puis rien écrire non plus sur la pauvre Agar, que sa parfaite beauté rendait si digne d'incarner Camille ou Phèdre. — À une autre fois... » Considérer dans la tragédienne sa seule beauté pour incarner Camille ou Phèdre, ce n'était déjà pas banal; mais que dire du: « À une autre fois »?...Ceci n'est rien cependant à côté du billet de M. Emmanuel des Essarts, que je me ferais scrupule de ne transcrire point tout entier:
 « Votre lettre me trouve à la campagne, où je n'ai pas sous la main une page de prose que j'eusse pu vous donner. Je vais faire à la hâte des strophes à la mémoire d'Agar, qui fut une de mes amies.
 « À vous de tout cœur.

« Emmanuel des Essarts. »


  Et M. des Essarts le fit comme il l'avait annoncé. Or, on imagine sans doute que, pressé par l'heure, il composa un sonnet ou quelque courte poésie? Point. La Gloire d'Agar compte cent (100) vers, dont la plupart sont de cette force:
Agar, sœur des poètes
Dont les lèvres muettes
Ont fait vibrer l'accent
Du beau « Passant ».


 Et. pour comble de cocasserie, Rouen-Artiste — bien obligé de boire le vin tiré — déclare : « Nous ne pouvons mentionner les nombreuses lettres et adhésions qui nous sont parvenues, mais nous tenons à en mettre quelques-unes sous les yeux de nos lecteurs; elle donnent la note générale... »
 Pauvre Agar ! Et quand on songe que c'est nous qu'on appelle fumistes!

 Ne nous accuse-t-on pas aussi perpétuellement de manquer de respect aux institutions, de nous soucier des traditions comme d'une guigne, de nous railler enfin de tout ce que nos aînés vénèrent? Or, nous qui ne publions point tous les ans, à la Toussaint, le même article apitoyé sur le « culte des morts », nous n'aurions peut-être pas tout de même osé cet écho délicieux, publié — en première page, s. v. p. — par le Figaro du 12 janvier:
 « C'est aujourd'hui qu'ont lieu les obsèques de M.de Choubersky.
 « On ne sait pas encore qui tiendra les cordons du poêle. »
 Mais ne faut-il pas conserver au Français sa réputation de peuple le plus spirituel de la terre? — Encore un, l'auteur de cet écho, que sa mère aura trop chéri (Dédié à M. de Saint-Genest).


A. V.


 La Plume (Ier janvier) commence une nouvelle de M. Léon Bloy : Le Secret de M. Pérégrin Germinal; le même numéro contient des vers de MM. Léon Cladel et Adolphe Retté. — Le numéro de décembre de la Wallonie est consacré à un long poème de M. F. Vielé-Griffin : Au Tombeau d'Hélène. — Les Essais publiés par le Cercle Littéraire Français, à Gand, deviennent Le Réveil; au sommaire du premier fascicule, les noms de MM. Georges Rodenbach, Maurice Desombiaux, Arnold Goffin, Valère Gille, Charles Sluyts, José Hennebicq. — Dans les Hommes d'aujourd'hui, portrait-charge de M. Paul Delmet dessin de Henricus. — Pour finir, signalons un nouveau confrère, le Nouvel Echo, revue littéraire et dramatique bimensuelle (17, rue Cassette; Directeur: Emile Strauss; Secrétaire de la Rédaction : Alcanter De Brahm): relevé parmi les noms de collaborateurs annoncés: Edmond Haraucourt, Georges Rodenbach, Willy, Léo Trézenik (dont le premier numéro publie une nouvelle : La Dame aux clous), Ernest Gegout, etc.



CHOSES D'ART



 Chez Boussod et Valadon : des Claude Monet.
 Chez Le Barc De Boutteville, 47, rue Le Peletier: Exposition permanente d'œuvres symbolistes et impressionnistes. Avoir libéralement offert aux jeunes artistes novateurs, encore contestés par la critique et dédaignés par les chalands et généralement bafoués par les marchands et les jurys, un asile permanent où ils puissent exposer au jugement du public, sans craindre de trop infamantes promiscuités, les résultats de leurs travaux et de leurs recherches, c'est, assurément, une belle et généreuse idée dont il convient de féliciter M. Le Barc de Boutteville. Nous consacrerons, d'ailleurs, prochainement, un article spécial à cette entreprise si intéressante et si absolument d'art. Pour aujourd'hui, contentons-nous de mentionner les principaux exposants : Anquétin, Emile Bernard, Toulouze-Lautrec, Séruzier, Maurice Denis, Willette, Renoir, Signac, Paul Vogler, Bonnard, Ranson, Roussel, Ibels, Willumsen, Albert Fournon, Luce, Roy, Petitjean, Gausson, Giran-Max, Albert, Paillard, Prunier, etc. On nous annonce, pour bientôt, des Van Gogh, des Odilon Redon, des Gauguin, des Pissaro, des Filiger, etc. — Depuis l'inauguration, quelques œuvres nouvelles, notamment un Séruzier d'une merveilleuse certitude de ton et de dessin, et un H. de Groux, Emigrants dans un entrepont, tableau encore inachevé, synthèse du douloureux et inutile grouillement humain, d'une maîtrise on dirait classique.

 A la Galerie Bodinier: Pastels d'André Sinet, art joli, plus, et spirituel moins que les Forain; des attitudes bien saisies de femmes à leur toilette, ôtant ou remettant leur corset: rien de neuf comme art.
 Même galerie, une suite de petites toiles de Richard Ranft; plus de tempérament que le précédent, pas plus d'originalité; des choses spécialement mauvaises parmi quoi deux ou trois paysages de tons compliqués amusent un instant.

 Musée Du Louvre. — Le baron Alphonse de Rothschild vient de faire don au musée du Louvre de deux petits bronzes florentins du seizième siècle d'une belle exécution. Ils seront placés dans la grande salle de la ferronnerie et des objets en métal, récemment installée.
 Autres dons: une Vierge à l'Enfant, bas-relief de l'école de Donatello; un buste de Michel-Ange, œuvre du seizième siècle.
 D'autre part, M. le docteur Fouquet, qui quitte le Caire et a déjà fait don au Louvre de spécimens très importants de l'art arabe au moyen-âge, vient encore d'offrir à notre musée national un lot considérable d'ouvrages intéressant au même titre nos collections.
 Le musée a fait une acquisition de la plus haute valeur historique et artistique.
 Il s'agit d'une statuette en bronze de Dionysios, découverte à Athènes, sur l'Acropole. Elle fit longtemps partie de la collection de Photiadès Pacha, gouverneur de Crète, et passa ensuite aux mains d'un antiquaire italien, M. Giulo Samboni, qui vient de la céder au Louvre.
 Péristyle Du Moulin-Rouge — A voir : près de l'affiche bien connue de Chéret,une très curieuse affiche de Lautrec représentant une des hiérodules du lieu dans l'accomplissement de son sacerdoce.
 L'Exposition de blanc et noir aura lieu du 1er avril au 15 juin, au palais des Arts libéraux. Envois du 1er au 5 mars pour les dessins, du 6 au 10 pour la sculpture. Relevé parmi les membres du jury les noms de MM. Eugène Guillaume (président), Gérome, H. Pille, Allongé, Didier. Waltner, Th. Chauvel, Pannemaker, Lhermitte, Harpignies, Gallard, Corigny, H. Havard, G. Duplessis, H. Delaborde, Armand Dayot, Desboutin, Didier. H. Jouin. A. Rouart, H. Rouart, Dubois, Falgnière, Mercié, Barrias, Rodin, Allonard, etc.

 Le Salon des XX ouvrira le 10 février; exposeront, les peintres français : P. Signac, M. Luce, L. Gausson, L. Pissaro, M. Denis.

 Aux Indépendants, ouverture le 19 mars (Pavillon de la Ville). On nous promet l'œuvre complet de Seurat.

 La Ville de Béziers prépare pour le mois d'avril, à l'occasion de l'inauguration d'une fontaine monumentale due à M. A. Injalbert, une Exposition de Peinture, Sculpture, Dessins, Pastels, Aquarelles et Emaux. Le nombre des œuvres exposées par le même artiste est limité à trois. Les tableaux ne devront pas excéder 2 mètres dans les plus grandes dimensions. Les ouvrages de sculpture ne devront pas excéder 200 kilos. La Commission se réserve d'ailleurs d'apprécier le cas où il pourra être fait exception à ces conditions. L'administration municipale annonce qu'elle acquerra quelques-unes des œuvres exposées. — Demander le Règlement à M. Charles Labor, Président de la Commission d'organisation.

 Autres expositions prochaines:
  Nantes, mars
  Amiens, juin-juillet.
  Lyon, 28 février.
  Evreux (Gravure), 31 janvier.
  Cannes, janvier-avril.
  Munich, juillet-octobre.
  Glascow, 2 février.

 Nécrologie. —Le statuaire Ernest Christophe est mort le 15 janvier. Il avait collaboré avec son maître Rude à la belle statue tombale de Godefroy Cavaignac. Ernest Christophe a peu produit : esprit inquiet, hanté de hautes conceptions, il se survivra surtout par la Femme au Masque (Jardin des Tuileries). Deux autres de ses ouvrages : la Fortune et le Baiser de la Chimère, sont au Luxembourg.
 Le comte de Nïenwerkerke est mort le 18 janvier à Gattajola, près de Lucques : ce fut le dernier Surintendant des Beaux-Arts. On ne vit à ce poste, après lui, que des commis d'ordre.


G.-A. A.

ÉCHOS DIVERS ET COMMUNICATIONS



 L'Endehors, qui s'est assurément plusieurs fois mis dans le cas d'être incriminé pour articles séditieux, est poursuivi pour... pornographie. M. Zo d'Axa ne s'attendait point à celle là. La rigide vertu de M Jules Simon triomphe. mais les arnarchos doivent bien rire qu'on prenne de ces petits chemins pour les atteindre. — La Justice, d'ailleurs, au bon pays de France devient bizarre. Nous n'avons — non pas parce qu'il disait des saletés, mais parce qu'il les disait sans aucun talent — jamais soutenu M. de Chirac, et le premier comité de lecture du Théâtre d'Art, composé en majeure partie de rédacteurs du Mercure de France, a toujours unanimement blackboulé les pièces qu'il présentait; nous sommes d'autant plus libres, compétents aussi, pour donner notre avis sur la peine infligée. Or, ainsi que l'a très exactement démontré Me Labory, le directeur-acteur du Théâtre Réaliste est, en matière littéraire, aux trois quarts inconscient, et sa condamnation à 15 mois de prison est tout à fait exessive, à considérer surtout, comme le note spirituellement M. Henry Céard dans le dernier numéro d'Art et Critique, que d'autres, « dont les délits étaient autrement précis et dont les actes furent singulièrement caractérisés, ont payé d'une moindre incarcération leurs idylles des Champs-Elysées et du bois de Vincennes ». — Autre chanson à propos de la condamnation de Fin de Siècle, du Messager Français et du Courrier Français. Le premier reproduit un article que le second a emprunté au troisième, lequel le publiait il y a dix-huit mois. Donc, trois délits, et, comme il n'y a prescription pour aucun, trois condamnations. Mais cela n'est juste que de droit étroit : la coutume est en effet, si l'on peut dire, plus légale que la loi elle-même, et, le Parquet n'ayant point coutume de poursuivre un journal dix huit mois après le délit, les deux journaux reproducteurs étaient autorisés à se croire à l'abri. D'où, à pousser cette doctrine aux dernières conséquences et en admettant qu'il y ait prescription pour le premier délit, ce dilemme fâcheux: ou la justice, ne pouvant atteindre le premier délinquant, abandonne les poursuites contre les deux autres — ce qui est immoral puisqu'elle juge qu'il y a délit; ou, sans se soucier de celui qui lui échappe, elle condamne les deux autres — ce qui est immoral puisque n'est point puni l'auteur du premier délit, fauteur des délits subséquents.

A. V.


 Art et Critique a reparu le 16 de ce mois-ci sous la direction de M. E. Pichot, qui déclarait dans une circulaire préalable:
 « Je me suis, dès à présent, assuré le concours de M. Jean Jullien, fondateur « d'Art et Critique », et de MM. Henry Céard, André Corneau, Alfred Ernst, Gustave Geffroy, Georges Lecomte, Gaston Salandri, etc., etc.
 « Rien ne sera donc changé à la ligne de cette Revue si vivante, si appréciée des lettrés et du public, et qui restera, comme par le passé, largement ouverte à toutes les tentatives d'art intéressantes, neuves et originales. »
 Nos compliments à M. Pichot, et nos vœux de réussite - d'ailleurs non douteuse — à son entreprise. Deux numéros d'Art et Critique ont déjà paru.

 M.Jean Jullien succède à Henri de Lapommeraye au journal Paris, et c'est M. Marcel Bailliot qui est chargé de la critique dramatique à La Plume.

 Le Réveil Catholique publie par souscription (3 francs) un volume de vers inédits de Verlaine, Liturgies intimes (s'adresser à M. Signoret, 1, place de la Sorbonne).

 Nous recevons le 1er numéro d'un journal bien étrange intitulé Le Chasseur de Chevelures. Nous en parlerons le mois prochain, surtout s'il continue, ce qui est douteux.

 Au dernier dîner des Têtes De Bois (5 janvier), sous la présidence de Jean Dolent : les peintres Eugène Carrière, Agache, Baud-Bovy, Jules Valadon, Debon, Saint-Germier; les sculpteurs Doublemard, F. Gilbault; le graveur E. Daumont; les poètes Charles Morice, Edouard Dubus, Jean Carrère, Julien Leclercq, Alfred Mortier, Léon Duvauchel, Yvan Rambosson, Hugues Rebell, Devillers, Ernest Jaubert, Emile Besnus, Edouard Schuré, Georges Seailles; le romancier espagnol A Sawa; le chansonnier Ernest Chebroux; Frantz Jourdain, Paul Dupray, etc.

 Ayant lu la note que nous avons insérée le mois dernier à propos de l’Echo des Jeunes, revue toute récente publiée au Canada par M. Gerbee, M. Victor Gresset nous prie d'annoncer que depuis janvier 1890 se publie à Paris, sous ce même titre d’Echo des Jeunes, un journal dont il est le fondateur.

PETITE TRIBUNE DES COLLECTIONNEURS



 ON ACHÈTERAIT:


Ernest Hello : L'homme.
A. France : Noces Corinthiennes (éd. or. br.). — Poèmes Dorés (éd. or. br.).
Jules Lemaître : Médaillons éd. or. br.). — Petites Orientales (éd. or. br.).
Jean Dolent : L'Insoumis.
Henri Becque : La Navette. — Les Honnêtes Femmes (éd. or br.).
Paul Bourget : Essais de Psychologie contemporaine (éd. or. Holl., br.).
Baudry Lacantinerie : Précis de Droit Civil, t. Ier, 4e éd., 1891.
Maurice Barrès : Une heure chez M. Renan (éd. or. br.).
Villiers de l'Isle-Adam : Morgane. — Elen. — Premières Poésies (éd. or. br.).
Jules Laforgue : Derniers vers (in-4° br.).
Tristan Corbière : Les Amours Jaunes (éd. or. br.).
Adoré Floupette : Les Déliquescences, av. préf. (br.).
J.-K. Huysmans : A Rebours (éd. or. Holl. ou Jap. br.). — Croquis Parisiens, av. eaux-fortes de Forain (éd. or. br.).
F. Vielé-Griffin : Les Cygnes (éd. or. br.).
Henri de Régnier : Apaisement. — Les Lendemains (éd. or. br.).
Paul Verlaine : Sagesse (éd. or. br.).
Mercure de France : 3 ex. n°1; I ex. n° 13.
Revue Indépendante (Dujardin): nos 23, 25, 26.
L'Etoile : 1889: nos I, 2, 6, 7; 1890: nos 3, 6, 7.

 ON VENDRAIT:


Champfleury : Balzac, sa méthode de travail, av. fac-sim. d'une page d'épreuve corrigée (Patay,1879. — In-16 carré tiré à 400. Rare)....................... 3 fr. 50 Jean Larocque : Les Voluptueuses (6 vol. : Isey, Daphné, Odile, Fausta, Viviane, Phoebé), couv. ill. par José Roy................................................. 25 fr.
 Chaque volume séparément............................... 5 fr.
Paul Verlaine : Les Poètes Maudits (Vanier, 1888),
av. 6 portraits. ............................. 3 fr. 25
Stéphane Mallarmé : L'Après-midi d'un Faune (1887; Holl., non, ill.) ........................................... 2 fr.
Jean Moréas : Les Premières armes du Symbolisme. I fr.
Ed. Dujardin : Les Hantises (éd. or. br.) ....................... I fr 50
Francis Poictevin : Seuls (éd. or. br.)................... I fr 25
A de Musset : Premières Poésies (Charpentier, 1884), in-8 holl. av. eau-f......................... 3 fr.
Julles Vallès : Les Réfractaires (A. Faure, 1866). I fr. 25
Léon Cladel : Bonshommes (éd. or. b.)............................. I fr 25
J. Barbey d'Aurevilly : L'Amour impossible (Bourdillat, 1859. Ed. or. Etat médiocre)................................ 6 fr.
Joséphin Péladan : Le Vice suprême, av. eau-f. de F. Rops et préd. de J. B. d'Aurevilly (Ed. or. br. Mauvais état)........................................... 5 fr
Un exemplaire de Quatre Poèmes d'Opéra, de Wagner (Bourdillat, 1861. ─ Demi-rel. maroq. rouge, tr. dor.; av. les couv., mais rogné).................................. 50 fr
Diderot : Exemple singulier de la vengeance d'une femme, conte moral. Ouvr. posth. de Diderot (Londres, 1793). Ignoré des derniers éditeurs des Œuvr. comp. L'un des quatre exemplaires connus (Stockholm, Londres, M. Sardou). Br. complet......................... 35 fr.
T. de Wyzeva : Stéphane Mallarmé, Notes (1886).. I fr.
Léon de Rosny : La morale du Bouddhisme................................... 0 fr. 75
Alber Jhouney : Les Lys noirs........... ...............................I fr. 25
La Vogue : 3 vol. en num.............. 35 fr.
 ─ Tome IV, 1889, 3 num................ 5 fr.
 ─ Ier n°1, cont. Les Premières Communions d'A . Rimbaud................ I fr.
Le Spectateur, n°9 (27 janv. 1879), cont. Ire version des Demoiselles de Bienfilatre................................... I fr. 50
Gazette de Champfleury, n°1 (Ier nov. 1856), cont. l'art. sur Une Vieille Maîtresse.................... I fr.
La Revue Indépendante (1889-90, en part. br.) : 13 num. div. ............................. 5 fr.
Mercure de France : Années 1890-91 en num. Rare. 24 fasc. formant 3 vol........................... 30 fr. La Revue Contemporaine (Remacle): coll. comp.
av. table.................................. 12 fr.
Au Mercvre de France, le Mardi, de 3 à 6 heures, ou par correspondance. — En sus des prix marqués, frais d'expédition et, s'il y a lieu, de recouvrement.

Mercvre.


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