N° 34. – OCTOBRE 1892

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Mercure de France, t. VI, n° 34, octobre 1892, p. 97-192.


UNE LETTRE

Paris, 4 septembre 1892.

Mon cher Monsieur Vallette!


 Vous me fîtes jadis l'honneur de publier dans le Mercure de France — où mon nom a encore été cité maintes fois depuis lors — une très noble et très généreuse étude de Monsieur G.-A. Aurier sur les quelques œuvres que j'exposai pour la première fois à Paris.
 C'est ce dont je me réclame aujourd'hui pour vous demander exceptionnellement la faveur de répondre par quelques indispensables remarques à un article de Monsieur William Ritter sur mon grand ami Léon Bloy.
 Ne croyez nullement que j'aie l'intention de relever les jugements littéraires portés sur le génial écrivain dans votre revue. — C'est un rôle que peut seul ambitionner un littérateur et qu'il serait plus que présomptueux de la part d'un pauvre peintre de vouloir assumer.
 Monsieur Ritter lui-même ne fait-il pas précéder chacune de ses appréciations d'un préalable et assez inutile aveu de sa « totale incompréhension »?...
 Il devient donc tout à fait puéril de la part de n'importe qui, n'est-ce pas ? d'entreprendre cette tâche ingrate.
 Mais il y a ceci.
 A l'époque où Monsieur William Ritter reçut de Léon Bloy l'accueil aimable dont il ne profite que pour divulguer je ne sais quelle « atroce misère »! et quel « croupissement" (!!!) (imaginaire, hélas!}, j'étais le familier et le commensal de Léon Bloy depuis plus d'un an.
 Je me plais même à vous avouer, puisque la joyeuse occasion s'en présente, que c'est grâce, exclusivement, an séjour charmant et réconfortant que je trouvai auprès de lui et parmi les siens que je dois la santé dont je jouis à l'heure actuelle, au grand étonnement de mes innombrables amis, — soit dit sans offenser personne!
 Je ne puis donc me défendre d'une indignation profonde et d'un grand étonnement, en constatant que Monsieur Ritter — sous prétexte de critique littéraire ! — vient aujourd'hui, au mépris du plus élémentaire respect humain et de toute vérité, accréditer la sotte et fausse légende qu'il nous donne dans le Mercure.
 Non ! Mille fois non ! Léon Bloy n'a jamais été, ainsi que Monsieur Ritter a l'impudence de le dire, un « fousublime » (!) autour duquel les touristes de la littérature suisse ou autre peuvent à leur gré venir « tourner » dans sa propre maison, et il n'a que faire de leur « admiration » obtuse et de leur injurieuse « compassion ».
 Il n'attend pas « qu'une cause veuille de lui », et, quoi qu'en pense encore Monsieur Ritter, il n'est nullement en « disponibilité », ce « héros »!...
 S'il se réfugie volontairement dans la plus farouche solitude, c'est pont en faire l'intimité pins délicieuse et la rendre impénétrable au mufle ambiant ou au cynisme des reporters. Plein du plus absolu mépris pour toute popularité — que la plupart de ses ennemis ne doivent qu'à la prostitution de leur cœur et de leur esprit — il y travaille à de hautes et glorieuses œuvres auxquelles il a depuis longtemps consacré sa vaillante vie. Monsieur Ritter nous apprend que Léon Bloy n'a aucune « mission »! S'il osait dire cela de Dubrujeaud ou de lui-même, par exemple, je trouverais encore cette arbitraire opinion de la plus effrayante témérité!
 Qu'il soit du moins bien certain que les amis de Léon Bloy et lui-même ne méprisent rien plus que les outrecuidants imbéciles qui s'avisent de lui donner des conseils (entre autre celui d'écrire pour « les jeunes filles », fussent-elles « nobles » !), après lui avoir donné le spectacle écœurant de la plus inepte et de la plus révoltante trahison dès qu'ils sont sortis de chez lui !...
 Le plus d'écho que vous pourriez donner, mon cher Monsieur Vallette, à cette protestation que je considère comme un devoir personnel, je vous le revaudrais en amitié et en reconnaissance très profonde.
 Votre dévoué,

Henry de Groux.

15, avenue Frochot.

LE SALUT PAR LES JUIFS (l)
(Fragments)

Quod scripsi, scripsi.

Pilate.

l'argent
IX


 Patience ! Écoutez ceci, vous les pauvres gens pour qui Jésus a voulu souffrir.
 Si quelque fanatique de ma prose pouvait un jour être suscité, le malheureux dénicherait peut-être, avec le secours du ciel, les lignes suivantes, aussi parfaitement ignorées, j'imagine, que la page citée plus haut:
 « On a fort écrit sur l'argent. Les politiques, les économistes, les moralistes, les psychologues et les mystagogues s'y sont épuisés. Mais je ne remarque pas qu'aucun d'eux ait jamais exprimé la sensation de mystère que dégage ce mot étonnant.
 « L'exégèse biblique a relevé cette particularité notable que, dans les Livres sacrés, le mot Argent est synonyme et figuratif de la vivante Parole de Dieu (2). D'où découle cette conséquence que les Juifs dépositaires anciens de cette Parole, qu'ils ont fini par crucifier quand elle est devenue la Chair de l'Homme, en ont retenu, postérieurement à leur déchéance, le simulacre, pour accomplir leur destin et ne pas errer sans vocation sur la terre.
 « C'est donc en vertu d'un décret divin qu'ils posséderaient, n'importe comment, la plus large part des biens de ce monde. Grande joie pour eux ! mais qu'en font-ils ? » (3)
 Ce qu'ils font de l'argent, je vais vous le dire, ils le crucifient.
 Je demande pardon pour cette expression assez généralement inusitée, je crois, mais qui n'est pas plus extravagante, si on y regarde bien, que cette autre : « Manger de l'argent », dont la monstruosité réelle, divulguée, ferait expirer d'effroi les innombrables humains qui l'utilisent.
 J'ai dit exactement ce que je voulais dire. Ils le crucifient, parce que c'est la manière juive d'exterminer ce qui est divin.
 Les symboles et les paraboles du Saint Livre sont pour toujours, l'Eglise, infaillible, n'ayant pas plus raturé les figures qu'elle n'a congédié les prophéties. C'est l'éternité seulement qui a leur mesure, et les Juifs ayant égorgé le Verbe fait chair, après l'avoir très jalousement gardé, aussi longtemps qu'il n'éclatait pas à leurs yeux charnels, épousèrent à leur insu l'effroyable pénitence d'être fixés à jamais dans leur sacrilège et de continuer avec rage sur l'indestructible Symbole ce qu'ils avaient accompli sur la chair passible du vrai Dieu.
 Crucifier l'argent ? Mais quoi ! c'est l'exalter sur la potence ainsi qu'un voleur ; c'est le dresser, le mettre en haut, l’isoler du Pauvre dont il est précisément la substance !...
 Le Verbe, la Chair, l'Argent, le Pauvre... Idées analogues, mots consubstantiels qui désignent en commun Notre Seigneur Jésus-Christ dans le langage que l'Esprit Saint a parlé.
 Car, sitôt qu'on touche à l'une ou l'autre de ces effrayantes Images, qui sont si nombreuses, elles accourent toutes à la fois et mugissent de tous les côtés comme des torrents qui se hâteraient en bondissant vers un groupe unique et central.
 C'est moi ! crie chacune d'elles.
 — C'est moi, l'Argent, qui suis le Verbe de Dieu, le Sauveur du monde ! C'est moi qui suis la Voie, la Vérité, la Vie, le Père du siècle futur !...
 — C'est moi, le Verbe, qui suis l'Argent, la Résurrection, le Dieu fort, le très bon Vin, le Pain vivant, la Pierre angulaire !...
 — C'est moi, la Chair, la chair débile, qui suis pourtant la voie des Anges, la Pureté des Vierges, l'Agneau des agonisants et le bon Pasteur des morts !...
 — Et c'est moi toujours, moi le Pauvre, le Père des pauvres, qui suis le Trésor des fidèles, trésor de vermine et d'abjection, en même temps que le Roi des Patriarches et la Force des Martyrs ! C'est bien moi qui suis l'Esclave, le Conspué, l'Humilié, le Lépreux, le Mendiant horrible dont tous les Prophètes ont parlé... et le Créateur des voies lactées et des nébuleuses, par-dessus le marché !
 Mais qui donc pourrait avoir des pensées dignes de tels objets ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XX

 Les désolations et les terreurs de l'Évangile étaient ambiantes à tel point pour ces bonnes gens d'autrefois, que leur aversion à l'égard des Juifs empruntait à la nature même de leur sensibilité quelque chose de prophétique.
 Non seulement les Juifs avaient crucifié Jésus ; que dis-je ? non seulement ils le crucifiaient actuellement devant eux, mais encore ils refusaient de le faire descendre de sa Croix en croyant en lui.
 Car tous les mots du Texte sont vivants.
 Pour ces âmes profondes et amoureuses, il ne pouvait être question de rhétorique ou de vaine littérature, quand il s'agissait de la Parole de Dieu.
 Les faiseurs de livres, qui ont tout dilapidé, dormaient encore dans les limbes des maternités futures, et l'horreur eût été grande, si quelqu'un s'était avisé de supposer que l'Esprit Saint avait pu raconter une anecdote ou relater un incident accessoire, élagable sans inconvénient.
 On ne trouvait pas, dans le Livre, une syllabe qui ne se rapportât, en même temps, au passé et à l'avenir, au Créateur et aux créatures, à l'abîme d'en haut et d'en bas, — enveloppant tous les mondes à la fois d'un unique éclair, comme le tournoyant esprit de l'Ecclésiaste qui « passe en considérant les univers in circuitu, et qui revient en ses propres cercles ».
 Ce fut d'ailleurs, à toute époque, l'infaillible pensée de l'Eglise qui retranche d'elle, ainsi qu'un membre pourri, quiconque touche à cette Arche sainte remplie de tonnerres : la Révélation par les Ecritures, — éternellement actuelle au sens historique et universelle, absolument, au sens des symboles.
 En d'autres termes, la Parole divine est infinie, absolue, irrévocable de toute manière, itérative surtout, prodigieusement, car Dieu ne peut parler que de Lui-même.
 Ces âmes simples étaient donc « raisonnablement » persuadées que la Raillerie juive, consignée par les deux premiers évangélistes, n'est rien moins qu'une échéance prophétique de l'histoire de Dieu racontée par Dieu, et leur instinct les avertissait que le « Règne terrestre » du Crucifié et la fin glorieuse de son permanent Supplice dépendaient, en quelque inexprimable façon, de la bonne volonté de ces infidèles.

XXI

 Or, leur volonté, précisément, était infernale. Ces maudits se savaient puissants et leur détestable joie consistait à retarder indéfiniment ce Règne glorieux attendu par les captifs, en éternisant la Victime.
 Le Salut de tous les peuples était, par leur malice, diaboliquement suspendu, — au sens figuré comme au sens propre, — et celui des Apôtres qui avait été pharisien et qui comprenait sans doute ces choses mieux que personne, s'était vu forcé d'avouer qu'on n'était sauvé qu'« en espérance », rien qu'en espérance, et qu il fallait encore attendre la Rédemption, en exhalant, avec le dolent Esprit du Seigneur, des « gémissements inénarrables ». (4)
 Le refus de ces canailles immobilisait effroyablement, par minutes et par secondes, les plus rapides épisodes et toutes les péripéties de la Passion.
 Le fétide Judas baisait toujours son Maître au Jardin, et le déplorable fils de la Colombe, Simon-Pierre, ne s'arrêtait plus de le renier en « se chauffant » au Vestibule.
 Crachats, Soufflets, Meurtrissures pleuvaient sans interruption ni merci, en même temps que le vacarme des Injures et le fracas surnaturel des Cinq mille Coups de lanières plombées, mentionnés par la tradition, retentissaient plus horriblement que jamais, grossis et multipliés par tous les échos de la Douleur de la terre, comme le carillon des ouragans.
 Sous le haut portique d'une colossale demeure d'où semblaient sortir les ténèbres, le morose Pilate se lavait les mains depuis mille ans et songeait sans doute à se les laver mille ans encore, pour savoir s'il n'obtiendrait pas de quelque océan ce qu'il avait inutilement espéré de tous les fleuves.
 Et devant ce juge oblique, l'impardonnable Couronne, l'authentique « Buisson de feu » qui coiffait le Fils de la Vierge, enfonçait toujours ses pointes atroces dans le Chef divin du Supplicié que le travail des flagellateurs avait fait brûlant comme un tison.
 L'énorme cri des tueurs de Dieu grondait plus fort que le rugissement obstiné d'une cataracte, aggravé par la voie plaintive des agneaux destinés à l'immolation pascale, qu'on entendait à chaque instant du côté de la Piscine probatique...
 Et cette Croix de démence, le clouement et le déclouement du Christ, ses langueurs inexprimables et les Sept Paroles qu'il prononça, la Station de la Mère et cette Mort d'entre les morts qui épouvanta le soleil pendant trois heures ; tous les détails enfin de cette ribote scandaleuse de tortures dont le seul pressentiment consume les extatiques, étaient impitoyablement distincts et discernables, fixés à jamais dans le temps et dans l'espace, ankylosés par un infrangible vouloir.
 « Descendat nunc de cruce... Qu'il descende maintenant de sa croix et nous croirons en lui. Destructeur du temple de Dieu, sauve-toi toi-même. » Il n'y avait pas à sortir de cet ultimat. Rien ne finissait parce que rien ne pouvait finir et que les choses finissantes renaissaient aussitôt partout.
 On saignait avec Jésus, on était criblé de ses plaies, on agonisait de sa soif, on était souffleté à tour de bras, en même temps que Sa Majesté sacrée, par toute la racaille de Jérusalem, et les enfants même qui n'étaient pas nés tressaillaient d'horreur dans le ventre de leurs mères, quand on entendait le Marteau du Vendredi Saint.
 Les laboureurs sanglotants allumaient alors de pauvres flambeaux dans les sillons de la terre, pour que cette nourrice des malheureux ne fût pas infécondée par l'inondation des ténèbres qui s'épandaient du haut du Calvaire, ainsi qu'un interminable panache noir, au moment du Dernier Soupir.
 C'était, en ce jour, le grand Interdit de la compassion et du tremblement. Les oiseaux migrateurs et les fauves habitants des bois s'étonnaient de voir les hommes si tristes, et les animaux sans colère suaient d'angoisse au fond des étables en entendant pleurer leurs pasteurs.
 Les chrétiens à l'image d'un Dieu Très Haut descendu si bas, se reprochaient avec amertume de l'avoir fait à leur ressemblance et craignaient de regarder le plafond des cieux...
 Depuis les Matines du Jeudi absolu jusqu'à l'immense alléluia de la Résurrection, le monde était livide et silencieux, artères liées, forces percluses, « chef languide et cœur dolent ». Arbitraire absolu de la Pénitence. Une seule porte lugubre environnée de pâles monstres accusateurs était entr'ouverte pour aller à Dieu. Les vitraux éclatants s'éteignaient. Les bonnes cloches ne tintaient plus. C'était à peine si on avait l'audace de naître et on n'osait presque plus mourir.
 Vainement on s'efforçait de consoler la Vierge aux Epées dont les yeux brûlés de larmes ressemblaient à deux soleils morts. Cette Face maternelle, qui paraissait exiler tout réconfort, était devenue un volcan d'effroi et jetait par terre les multitudes...
 « Qu'il descende ! hurlaient toujours les chacals de la Synagogue. — Pourquoi donc, ô Israël ? Est-ce pour le dévorer, ce nouveau Joseph engendré dans ta vieillesse, à qui tu as fait une si belle robe de pourpre (5)  et que voici dans les bras en croix de cette Rachel immobile qu'on ne peut pas consoler ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 
XXV

 Je n'ai certes pas lieu de supposer que les chrétiens du Moyen Age possédaient, en général, de si transcendantes aperceptions sur Dieu et sur Sa Parole. Mais n'ayant pas vu le dix-septième siècle ni la Compagnie de Jésus, ils étaient simples, et lorsqu'ils ne croyaient pas d'une âme amoureuse, ils croyaient tout de même d'un cœur tremblant, comme il est écrit des démons (6) , — et c'était assez pour qu'ils devinassent au moins quelque chose, pour que leurs craintes ou leurs espoirs allassent plus loin que les horizons de cheptel entrevus par les somnolents bestiaux de la piété contemporaine.
 « Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée », entendit un jour la visionnaire sublime de Foligno. Ce naïf mot raconte l'histoire de plusieurs centaines de millions de cœurs.
 La religion n'était pas risible alors et la Vie divine aperçue partout était, pour ces simples gens, la chose du monde la plus sérieuse, la plus péremptoire.
 Il est parlé dans l'Evangile d'un certain Simon de Cyrène que les Juifs contraignirent à porter la croix avec Jésus qui succombait sous le fardeau. La tradition nous apprend que c'était un homme pauvre et pitoyable qui voulut, aussitôt après, devenir chrétien pour avoir le droit de pleurer sur lui-même en se souvenant de la Victime dont il avait eu la gloire de partager l'ignominie.
 Ne vous semble-t-il pas, comme à moi, qu'un tel adjoint du Rédempteur mortifié est une évidente préfiguration de ce Moyen Age plein de potences et de basiliques (7) , plein de ténèbres et d'épées sanglantes, plein de sanglots et de prières, qui, durant l'espace de mille années, mit sur ses
épaules tout ce qu'il put de l'immense Croix, — cheminant ainsi dans les vallons noirs et sur les collines douloureuses, élevant ses fils pour la même angoisse, et ne se couchant sous la terre que lorsqu'ils avaient assez grandi pour substituer aisément leur compatissance à la sienne ?
 Prodigieuse, inlassable résignation !

Point de pain quelquefois, et jamais de repos ;
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle Vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
— C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.

 Ah ! La Fontaine s'est trompé. Ce n'était pas un fagot que les bûcherons priaient la Mort de les aider à remettre sur leurs épaules.
 C'était le Bois du Salut du monde, l'« Espérance unique » du genre humain que les Juifs les forçaient impitoyablement à porter.
 Ils ne disaient jamais non, bien qu'ils fussent exterminés de fatigues, enveloppés dans un perpétuel brouillard de misères, et si, parfois, ils se ruaient contre les perfides, c'était, comme je l'ai dit, parce que ceux-ci refusaient de mettre fin aux langueurs du Christ ; — sentiment d'une tendresse ineffable que personne jamais ne comprendra plus !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XXVIII

 Je sais trop combien doit paraître absurde, monstrueux et blasphématoire de supposer un antagonisme quelconque au sein même de la Trinité ; mais il n'est pas possible de pressentir autrement l'inexprimable destinée des Juifs, et quand on parle amoureusement de Dieu, tous les mots humains ressemblent à des lions devenus aveugles et qui chercheraient une source dans le désert.
 Il s'agit bien vraiment d'une rivalité pouvant être conçue par des hommes !
 Tous les viols imaginables de ce qu'on est convenu d'appeler la Raison peuvent être acceptés d'un Dieu qui souffre, et quand on songe à ce qu'il faut croire pour être seulement un misérable chien de chrétien, ce n'est pas un très grand effort de conjecturer par surcroit « une sorte d'impuissance divine provisoirement concertée entre la Miséricorde et la Justice en vue de quelque ineffable récupération de Substance dilapidée par l'Amour » (8) .
 Puisqu'on nous enseigne, dès le commencement de la vie, que nous fûmes créés à la ressemblance de Dieu, est-il donc si difficile de présumer bonnement, comme autrefois, qu'il doit y avoir, dans l'Essence impénétrable, quelque chose de correspondant à nous, sans péché, et que le synoptique désolant des troubles humains n'est qu'un reflet ténébreux des inexprimables conflagrations de la Lumière ?
 S'il existe au monde un fait notoire vérifié par l'expérience la plus rectiligne, c'est l'impossibilité d'assortir et d'atteler efficacement l'Amour avec la Sagesse. Les deux incompatibles chevaux de ton char funèbre s'entre-dévorent depuis toujours, ô identique Humanité !... Que celui qui peut comprendre, comprenne ; mais, assurément, c'est là que se cache le Secret de Dieu.
 Et voici maintenant que, du fond des hypogées de la mémoire, me revient un apologue sublime d'Ernest Hello sur la Gloire et la Justice, — réduplicatives appellations de ces deux antagonistes éternels.
 Cette parabole étonnante, qui ne fut peut-être jamais écrite et que l'auteur, vraisemblablement, n'eût pas osé publier, je la livre de bon cœur, telle à peu près qu'il me la conta lui-même, quelques années avant de mourir.
 Le Juge vient à son heure que nul ne connaît. A son approche, les morts ressuscitent, les montagnes tremblent, les océans se dessèchent, les fleuves s'envolent, les métaux entrent en fusion, les plantes et les animaux disparaissent ; les étoiles accourues du fond des cieux montent les unes sur les autres pour assister à la Séparation des bons d'avec les méchants. L'épouvante humaine est au-delà de ce qui peut être pensé.
 « — J'ai eu faim et vous ne M'avez pas donné à manger ; J'ai eu soif et vous ne M'avez pas donné à boire ; J'étais étranger et vous ne M'avez pas accueilli ; J étais nu et vous ne M'avez pas vêtu ; J'étais malade et captif et vous ne M'avez pas visité... » (9)
 C'est tout Je Jugement, — effroyablement infaillible, effroyablement sans appel.
 Enfin, un homme se présente, un être horrible, noir de blasphème et d'iniquités.
 C'est le seul qui n'ait pas eu peur.
 C'est celui-là et non pas un autre qui fut maudit des malédictions du ciel, maudit des malédictions de la terre, maudit des malédictions de l'abîme d'en bas. C'est pour lui que la malédiction descendit jusqu'au centre du globe pour y allumer la colère qui devait dormir jusqu au Jour des grandes Assises.
 C'est lui qui fut maudit par les cris du Pauvre, plus terribles que les rugissements des volcans, et les corbeaux des torrents ont affirmé aux cailloux roulés dans le lit des fleuves qu'il était vraiment maudit par tous les souffles qui passaient sur les champs en fleurs.
 Il fut maudit par l'écume blanche des vagues exaltées dans la tempête, par la sérénité du ciel bleu, par la Douceur et la Splendeur, et maudit enfin par la fumée qui sort des chaumières à l'heure du repas des très humbles gens.
 Et comme tout cela n était rien encore, il fut maudit dans son infâme cœur, maudit par CELUI qui a besoin, éternellement besoin, et que jamais il ne secourut.
 Il se nomme peut-être Judas, mais les Séraphins qui sont les plus grands des Anges ne pourraient pas prononcer son nom.
 Il a l'air de marcher dans une colonne de bronze.
 Rien ne le sauverait. Ni les supplications de Marie, ni les bras en croix de tous les Martyrs, ni les ailes éployées des Chérubins ou des Trônes... Il est donc damné, et de quelle damnation !
 J'en appelle ! dit-il.
 Il en appelle!... A ce mot inouï les astres s'éteignent, les monts descendent sous les mers, la Face même du Juge s'obscurcit. Les univers sont éclairés par la seule Croix de Feu.
 — A qui donc en appelles-tu de Mon Jugement ? demande à ce réprouvé Notre Seigneur Jésus-Christ.
 C'est alors que dans le silence infini de la Création, le Maudit profère cette réponse :
 J'en appelle de ta JUSTICE a ta GLOIRE !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 Léon Bloy.



 (1) Nous offrons à nos lecteurs quelques chapitres de ce nouveau livre de Léon Bloy, dont l'auteur a bien voulu nous communiquer les bonnes feuilles et qui paraît cette semaine à la librairie Adrien Demay, 21, rue de Châteaudun (i vol. in-8°). Nous ne citons point la conclusion assez inattendue de l'ouvrage, et qu'on lira — avec stupéfaction.

N. D. L. R.

 (2) PS. II, 7

 (3) Christophe Colomb devant les Taureaux, p. 108.
 (4) S. Paul aux Romains, chap. 8.
 (5) Genèse, chap. 37, v. 3.
 (6) St Jacques, chap. 2, v. 19.
 (7) Paul Verlaine.
 (8) Le Désespéré, page 51.
 (9) S. Matthieu, chap. 25.


BALLADE PARNASSIENNE

EN FAVEUR DE MONSIEUR JEAN RAMEAU.


« Et, pour comble d'horreur, les animaux parlèrent. »

 L'abbé Delille.

Chœurs déchaînés sur l'Oréas neigeuse,
Faune velu, Thyade aux jeunes flancs,
Vous qui menez la cordace orageuse
De l'antre humide aux pics étincelants
Et qui, le soir, par les taillis hurlants,
Crucifiez de vos belles morsures
La chair du faon et des louves, peu sûres
Bacchantes, je chanterai sous l'ormeau
Notre Rameau franc de toutes luxures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.

Rameau n'a point la mine avantageuse
Qu'aux seuls gandins prêtent les bons merlans.
Hispide, avec une boule rageuse,
Il va-t-en ville exhiber ses talents
Et naqueter pourboires, en gants blancs.
Doux locatis, il hume les rinçures
Du faux moët, des bavaroises sures
Et des orgeats où trempe un chalumeau.
Quelque blanc d'œuf a verni ses chaussures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.

Muse des Bois, sonore Voyageuse,
Oncques n'ouïs ce Rameau plein d'élans
Crier d'amour quand fleurit Bételgeuze.
Mais comme il a votre âme goélands (1) ,

Son vœu chérit les animaux bêlants :
Enfantelets, porcelets, moutons, ures.
Tel palabrait, en dépit des censures,
L'engastrimythe Ursus avec Homo ;
Tel, ô Bourgeois, il émeut vos fressures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.


envoi


Prince au bouclier d'or, qui nous assures
Contre l'ennui fauteur d'âpres blessures,
Que Péladan parle du roi Schlèmo,
Qu'Ohnet soit lu dans les « Poids et Mesures »,
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.

_________

GENDELETTRES


Cœur de lapin, ventre de porc, nez de gorille,
Incarnation des plus saumâtres Wishnous,
Némorin-Le-Busard qu'une gale essorille,
Étant un pur gaga, rayonne parmi nous.

Chez Péters, où le veau de truffe et de morille
S'assaisonne pour les journalistes brenoux,
Le chien du commissaire, Arthur Fouinard, brille,
Et le gros Cul-qui-Rit incague ses genoux.

Voici Pompon ! Richard O'Monroy ! Voici même,
Empereur de la sole et Pape de la brême,
L'unique Éphestion, le seul, le maquereau

Qui, pour consolider ses petits bénéfices,
De madame Reingold vendit les orifices,
Et que les ronds-de cuir lisent à leur bureau.

__________

BALLADE

A MOTS COUVERTS DE L'INFANTILE PARAGUANTE

« Hi sunt qui cum mulieribus non
« sunt coinquinati ; et in ore eorum non
«est inventum mendacium. »

 (Les SS. Innocents  A none )

« Voici les Bienheureux que la femme
« n'a pas coinquinés ; et ce n'est point le
« Mensonge qu'on a trouvé dans leurs
«bouches.»

Mercure de France 06 114 illustration.jpg
Calamiteux et menant la « postige »,
Sur le trottoir que Barrés a dompté,
Le camelot secoueur de vertige,
Bardache mais nullement breveté,
Garrulle avec impétuosité.
Journaux, poil à gratter en macédoine,
Préservatifs amoureux pour chanoine,
Que ne vend-il, le ribaud triomphant?
Son « leit-motive » est à charmer idoine:
« Joli cadeau à faire à un enfant. »
Pierre Loti (2), par qui Zola s'afflige,
Baisa les Sarimpis couleur de thé,
Aux négrillons infusa la voltige
Et fit crever quelque jaune beauté
De l'Orénoque ou du Palais d' té.
Mais, pour bailler à son courtaud l'avoine,
Le conjouir et le tirer d'essoine,
Yves est là que l'Institut défend.
Le matelot de cet écrivain coine,
Joli cadeau à faire à un enfant.
Frère Bitard, dont l'avant bras fustige
Plus d'un puceau très bas déculotté,
De Sainte Eglise avère le prestige.
Et Rabaroust, magistrat, fut cité,
Pour l'ingénu de sa lubricité.
Le gros vicaire avec le paillard moine,
Sans bézoard, jayet, ni calcédoine,
Brisent la porte et le mur de refend.
O leurs engins valant tel patrimoine,
Joli cadeau à faire à un enfant.
envoi
Prince, d'Argis, cueillant sauge et pivoine,
Chez Henri Laus rencontre Pupavoine:
Seigneurs bougrins, sonnez votre olifant !
Le mal de Naple et le feu Saint Antoine,
Joli cadeau à faire à un enfant.

Laurent Tailhade.



(1) Telle est, à ce qu'il prétend, l'âme ordinaire de M. Paul Bourget, auquel nous sommes heureux de restituer sa belle expression. Cela dépasse fort, à ce qu'il nous semble, Maurice Barrès et fait deviner presque M. Pierre Loti. — L. T.
(2) Académicien et marinier, le plus jeune des Quarante. A le petit travers de raffoler des pseudonymes. Ainsi, on l'appelle Viaud sous la Coupole, Ma chère à la cour de Roumanie, Pol Plançon à l'Opéra, et il taquine l'ivoire, dans le monde, sous le nom du pianiste Dusauthoy. — L.-T.

THOMAS LOVELL BEDDOES
―――


 Peu connu en Angleterre de son vivant, presque oublié aujourd'hui, et totalement ignoré en France — où pour la première fois, peut-être, son nom fut imprimé dans le Mercure, en novembre 1891 (article de M. Remy de Gourmont), — tel est le sort littéraire de Beddoes. Aussi est-il nécessaire, avant d'analyser son œuvre, de dire succinctement quel homme il fut (1).

I


 Thomas Lovell Beddoes vint au monde, le 20 juillet 1803, à Clifton, ville du comté de Gloucester, proche et en aval de Bristol sur l'Avon. A l'âge de six ans, il perdit son père, un chirurgien de quelque notoriété, — et sir Davies Gilbert fut désigné pour lui servir de tuteur. — Sa mère était sœur de Maria Edgeworth, le romancier.
 Thomas suivit les cours de l'école de grammaire de Bath, et continua ses études a Charterhouse, où furent composées ses premières poésies, en 1817. Un de ses condisciples rend hommage à son érudition précoce. « II possédait tous les meilleurs dramaturges anglais, depuis Shakspere, ou avant lui, jusqu'aux pièces du moment », écrit ce témoin des jours d'adolescence, M. C. D. Bevan. Il nous apprend aussi que Beddoes était un « excentrique » et se montrait fort « jaloux de son indépendance »; qu'il se plaisait à imiter les acteurs Kean et Macready. Cet ami a surtout conservé le parfait souvenir d'une remarquable interprétation du Faust de Marlowe, par son camarade.
 Il reste peu des productions d'extrême jeunesse de Beddoes. On sait le titre d'un roman: Cynthio and Bugboo, qu il détruisit lui-même, et quelques fragments ont été épargnés de sa rapsodie d'Alfarabi. Il quitta Charterhouse pour Oxford, où il n'obtint aucun grade universitaire. En revanche, parut en 1821 The Improvisatore, son premier volume de vers, dont il rechercha tous les exemplaires pour les brûler. Il agit de même pour The Bride's Tragedy, publiée peu de temps après et qui eut un certain retentissement dans le monde littéraire.
 Depuis, Beddoes ne fit jamais imprimer rien de ce qu'il écrivait. Ses œuvres durent de paraître — après sa mort — au dévouement de M. Thomas Forbes Kelsall, un jeune avocat qui lui avait été présenté lors d'un séjour à Southampton. Les quelques mois passés dans cette ville furent employés à ébaucher deux tragédies jamais achevées : The Second Brother et Torrismond.
 Vers cette époque mourut Shelley, dont Beddoes fut un des premiers et des plus fervents admirateurs. Il s'occupa de réunir les écrits inédits du grand écrivain, — et par ses soins furent publiés les Posthumous Poems de Shelley. Beddoes reprit ses travaux personnels. Il commença deux drames romantiques: Love's Arrow Poisoned et The Last Man (2).
 Appelé à Florence auprès de sa mère, gravement malade, il la trouva morte en arrivant. Il demeura quelques semaines en Italie, revint à Clifton avec ses sœurs, et se livra à l'étude de la langue allemande. Sous l'influence des écrivains allemands, Beddoes conçut le projet d'une « tragédie gothique », — et c'est probablement le désir de s'imprégner parfaitement de l'esprit germain qui lui fit entreprendre le voyage d'Allemagne. Il se fixa à Gœttingue, où le savant professeur Blümenbach devint son intime ami. Cédant à ses sollicitations, le littérateur abandonna momentanément son art pour la médecine. Cependant, chaque jour il employa quelques heures à sa tragédie: The Death's Jest-Book ...
 En 1828, il vint en Angleterre pour conquérir le grade universitaire de M. A. (Master of Arts). Après un très court passage à Oxford, dans cette intention, il retourna à Gœttingue, qu'il habita deux ans encore.
 Beddoes se retira en Bavière, à Wurzbourg (1831). Il considérait sa tragédie comme terminée et parlait de la livrer au public. Il écrit à ce propos : « Je m'y suis pris à vingt fois pour la bien copier ». Il en avait laissé le manuscrit à son ami Kelsall, qui en surveilla l'impression. Mais celui-ci conseilla quelques modifications à l'auteur... Beddoes connut, à cette époque, des révolutionnaires polonais. Il les protégea contre le gouvernement bavarois qui les traquait, — et s'attira pour cet acte généreux de tels ennuis qu'il dut quitter la Bavière. Il gagna Strasbourg, puis Zurich où il se fixa. Par les soins de son professeur et ami Blûmenbach, — sa réputation de savant l'avait précédé en Suisse. On lui proposa la chaire d'Anatomie comparée (il était docteur en médecine depuis 1832). Son élection à ce poste ne fut pas ratifiée: on argua de ce qu'il n'avait jamais publié d'ouvrage scientifique, — mais Beddoes estime que des raisons politiques lui valurent cet échec.
 Ces années passées à Zurich furent heureuses. Il s'occupa de sciences autant que de littérature, et préparait un recueil poétique: The Ivory Gate (la Porte d'ivoire), en même temps qu'il publiait une version allemande d'un ouvrage médical de Grainger.
 Nous arrivons à l'année 1839. Une émeute bouleverse Zurich. De sa fenêtre, Beddoes voit s'accomplir le meurtre du ministre Hegetochweiber, un de ses meilleurs amis. Le pays n'est plus sûr pour lui-même — et cependant il y mène une vie si heureusement calme qu'il ajourne de quelques mois son départ, espérant l'apaisement des troubles. En mars 1840, il est obligé de s'enfuir et doit d'avoir la vie sauve à l'aide d'un ancien chef du parti libéral, Jasper, qui favorise son départ furtif.
 Le poète parcourt l'Allemagne, passe une année en Angleterre, revient en Suisse, puis se rend à Giessen (1844), où l'attire Liebig, dont il suit les expériences chimiques. Beddoes versifie, entre temps, en allemand. Les journaux publient des épigrammes et des odes qu'il ne signe pas, et qu'on n'a pu retrouver... Il revient en Angleterre (août 1846), qu'il habite dix mois durant. Kelsall, dont il est l'hôte, le trouve « excentrique ». Le vrai est que l'écrivain est devenu misanthrope. Il a des heures terribles de crise. C'est ainsi qu'un jour il veut mettre le feu au théâtre de Drury-Lane, — avec une banknote de cinq livres.
 Lassé de tout, Beddoes quitte une fois encore son pays. Il vient à Francfort (1847), ou se lie... d'amitié avec un ouvrier boulanger de 19 ans, nommé Degan. « C'est un joli jeune homme, vêtu-d'une blouse bleue, d'expression fine, et qui a dans ses manières une dignité naturelle.... », écrit-il à sa cousine, Miss Zoë King.
 Pendant six mois, le poète vit dans un complet isolement, avec Degan ; — entreprend de faire son éducation ; — lui apprend l'anglais pour qu'il puisse interpréter ses œuvres ! Les deux « amis » vont à Zurich : Beddoes loue un soir le théâtre, où Degan lui donne une représentation. Ils voyagent ensemble;—mais, à Bâle, l'ancien boulanger l'abandonne...
 Beddoes, pris de désespoir, se porte un coup de rasoir à la jambe droite. A l'hôpital, où on le soigne avec charité, — il arrache les bandages qui garantissent sa plaie, et provoque, de cette façon, une dangereuse infection de gangrène, qui nécessite l'amputation du membre au-dessus du genou.
 Sur ces entrefaites, Degan est revenu à Bâle. Beddoes reçoit sa visite ; il reprend goût à la vie ; il se sent heureux ; il écrit et écrit, projette de merveilleux plans pour l'avenir... Dès sa guérison, il partira pour l'Italie, — avec Degan. Celui-ci le quitte une seconde fois — Beddoes s'empoisonne et meurt...
 Sur son corps, on trouva une lettre écrite au crayon, par laquelle il laissait tous ses manuscrits à Kelsall « pour qu'il les publiât ou non, suivant qu'il lui semblerait bon ». Beddoes y parle vaguement des raisons qui l'ont poussé au suicide : « La vie était une trop grande misère sur une seule jambe, — et celle-ci mauvaise!.... »

II

 Étrange destinée que celle de Beddoes, étrange destinée que n'éclaira pas même un pur et radieux rayon d'amour ! Il semble qu'il soit né en dehors du monde ; son existence nomade serait d'ailleurs une preuve suffisante de son inquiétude au milieu des hommes, qui n'étaient pas ses semblables, des paysages, qui n'étaient pas ceux de ses rêves. Et le poète a dû terriblement souffrir de cet isolement dont il avait conscience et qu'il ne put jamais combattre, car sa nature le lui commandait impérieusement : « Je me sens, en une certaine mesure, seul dans le monde, — écrit-il — et j'aimerais rester ainsi, car, d'après les expériences que j'ai faites, je crains d'être un mauvais conducteur de l'amitié, une personne pas très aimable.... Pour cela, je dois occuper cette partie du cerveau qui devrait être employée à des attachements imaginaires, — à la poursuite du bien immatériel et immuable...» Il ne connut pas l'amitié,'et quand il crut la trouver, ce fut chez un être absolument inférieur. Ce sentiment eut la violence d'une inexplicable passion, en dehors de la nature, — et peut-être fut-elle l'expression même de sa révolte contre cette nature qui lui fut toujours marâtre.
 .... M. Taine, après une étude très sommaire (3) où se coudoient Thomas Moore, Cooleridge, Campbell, Southey, etc.., écrit: « II y en a une trentaine d'autres par derrière, et je crois que de tous les beaux paysages visibles ou imaginables... il n'en est pas un qui leur ait échappé. » Notre poète ne doit pas être compris dans cette « trentaine d'autres », à la suite des quelques-uns précédemment cités. Il est plus haut, pour avoir été un créateur.
 Beddoes écrit comme aucun avant lui ne l'avait fait. Avec lui, — dès la disparition de Byron et du grand Shelley, — s'ouvre une voie nouvelle où s'engagera Swinburne, et,après, M. Oscar Wilde. Deux lignes empruntées au poète définissent son esthétique: «.. Nous devons plutôt engendrer que faire revivre, tenter de donner à la littérature de cet âge un esprit et une idiosyncrasie propres, et ne dresser un spectre que pour le contempler et non pour en vivre. » Cette dernière appréciation, appliquée aux romantiques français, serait rigoureusement la condamnation de l'école.
 Beddoes est le poète du surnaturel, parce que les choses vues ne l'émurent jamais. Ce monde n'était pas sien, il en créa d'autres, où vivaient des pensées, où luttait l'âme des morts, où les passions, plus fortes que la vie, s'entre-choquaient au-delà. On trouve chez lui, constamment, l'affirmation de la survie. Elle le console de ce qu'il souffre. Il l'applique de même aux personnages issus de lui. Aucun d'eux n'est gai, parce que tous le reflètent,—les plaintes de son âme inquiète et les angoisses de son cœur qui cherche à aimer! Ecoutez sa légende (4) : The Phantom-Wooer:

Le Fantôme-Galant


 Un fantôme, qui aimait une belle Dame, se tenait toujours à son chevet, dans l'air stellaire de minuit. Et le fantôme, — avec une douceur qui s'élevait au-dessus des mots de l'amour humain, — qui leurrent ! — se fiançait à son âme.

 Douce et douce est leur note empoisonnée,

 La note des petits serpents à gosier d'argent.

 Ils nichent et reposent dans les crânes moussus,

 Toujours chantant : « Meurs, oh ! meurs. »

 Mets bas ta chair ! jeune âme, — et viens avec moi dans la quiète tombe, notre séduisant, et doux, et sombre lit. Sous le chaud linceul de plomb, et sous notre couverture de neiges, nous bercera la Terre, ainsi qu'elle tourne !

 Chère et chère est leur note empoisonnée,

 La note des petits serpents à gosier d'argent.

 Ils nichent et reposent dans les crânes moussus.

 Toujours chantant : « Meurs, oh ! meurs. »


 Et Beddoes, en toutes ses poésies, a chanté la gloire de la Mort : le bonheur conquis sûrement par cette échappatoire, ou l'éternelle angoisse pour les méchants, — mais sans jamais rien emprunter à la superstition religieuse. C'est pour lui une loi plus forte que toute volonté, où l'intervention divine (dont il ne parle nulle part d'ailleurs !) est absolument étrangère.
 Voici dépeint l'« état de souffrance » en cette poésie : The Old Ghost :

Le Vieux Spectre.

 Sur la rive,vers un cimetière d'église, marche à grands pas un vieux spectre. Sur lui, — pâle, blafard et las, — les eaux coulent depuis mille ans, ou plus. Et jamais elles n'avaient vu d'Esprit semblable à lui. Solitaire et lugubre, — il doit être le fantôme d'un corps réduit en poussière dans la mer.
 Sur les ondes, s'est arrêté le vieux spectre. Et, moqueurs, chantent les vents, — car le spectre sans corps devra pleurer sur la vierge qui, si jeune, reposa parmi les chardons et les champignons, tant remugles ! Il demande une larme aux vagues, mais elles retirent au loin leur gloire lunaire. Et le requin contemple avec un « ricanement » l'affliction de son désir et de son agonie !.. (1).

 Il évoque autre part tout un paysage d'outre-tombe, et parmi les morts inquiets passent deux amants, dont l'un est entraîné dans la ronde macabre, — The Ghosts' Moonshine :

Le Clair-de-Lune des Spectres.
I

 Il est minuit, mon épousée, restons sous la tempête brillante et bravée, dans le tonnerre chaud. — Ne tremble ni ne pleure! Pour toi est le meilleur souhait de mon cœur : Que tu sois blanche, et couchée dans le plus doux cercueil, au clair-de-lune des spectres.

 Est-ce le vent? Non, non : deux diables, seulement ; ils soufflent çà et là, à travers les côtes du meurtrier,

 — Dans le clair-de-lune des spectres,

II

 Elle dit, effrayée: Qui est celui-là, maintenant, qui éveille et remue le pauvre vieux mort ? Sa bêche fait seulement... — Ne tremble ni ne pleure ! Que demandes-tu?...— Là-bas, où se lient les herbes, ma mie, un lit plaisant, que les enfants appellent une tombe, au froid clair-de-lune.

 Est-ce le vent? Non, non : deux diables, seulement; ils soufflent, çà et là, à travers les côtes du meurtrier,

 — Dans le clair-de-lune des spectres.

III

 Sur la blancheur de sa gorge aimée, que serres-tu? Une mantille de soie pour celer l'éclat de ses seins? — Ne tremble ni ne pleure : que crains-tu?.... Comme du vin, coule Mon sang, tu M'as étranglée ; tu M'as assassinée, Mon amant ; mortellement tu M'as frappée, cher, dans le claire-lune des spectres.  Est-ce le vent? Non non : son gobelin, seulement ; il souffle, çà et là, à travers les côtes du meurtrier,

 — Dans son clair-de-lune !
 Peut-être de vieilles chansons de Cornouailles ou du pays de Galles ont inspiré cette légende, qui offre aussi beaucoup d'analogie avec certains contes bretons Mais il est utile de remarquer qu'ici Beddoes est moins précis que le sont en général les récits populaires, qu'il est sobre en détails matériels et supprime la moralité qui, de coutume, fait le fond de la dernière strophe.
 Là, notre poète est surtout « objectif ». De même dans The Boding Dreams:

Les Rêves qui présagent.
I


 Dans l'oreille de l'amant une voix sauvage crie:
 « Dormeur, debout, lève-toi? » Une forme pâle, avec de lourdes larmes en ses yeux tristes, s'est dressée près de son lit.
 « Une main qui fait signe, un son qui gémit, nue tombe creusée, nouvellement, dans la terre couverte d'herbes mauvaises. — pour Celle qui dort et rêve de toi. Debout! Empêche que soit le meurtre ! »
 Le fidèle rêve, inentendu, prie ; et, tristement, il se consume en soupirs.
 Et le Sommeil chante : « Dors ! il sera temps de connaître ta douleur demain ! »

 Et la Mort chante: « Dors! tu m'emprunteras le sommeil demain! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. La cloche frappe un coup.

II


 Une heure nouvelle, un autre rêve; il gémit:
 « Debout ! debout! Lève-toi avant que le dernier rayon de lune ait pâli Sa vie rosée! »
 Une lumière cachée, un pas voilé, une main qu'arme une dague, près du lit de Celle qui dort et rêve de toi.
 « Tu ne t'éveilles pas : que le meurtre soit ! »
 En vain, le fidèle rêve, prie ; et, tristement, il se consume en soupirs.
 Et le Sommeil chante : « Dors, il sera temps de connaître ta douleur demain ! »
 Et la Mort chante : « Dors, tu m'emprunteras le sommeil demain ! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. Bientôt le soleil va luire.

III


 Avec l'heure nouvelle, un autre rêve : sur une poitrine couleur de la neige, une rouge blessure ; une main rude qui étouffe le dernier cri ; pressé sur des lèvres rosées, un baiser de mort ; sur les draps, du sang; du sang sur le plancher...
 Le meurtrier qui s'enfuit par la porte.... Avec une tristesse lassée, elle dit, — la Voix :
 « Maintenant tu peux dormir, en vérité, — Elle dort!»
 Alors s'enfuit le rêve dédaigné, la première lueur du jour, sanglante, venue.
 Et le sommeil chante : « Dors, il sera temps de connaître ta douleur demain ! »
 Et la Mort chante : « Dors, tu m'emprunteras le sommeil demain! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. Le meurtre est consommé !


 Moins farouche est Love in Idleness, ballade de tournure gothique, qui rappelle les lieder de Walter von der Vogelweide, mais n'a pas leur délicieuse et franche naïveté. Au contraire, la poésie de Beddoes est très subtile, c'est une jonglerie de finesse pour arriver au dernier vers qui exprime pleinement l'illogique amour:

Frivole Amour.
I


 « Serai-je votre premier amant, Madame, serai-je le premier?
 « Oh ! je tomberais devant vous, sur mon genou de velours. .. Et profondément inclinerais-je ma tête rose ; et contre toi je la presserais ; et je jurerais qu'il n'est rien dont mon cœur ait soif, rien de plus qu'un baiser caressant, et rose, en la fente douce de tes lèvres! »

II


 « Oui, vous serez mon premier amant, enfant, et vous serez le premier.
 « Et dans le nid de mon sein je vous élèverai ; et, — que plus d'une dise que vous l'avez baisée sur la lèvre ou la joue, — votre chaîne je briserai et laisserai choir sur le gazon, afin que vous me quittiez, si vous l'osez! Et nous folâtrerons ainsi l'entière nuit, après le jour! »

III


 « Mais, — me laisser être votre second amant, Madame, me permettrez-vous,— le second?
 « Je frapperais, alors, si gentement à la vitre de votre fenêtre ; et je me glisserais où jamais homme n'a reposé, — entre les rideaux ; et jamais je ne quitterais ton coté, que l'étoile du matin n'ait fait signe, — dans le lacis de soie de l'embrassement de tes jeunes bras! »


IV


 « Bien, tu seras mon second amant, gentil enfant, tu seras le second.
 « Et je veillerai dans l'attente de ta venue, en ma solitaire retraite ; et je m'abandonnerai dans tes baisers, — tel un bourgeon au spectacle d'avril, — du lever de la lune jusqu'à l'heure de l'aube, signifiée par la cloche de la tour ; et dans mes bras, je t'enfermerai, silencieux, sous le charme. »

V


 « Non ! je serai ton troisième amant, Dame, je serai le troisième!
 « Et je me précipiterai sur toi — qui te baignes dans un bois solitaire ; et je te porterai sur ma selle ; et sur le torrent et les pierres nous chevaucherons ; et je te presserai bien, et, bien, te baiserai, et je ne dirai jamais un mot, — jusqu'à ce que tu aies repoussé le bord de la coupe d'amour! »

VI


 « Alors, enfant, tu ne seras pas mon premier amant, — ni le second, — ni le troisième!
 « Sois le premier, — je me rirai de toi et percerai d'aiguillons tes chairs ;
 « Sois le second, —je te chasserai de ma chambre, avec un rire moqueur, avec dédain ;
 « Et si tu oses être le troisième, ma dague jamais vue je tirerai, et couperai ton cœur en deux.
 « Et alors, je mourrai, en te pleurant!... »


 Par ces quelques traductions seulement, on est a peu près informé du génie poétique de Beddoes. Il est facile de découvrir ce qui l'éloigne et le met au-dessus de Southey, par exemple, ou de Thomas Moore lui-même, — si l'on compare à l'une quelconque des poésies que nous avons traduites les plus belles pages de l'un ou l'autre de ceux-ci. Par exemple, prenons The Bishop Bruno du premier, et The Ring des Juvenile Poems de Thomas Moore. En ces vers, on entend bruire la Mort ; ils émeuvent profondément, impressionnent d'étrange. A les lire, un frisson gagne, intense. De même pour Christabel et le Vieux Marinier de Cooleridge, pareillement empreints de fantastique et d'irréel.
 Beddoes produit une impression plus forte et plus durable que généralement les lakists. Comme eux, le surnaturel l'attire ; comme eux, la majesté de la mort, et son interrogatif merveilleux, l'ont inspiré. Mais cette passionnante physionomie purement décorative ne le satisfait pas ; il scrute le problème présenté sous d'aussi attrayants dehors, et devient un poète intérieur. En cela, l'écrivain outrepasse les romantiques arrêtés aux formes. Certes, il les met à profit, mais pour envelopper l'idée, pour exprimer une philosophie.

III


 Le Théâtre de Beddoes comporte seulement deux œuvres achevées : The Brides' Tragedy (La Tragédie des Fiancées) et The Death's Jest-Book (Le Livre des Farces de la Mort), — et de nombreuses ébauches.
 Cinq scènes ont été écrites de Love's Arrow Poisoned (La Flèche de l'Amour empoisonnée) ; un acte de Torrismond, et quatre de The Second Brother (Le Second Frère). Ces deux tragédies ont pour cadre l'Italie. Peut-être l'auteur les aurait-il terminées, s'il avait entrepris le second voyage qu'il se proposait à Florence.
 Sous le titre The Last Man (Le Dernier Homme) — qui devait être celui d'une tragédie en cinq actes, — sont groupées de fugitives et violentes notations. On en peut déduire que cette œuvre eût été, peut-être, le chef-d'œuvre de Beddoes. Il importe que la page intitulée Dream of Dying trouve place en cette étude:

Rêve de Mourir.

 Faible, éclatant de fièvre, comme le désert, desséché, — mes oreilles, ces entrées de pensées vêtues de mots ; mes yeux qui perçoivent ; mon toucher qui s'assure des formes, — me quittaient...

 Et mon corps me renvoyait de son habitacle aimé ; or, j'étais mort...

 Et, dans mon tombeau, je me suis assis auprès de mon corps. Et vainement j'attendais d'y revenir, — dans mon corps!

 Lors, sont venus les spectres précoces de deux « bébés ». Ils ont joué dans les ruines de mon corps abandonné, — et s'en sont allés !

 Et des serpents, un par un, ont avalé mes membres....

 Enfin, je me suis assis : un seul serpent à l'œil bleu, — enroulé autour de mes côtes, mangeait le dernier reste de mon cœur.

 Et il me sifflait!...

 O ! sommeil ennemi ! noirceur de la nuit ! Combien tes rêves ont effroyables et tristes !... (5)


 Les lignes suivantes éclaireront suffisamment le lecteur, croyons-nous, sur la nature des notes qui forment l'embryon du « Dernier Homme ». Elles sont intitulées : Subterranean City :

Ville Souterraine.

 Se peut-il, alors, que la terre ait aimé quelque ville, enfant d'une certaine planète, et si longuement, et si fidèlement, que nous puissions en trouver l'image dans la terre contre son cœur, comme une pensée abandonnée, mélancolique, — et encore lisible ?...


 Hamlet dit, dans le monologue du IIIe acte: « Mourir,— Dormir ; — Dormir ! rêver peut-être? — Oui, là est le nœud ; — Car dans le sommeil de la mort quels rêves peuvent venir ? .. » Peu après, le prince de Danemark ajoute : «... Et cela nous fait supporter les maux que nous avons, — (plutôt) Que fuir vers d'autres que nous ne connaissons pas... » On peut avancer que toute la philosophie des personnages de Beddoes est le développement de ces passages du fameux monologue. Beddoes supprime le douteux « peut-être » et, poète visionnaire, affirme : « Mourir: Rêver ! » C'est pourquoi l'on verra, dans la Tragédie des Fiancées, Hesperus tuer l'aimée dont il se croit trahi, avec l'espoir de la retrouver purifiée par la Mort, — c'est pourquoi, mourant (il s'empoisonne en marchant au supplice), Hesperus s'écriera: « Je ne suis pas mort maintenant ! » Pour lui la mort n'est pas le terme. Elle n'est qu'un incident dans l'éternité de l'homme. Et parce que cet « incident » est commun aux humains, il ne s'en préoccupe pas. Il lui importe peu comment meurent ses héros, — mais leur survie est pour lui le grand problème. Hesperus se demande: « Beyond existence, to the past or future ?...» Tout ce qui l'intrigue est : l'au-delà est-il la vie qui remonte le cours des ans terrestres, un recommencement, ou bien est-il une vie toute nouvelle, l'accomplissement d'un futur ?
 ... Hesperus est un caractère très complexe, formé d'éléments shaksperiens dont l'ensemble résulte en une physionomie toute particulière : c'est avant tout Hamlet, ou plutôt une suite à ce héros-type (j'entends : un complément d'Hamlet ; Hamlet plus hardi philosophe); — c'est un amant passionné comme Othello, jaloux autant que le More de Venise, et sans que la perfidie d'un Iago fasse naître en lui la jalousie ; — c'est un homme d'action comme Macbeth, mais en lui s'unifient l'irrésolution du thane de Glamis et la férocité de lady Macbeth ; et il souffre seul les remords dont le couple est écrasé.
 En son ensemble, la tragédie est un terrifiant symbole de la disproportion de la cause et des effets, quand la fatalité les développe. Pour un chaste baiser, meurent les êtres : « There'll be a jovial feast among the worms » — « II y aura joyeuse fête parmi les vers », dit Hesperus. Là, — comme dans Shakspere,— reparait l'aspect matériel de la Mort. Mais Beddoes — qui a foi en les rêves d'au delà : rêves heureux ou cauchemars effroyables, selon qu'on aura vécu, — n'entoure pas la Mort de l'odieux habituel. Elle semble plutôt sourire à ceux qu'elle guette ; elle les charme... En elle, ils trouveront le calme qui fait l'amour meilleur. For when our souls are born, we will be wed... », dit Hesperus :
 Alors que seront nées nos âmes, nous serons unis.
 Notre poussière se mêlera et s'élèvera dans une tige.
 Nos souffles ne feront qu'an seul parfum, dans un seul bouton de fleur,
 Et la rougeur de notre front se rencontrera dans une rose...
 Nous serons la musique, le printemps, toutes belles choses,
 Alors que nos esprits seront plus doucement unis
 Que dans l'air les parfums et les mélodies!
 Attends donc, si tu m'aimes...(6)


 Voilà ce que semble à Beddoes la Mort : une vie enchantée, une vie nouvelle (sans les peines et les misères de l'autre), vers laquelle les êtres qu'il idéalise vont avec joie. Un de ses personnages la définit : Men call him Death, but Comfort is his name. — (Les hommes l'appellent Mort, mais Bien-Etre est son nom.)  Hesperus tue sa fiancée, dont le père meurt de douleur; Olivia, l'autre fiancée, va mourir parce qu'on doit châtier le meurtrier selon la loi. Alors seulement, — et pour un moment, — Hesperus doute qu'il ait gagné l'éternel bonheur dans la Mort : il craint un châtiment possible auquel il n'avait pas songé:
 Qu'elle (Olivia) vive; ô ciel! elle ne doit pas mourir,
 Il y a assez d'accusateurs dans la tombe! ...

 Et jusqu'à ce qu'il meure la vision terrible s'affirme en lui. Hesperus pressent l'Enfer, c'est-à-dire l'expiation ; — il ne sera pas réuni à celle qu'il aima jusqu'à la tuer...
 Toute vision de Mort devient plus confuse en lui, jusqu'à s'écrier:
 Tout ce que je sais de la Mort, c'est qu'elle viendra !

 Dans Le Livre des Farces de la Mort, — c'est aussi une hantise de mort qui plane sur l'œuvre. Le premier rôle même appartient à la Mort, — car elle apparaît en l'ombre troublée d'un chevalier traîtreusement assassiné qui revient d'outre-tombe emporter sa fiancée, et punir les méchants de la terre. Et la fatalité « à l'inégale main », toujours présente, frappe aveuglément, met en présence des frères le cœur haineux...
 Ici, Beddoes est créateur plus qu'ailleurs. Il emprunte énormément aux procédés contemporains du romantisme, mais se sert plus ingénieusement que nulle part, dans le seul but décoratif, de ces emprunts à l'école...
 Jamais il n'a pu se libérer de la tutelle de Shakspere. Hamlet se retrouve encore dans Isbrand, — le principal personnage du drame qui porte en sous titre: La Tragédie du Bouffon. Isbrand est un sage, un philosophe coiffé de la cape à grelots. Dès qu'il sait l'assassinat de son frère, il entreprend de le venger, rejette au loin son hochet, revêt l'armure lourde et ceint la pesante épée ; — il fait des harangues au peuple, lui dit ses droits, ce qu'il souffre injustement. La foule écoute ses discours et suit ses conseils. Le fou devient roi, et, tant il se sent capable de grands desseins, quand il tombe frappé d'un coup de poignard, son dernier cri est une hautaine révolte; il meurt, soit, mais qu'on le craigne encore cependant, il meurt, mais:
 Je reviendrai pour punir, — ou j'irai détrôner Pluton! C'est du vin que je répands, ce n'est pas du sang qui coule.

 Un amalgame de bouffonnerie et de noblesse fait le fond du personnage. Quand il annonce sa résolution de ne plus porter le bonnet à sonnettes, il s'écrie:
 Je donnerai à la Mort la couronne de la folie. Elle n'a pas de cheveux, et, par ce temps, pourrait prendre froid et mourir...

 C'est d'ailleurs l'explication du titre de la tragédie ; — dès ce moment il n'y a d'autre « fou » à la cour ducale allemande que la Mort. Elle préside, maîtresse insatiable, aux actes des hommes. Tous tombent par surprise, selon qu'elle leur donne le baiser d'appel, — et elle est seule à rire de ses plaisanteries, dont la moindre est d'emmener un vivant parmi les morts.
 Il n'y a désormais plus de raison pour que je vive ou laisse vivre les autres,

profère un des personnages, — et la Mort ricane. On la sait présente à tout instant. Un Egyptien, quelque peu sorcier, conte qu'autrefois elle charmait les hommes sous l'espèce d'une fleur exquisément pâle. Il invoque la divinité des trépassés en ces termes:
 O Dieu de ceux pour qui la vie est comme à nous la mort

faisant allusion au réveil des morts que ses arcanes peuvent rappeler sur la terre. Et quand ceux-là reviennent de l'Hadès noir, ils ont un parler si doux que les femmes en sont charmées et demandent à mourir. La belle Sibylla parle au fantôme de Wolfram, mort pour l'avoir aimée:  Je ne te quitterai jamais et tu ne m'abandonneras. Oh, non!
 Tu ignores quel cœur tu repoussas!
 Combien il serait bon, si l'amour l'avait chéri,
 Et comme il est déserté ; ah! si déserté
 Que j'ai souhaité souvent que vienne un spectre
 Dont l'amour pourrait hanter mon cœur. Ne t'en va pas!
 Tu vois, je suis jeune ! combien je pourrais être heureuse!
 Et cependant je souhaiterais seulement que ces larmes que je verse
 Fussent pleurées sur ma tombe. Si tu ne veux pas m'aimer
 Rends-moi ce seul service ; montre-moi seulement
 Le plus court chemin à la mort solitaire...


 Et la mort transparaît, moins occulte à mesure que se développe l'intrigue, jusqu'à la péripétie où elle entre en scène, avec fracas, sinistrement accompagnée: les figures grimaçantes d'une lugubre danse macabre, peinte sur les murs d'un sépulcre, s'animent, et dansent, et chantent, sur la barbare musique de vers écrits en un rhythme haletant:
 Momies et squelettes ! hors de vos tombes!


 Chaque âge, chaque mode et aspect de la Mort:
 La mort du géant, avec des os, pétrifiés;
 La mort de l'enfant qui jamais ne respira:
 Petite et cartilagineuse, ou osseuse et grande,
 Blanche et bruyante, moussue et jaune ;. —
 Les vis-à-vis attendent, pour « enlever » une gigue.
 Dansez joyeux, car la Mort est compagnonne drôle.
 L'empereur et l'impératrice; le roi et la reine;
 Le chevalier et l'abbé; frère gras et maigre frère,
 Le gitane et le mendiant, — se rencontrent sur la lande verte;
 Où est la Mort et son « chéri » ?-...
 Nous danserons et rirons au nez rouge du fossoyeur.
 Qui ne rêve pas que la Mort est une compagnonne, aussi joyeuse...


 Et c'est encore, toujours, la Mort! Elle poursuit son œuvre, dédaigneuse de ceux qu'elle touche. Isbrand semble la reconnaître comme la familière de ses rêves. Il prête aux fleurs même des hymnes à sa gloire et pense que le « lys de La vallée » — qui est « le bouffon. des fleurs, car son calice a l'aspect d'une clochette », — murmure sous la brise:


Le roi la Mort a des oreilles d'ânes!

IV


 Nous n'avons guère parlé des pages amoureuses de Beddoes. Elles ornent son œuvre ; elles sont le point de départ des fictions qu'il invente, et cela seulement. Il n'a pas tour à tour honni et chanté l'amour comme Byron, mais il lui rend à peu près la place due, — au second plan...
 Il était curieux de renseigner quelque peu cet étrange poète (nous l'eussions voulu mieux faire), d'autant que sont venus, après lui, des écrivains pareillement inspirés et maîtres consacrés par une gloire universelle. Edgar Poe en premier lieu, et Baudelaire,— sont très étroitement parents de Beddoes. Par hasard? Et parmi les actuels, — Maurice Maeterlinck. Par hasard aussi ? — Par hasard, soit!

 ... On lit encore en post-scriptum à la lettre que Thomas Lovell Beddoes écrivit sur son lit de mort: « ... Je dois avoir été — entre autres choses — un bon poète... » N'a-t-il pas été mieux que cela : on grand poète?'

Charles-Henry Hirsch.

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(1) Ces renseignements biographiques sont empruntés à la remarquable étude de M. Edmond Gosse (The Poetical Works of Thomas Lovell Beddoes, Londres, 1890).

(2) De ce dernier il écrivait que, mené à bonne fin, il pourrait causer « quelque amusement aux hommes et aux ânes » (février 1824).

(3) Histoire de la littérature anglaise. Livre IV : L'Age moderne, les Idees et les Œuvres.

(4) Dans la traduction des poésies de Beddoes, nous avons préféré une adaptation presque littérale, avec le souci d'un rhythme rappelant celui des pièces originales.

(5) On retrouve dans les « Poésies » de Beddoes une interprétation peu différente de ce songe.

(6) The Brides'Tragedy. Acte II, scène III.

(7) Le motif de cette légende reparaît dans une pièce intitulée The Doomsday, « Le Jour du Jugement dernier. »

LE LIVRE DES REINES
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A Pierre Louÿs


VIVIANE


Dans le jardin planté de peupliers et d'aulnes,
Au rhythme lent et languide des flots lointains,
Elle rêve. Son voile est brodé d'ors éteints
Et ses mains claires effeuillent des roses jaunes.

Près d'elle, des faunesses blondes et des faunes
Dansent parmi des sylphides et des lutins.
Ses esclaves, belles comme de beaux matins,
Semblent sur le gazon des reines sur des trônes.

A ses pieds, souriant et faible, le Harpeur
Qui chanta dans l'orage des flèches sans peur
Murmure des chansons de joyeuse folie.

Pour la charmer il adoucit sa grande voix,
Et, captif bienheureux de la Fée, il oublie
Les hymnes guerroyeurs qu'il aimait autrefois.

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BLANCHEFLEUR


Chaque jour, à l'appel harmonieux des brises,
S'en vient auprès des flots la Princesse captive.

Nulle tristesse, nulle amertume de larmes
Ne défleurit l'aube glauque de ses yeux calmes.

Nuls sanglots d'importunes et vaines nénies
N'étouffent les chansons de sa voix inflétrie.

Nulle cendre sur ses doux cheveux qu'elle pare
De topazes et d'émeraudes triomphales.

Elle sait qu'une aurore où souriront les plaines,
L'horizon blanchira d'une blanche galère.

Un Prince, au front de qui la lumière se joue,
Rayonne, cuirassé d'argent clair, à la proue.

A son poing resplendit la candeur de son glaive:
C'est Lui, c'est le Héros invincible qu'elle aime.

Ils s'étreignent, et loin de la mauvaise plage
S'échappe gaiement la galère nuptiale.

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MAROZIE


Sur la terrasse ombreuse où sa chair extasie
Et qu'enguirlandent les vignes aux blonds raisins,
Parmi les cardinaux et les ducs, ses cousins,
Siège, demi-nue et rieuse, Marozie.

Devant son trône danse une troupe choisie
Des esclaves filles des émirs sarrasins,
Et des poètes lui murmurent des dizains
Dont le rhythme berceur charme sa fantaisie.

L'aile rude, jamais aucun oiseau de soir
Ne frôle son front juvénile d'un vol noir,
Et jamais le mépris d'un amant ne l'enfièvre.

Le Pape viderait pour elle des trésors,
Et clercs et rois mourraient, des chansons à la lèvre,
Pour un regard ami de ses yeux semés d'ors.


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ANFÉLIZE


« O Chevalier, Prince d'amour qui m'apparus
Dans le prestige et le triomphe des tueries,
Voici ma main pour aller aux parcs entrevus.

Nous foulerons les royaumes blancs des féeries,
Où, quand nous serons las d'errer par les sentiers,
Nous dormirons au bord des fontaines fleuries.

Vous oublierez les soirs sanglants où vous montiez
Vers le dur granit des créneaux par les échelles,
Sourd à la voix dolente et lente des pitiés,

Les soirs où vous buviez, assis sur les margelles.
L'eau surie et chaude qui stagne au fond des puits,
Les soirs où vous chassiez les loups et les gazelles.

Voici ma main: l'haleine amoureuse des nuits
Nous caresse le front de senteurs étoilées;
Voici ma main pour fuir loin des plaines d'ennuis

Où croulent les murs de nos villes désolées. »

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EDITH


De blancheur douce, telle une blancheur de cygne,
Elle rêve, les yeux clos d'un demi sommeil.
La robe, chaste et blanche, et le voile pareil,
Se brisent en longs plis dont la roideur s'aligne.

Derrière le vitrail fantasque d'une vigne,
S'annule le sang roux et brumeux du soleil.
Elle rêve, et ses yeux voient le matin vermeil
Où paraît l'Aimé, couronné de gloire insigne.

Le soleil las est mort derrière le vitrail.
Vers l'Aimé, fier sur un cheval au lourd poitrail,
Elle s'avance, pure et blanche Fiancée.

Elle rêve, et sourit à son rêve clément.
La vieille clarté du soleil s'est éclipsée
Par-delà le vitrail fantasque, lentement.

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GENIÈVRE


Voici paraître la belle Reine Genièvre.

Le soir de ses cheveux étoilé de rubis,
Elle passe, dardé vers le vieux Roi le glaive
De ses regards aigus, fulgurants et hardis.

Qu'elle est terrible, la belle Reine Genièvre.

Prés d'elle, l'Enchanteur aux doigts mélodieux
A fait vibrer la harpe d'amour et de rêve
Et lui suscite un sourire mystérieux.

Qu'elle est étrange, la belle Reine Genièvre.

Dans la paix du jardin glorieux et charmé
Monte un murmure, comme d'une source brève:
Et c'est la voix palpitante du Bien-aimé.

Qu'elle est joyeuse, là belle Reine Genièvre.

Où les pages? où l'Enchanteur ? où le vieux Roi?
Le printemps fleurit dans les arbres pleins de sève,
C'est l'heure chère des étreintes sans effroi,

Qu'elle est heureuse, la belle Reine Genièvre.

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BAZINE



L'Amante s'est enfuie à travers les forêts.
Sans craindre les faims lourdes des loups ni les rondes
Des noirs démons et des sorcières vagabondes,
Elle marche, rêvant un rêve clair et frais.

L'hiver pâle a tué le soleil aux doux rais.
Et le vent triste éparpille ses tresses blondes;
Elle boit aux torrents d'âpres et froides ondes,
Et, lasse, dort parmi les lichens et les grés.

Elle marche, elle marche encore; des prairies
Se prolongent, monotones et défleuries:
Nulle larme ne point à son œil calme et fier.

Là-bas, en un pays de jeunesse et d'aurore,
Tenant la hache rude et le glaive de fer,
Règne le Héros qui l'attend et qu'elle adore.

A.-Ferdinand Herold.

A PROPOS DE BOTTES
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 D'abord et brièvement : prétendre que telle ou telle épreuve s'impose comme an jugement divin, n'est-ce pas quelque présomptueux manquement au respect de Dieu?
 Le croyant qui, premier, osa qualifier d'un titre aussi pompeux une des sanctions les plus féroces de notre courte vanité d'apparat s'érigea en hypocrite chrétien, et combien outrecuidant. Mais respectons Dieu; existant ou non, il est l'inoffensif refuge et l'illusionnante pacification de tant d'âmes qu'il ne faudrait combattre de lui que ses exploiteurs. Si Dieu nous accordait l'honorante importance de justicier, la piètre bestiole que nous sommes — dans l'infini — la traiterait-il d'égal à égal par l'entremise de nos mains si débiles?
 D'ailleurs, sans discuter les impénétrables desseins de cette entité ni prouvée ni improuvée, la Providence, il devient supposable qu'expiation pour expiation, Celui qui nous condamnerait à naître ne pourrait contre nous peine plus cruelle sinon nous condamner à ne pas mourir.
 Ne pas mourir!
 Un tel état n'apparaît vraiment exister qu'en nos orgueilleux Rêves d'éternité, et s'il se réalisait qui ne le maudirait?
 Hélas! la vie et la mort demeurent très manifestement de pérenelles contradictions de cet altier et révérable concept : l'au-delà, superbe paradis clos de promesses, mais trop ubiquitairement insitué. Aussi laissons Dieu pour vénéré, pour salutaire, et, plus modestes, dénommons le duel: Jugement de l'homme.
 D'autant qu'avec l'atténuante complicité de Dieu — naïve excuse d'autrefois! — la médiocrité ferrée des bâtées chevaleries entendait bien et surtout se faire justice soi-même à soi-même.
 Se faire justice! Que d'ignominies perpétrées sous la prostituée robe rouge de cette Solennelle Apparence!
 Se faire justice! dites donc, ô livides faux bonhommes, se débarrasser de qui gêne!
 Le juré qui absout tel réclamatoire bretteur — loyal comme son épée, qui doit sa célébrité à ses feintes — le même juré qui décapite tel revendicateur des primitives libertés, lâche parce qu'il essaie d'échapper aux trois cent soixante millions de doigts — dix doigts par tête, dirait M. Prudhomme — qui le dénoncent, d'ongles qui le menacent; ce juré ne sait pas beaucoup plus à quoi s'en tenir dans l'espèce que sur les formes de chapeaux et les coupes de cheveux à la mode.
 Pas de tignasses et pas de bords plats, puisque nous sommes chauves par le haut et suffisamment plats par le bas.
 Au fond, il subit le Sens Commun de Sa justice, ce cher homme!
 A peu près comme l'innocent dindon regarderait mélancoliquement cuire quelque imprudent dindonneau qui se serait laissé embrocher, il contemple les coquelichemardes sans haine; cette mort de dindonneau ne le menace guère, lui, Dindon!
 Au grand jour non plus, les armes à feu ne sont redoutables pour monsieur le juré : il chasse! et pour lui l'âme (?) du revolver ne devient dangereuse que minuit passé (heure indue !); l'âme du fusil, illicite, que le soleil couché (heure de l'affût! )
 Mais ce qu'il craint de tout l'horréfiant frisson de ses moelles, c'est l'inconcevable aberration de certains forcenés qui cherchent à déposséder les autres sous prétexte qu'eux n'ont rien. Le voilà, le danger, « l'hydre qui sans cesse renaît de ses cendres ». Aussi, prend-il des poses héroïques en face de l'Ennemi, et il sévit, le brave homme, prononçons l'homme brave pour le flatter — on ne sait point, par « le vent de justice qui court » il faut toujours avoir des précautions dans ses poches.
 Oh, rien de plus naturel qu'il sévisse, le juré intègre; il sent très bien que seuls les vainqueurs trouvent grâce. Quand on peut triompher à si petits frais et se débarrasser de qui vous gêne! D'une pierre deux coups: brave et libéral; il honore le vainqueur d'homme à homme et punit le vaincu d'homme à foule. Et la foule applaudit, j'espère!
 Ah ça, messieurs les Fièrabras de toutes nos comédies, il faudrait pourtant nous entendre sur le mot bravoure.
 Sérions les exemples, et, de peur d'erreur, proposons comme en théorèmes.
 L'individu qui, devant subir l'inquisitoriale épreuve du feu, s'enduisait la main d'une substance ignifuge; l'individu qui, voulant faire subir à un autre l'épreuve de l'épée, s'exerce le poignet une trinité d'heures par jour: que sont-ils, braves ou lâches?
 Corollaire : avec ou sans préméditation?
 Du monsieur qui le premier donne un coup de poing — souvent par peur d'être atteint et sur qu'après le prime soufflet on les séparera, — du monsieur qui force quelqu'un à lui rendre raison sur le terrain, — pu de l'autre par eux frappés, par eux insultés : qui sont les lâches?
 Corollaire : avec ou sans préméditation?
 D'une société qui rue ses trente-six millions d'esclaves, crétins, mouchards, délateurs, indicateurs, envieux, pleutres, pouacres, justiciers, bourreaux, etc..., contre un Révolté qui — sûr de payer de la tête — s'insurge, isolé, contre tant d'hostilités : quel est le brave?
 Corollaire : même avec préméditation?
 A toutes ces questions subversives, bondissant hors les paralytiques lois que lui imposent des rhumatismes séculaires et dans le « Aïe! » grimaçant d'une douloureuse sénilité forcée à la circonspection, l'Antique Routine Sociale me crierait volontiers par la voix de ses argousins : « Au nom de la Loi je vous arrête », ce qui ressemble assez à:
 — En garde!défends-toi!
 — Mais je n'ai point d'épée!
 —Tant pis! Vlan!
 Et encore un ennemi sur le carreau. J'ai connu des Don Juan de cette trempe! Les filles seules en étaient strapassées! Mais ce qu'ils s'en faisaient gloire de ces marines estrapades de haute vergue!
 Etre brave? Cette faculté s'augmente-t-elle par l'exercice, comme le biceps? A entendre certains faussets qui s'entraînent à l'insolence et chantent de plus en plus fort en traversant le bois qu'est la vie, je le croirais assez!
 Tel poltron deviendrait-il brave de par cette lâcheté envers le préjugé : aller sur le terrain? J'en doute! Alors quel fanfaron nous vaudrait son affaire!
 « A la première bataille, disent les vieux du service obligatoire, les bleus saluent les balles de la tèête et... d'ailleurs! mais après on n'y pense plus. »
 Je ne sais, ne m'étant trouvé qu'une fois à identique fête et très à l'improviste, puisque ce fut en temps de paix. Je me sentis pâlir, mais point broncher. Et, ma foi, je raisonnai assez froidement le danger pour que l'inconscience de mon pantalon n'en fût mie salie. De cette instinctive attitude inférer ma bravoure ? que non pas! Je n'ai point telle jactance ; sais-je si d'autres périls ne me trouveraient pas peureux? D'ailleurs je ne tiens nullement à renouveler l'épreuve. Serais-je donc plutôt lâche?
 Eh bien! va pour lâche ! je suis ce que je suis. Mais je reste de l'avis des bossus à cet égard: si bien conformé qu'il naisse, je ne reconnais à aucun le droit de railler ma native difformité, et il ne faudrait pas qu'on vînt..... oh ! ne craignez rien, je suis lâche et vous vous dites braves!
 Si lâche je me juge, qu'insulté très gravement, que même poursuivi par un implacable ennemi de tenaces calomnies, je ne confierais jamais mon sort au quadruple arbitrage de témoins indifférents, ou avides de procès-verbaux, dont en définitive deux seraient plutôt mes amis. Ces bonnes gens, très susceptibles de déterminer si l'injure reçue vaut une blessure vengeresse soit au bras soit au cœur, m'assisteraient — assisteraient serait mieux — trop désarmés pour imposer à la fatalité la sanction que leur intime sentiment d'équité aurait pu concevoir.
 Pour être sûr, bien sûr de la revanche qu'on exige, le plus logique est d'assassiner. Oui, d'assassiner! de s'exposer au scandale des « Assises », de comparaître pour s'être débarrassé de qui vous gênait, comme on se débarrassera de vous si vraiment votre acte a gêné la Société.
 Pour ainsi agir, et quant à moi, encore faudrait-il que ma violence eût été longuement banderillée! Mais, alors, ma patiente bonté, devenue vindicative, sans doute rendrait et exécuterait la sentence de mort qu'elle reproche à tout homme assez faible pour la proférer!
 Et ce serait encore de la lâcheté!
 Hélas! Condamner à mort!
 Quel aveu de chétive infériorité, puisque c'est par terreur de Lui qu'on supprime l'Adversaire! Lui qu'on aime peut-être plus que personne!
 En vérité! en vérité! citation en justice, réparation d'honneur, déclaration de guerre, tout cela se tient : ce sont de féroces défis!
 On joue!
 Magistrats et avocats, directeurs et seconds, rois et stratèges règlent les coups sans jamais les recevoir!
 Et qui gagne?...
 Le hasard, c'est-à-dire Tout excepté vous — à moins que ce ne soit une supérieure hypocrisie, une botte savante ou une tactique habile. Et voilà contre quoi vous jouez, et pour quoi? pour les enjeux !
 Voyons les enjeux! mais, avant, posons cette triplice de principes:
 1° Si vous êtes joueur, ne me forcez point à l'être;
 2° Si je sais mieux jouer que vous, je vous dévalise;
 3° Si je sais moins, je suis détroussé.
 Voilà donc les enjeux ! Insistons. Riche, je puis perdre jusqu'à regagner. Pauvre, je ne puisque perdre jusqu'à tout avoir perdu ! A moins que, d'un coup traître, je nettoie mon riche! C'est presque tricher, cela!
 Un imbécile veut aligner ses jours contre les miens ! Nenni ! Je suis certain d'être roulé! Et qui s'avoue imbécile ? Et qui ne se flatte point de m'être supérieur?
 Eh bien, voici qui tranchera tout: ne jouez que contre la foule: c'est encore la meilleure bravoure que nous sachions ! Si vous nettoyez d'un coup le Riche imbécile qu'est la foule, — vous le pauvre! — bien que vous ayez triché, personne, pas même Elle, ne vous en voudra. Elle vous admirera, au contraire. Et dût-elle s'en fâcher que vous lui pourriez répondre: Nos enjeux étaient les mêmes en somme; imbécile ou génial, quoi que je sois, j'étais sûr de trouver en toi tous les imbéciles et tous les génies ; tu as perdu. Tais-toi ! — Et, du reste, elle se tait bien respectueusement!
 Puis de ce duel héroïque contre la multitude quelques-uns sont sortis vainqueurs qui nous ont laissé d'immortelles œuvres à défaut de cadavres. Cela, c'est indéniablement mieux qu'occire ses contemporains, je suppose.
 Oh, quiconque tuerait le duel aurait un peu plus droit à nos respects que ceux qui en vivent ou en sont morts!
 Eh bien, il n'y a qu'un moyen de tuer le duel! Non point le combattre par des arguments que le moindre frisson de vanité mettrait en fuite; par des lois? elles n'ont jamais, quand elles ne les créent pas, que pimenté les crimes et les délits; mais par des actes, par le fait, comme disent les néo-sociologues individualistes.
 En fait, et en héroïque exemple, je veux ériger à la face de tous un individu qui m'est très antipathique — peut-être parce que j'ignore l'homme — mais que j'admire énormément, — sans doute parce que je connais ses œuvres!
 Ce moderne prototype du brave, c'est M. Léon Bloy, le désespéré, le maudit ou mieux l'interdit.
 L'interdit, oui; et ne point dire que ce soit à ses géniales injures plus ou moins motivées qu'il doive de traîner au cou l'épouvantante sonnette des lépreux, que ce soit à une basse envie de ses gigantueuses œuvres qu'il doive de passer pour un sordide père fouettard chez cette morveuse bande de lettriculteurs que nous connaissons trop. — Non !celui qui fait les jésuites et les francs-maçons se signer de concert, celui que la fuite de tous les échos a fini par emprisonner dans le silence, n'est interdit que pour n'avoir point déféré à la conventionnelle lâcheté de se battre. M. Bloy, au péril de ne pouvoir vivre, ou même d'en mourir, n'a point reculé devant la moutonnière réprobation de son époque.
 Comme cela le crucifie au-dessus de ses ennemis!
 Eh ! Qu'ils prennent garde, ses ennemis! Tous les gibets se voient à distance, bien qu'on essaie d'enterrer la guillotine en cet hypocrite temps de couardephilanthrophie (!). Le Fait attire la persécution comme le paratonnerre la Foudre. Tombée, il la domine. De même pour le gibet.
 N'estimez-vous pas vraiment beau ce supplicié entre tant de larrons; les mauvais : ceux qui prétendent que le duel est le plus propre moyen de recoudre son honneur et vous crient : Allez, Messieurs ! les bons : ceux qui sentencient que le duel est une déplorable absurdité, mais affirment qu'ils se battraient tout de même.
 Oh, les bons larrons! Je me suis toujours et surtout méfié de ces gens-là ! Aussi, qu'ils se tiennent ou non pour insultés, je ne crains pas de leur cracher cette parole sans excuses possibles, puisque je ne me bats pas: « Je hais plus leur semblant de tolérance résignée que la vaine forfanterie pourfendeuse des autres ! »
 Ah! pauvres gens! Au-dessus de tant de faux braves, vive le crânement lâche!


P.-N. Roinard.

CHANSON DE LÉGENDE

Mein bester Trost mùsznùn zù Ende sein.

A. von Johannsdorf.


Pauvre Dame d'amour aux pâles doigts,.
Trame une simarre magique à mes pensées,
Pauvre Dame d’amour aux frêles mains bercées
Par l'étrange rouet des Autrefois.
— Les hiers sont trop doux par la légende;
Il pleut des remords et des étoiles sur ce soir.
— Et voici qu'est venue sans qu'on l'entende
La morte fantômale au manoir,
La morte aux gestes troublants de légende:
Pauvre Dame d'amour aux pâles doigts,
Elle t'a regardé si pensive, la trépassée,
Pauvre Dame d'amour aux frêles mains bercées
Par l'étrange rouet des Autrefois,
Connais-tu pas la trépassée?
C'est mon Ame qui s'en revient de là-bas,
Par la route lunaire des mortes,
C'est mon Ame qui heurte à la porte
Du Soir, et qui t'implore, t'implore tout bas.
— Car l'hier est trop doux en la Trêve;
Car la Triste est malade de rêve.
— Pauvre Dame d'amour aux frèles mains bercées
Par l'étrange rouet des Autrefois,
Tisse un Linceul fleurdelisé de tes pâles doigts,
Un linceul magique à la pauvre Ame trépassée,
Pauvre Dame d'amour aux pâles doigts.

Tristan Klingsor.

COCOTES EN PAPIER
LA FICELLE


 Son frère étant mort, grand-père Baptiste se trouvait seul au monde. Il avait planté un fauteuil de paille devant sa porte, et il y passait la journée, en hébété, principalement vêtu d'une culotte.
 Il ne savait plus comment on réfléchit.
 Il dépensait toute sa force à déplacer son ventre de droite et de gauche, et ne rentrait que le plus tard possible dans sa maison. Mais il ne pouvait dormir, car dès qu'il ne voyait pas, il pensait à son frère. La chambre lui semblait remplie de suie. Il étouffait.
 Il dit au petit Bulot:
 — « Je te donnerai deux sous, si tu couches dans le lit de mon frère. »
 — « Donnez-moi les deux sous d'avance, » répondit Bulot.
 Grand-père Baptiste le coucha, lui mit une ficelle au pied, comme on fait aux gorets ramenés de la foire, se coucha à son tour, et, le bout de la ficelle entre ses doigts, goûta enfin quelque repos. Les plis des rideaux cessaient de grimacer.
 Quand il s'éveillait, il écoutait, rassuré, le ronflement de Bulot, et, s'il n'entendait rien, tirait la ficelle.
 — « Quoique vous voulez encore ?» demandait Bulot.
 — « Bon ! tu es là, disait grand-père Baptiste, je veux seulement que tu me causes. »
 — « Voilà, je vous cause ; après ? »
 — «Ça me suffit, mon garçon, rendors-toi, pas trop vite. »
 Une nuit, il tira vainement la ficelle. Il se leva, alluma une bougie et s'en vint voir.
 Le petit Bulot dormait tranquille, tourné contre le mur, et la ficelle dont il s'était débarrassé, attachée au bois du lit, ne le dérangeait plus.
 — « Sournois, tu triches, dit grand-père Baptiste ; rends les deux sous. »
 Mais, le front brûlé par une goutte de bougie fondue, Bulot poussa un cri, rejeta ses couvertures et tendit son pied.
 — « Je m'appelle Blaise, si je recommence », dit-il.
 — « Je te pardonne pour cette fois», dit grand-père Baptiste.
 Il prit le pied, serra soigneusement la ficelle aux chevilles, et fit un nœud double.

Jules Renard.

PETITS APHORISMES
SUR LA RELIGION
1


 Il ne faudrait point douter de Dieu pour n'avoir jamais eu affaire à la Providence : mais il en faudrait douter pour avoir eu maille à partir avec elle.

2


 Dieu ne serait-il pas le prénom familier de tout ce que nous ignorons?

3


 On dit: Aimer Dieu! Mais comme Dieu ce n'est ni le prochain, qui serait plutôt le diable, ni l'humanité, qui est presque entière vouée à l'enfer, ni les femmes, qui sont un objet de perdition, ni la matière, d'où vient tout le mal, ni la nature, qui est imparfaite par définition, il en résulte qu'aimer Dieu c'est aimer soi-même dans la partie orgueilleuse de son être.

4


 Dieu, définit-on, est la cause suprême. Il faudrait d'abord s'entendre sur ce que c'est qu'une cause, et expliquer comment une cause peut être suprême.

5


 Si de ce qui existe vous enlevez tout ce qui n'est pas Dieu, que reste-t-il? Rien. Donc : ou Dieu n'existe pas, ou Dieu n'est autre chose que ce qui existe, et par conséquent n'existe pas.

6


 Mais, ô subtilité ! Dieu serait-il ce qui existe considéré à un certain point de vue, comme vous parlez d'amour à propos des femmes que vous aimez ou de beauté à propos des spectacles que vous admirez? Dans ce cas, Dieu est une abstraction et n'existe pas en dehors du cerveau humain qui l'a crée. Et alors, étrange chose, c'est l'homme qui devient Dieu et Dieu qui est la créature.

7


 Que supposer : ou que Dieu est, ou qu'il n'est pas? Si Dieu est, est-il en dehors de moi, ou suis-je en lui? S'il est en dehors de moi, il n'est pas infini, puisque j'en suis excepté ; et si je suis en lui, il n'est pas parfait, puisque je suis immonde. Je suppose donc que Dieu n'est pas : car supposer Dieu limité ou imparfait, ce n'est pas supposer Dieu.

8


 A-t-on songé que Dieu, étant par essence un, doit être la totalité? Or, faisant partie du tout, je suis partie de Dieu. Dieu ne pouvant distraire aucune partie de lui-même, sous peine de ne plus être la totalité, c'est-à-dire Dieu, il appert que je puis me conduire comme je veux, sans cesser d'être divin.

9


 Trouver Dieu ne veut pas dire l'avoir cherché; chercher Dieu ne veut pas dire le devoir trouver. Il n'y a d'authentiquement déistes que ceux qui ont trouvé Dieu après l'avoir cherché. Ce sont les parvenus du déisme, tandis que les premiers en sont les fils de famille et les seconds les modestes travailleurs. Comme dans la vie, ces trois classes se méprisent l'une l'autre.

10


 Bien des gens se disent déistes, qui sont athées: croire en un Dieu qui n'est pas séparé de la nature, c'est être athée.

11


 J'ignore ce que je suis, d'où je viens, où je vais ; j'ignore même si je suis. J'ignore tout, sauf mon ignorance même. J'appellerai donc Dieu tout ce qui n'est pas mon ignorance. Mais, comme je l'ignore, je n'en suis pas plus savant. Je n'ai qu'un mot de plus que j'ai fait résonner dans le vide.

12


 Toute religion est incurablement viciée d'anthropomorphisme, l'homme ne pouvant imaginer Dieu dans des modes autres que ceux qu'il trouve en lui-même.

13


 La seule manière logique de concevoir Dieu, c'est de ne pas le concevoir: car sitôt que nous le concevons, nous le concevons suivant les modes de notre esprit et, par conséquent, anthropomorphiquement.

14


 — Qui prête au pauvre prête à Dieu.
 — Mauvais placement : le débiteur pourrait bien être insolvable.

15


 La pratique d'une religion est une paralysie de la foi.

16


 Les prophètes sont les plus ardents des croyants: ils croient en eux.

17


 Le sage croit à toutes les religions ou ne croit à aucune.

18


 On croit par habitude; on ne croit pas par indifférence ; on ne croit plus par fatigue.

19


 Les certitudes de la foi sont autrement puissantes que celles de la science, peut-être parce qu'elles ne reposent sur rien.

20


 On croit plus facilement aux principes des autres qu'aux siens propres, parce qu'on distingue moins bien sur quelles bases chancelantes ils sont fondés.

21


 On s'imagine toujours que la foi des autres est fondée sur des raisons d'autant plus sérieuses qu'elles nous sont plus inconnues.

22


 La foi ne vaut que par les sacrifices qu'elle exige.

23


 La foi la plus respectable serait celle qui ne flatterait aucune espérance.

24


 L'incertitude où nous sommes des choses de la métaphysique est précisément ce qui nous vaut notre qualité d'êtres pensants. Je doute, donc je suis me semble être à la base du Cogito, ergo sum.

25


 L'incrédulité ne consiste pas à ne pas croire, mais à croire que ce que les autres croient est faux. Le véritable libre-penseur doit être incrédule sur les points où la preuve peut être faite et agnostique sur ceux où elle est impossible.

26


 Sous prétexte qu'il rejette les croyances d'une certaine religion, le libre penseur n'aura-t-il pas le droit de se créer une foi, à son usage personnel et pour ne pas demeurer l'esprit vide, d'après ce qu'il juge être le plus vraisemblable?

27


 Il n'est guère possible aux hommes de rester absolument sans croyances. Les uns, dépourvus de raisonnement et d'imagination métaphysique, se content des croyances transmises par leurs pères; d'autres, pourvus de raisonnement, mais sans imagination métaphysique, comparent les religions et les systèmes philosophiques et adoptent ce qui plaît à leur esprit; d'autres enfin, favorisés d'imagination métaphysique, conçoivent les croyances qui correspondent le mieux à leurs besoins et à leurs désirs. Les premiers acceptent leur foi ; les seconds la choisissent; les derniers la créent.


28

 Les grands chrétiens croient moins en Dieu qu'au juste; les petits chrétiens croient moins au juste qu'en Dieu. Le Dieu des uns n'est pas le Dieu des autres. Chez ceux-là, Dieu est en avant; chez ceux-ci, il est en arrière. Les premiers mettent en Dieu toutes les générosités de leur âme; les seconds toutes les sévérités de la leur. Là, ce sont les œuvres malgré la toi; ici, c'est la foi malgré les œuvres. Les premiers peuvent n'avoir jamais mis le pied dans une église; les autres n'y ont jamais mis le cœur.


29

 On sort de la foi par la raison; on y rentre par raison.



SUR LE DOUTE

1

 Le doute n'est point un état pénible; c'est le chemin qui y mène qui est douloureux.


2

 Se complaire dans le doute est évidemment le seul idéal possible de l'homme moderne.


3

 Il n'y a aucun intérêt à douter: il y en a beaucoup à croire. Si donc l'on doute, c'est qu'on doute : mais si l'on croit, il n'est pas très sûr qu'on croie vraiment.


4

 Un peu de philosophie rend doctrinaire ; beaucoup de philosophie rend sceptique; pas du tout de philosophie rend philosophe.


5

 Le progrès de la philosophie consiste à grossir le stock des questions et à rendre celles-ci toujours plus irrésolubles.


6

 Le seul but que puisse se proposer la philosophie, c'est d'entretenir chez les hommes le malaise de l'inconnu.

7

 Les philosophes se disputent comme des hommes de nations différentes et ne parlant chacun que sa langue. Au fond, tous disent la même chose; il n'y a que les termes qui varient : mais ils se croient en désaccord parce qu'ils ne le disent pas la même chose.

8

 La science fait de l'esprit de l'homme une chaudière toujours prête à éclater, s'il ne s'y trouve pas cette soupape de sûreté : l'humilité.

9

 La science mise au service des instincts vulgaires de l'homme est navrante comme une grande dame qu'on prostitue.

10

 Une science supérieure arrive souvent à affirmer des faits constatés par les âges d'ignorance et qu'une science moins avancée avait niés.

11

 Savoir est un diminutif d'ignorer.

12

 Pourquoi les choses sont ainsi et non autrement est une question que la science de Dieu lui-même ne saurait résoudre.

13

 Comment ne serait-on pas sceptique, quand on pense que toutes les opinions ont été soutenues par des hommes compétents, et que toutes ont été contestées par des hommes non moins compétents?

14

 Le mystère attire l'homme comme la lumière les chauves-souris, qui ne sont pourtant à l'aise que dans les ténèbres.

15

 Un homme qui croit au progrès cite l'imprimerie, les chemins de fer, l'électricité; un homme qui n'y croit pas cite Socrate, Virgile, Auguste. Pour se mettre d'accord ou poursuivre la discussion à leur aise, les deux interlocuteurs entrent au café voisin et prennent l'absinthe en fumant un cigare.  — Les Romains n'en avaient pas! s'écrie le progressiste radieux.

16

 L'État laïque est un progrès sur l'Inquisition: mais l'Inquisition était une jolie rétrogradation sur Socrate. Avons-nous rattrapé Socrate?

17

 Ne pas connaître ses défauts, c'est ignorer la honte d'en être affligé; ne pas connaître ses qualités, c'est ignorer la blessure de les voir méconnaître par les autres. Le vrai bonheur consiste à s'ignorer soi-même.

18

 Les conséquences de nos actes nous échappent: celles de nos pensées bien davantage.

19

 Il n'y a rien de réel que par notre esprit, dont nous nions cependant parfois la réalité.

20

 Toutes les opinions sont conciliables: mais plus on les concilie, plus on en étend la base, qui finit par embrasser l'infini, c'est-à-dire par s'effondrer dans le néant.

21

 L'inquiétude du penseur est plus noble que la certitude du simple: mais elle est bien moins réconfortante. C'est comme le roseau pensant de Pascal; il est plus noble que l'univers qui le broie: mais il est broyé.

22

 Il y a le scepticisme qui nie et le scepticisme qui affirme. Le premier pense que rien n'est probable, l'autre que tout est probable; celui-là est partout disposé à dire : Je n'y crois pas, celui-ci: J'y crois; et, sans qu'aucun des deux soit jamais sûr de rien, l'un est pessimiste dans son doute, l'autre optimiste.


SUR LE PESSIMISME

1

 L'énergie manque aux âmes supérieures, énergie qui seule serait capable de les détourner du pessimisme. Mais à quoi rappliqueraient-elles, conscientes qu'elles sont de la vanité de la vie?

3

 L'optimisme n'est conséquent que s'il est à la fois matérialiste et se satisfaisant de la matière. L'optimiste qui aurait recours, pour soutenir son optimisme, au monde spirituel et à la vie future, avouerait par cela même l'insuffisance de l'existence actuelle et serait pessimiste.

3

 Le pessimisme ne conclut pas absolument au néant; il n'y conclut que relativement à la vie connue et seulement dans l'hypothèse de l'impossibilité d'une vie inconnue et supérieure.

4

 Toutes les religions sont pessimistes.

5

 Le pessimisme seul est capable des grandes actions : toute grande action étant une révolte contre ce qui est pour l'établissement de quelque chose qui n'est pas encore et à quoi l'on ne penserait pas, si ce qui est n'était jugé insuffisant. Le pessimisme est l'âme du progrès.

6

 Le pessimiste a l'esprit plus noble et plus porté vers le beau et le bien que l'optimiste. S'il n'avait pas un idéal supérieur à la nature, il ne trouverait pas celle-ci insuffisante. Le pessimiste est donc, en réalité, un idéaliste. Le pessimisme est le signe de l'aristocratie intellectuelle. La foule ne sera jamais qu'optimiste, incapable qu'elle est de rêver un univers différent de celui qu'elle voit.

7

 Il existe un pessimisme transcendant, qui juge inutile la destruction de ce qui est, persuadé que ce qui sera ne vaudra pas mieux. Il est pourtant de même essence progressive : mais il méprise les degrés infimes de l'évolution et ne tendrait à rien de moins qu'à l'abandon définitif de tout ce qui est du ressort terrestre pour l'avènement d'un état surhumain tellement au dessus de ce qui existe, qu'incapable de le définir et même de le concevoir autrement que par de vagues désirs, il retombe par cet excès même à l'inaction, se bornant à attendre, à souffrir et parfois, effrayé de son rêve, à désespérer.

8

 Pourquoi le roman naturaliste est-il en général pessimiste ? N'est-ce pas dire que la vie considérée dans sa réalité est un mal ? La gaieté elle-même n'est-elle pas essentiellement pessimiste, fondée qu'elle est sur le malheur d'autrui ? L'inspiration de la majorité des œuvres gaies n'est, en effet, pas autre chose que la peinture des ridicules. Je cherche en vain des œuvres joyeuses: celles qui font pleurer font pleurer, et celles qui font rire devraient logiquement faire pleurer.

9

 Le pessimisme s'exprime plus encore par le rire que parles larmes.

10

 Le rire est un accès de méchanceté d'un caractère particulier.

11

 Le sourire peut parfois être le signe d'une joie bienveillante, le rire jamais.

12

 Démocrite était un bien plus grand pessimiste qu'Héraclite.

13

 La joie n'est pas joyeuse.

14

 Au temps des fables, on aurait pu dire : Dieu, voyant le triste sort de l'homme, imagina, pour l'en distraire, de le faire prendre plaisir à son malheur, et lui donna le rire.

15

 On ne devrait rire décemment que de l'homme qui ne sent pas ses imperfections ou s'en satisfait.

16

 Le comique et le tragique sont les deux modes du mal.

17

 Un bossu ou un aveugle sont, en réalité, tout aussi comiques qu'un avare ou qu'un sot. Pourquoi a-t-on la pudeur de ne pas rire de ceux-là et rit-on de ceux-ci?

18

 Le ridicule est un déguisement que nous jetons sur le mal pour pouvoir le considérer avec plaisir.

19

 Dénigrer la vie, c'est lui être ou inférieur, ou supérieur; l'apprécier, ce n'est jamais que lui être égal.

20

 Nous jugeons de la vie par la nôtre. Pour arriver à un jugement équitable, il faudrait procéder à une sorte de plébiscite sur la vie. Et serait-on même certain que le résultat de ce plébiscite ne varierait pas de date à date, de latitude à latitude, suivant les remous de l'histoire et les configurations de la géographie ? Pessimiste au nord, optimiste au midi! enthousiaste en quatre-vingt-neuf, désespéré en quatre-vingt-treize!

21

 S'il y a du ridicule à haïr la vie, il y a de la mesquinerie à l'aimer.

22

 Comme en société l'on est toujours plus joyeux qu'on ne l'est dans sa propre intimité, il en résulte que l'on se fait de la joie qui règne dans le monde une idée beaucoup trop exagérée.

23

 Soyons tristes, si tel est notre tempérament, mais pour les autres paraissons gais: on se détourne des tristes comme des lépreux.

24

 La joie est plus inhérente au cœur des hommes que la tristesse. Ils sont souvent joyeux dans le malheur, fort rarement tristes dans le bonheur.

25

 Si l'on considère le mal qui règne dans le monde, on devient pessimiste; mais si l'on songe à celui qui pourrait y régner, on redevient optimiste.

Louis Dumur.

ESSAI DE RÉNOVATION THÉÂTRALE


 On accuse fréquemment les jeunes écrivains de tenter un mouvement ridicule en faveur d'idées anciennes, et de vouloir opposer aux œuvres naturalistes « si vivantes et si fortes » des productions obscures, incohérentes et sans vie. Quelle théorie nouvelle ne fut pas discutée? On nomma décadents quelques artistes qui, créateurs de mots nouveaux, tirés, pour la plupart, du latin ou du grec, s'efforcèrent noblement de lutter contre la décadence de la langue française, de réagir contre le style bas et vulgaire des romans naturalistes, la vile prose des journaux. En face de l'invasion grandissante des mots anglais raides et gourmés, des termes scientifiques durs et froids, ces artistes se souvinrent des phrases harmonieuses que chantèrent les Chateaubriand, les Lamartine, les Villiers de l'Isle-Adam. Aujourd'hui, on applique le qualificatif de symboliste à qui répudie la vision étroite et fausse des naturalistes, à qui tente de ne pas exprimer seulement la sensation, l'extériorité, le monde des apparences, mais aussi l'âme, les Idées éternelles; on reproche aux jeunes de négliger la vie dans leurs œuvres. Il est un peu tôt pour juger ces novateurs, alors qu'ils vont essayer de satisfaire à la fois notre esprit, notre cœur et nos sens en pratiquant l'idéoréalisme, proclamé par M. Saint-Pol-Roux, en faisant vivre des Idées, des personnages symboliques.
 Dans cette voie lumineuse et sainte, ils iront, humbles pèlerins de l'Art éternel, vers la source merveilleuse et triomphante que fit jaillir miraculeusement, il y a près d'un demi-siècle, le plus puissant génie des temps modernes et peut-être de tous les temps, le grand idéoréaliste Richard Wagner. Cet Art idéoraliste, par lequel nous cherchons à faire la synthèse, alors que Wagner a réalisé — prodigieusement — l'union de tous les arts, se développera magnifiquement surtout au théâtre. C'est là seulement que, radieux, il doit apparaître à ce « grand public » qui toujours ignorera les plus belles créations poétiques d'un maître tel que Stéphane Mallarmé, d'un Rimbaud ou d'un Laforgue. A la lecture, une intelligence ordinaire ou inaccoutumée aux obscurités des novateurs se refuse à les admettre. Mais au théâtre, — est-il permis de ne pas désespérer qu'une scène accueille un jour ces essais dramatiques ? — si les spectateurs, même hostiles, assistaient à une lutte formidable de passions humaines dans un drame idéoréaliste, ils nous accorderaient peut-être leur attention quand même ils ne comprendraient pas le symbole de la pièce, symbole accessible seulement à l'élite. Au troisième acte de la Walkyrie, où l'auteur incarne la charité en Brunehild se dressant résolument contre son père Wotan, la personnification de nos désirs égoïstes, ne frémissons-nous pas tous d'une émotion profonde? Pour les artistes, c'est l'idée sainte du sacrifice illuminant le monde d'un embrasement auroral; pour le public, c'est une fille qui se révolte contre son père, et rien n'est plus sublime que la scène réaliste où Wotan, vaincu, gagné par l'héroïsme de son enfant, l'enveloppe avec une orgueilleuse tendresse dans un suprême embrassement. Ce n'est pas de la féerie, de la fantaisie, c'est la Vie douloureuse qui apparaît en ses manifestations éternelles.
 Dans ce champ à la végétation serrée et gigantesque où Wagner a si largement moissonné, il y a encore à glaner, surtout pour les écrivains, qui, privés des ressources de la musique vocale et instrumentale, n'ont pas à redouter la perte totale de leur originalité. Le fond de leurs œuvres, les idées, la disposition des scènes principales, attesteront l'influence wagnérienne : mais la forme, le langage leur appartiendront. La musique des syllabes déterminera l'atmosphère du drame, établira une sorte d'orchestration verbale suggérant les Idées premières que précisera le dialogue. Cette musique sera naturelle, spontanée, pour que la science n'étouffe pas l'inspiration; toutes deux s'allieront sans se nuire. Du reste, le mot qui rend le mieux la pensée est généralement en rapport musical avec elle. Ainsi, pour exprimer l'Idée de Rêve, l'inspiration nous dictera des mots constitués plus spécialement par les consonnes v, f, l, suggestives de Rêve, tels que : voile, voguer, frileux, vague, etc... Si à ce thème de l'Immatériel on oppose le « motif de la Matière », ce dernier s'affirmera par des sons durs, violents, heurtés et pénibles à l'audition; les syllabes : son, san, sin, les mots comme : dessein, insensé, grandissant, incandescent, etc... seront indiqués et tiendront ici la fonction des cuivres dans un orchestre ordinaire. Si ces deux thèmes entrent en lutte, leur rappel par des « leitmotiv » augmentera l'unité de l'œuvre, mais le poète devra veiller à ne pas restreindre sa spontanéité par une application trop systématique de cette théorie. Dans ce même but: rejeter des règles trop étroites, l'artiste devra substituer à l'alexandrin classique, raide et monotone, une prose poétique souple, colorée et musicale, ou plutôt un mélange rationnel de vers et de prose. Il est en effet rationnel d'écrire en prose l'exposition et les explications préliminaires d'un drame. Si l'idée s'embellit de poésie, pour accroître l'intensité émotionnelle, qu'au milieu des répliques rapides et saccadées, dans les scènes importantes, sonne le clairon soudain d'un vers court et fulgurant ou le tonnerre grave d'un alexandrin majestueux ; que, parfois, dans une succession de vers, se déroule un crescendo, habilement amené depuis le vers de quatre ou cinq pieds jusqu'à l'alexandrin où éclatera triomphalement toute la sonorité du Verbe.
 Il y a là pour le jeune dramaturge de nobles essais à tenter, essais estimables quel qu'en soit le résultat ; alors qu'une foule de jeunes poètes lyriques — dont quelques-uns de grand talent — s'ouvrent des voies nouvelles, le drame symbolique ne compte en France que trois ou quatre représentants qui, pour cette rénovation du théâtre artiste, se sont, jusqu'à ce jour, à peine affirmés par des œuvres. Ce siècle fut avant tout un siècle de poésie lyrique : Lamartine, Baudelaire, Hugo, Musset, Verlaine, etc.. À nous s'offre le grand Art dramatique, comme une Forêt « presque » vierge, aux attraits mystérieux et souverains, un bois immense aux profondeurs inexplorées ; il est l'heure d'entrer en lutte; que l'aube du vingtième siècle se lève sur le triomphe du théâtre ; qu'importe ceux qui, épuisés par un effort surhumain, tomberont dans la mêlée et, foulés aux pieds, disparaîtront à jamais inconnus, si ces précurseurs obscurs ont dévoilé, vers l'horizon tout étincelant d'espoirs, le Temple sacré du positivisme et du métaphysicisme réconciliés, s'ils ont indiqué les routes futures au Shakespeare qui nous viendra quelque jour.


 

François Coulon.

DÉSESPÉRANCE


 Le silence et l'effroi planent sur le manoir
 Dont les Sphynx endormis ne gardent plus les portes,
 Et c'est comme un parfum triste de choses mortes
 Qui flotte vaguement et monte dans le soir.

 Les émaux sont ternis et les verrières closes,
 Et l'on voit, au soupir des vieux luths détendus,
 Sur les ifs assombris des Jardins suspendus,
 En pétales pourprés pleuvoir le deuil des roses;

 Car, vers le bon combat, les Rois aventuriers
 Que présageait, de loin, l'éclair des boucliers,
 Ne viendront plus jamais du fond des bois magiques ..

 Aux matins de splendeur succède un soir de mort,
 Et le dernier Veilleur de ses mains héroïques
 Laisse à jamais tomber le Glaive avec le Cor.



L'AMOUR FUNÈBRE


 L'Amour, le souverain Seigneur de toute Vie,
 M'apparut, couronné de lys et de pavots,
 Sur le pré jaunissant, dévasté par la faux
 Où l'automne sécha les bouquets d'Ophélie.

 La tristesse rêvait dans l'ombre de ses yeux;
 Le vent frais soulevant sa chevelure folle
 Agitait en ses mains une branche de saule,
 Et les fleurs s'effeuillaient sur son front sérieux.

 Or, cet Amour, avec sa douce bouche triste,
 Me dit : « Tu veux en vain me fuir; je suis Celui
 Qui, pour te conquérir, t'ai naguère ébloui

 Du rayon de mes yeux; nul cœur ne me résiste.
 Et plus que la Douleur et le Temps je suis fort,
 Moi, Seigneur de la Vie et Seigneur de la Mort ! »


A LA DÉRIVE



 Flotte mélancolique en somptueux arroi,
 Des barques balancées par une mer de pourpre
 S'en vont vers l'horizon de mystère et d'effroi
 Où de vagues rumeurs d'orage semblent sourdre.

 Le ciel d'or et de sang attire leur essor
 Par le philtre pervers d'un délice éphémère...
 Un souffle triste et doux berce sur le flot mort
 Leur voile déployée en aile de Chimère;

 Et, vains oiseaux d'espoir nonchalamment repris
 A l'illusoire attrait du rêve de jadis,
 Elles s'en vont, sans bruit, sur les vagues muettes,

 Et le vent s'est levé, qui sous le ciel brûlant
 Gonfle d'un lent soupir les voiles violettes,
 Et les pousse là-bas vers l'horizon sanglant.


  
PAYSAGE D'AME


 L'éclat pensif du soir sur la vaste forêt
 Etend nonchalamment un brouillard de lumière;
 Dans l'air vibrant sourit la grâce meurtrière
 Des tristesses qui font le vespéral attrait.

 Tes yeux mystérieux, où l'idéal Regret
 Brûle comme un soleil rêveur et funéraire,
 Te donnent la splendeur de ces cimes qu'éclaire
 Le paisible occident de son calme reflet.

 Ton sourire répond à des appels mystiques
 Par le souffle attiédi des bois mélancoliques
 Portés vers toi, leur sœur, comme de longs sanglots,

 Et vers la volupté du silence nocturne
 S'épanchent lentement, en invisibles flots,
 Les désirs alanguis de ton cœur taciturne.


 

C. Maryx.


 
VERS POUR HYMNIS.



 Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.

 Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,
 
Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille années,
 
Et par le souffle lent des sentes où je fuis
 
Les roses du tombeau ne seront point fanées.

 Je te dédie, enfant, la mourante forêt.

 Elle se pare encor malgré son mal secret :
 
Tu te reconnaîtras à sa noble agonie, 

 Vierge dont le front pâle et fiévreux se parait 

 Avec l'or éclatant et la blême ancolie.

 L'automne funéraire embaume les halliers

 Hymnis! Hymnis ! Hymnis! tes cheveux déliés,
 
Libres du bandeau frêle où tu les emprisonnes,
 
Ont frôlé des santals et des girofliers 

 Et se sont enivrés de cruelles automnes.

 De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.

 Pour que ton corps sacré retourne sans affront 

 De la forêt lointaine aux ténèbres divines,
 J
e veux entrelacer à l'entour de ton front 

 Le thyrse en demi-deuil des suprêmes glycines.

 

Pierre Quillard

     
PAGES QUIÈTES

 
LETTRE SUR LES COURSES DE TAUREAUX

Saint-Sébastien, 21 août 1892.

 
A M. Petit-Naveaumembre de l'Institut, à Paris.


 Il me serait doux, cher maître et respectable ami, de voir votre laboratoire de physiologie se transporter au bord de ce golfe de Gascogne où me retiennent des devoirs trop absolus. En ouvrant les fenêtres, nous pourrions considérer à notre aise les flots orageux de la mer, le soleil se mirant dans les vagues; sans interrompre nos études de vivisection, tout en surveillant d'un regard intéressé les agonies de nos chiens et de nos cobayes, nous aspirerions à pleins poumons l'air salin, nous aurions le cœur plus léger et les muscles plus assouplis. Mais il faudrait pour cela la main secourable d'une fée ; madame et mademoiselle Petit-Naveau sont trop occupées à charmer votre intérieur domestique pour que j'ose leur demander une pareille intervention.
 Je consacre le plus grand nombre d'heures de la journée à des promenades hygiéniques dans la montagne ; mon cerveau s'en trouve bien et ses cellules recommencent à fonctionner normalement. Vous me l'avez affirmé, il serait fâcheux pour la science de me voir devenir idiot à force de travail ; sur ces paroles, j'ai renoncé sans hésiter à mes recherches sur « la notion de causalité chez les psittacides », et je vis ici comme une brute, comme un philistin, imitant les profanes et engraissant à vue d'œil.
 Je n'ai pas manqué, selon vos instructions, une seule course de taureaux. Il serait très important, m'avez-vous dit, de vérifier la loi de Weber dans le cas particulier de la tauromachie : en d'autres termes, de savoir exactement si, chez le taureau  éventrant un cheval, « l'énergie de l'excitation doit s'élever en rapport géométrique pour que l'énergie de la sensation augmente en rapport arithmétique.
 Ma première idée fut de descendre dans l'arène pour me mêler aux travaux des opérateurs ; j'en eusse profité pour faire quelques observations de température, et un thermomètre métallique placé dans le fondement de l'animal m'eût donné des courbes intéressantes. J'avais combiné en même temps un appareil très ingénieux pour enregistrer les variations de forme dans le système musculaire : une série d'aiguilles plantées dans l'ossature vertébrale et reliées à un galvanomètre eût peut-être amené des révélations inattendues.
 Le directeur, auquel je me suis présenté à cet effet, m'a envoyé promener de la façon la moins courtoise ; il a cité en espagnol diverses parties cachées du corps humain et a ri assez grossièrement pour irriter un homme étranger à la science. Je n'attendais pas mieux d'un peuple abruti par les superstitions d'un autre âge ; mais j'ai été surpris, je l'avoue, très surpris et peiné.
 Force me fut donc de me mêler aux spectateurs. Non sans peine et sans argent, j'obtins une place au premier rang, et je vous envoie le résumé des notes recueillies sur cette course et les suivantes.
 Je dois vous avouer dès maintenant qu'une course de taureaux se prête peu à des observations scientifiques. Les assistants font un tapage impossible à décrire. Ils poussent des hurlements, agitent des mouchoirs, brandissent leurs cannes sans aucun respect pour les hommes sérieux. A un moment où des cris inadmissibles se faisaient entendre contre les opérateurs, je me suis levé pour rappeler ces polissons aux convenances, et j'ai reçu en pleine poitrine une bouteille vide où mon odorat exercé reconnut la présence d'un résidu vineux. Des gens avaient donc bu dans la salle ; des gens s'enivraient peut-être à l'instant le plus captivant de l'expérience.
 Il serait préférable de ne pas admettre le public en ces endroits où il ne fait que gêner ; on laisserait seulement entrer un petit nombre de personnes instruites, en leur recommandant l'immobilité et le silence. Au temps présent, on se croirait au cours du spiritualiste Caro : jusqu'à des dames, et en grand nombre, très élégantes, très bavardes, agitant leurs éventails. La science doit-elle se borner à réjouir de pareilles caillettes?
 La course de taureaux se décompose en trois temps : dans aucun de ces trois temps, la loi de Weber ne m'a paru s'appliquer.
 Dans le premier temps, le taureau est visiblement excité ; il se précipite sur des chevaux disposés à cet effet et les perfore à grands coups de cornes. Des aides montés sur lesdits chevaux le piquent à la minute précise où l'excitation est à son maximum. Eh bien, cher maître et respectable ami, le taureau semble ne rien sentir, absolument rien. Le choc des cornes contre les os du cheval doit, en certains cas, être assez douloureux , leur glissement à travers les entrailles doit être répugnant pour un herbivore ; le taureau n'en manifeste rien.
 Je poursuis.
 Dans le second temps, le taureau est moins excité. On en profite pour lui enfoncer dans les épaules, non pas, comme je l'aurais désiré, de longues aiguilles symétriquement disposées, mais des javelots à papillotes. Pourquoi, bon Dieu ! des papillotes ? Quel peuple ! Ces javelots procurent à la bête une sensation indiscutable et perceptible ; pourtant l'excitation a diminué,
 Je poursuis.
 Dans le troisième temps, le taureau n'est plus excité du tout ; il est fini, suant, saignant.
 Or :
 C'est à ce moment précis que le taureau commence à donner des signes évidents de douleur. Il mugit, se plaint et semble beaucoup souffrir. Un aide arrive, cherche à l'égayer en remuant un morceau de flanelle rouge ; le taureau refuse toute distraction. L'excitation est tombée à zéro et la sensation douloureuse est à sa majeure amplitude.
 Un subalterne sacrifie l'animal à coups d'épée ; le peuple applaudit sans savoir pourquoi, et l'on passe à de nouvelles expériences dont les résultats sont identiques.
 De ces faits, que faut-il conclure?
 Weber s'est absolument trompé, et la loi véritable serait :
 L'énergie de l'excitation doit s'abaisser en rapport géométrique pour que l'énergie de la sensation augmente en rapport arithmétique..
 Reste à mettre la nouvelle théorie d'accord avec les chiffres et les courbes, ce qui n'a jamais offert la moindre difficulté.
 Cette loi portera naturellement mon nom, mais vous me permettrez de vous la dédier, cher maître et respectable ami, ainsi, qu'à madame et mademoiselle Petit-Naveau.

 Je suis, avec infiniment de respect, du maître l'élève reconnaissant, à l'ami le très dévoué,

 

Raoul Minhar.

MIMES

LES PETITS POISSONS ROUGES
DANS LEUR BOCAL
ou
ANATOMIE DU POÈME EN PROSE


I
le bocal

 Dans la fraîcheur amalgamée de rêves, vers le soir qui passait par la fenêtre, Il pâlissait, opalin, et sa candeur hyaline amusait la mystérieuse Amie. Joies du soir endormi, tout surpris d'être pur, et tant de rêves chatoyaient dans l'opalin bocal, où l'âme n'est pas morte : alors, — ce furent d'opulentes visions de cirques byzantins avec des claquements verts et bleus d'étendards, et pourtant les cyprins n'étaient ni verts, ni bleus : ils étaient rouges et ils frissonnaient d'amour dans la candeur hyaline qui amusait la mystérieuse Amie. Gloire du rêve, accroupi tel qu'un sphynx entre les ailes mornes du soir, — gloire triste et comme de lémures, car les nageoires battaient en éventail de chauves-souris, indélicates à respecter les joies du soir endormi, et je vis s'agrandir vers l'extase d'avoir peur les yeux démesurés de la mystérieuse Amie.

II
les poissons rouges

Ils tournent, ils tournent, ils tournent dans le bocal de leur pensée.
 Ils pensent à des miettes, des miettes, des miettes de pain, et ils n'ont pas une miette de pensée — dans le bocal de leur pensée.
 Ils ouvrent la bouche — oh! la jolie bouche aux moustaches de mandarin I — et aucun son n'est proféré et leur cervelle est aussi muette que leur bouche, — dans le bocal de leur pensée.  Leur queue frétille, frétille, frétille, et nul sperme n'en sort pour féconder le réseau des œufs femelles, car leurs organes sont stériles et c'est en vain qu'ils se masturbent — dans le bocal de leur pensée.
 Leur ventre est blanc, blanc comme le bouillon-blanc, et tout gonflé d'une excrémentielle et inoffensive vanité : il crève et ce sont des bulles, et à fleur d'eau les bulles crèvent, les bulles nées du ventre vain des cyprins — dans le bocal de leur pensée.
 Leur nageoire est noire, plombée par le stupide venin qui les étourdit, les fait virer comme ânes au moulin : Virez, virez, petits poissons qui ne mordez pas — dans le bocal de votre pensée.
 Leurs flancs sont rouges, du terne rouge des limaces de l'automne, et leur cœur exsangue est plus mou qu'un ver libre qui macéra trois mois durant emmi les alcools du prince de Trois-Six, — dans le bocal de sa pensée.
 Leur œil est tout vairon, vert, on ne sait pourquoi, quelquefois; et le petit poisson vous regarde de son œil vairon, si vairon qu'il en est touchant, — le petit poisson qui vaironne dans le bocal de sa pensée.
 Il tourne, il tourne, il tourne, le petit poisson rouge dans son bocal.

III
rappel du bocal

(Selon la méthode Wagnérienne, — mais simplifiée.)

 Dans la tiédeur amalgamée de rires, vers le midi qui passait par la fenêtre, II rougeoyait incarnadin et sa rubescence almandine amusait la mystérieuse Amie,
 Qui, revenue de sa stupeur, se demandait:
 « Pourquoi ne suis-je pas, moi aussi, dans un bocal ? — Je tournerais dans le bocal de ma pensée,
 « Dans un bocal, dans un bocal. »

Quasi

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BARBEY D'AUREVILLY CRITIQUE (1)


 Saint Thomas d'Aquin, en sa Somme (2), examine cette question : « La Sottise est-elle un péché » — et, après les distinctions et les réserves que lui dicte sa théologique prudence, conclut pour l'affirmative. En tant que péché, la sottise (stultitia) provient, dit le Docteur Angélique, de ce que le sens de la spiritualité est hébété (3). Ce genre de sottise est fait de haine et de peur, de bassesse et d'ennui: haine de Dieu et de l'Art; peur de la suprême Vérité; infimité mentale qui ne se plaît, comme l'escarbot, que dans l'excrément; ennui de vivre en un four, sans lueur et sans espoir.
 A le pourchasser, ce péché quadriforme (que d'aucuns croient le Péché parfait, le Péché en soi, Barbey d'Aurevilly usa une partie de sa vie ; pour cette tâche il se fit journaliste et polémiste; un à un, il prit les gens de son temps, les pesa par la méthode différentielle, rédigea leur « bulletin de pesée », — et sur ce bulletin on lit fréquemment: Sottise: Cent pour cent du poids total.
 C'est qu'en effet nul corps de métier ne fut en aucun temps davantage affligé par la sottise que la corporation des gens de lettres. Du moins la maladie est-elle plus visible chez eux, car leur occupation première est d'en faire la confession publique, d'indiquer du doigt leur tare, de tirer vanité de leur bosse, de hausser au-dessus des autres têtes leur microcéphalie.
 Tous y passèrent : pseudo-mystiques et faux historiens; poètes attristés par l'orgueil et fades romanciers tout bêlants de sentimentalité; vaudevillistes, bas-bleus, et tous les rétameurs de la vieille casserole Littérature. Cette fois, ce sont les épistoliers que le Connétable, mouchetant la pointe, bâtonne du plat de son épée, devant Balzac amusé et complice. Plats d'épée, — mais d'aucuns reçoivent en compensation d'amicales tapes sur la joue, signe de dédain autant que d'absolution ; pour Madame Sand, une poignée de verges entortillées d'orties.
 Celle-là, il la fouette un peu rudement, et, lui relevant la cotte, fait voir que sous la robe de la princesse il y a le grain de peau d'une vachère: et quand on a bien vu, il refouette.
 De tels articles, ce dut être bien agréable de trouver cela au bas de journaux où, à cette heure, ce sont les incompréhensifs Ginisty qui pérorent et qui jugent. Juger! « Elle ne jugeait pas », dit Villiers de l'Isle Adam en notant le caractère de la marquise Tullia Fabriana (4). Que l'actuelle critique n'a-t-elle un peu de cette pudeur!
 Barbey d'Aurevilly, lui, pouvait juger, s'étant offert lui-même, et avec une certaine témérité, aux critères des hommes. Injustes souvent, mais toujours logiques et en concordance avec ses principes, ses jugements sont légitimés par le talent et par le courage. Au lieu, comme Sainte-Beuve, de louvoyer pleutrement, entre non pas même les extrêmes, entre les moyennes, il dit crûment sa pensée, — et voilà pourquoi ces vingt volumes intitulés Les Œuvres et les Hommes resteront comme un précieux répertoire.
 Qu'on l'achève, cette vaste maison aux mille fenêtres, qu'on y dresse un escalier, c'est-à-dire une minutieuse table analytique, et nous avons des Causeries, non du Lundi, mais de tous les jours, — et en dépendances du palais dont les salles sont le Prêtre marié, les Diaboliques et tant de chefs-d'œuvre, elle fera très bonne figure, la vaste maison aux mille fenêtres.

Remy de Gourmont

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 (1) Les Œuvres et les Hommes (II° série : XIXe siècle):La Littérature épistolaire, par Barbey d'Aurevilly (Lemerre, éditeur).
 (2) Summa totius theologiae S. Thomae Aquinalis (Cologne, 1639): Secundae secundac partis Volumen primum. Quaestio XLVI, Art. 2.
 (3) Ibid., Art.3.
 (4) Isis.

LES LIVRES (1)


 La Passante, par Adrien Remacle (Bibliothèque Artistique et Littéraire).— Sous ce titre : La Passante, M. Remacle vient de publier, dans l'élégante collection de la Bibliothèque Artistique et Littéraire, un poème en vers et en prose, qui chante l'ascension d'une âme d'abord incarnée, puis débarrassée de son corps à travers des conditions d'existence de moins en moins imparfaites, et partant de plus en plus heureuses. L'auteur a mis beaucoup d'imagination dans les descriptions qu'il a données de divers états de la vie posthume. Peut-être eût-il mieux fait de s'en tenir aux grandes traditions orientales ou occidentales, d'ailleurs identiques au fond. Le Bouddhisme, la Kabbale, le Druidisme lui eussent fourni sur l'existence d'une âme entre deux réincarnations des aperçus d'une incomparable richesse, et, en réalisant une œuvre d'art,il eût aussi réalisé une œuvre philosophique. Mais M. Remacle peut arguer à bon droit qu'il a voulu écrire une œuvre d'art, simplement, et demander qu'on le juge non pas comme occultiste (il le sera pourtant en cette qualité dans un prochain numéro du Mercure), mais comme poète.
 Il ne me reste plus alors qu'à louer la manière dont il a su arranger poèmes en vers et poèmes en prose pour arriver à une intensité extrême d'expression. A chaque instant, l'auteur, obligé de rendre des sensations et des idées sinon inconnues, du moins à peine devinées de nos sens et de notre esprit actuels, a réalisé de merveilleux tours de force littéraires. Il est difficile d'analyser à fond en quoi consiste ce bonheur particulier d'expression. Il semble toutefois que les connaissances musicales de M. Remacle lui ont été d'un grand secours. Ses vers comme sa prose sont d'un musicien consommé. Il parait avoir combiné les voyelles et les consonnes de chacune de ses phrases comme autant de notes, et il est arrivé ainsi à créer, à coté du sens littéral, un sens musical, parfaitement approprié aux ondoyances, aux ténuités, aux apparitions fugaces, que devait évoquer son poème.

E. D.

 Bois ton Sang, par Pierre Devoluy (Édition de « Chimère ». Librairie de l'Art Indépendant). — Si une préface d'Albert Lantoinc ne le disait, parmi de plus nécessaires renseignements, je n'aurais pas cru l'auteur instrumentiste-évolutionniste. C'est une école, dit-on; il en est sorti avec cette œuvre où, détendant non seulement l'art, mais une Cause, le poète, fidèle à la barbare noblesse de son titre, n'a rien écrit de vulgaire, ni en ses pages de douceur, ni en ses pages de violence et de sang; — ainsi:
 Douceurs des vieux parfums issus de robes closes:
 Sont-ce les amours clairs aux thyrses de mimoses
 Ou le cantique blanc de sombres orangers ?
 En le vent des lilas nimbés d'épithalames
 Humé-je les désirs ivres des jusquiames ?...
Ou:
 Un vent d'orient mouille en frisselis calins
 Nos stupeurs de jeunesse éprise des hauts rêves
 Et qu’obsède l’éclair intermittent des Glaives...
 Clairons sur les berceaux, clairons sur les alcôves,
 Clairons galvanisant des éveils d'aubes fauves —
 Un Israël tressaille aux sursauts des tambours...
 La partie du recueil appelée Flumen m'a paru la meilleure, celle des vers les plus fermes, les plus droits:
 (Un réconfort sort de la foudre et les tient droits!)
 Celle aussi des images les plus nettes , les plus sauvages, — et souvent nouvelles.
 Maintenant, pense-t-on que j'aurai la naïveté de « reprocher » à l'auteur son patriotisme? Et pourquoi? Qu'il suive son instinct et sa voie. Est-il fâcheux que ce sentiment, que l'on croyait littérairement caduc, reverdisse là en vigoureux surgeons? Peut-être, mais j'aime encore mieux de bons vers à la gloire de l'Epée que toutes ces pacifiques rengaines où se clame le désir d'un tas de rêveurs maladroits vers la niaise et péronnelle rigolade qui semble devenue l'idéal de la ridicule humanité. La haine plutôt qu'une fraternité grotesque!
 Et

Les vieux glaives et les framées

(la pièce que clôt ce vers m'est dédiée — en épigramme !) j'aime encore mieux cela que le sentimentalisme, — et la barbarie, même sanglante, que la jocrisserie d'une civilisation industrielle et bassement confortable.

R. G.

 Une Transformation de l'Orchestre, Conférence faite au Théâtre d'Application, par Charles Henry (A. Hermann). — « Etant donnés l'orchestre tel qu'il est et une partition d'orchestre dans toute sa complexite, n'est-il pas possible de traduire dans une langue plus simple, quoique suffisante, les infinies nuances de l'orchestration ? » La question ainsi posée semblerait résolue par l'affirmative ; mais M. Ch . Henry nous propose comme modèle l'orchestre des tsiganes et leur cymbalum; il cherche évidemment à côté ; l'orchestre tsigane produit surtout un effet de surprise; quand on l'a entendu trois fois, il agace; je ferai observer ensuite que le cymbalum rappelle plutôt le son du clavecin que la combinaison de la harpe et des timbales. Si M. Ch. Henry remplace la timbale par la grosse caisse blousée, je ne vois pas bien ce que nous y gagnerons en agrément. Tous les orchestres des petits théâtres parisiens, en effet — chacun ne dépasse guère une vingtaine d'exécutants —usent et abusent des timbales; on y tape sur ces pots à confitures avec une rage déplorable; cela part avec les cuivres, au moindre forté, comme une écluse, et il suffit d'entendre par malechance un acte d'opérette pour en avoir la tête cassée. — L'orchestre des tsiganes, enfin, est surtout composé d'instruments à cordes; il ne contient ni cors, ni trompettes, ni hautbois, ni bassons, ni flûtes; il ne traduira donc pas «les infinies nuances de l'orchestration», les timbres des instruments ne se substituant point, hormis les cas exceptionnels que tous les compositeurs connaissent et dont ils savent très bien tirer parti.
 Quant à la querelle des dissonances et des consonances, elle est puérile. Un accord est reçu consonant par le consentement général, parce que les gens qui écoutent ont les oreilles faites d'une manière et pas d'une autre; c'est à l'unanimité des suffrages qu'on a banni les accords de secondes, et simplement parce qu'ils font hurler. M. Ch. Henry peut s'asseoir devant son piano et plaquer la succession (ut, re, mi, fa d, sol d, la d) qu'il nous indique, et s'en convaincre lui-même. — J'ai quelque idée, avec cela, qu'il a expérimenté sur des sujets non seulement pas musiciens, mais n'ayant pas le tempérament musical. — Maintenant, vous savez, en Chine, il n'est pas de meilleur concert que de taper sur le cul des chaudrons!

C. Mki.

 Anarchistes, par John-Henry Mackay, traduction de Louis de Hessem (Tresse et Stock). — Une suite de décors londoniens, dont quelques-uns fort saisissants, comme le Royaume de la Faim, les descriptions de Whitechapel, de Trafalgar Square au moment du meeting des unemployed, au travers desquels l'auteur nous promène en compagnie d'un guide destiné à bien mettre en relief toutes les horrifiques misères entrevues, et à les accompagner d'un juste réquisitoire contre la société qui les cause ; une autre partie, de discussion, tendant à établir l'incompatibilité de l'anarchie et du communisme, telle est à peu près la composition du livre de M. J.-H. Mackay.
 Pour ce qui est de la forme, nous n'en dirons rien, puisqu'il s'agit là d'une traduction; quant aux idées exprimées, il nous a paru qu'elles étaient discutables, au moins sur quelques points. — L'anarchiste Carrard Auban, le principal personnage du volume, croit, avec M. J.-H. Mackay, que seule l'action individuelle, délivrée de toutes les entraves contemporaines, et mue par cet unique ressort, selon lui très humain, l’égoïsme, présidera, dans la suite, aux rapports sociaux. Malgré la célèbre formule de Hobbes « homo homini lupus », nous ne pensons pas que l'être humain tende ainsi à se renfermer dans un complet désintéressement de ses semblables et ne vise qu'à son bonheur propre. Ce n'est pas que nous invoquions avec Trupp le communiste — trop lyrique pour n'être pas un peu imaginaire — des arguments sentimentaux ou optimistes. Il nous semble, au contraire, que Carrard Auban n'a peut-être pas examiné la question avec assez de froide raison. S'il ne s'était laissé trop volontiers entraîner par ce désir de déclamation qu'il reproche à ses contradicteurs, il aurait mieux compris que l'homme est, a toujours été le ζοον πο λιτικον d'Aristote, c'est-à-dire un être organisé pour ne pas vivre seul, pour mettre en commun ses intérêts, ses joies et ses peines ; il se serait rendu compte qu'un individu ne saurait devenir absolument égoïste sans manquer aux plus simples lois physiologiques et constituer par cela même un être d'exception. Car, comme l'a si excellemment écrit le regretté Guyau : « Il est aussi difficile de circonscrire dans un corps vivant une émotion morale, esthétique ou autre,que d'y circonscrire de la chaleur ou de l'électricité; les phénomènes intellectuels ou physiques sont essentiellement expansifs et contagieux ». Aussi est-il, à notre sens, plus logique d'espérer, ainsi que le professe le socialisme, en se fondant sur la nature propre à l'être humain et sur l'histoire de son passé, que l'évolution do l'humanité vers le meilleur sera réalisée par le communisme: c'est en effet à la forme défectueuse des sociétés actuelles, basées sur la propriété, qu'est due, de nos jours, la déviation anormale vers l’égoïsme de la tendance altruiste naturelle à l'homme.

G.D.

 Pochékhonié d'Autrefois, par Chtchédrine, traduction de Mme Polonsky et M. Debesse (Savine). — Habilement traduit du russe, ce roman est délicieux. D'ailleurs, est-ce bien un roman? Il semble que la vie de nos amis d'hier (lesquels avant-hier étaient les féroces tyrans de leurs serfs) se soit reflétée tout entière dans ce miroir magique. Et que de malices couvrant une philosophie exquise, que de jolies phrases passant, d'un air détaché, en couleuvres zig-zaguant sous l'herbe et venant vous enlacer de replis perfides! Cela est tellement simple et en même temps si profond, si dans la chair même du noble Russe! Nicanor, celui qui raconte, égrène là-dedans tant de colliers de framboises et tant de joyeux chapelets de fraises qu'on le sent vraiment Slave, c' est-à dire l'enfant terrible qui a toujours l'air de prendre de sinistres gouttes de sang pour de jolis fruits rouges... A la bonne heure : du roman russe comme cela, il en faudra toujours.

***

 L'Envol des Rêves, par Arthur Dupont (Lacomblez).— A regarder simplement en curieux les choses de la littérature, il est amusant de constater que la jeune poesie, en Belgique, et actuellement bien meilleure qu'en France. On y trouve moins de rengaines, de sentimentalisme bêta, de romances, de petites fleurs bleues. Qu'on le remarque, j'indique la production en général, non le livre de tel ou tel, encore que les œuvres d'allure, là-bas, ne soient point rares. Les jeunes gens de Bruxelles ont sans doute le bon esprit de mettre au panier leurs tâtonnements; ils arrivent avec une sûreté de métier qui charme; on sent qu'ils pourront donner quelque chose; on est très sûr qu'ils ont rejeté la vieille défroque, qu'ils ne s'attarderont point, par exemple,à nous rabâcher « les beautés de la Nature ». — Et il m'est agréable de parler ainsi à propos de M. Arthur Dupont, pour moi un inconnu, mais dont l'opuscule pas banal, malgré certaines défaillances et des choses rencontrées ailleurs, contient nombre de beaux vers.

C. Mki.

 Claires Matinées, par Léon Hély (Sauvaitre). — Ici, nous les retrouvons, les « Beautés de la Nature », et les peintres de la Nature, et les Chantres de la Nature; avec le Beau, le Vrai, l'Amour, la Foi, et les blancs coursiers de l'Avenir, l'auteur en tire vingt pièces dans la note lamartinienne, déclamatoire et pleurnicharde. On m'a déjà certifié d'ailleurs que les bouquins de vers communément dits « de jeunes » étaient cuisinés par un seul « poète » et présentés sous des pseudonymes variés par simple dilettantisme. Le fait n'aurait rien d'excessif, étant donnée l'incontestable similitude dans le médiocre qui les caractérise; vous verrez aussi, un de ces jours, nous apprendrons que le « jeune » en litige est dans l'âge déplorable de M. Grandmougin.
 M. Coppée donne en préface aux « Claires Matinées » les paroles banales dont il a coutume.

C. Mki.

 Un Amant, par Emily Brontë, préface de T. de Wyzewa (Perrin et Cie). — Malgré la tendresse de M. de Wyzewa pour tout ce qui n'est pas une découverte française, nous pourrions découvrir pas mal de névroses basbleuesques dans notre pays moderne, tout aussi douées que peut l'être Emily Brontë, datant de 1848, ère anglaise. Mais Emily étant morte prématurément, les dieux d'aujourd'hui l'aiment à n'en pas vouloir voir les défauts. Il faut mourir d'abord, être Anglaise ensuite; le reste vient de soi-même. Un Amant, traduction de titre aussi grossièrement choisie que possible pour un livre dont toutes les tendances sont indiquées par cette phrase : la colline battue des vents (titre anglais), est une histoire racontée par une gouvernante avec tout de luxe de détails que comportent les scènes anglaises. Il y a un tzigane fatal, une jeune fille affolée d'amour pudique et beaucoup d'enfants. Le drame va d'une génération à l'autre. Sauvagerie sinistre d'expressions n'amenant que des faits vulgaires ; et, n'en déplaise a M. de Wyzewa, pas de perversité pour un sou.

***

 Printemps sombre, par Charles Cudell (Bruxelles, La comblez). — Ce petit livre acerbe peut être mis sur le même rang que l'Albert de Louis Dumur. Même désespérance en face de la vie et de l'amour, même abandon de la lutte quand vient l'été de l'âge. Il est certain que M. Charles Cudell est de ceux qui disent bien haut: « Mais laissez-nous pleurer puisque ça nous amuse. » Au fond, il a raison comme Albert, et termine logiquement une existence condamnée, dès son aurore, par le spleen des révoltés. Très joli morceau de description dans le passage de la mort de la jeune fille que l'on enterre en état de putréfaction. Cette pourriture vierge et cependant pourriture infecte est supérieurement rendue par un matéraliste élégiaque. Ecrit avec soin et de-ci de-là poétique, ce petit roman a tout le poivre que comporte un livre de blasé.

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 La Bataille de Tire-tes-Grègues, par Maxime Oget (Savine).— Bien de l'incohérence eu beaucoup trop de pages.

Z.

 Peau de Satin, par Paul Ponsolle (Savine).— Il ne s'agit nullement de la polka qui porte ce nom, mais d'une femme du monde, « sorte d'animal paresseux dont on masse le cuir tous les jours », aurait dit le regretté Cladel. Cette femme du monde vit dans un singulier milieu où on rencontre des hommes qui se liguent, comme au temps des Habits noirs, contre la vertu des belles, et font le serment de les déshonorer pour les punir d'être froides. Puis le plus propre de ces hommes-là montre des lettres d'amantes, après boire... et finit par épouser tout de même la Peau de Satin en question. J'aime à croire que M. Paul Ponsolle, vivant dans le meilleur monde, a voulu se distraire de sa profonde monotonie en inventant un autre meilleur monde plus mouvementé, mais absolument étranger au premier. Chez les viveurs de haute marque, on est quelquefois stupide; seulement, on a généralement peur de la correctionnelle.

***

 Poésies, par Mme Guzman (Savine). — La « prière d'insérer » jointe à ce livre avertit la presse que Mme Guzman est « l'auteur » d'un legs de cent mille francs « dont les intérêts, accumulés périodiquement, serviront à récompenser le meilleur fabricant ou le meilleur inventeur de moyens d'investigation astronomique, et le capital sera ensuite acquis à celui, quel qu'il soit,qui aura pu établir une correspondance par signaux avec les habitants d'une planète autre que Mars, déjà bien connue. « En tant qu'auteur de legs, Mme Guzman ne laisse point que de se montrer originale; il est malheureusement impossible d'en dire autant de l'auteur des vers: pièces de circonstances, suivies de proses et de poésies en anglais. Combien Mme Guzman nous eût davantage captivés en nous entretenant de ces habitants de la planète Mars qu'elle semble si bien connaître!

A. V.


 La Dragée haute, par Féline de Comberousse (Perrin). — Les héros s'appellent Grainat, Destroipond, Palingru, Cerfeuil, Vaucloison, et enfin il y a un jeune romancier de la nouvelle école qui répond au nom de Gaston Lesseparbès (Georges d'Esparbès le sait-il? ). On se croirait chez Paul de Kock, n'était la grrrrrande psychologie de l'œuvre! En effet, il y a une femme qui se fait faire la cour par Lessceparbès sans vouloir lui accorder même le petit bout de son doigt à sucer... C'est absolument monstrueux de sa part, aussi Lesseparbès épouse une jeune fille quelconque et l'aime de guerre lasse.
  — Il faut que j'aime cette femme (la jeune fille) parce qu'elle m'aime. Et l'auteur s'écrie: Contre-sens, déraison! Le cœur n'accepte pas de conditions! —Neuf, originalement conté et de bon goût!

***

 In Morte Virginia Valentini-Zanardelli da Macerata,Trecento Sonetti di Tito Zanardelli (Bruxelles, J. Morel). — V. Mercure de France, tome IV, page 365.

Z.

 Pour l'amour des Vers, par Cornelius Price (Lemerre). — M. C. Price a sans doute écrit ses poèmes après de strictes lectures du Traité de Banville ; il a tout sacrifié à la richesse de la rime : jamais la consonne d'appui n'est absente, il est vrai — et cela ne suffit pas pour qu'une rime soit bonne — mais presque toujours le vers est rempli avec des mots quelconques, sans couleur et sans harmonie. Et pourtant, à lire quelques vers épars çà et là dans le livre, il semble que M. Price ne manque pas d'un certain don, et peut-être, quand il aura perdu la superstition de la consonne d'appui, trouvera-t-il plus souvent l'image et la mélodie, et nous donnera-t-il un livre dont la lecture aura quelque charme.

A.-F. H.

 Corallé, par Mme Guzman (Savine). — Épisode de la Révolution de Saint-Domingue. Un jeune précepteur d'enfants créoles s'éprend d'une jeune fille fiancée à un noble espagnol. Descriptions du pays. Beaucoup de noms d'arbres et de plantes exotiques; la passion du héros s'en ressent et finit par être décrite en une langue imagée qui ferait le bonheur de deux grands chefs indiens se proposant réciproquement d'entrer dans le sentier de la guerre. Corallé, l'idole, meurt au milieu de la révolte des noirs, ce qui fait pousser au héros quelques anathèmes bien sentis contre ces misérables préférant leur liberté à la douceur du bâton de leurs bons maîtres, les blancs colons, toujours si gracieux... en la personne de leurs filles sans doute.

***

 Les Vibrations, par Amédée Amoric (Vanier). — M. Amédée Amoric a un faible pour l'aphorisme : il s'en trouve bien une douzaine dans les cent lignes de sa Fantaisie-Préface. « L'amour ne naît pas, il existe depuis le commencement du monde et s'éteindra avec lui.... » A parler franc, nous nous en doutions un peu. « Qui dit amour dit volupté; la volupté est l'affolement de la sensitivité, ai-je écrit quelque part... » Bis repetita placent, sans doute, mais... Quant aux poésies,

elles débutent par un bien mauvais vers : « Qu'est-ce que la chanson! La chanson c'est la vie... » D'autres valent mieux, sans jamais toutefois atteindre a l'art.

A. V.


 L'Apostolat Positiviste au Brésil, dixième circulaire annuelle adressée aux coopérateurs du subside positiviste brésilien, par Miguel Lemos, Rio-de-Janeiro, 30, rue Benjamin Constant, — Gloria). — Brochure dont le seul énoncé du titre dit l'importance et l'intérêt.

Z.


 Dicts et Symboles, premières poésies, par Gaston le Poil (Vanier). — II y a un peu de tout dans la minuscule plaquette de M. Gaston le Poil: une dédicace à E. Faguet; un A-propos dit au banquet dela Saint-Charlemagnc ; un Prologue pour nue représentation artistique et littéraire; des chansons, des monologues, des calembours faciles et du mauvais français. Il n'y manque que des vers.

J. C.


 (1) Aux prochaines livraisons : Le Premier Livre Pastoral (Maurice du Plessys); Rimes et Rhythmes (Lagodey); Le Cyclisme théorique et pratique (L. Baudry de Saunier); Eveil d'Amour (Henry de Braisne); Poésies et Poésies nouvelles, 3 vol. (Catulle Mendès); Les Miens : Villiers de l'Isle-Adam (Stéphane Mallarmé); Nudo! (Giuseppe Gramegna); La Revenue (Marius André); Le Salut par les Juifs (Léon Bloy); Le Latin Mystique (Remy de Gourmout); Nieve (Julian del Casal)


JOURNAUX ET REVUES


 Le défaut d'espace nous empêcha, le mois dernier, de signaler (il fallait plus qu'une mention) l'étude que donna Marcel Schwob à la Revue des Deux Mondes, François Villon, d'après des documents nouveaux. Moins nouveaux, ces documents, que nouvellement combinés, mais sagacement confrontés les uns avec les autres jusqu'à ce que jaillisse l'identité et la véracité de faits et de gestes jusqu'alors pas clairs. Cette notice semble définitive, au moins tant que telle inattendue poussière d'archives n'aura pas été remuée, — et c'est vraiment agréable de lire un tel travail, après qu'un incompétent, sous la tutelle d'un plus incompétent encore, nous infligeait à ce propos (a la portée de peu) une dissertation de vaudevilliste sentimental (qui fut malmenée ici même). Dans la présente étude, il faudrait le savoir spécial de M. Longnon, peut-être, ou de M. Byvanck, pour relever telle hypothèse simplement vraisemblable, mais pas tout à fait vérifiée; du moins certaines appréciations déroutent, et Villon fut-il si foncièrement que cela « petit, faible, lâche » — et eut-il tant « l'art du mensonge », le poète qui semble, en son œuvre, si crûment passionnel ? Les faits disent oui, mais les faits, eux aussi, « ont l'art du mensonge. » Enfin, cela paraît assuré et cela nous donne un Villon pervers, habile a l'attitude, chef de bande, qui fait marcher ses compagnons sans marcher lui-même, retors et adroit à fondre aux mains du prévôt, heureux aussi, car logiquement la potence avait des droits sur lui.
 C'est grâce à l'étude du milieu, des entours, que Marcel Schwob a pu redessiner ce curieux Villon; aussi son article est tout un tableau des mœurs au xve siècle; mœurs des Parisiens, des provinciaux, des goliards vagabonds, des écumeurs enfin, ces compagnons de la Coquille auxquels Villon s'affilia. Comme l'auteur nous le fait avec raison remarquer, cette biographie « permet de juger plus sérieusement l'homme à côté de son oeuvre »; elle est même plus que suffisante. — elle est.

Hermès.


 Une discussion courtoise entre gens de lettres, des écrivains qui veulent bien se donner la peine de comprendre l'adversaire et le réfuter au lieu de l'injurier, le fait vaut qu'on le note. M. Brunetière détourne ses lecteurs d'apporter leur obole pour l'érection d'un monument à Baudelaire. Pourquoi? M. Brunetière, écrit M. Charles Morice dans le Parti National (13 septembre), « a pris un parti dans la vie spirituelle, et selon le mot de Diderot « il y reste attaché ». C'est là sa force. — Hélas, c'est aussi sa faiblesse. Pour ne pas se contredire, M. Brunetière s'entête; c'est la crainte de se tromper qui lui fait commettre ses pires erreurs. Il a des principes qui donnent à sa vie intérieure une forte unité, mais qui la resserrent et la restreignent étrangement. Ses préoccupations de moraliste ont toujours gêné en lui et, à la longue, ont dépravé le littérateur, l'artiste soucieux — d'abord ! — de beauté. Comme il est sûr de ses principes, il réprouve tout ce qui ne s'harmonise pas avec eux : par malheur, il les consulte souvent hors de cause et il arrive que ce juge sévère condamne, alors que « l'espèce » n'est pas de son ressort. C'est pourquoi il est rarement d'accord avec les poètes : à l'ordinaire nous aimons ailleurs, lui et nous, et sa violente attaque contre Baudelaire — fût-elle la première — et c'est une récidive — n'était pas pour nous surprendre. »
 D'autre part, M. Georges Rodenbach, dans le Figaro du 6 septembre, trace ce petit portrait de M. Brunetière : « Son style est austère, protestant. Sa parole aussi, incisive et froide comme un glaçon. Et des yeux qui ont l'air inexorables derrière le givre du lorgnon ! Et le minimum de gestes ! Pas d'ornements pour dire sa pensée. Pas d'ornements non plus autour de lui. Il faut le voir dans ce petit cabinet de travail de la Revue des Deux Mondes où il passe sa vie, vide et froid, avec sur le mur un papier de tenture vert, d'une couleur exaspérante, un casier aux cartons verts, une pauvre lampe avec abat-jour vert. Tout est vert, d'un vert de prairie, acide et implacable, d'un vert nu, sans tableau ni une gravure piquée, ni rien ! Cela aussi prouve combien les idées seules intéressent M. Brunetière; combien l'esthétique dans la vie lui est aussi indifférente que l'esthétique dans les livres. La Beauté ne lui importe pas, mais le texte. Encore une fois, c'est un protestant. »
 Dernière heure. — M. Brunetière déclare dans le Figaro (20 septembre) que son cabinet de travail n'est point vert... Mais il persiste à dénoncer : Une Charogne, de Baudelaire, comme une « idée banale dégradée [encore] au moyen de mots sales >>. Pourquoi M. Brunetière n'a-t-il pas répondu à l'article précité de Charles Morice? II y est justement dit que Une charogne est une poésie hautement spiritualite.

A. V.


 Dans Magasin für Litteratur (20 août), sous le titre de Perspectives de l'Histoire littéraire, une intéressante étude de M. Alfred Kerr sur la genèse des œuvres littéraires. Sans connaître les livres d'Emile Hennequin, M. Kerr critique adroitement la théorie des milieux de Taine. L'écrivain ne fournira plus d'inutiles documents sur les mœurs de son époque, mais de son œuvre on conclura à sa propre personnalité; il sera lui-même l'objet observé et contribuera ainsi en une large part à la connaissance de l'âme humaine. « Wilhelm Scherer a posé comme principe de critique de scruter jusque dans ses détails l'influence que la vie de l'écrivain, l'influence que des modèles étrangers ont exercées sur un ouvrage. » L'essentiel serait de connaître l'état d'esprit du poète pendant la création. Les auteurs font silence ordinairement sur les affres qu'ils traversent pendant le douloureux enfantement de leurs poèmes. Si la joie est grande des premières conceptions artistiques, combien ne sont pas retenus par une insurmontable terreur... du papier. « On verrait d'étranges choses, dit quelque part le compositeur Robert Schumann, si l'on pouvait poursuivre chaque œuvre d'art jusqu'au fond même de son origine. Schiller aimait à écrire, dit-on, en respirant des pomme pourries, Sterne ne travaillait que malade. Pourquoi Richard Wagner ornait-il son appartement d’énigmatiques chiffons et d'inexplicables falbalas ? Novalis avoue ne lire des ouvrages philosophiques que pour y chercher des inspirations poétiques. Quant à M. Ludwig Theobul Kosegarten, qui n'est pas un poète immortel, il ne peut faire de vers que couché sur le ventre.

H. A.


 L'Art Moderne (Bruxelles, nos du 21 août et suiv.) publie une traduction inédite de l'essai de R.-W. Emerson sur le Poète. — « Le signe auquel on reconnaît le poète est celui-ci : il annonce ce que personne n'a prédit avant lui. Il est le seul vrai savant ; il sait, il dit ; lui seul nous apprend du nouveau, car il était seul présent aux manifestations intimes des choses qu'il décrit.- C'est un contemplateur d'idées; il énonce les choses qui existent de toute nécessité comme les choses éventuelles... » Poète: prophète. Voilà qui nous sort un peu des si vaines discussions d'école. «... Nos poètes sont des hommes de talent qui chantent, ils ne sont pas les enfants de la musique. Pour eux, la pensée est la chose secondaire: le fini, la ciselure des vers est le principal... » Rien de changé sous le soleil. « ... Car ce ne sont pas les rythmes, mais la pensée, créatrice du rythme, qui fait le poème ; une pensée si passionnée, si vivante, que, comme l'esprit d'une plante ou d'un animal, elle a une architecture qui lui est propre, elle orne la nature d'une chose nouvelle... Le talent peut folâtrer et jongler; le génie réalise et ajoute... Tout le monde est quelque peu intéressé à l'avènement d'un poète, et nul ne sait combien il peut en profiter... Il dit la parole la plus vraie — entre toutes les paroles qui ont été prononcées — et sa phrase sera la plus opportune, la plus musicale, la plus infaillible des voix de la terre à ce moment. — Tout ce que nous appelons l'histoire sainte atteste que la naissance d un poète est le principal événement de la chronologie... »
 De Nieuwe Gids (Août): De Slag, description de bataille tirée de l'historien arabe Tabari par le Dr G. van Vloten; — Het Beginsel der Psycho-Therapie, par M. Frederik van Eeden ; — deux articles de M. Delang, Filozofie et Zieke Prins; — Eigenndom en de Maatschappelijke Deugd de Zedelijkkeid, par M. F.-M. Wibaut : — Het tegenwoordig standpunt der Crimineel Anthropologie en der Toerekenbaarkeid,par le Dr A. Aletrino; — Anaxagoras of over de smart, par M. Ch.-M. van Deventer; — Dragamosus(suite), par Ary Prins; — Gekken (fin), par M. Jac. van Looy ; — de M. Frans Erens: De Processie et Wind; — Melodie en Gedachte, par M. Alphonse Diepenbrock: excellente prose; — de M. G.-K. van den Bosch, une courte prose : Bleek Mietje, et deux poésies: Woor een lief Meisje et Woor ernstig Meisje; — Kunst, par M. Jun Veth.

A. V.


 En Angleterre, la « petite revue », la revue d'art, la revue sans préoccupations commerciales n'existe pas. Ce genre de périodique, toujours fondé par de jeunes écrivains auxquels sont fermés les journaux à caisse et les recueils à chèques, n'a aucune raison d'être en un pays où soixante magazines, sans compter les américains, prospèrent, appuyés sur un large et solide public. Il n'y a pas, comme en France, un surcroît de copie : la demande couvre l'offre, et tout s'imprime et tout se paie, — bon ou mauvais, pourvu qu'on y respecte « Miss Grundy ». Je ne vois donc à la Pagan Review (dont le premier numéro nous arrive de Rudgwick Sussex) d'autre but avouable que de choquer systématiquement la pudeur de l'honorable et traditionnelle vieille fille. Mais Miss Grundy ne capitulera pas. Elle sait que l'hypocrisie est un solide verrou qui garantit sa liberté, et elle continuera a faire ses mines pourvu qu'on la laisse s'en faire faire d'autres en catimini, se saoûler à l'ombre de sa feinte candeur et se payer les Highlanders dont les muscles lui plaisent.
  Maintenant, il y a sans doute dans Pagan Review un but artistique et même philosophique, — mais le prospectus est obscur et ce qui le suit ne l'est pas moins. D'assez jolies pages, dans le goût de celles qui encombrent les «petites revues », françaises, et, à côté, du pseudo-naturalisme tel que ce roman intitulé The Sangans et où les personnages, français, usent pour ébaubir Miss Grundy d'une langue que l'auteur croit du parisien, mais qui n'est que cet international argot parlé dans les romans suisses — légers. The Black Madonna, par W.-S. Fanshawe, est assez étrange. A la fin, des notes et l'analyse des Pastels in prose, traduits du français par M. Stuart Merrill.
 L'épigraphe est spirituelle : Sic transit gloria Grundi.

The Pilgrim.

 Madame Marholm, dans la Freie Bühne du 15 août (Tribune Libre), consacre un article nécrologique à Arne Dybfest, le romancier norvégien suicidé récemment. « Il était le plus moderne des Norvégiens; Garborg à côté de lui semble être un vrai bourgeois, il était tout à fait norvégien: naïf jusqu'au comique, prenant au sérieux tout ce qu'il touchait, plus au sérieux que ne le fait même la vie dans ses manifestations; il cherchait le raffinement, le raffinement jusqu'au grotesque, jusqu'au manque de goût, jusqu'au ridicule, comme un norvégien barbare s'apprête l'art délicat, rare et difficile de la sensation, — mais dans tout ce qu'il a fait, dans tout ce qu'il écrivit, cet homme semble avoir été entier, sans restrictifs, sans compromis. »
 Sa patrie ne le lui a pas pardonné. La-bas, où les différences de classes sont moins grandes, « l'esprit borné règne plus absolument qu'ailleurs. » Pour rester soi-même, il faut être « poète-né », et quand on s'avise de penser et d'écrire librement sur « le centre organique de l'existence, la femme et la vie sexuelle », disparaître sera le mieux que l'on puisse faire et le plus tôt possible...
 « Dybfest à sauté d'un bateau de pêche en pleine mer, et s'est noyé. »
 Mme Marholm analyse ensuite, avec l'intensité qu'elle seule sait donner à ses si originales pages de critique, les deux nouvelles de Dybfest : Ira et la Solitaire. Il laisse encore un volume : Au milieu des Anarchistes , avec des notes sur Louise Michel, le prince Kropotkine, les Journalistes de la révolte.
 Au même fascicule, une critique de la Débâcle de M. Ledehour, d'exquises impressions de l'exposition de Vienne par M. Bahr, un terne article sur M. Loti de M. Reissner, etc.

H. A.

 Dans la Vita Moderna (4 septembre), une curieuse notice sur le P. Antonino Arguis de Velasco, clerc régulier théatin — et agent théâtral. Cela se passait au XVIIe siècle, à Mantoue, puis à Modène où le R. P. était, de plus, résident pour S. M. Catholique. Il embauchait les ténors et les ballerines, veillait sur la voix des uns, sur les jambes et la vertu des autres. Ses correspondants lui rendent compte de la conduite des sujets qu'il a placés: « ... La Signora Appolonia conserre toujours sa candeur et sa modestie... ». — La même revue annonce une traduction italienne des Cenci de Shelley.

R. G.

 Dans la Revue de l'Evolution (1er septembre), une étude de M. Paul Gabillard intitulée Le Jeux et l'Art : « Les sentiments esthétiques dérivent-ils de l'impulsion du jeu ? — Formulée pour la première fois par Kant et adoptée par Spencer, cette théorie a reçu son expression la plus haute dans les Lettres sur l'éducation artistique de Schiller. — Pour M. Guyau, au contraire, l'art, bien loin d'être la forme supérieure et idéale du jeu, n'en présenterait aucun des caractères saillants et ne serait autre chose que le développement de l'utile et de l'agréable... » L'auteur examine les deux doctrines, puis conclut par un moyen terme : «... L'art n'est ni le dérivatif du jeu ni une forme de l'utilité, mais bien la résultante d'un sentiment sui generis absolument irréductible. » — Dans le même numéro, M. Alexandre Cohen signe une intéressante biographie de Multatuli (Edouard Douwes Dekker, 1820-1887), l'original écrivain hollandais dont il a traduit plusieurs fragments pour la Revue de l'Evolution. Multatuli fut d'abord fonctionnaire supérieur du gouvernement hollandais dans les Indes: « Nommé au commencement de 1856 assistant-résident à Lebak, dans la résidence de Bantam, il s'aperçut aussitôt que la misérable situation matérielle de la population indigène était due principalement à l'oppression et l'exploitation éhontées du régnet indigène de ce district, un prince javanais... soutenu par le résident de Bantam en personne. » S'étant imposé la tâche de protéger les indigènes contre toutes les exactions, il envoya de nombreux avertissements au régent javanais, qui, protégé par le résident, n'en tint pas compte. «... Douwes Dekker se crut enfin obligé de s'adresser directement au gouverneur général, pour réclamer la mise en accusation du régent. — Pour toute réponse, il reçut une missive lui exprimant le mécontentement du vice-roi et lui annonçant son déplacement dans un autre district de Java « où il dépendrait de sa conduite ultérieure s'il pouvait être maintenu au service du gouvernement colonial. » Démission de Douwes Dekker, puis deux vaines tentatives, l'une aux Indes, auprès du gouverneur, l'autre en Hollande, auprès de la Chambre, pour expliquer sa conduite. Et c'est trois ans après, en 1859, que, sous le pseudonyme de Multatuli, conservé dans la suite, il publia Max-Havelaar, «... un livre extraordinaire, étrange, où s'entremêlent la douceur et la colère, le sarcasme impitoyable et le sentimentalisme confinant à la mièvrerie... Livre qui, dans le monde parlementaire hollandais et parmi les marchands de mélasse et de café enrichis par l'exploitation coloniale, fit l'effet d'un pavé lancé dans une légendaire mare à grenouilles... De partout Multatuli reçut des lettres d'injures, de menaces, et il se vit, à la fin, obligé de quitter la Hollande pour habiter d'abord Bruxelles, ensuite en Allemagne, a Nieder-Ingelheim, une petite ville sur le Rhin, où il est resté jusqu'à sa mort, survenue le 19 février 1887. — L'œuvre de Multatuli est considérable, et il a bouleversé complètement les conceptions littéraires en Hollande. Depuis l'apparition du Max-Havelaar jusqu'en 1887 il a publié treize volumes in-8 d'une impression fort compacte, au total quatre mille pages. D'un style mordant — tenant de Henri Heine et de Voltaire — la lecture de ses écrits, en dépit du peu d'esprit de suite, peut-être à cause de cela même, offre un charme particulier. »

A. V.

 Mélusine (juillet-août) continue de nous intéresser à l'étude de la littérature et des superstitions populaires, mais malgré de bonnes ou curieuses contributions, soit que la matière s'épuise, soit que les folk-loristes se lassent, les derniers numéros ne valent pas les anciens. Signalons néanmoins deux notes, spécieuses peut-être, mais fort savantes, de M. Duncieux sur « La Belle dans la tour » et sur « La Pernette ».
 A propos de folk-lore, signalons un extrait de La Tradition: Le Folk-Lore du Danemark. I. Proverbes Danois, par le Vicomte de Colleville et Fritz de Zepelin. Les proverbes recueillis sont au nombre de cinq cent cinquante-deux; en voici quelques-uns : « Mettez un mendiant sur un cheval, et tout de suite il prend le trot. — Quand il arrive au pouvoir, personne n'est pire au malheureux que le gueux. — Obtenir une chose par la prière, c'est l'acheter plus cher qu'avec de l'or. — Vouloir n'est point justice. — Les uns fondent les balles, mais ce sont d'autres qui les tirent. » Les auteurs annoncent un recueil de légendes et un recueil de chansons danoises: ces travaux sont les bienvenus.

R. G.

 Excellent numéro de l'Ermitage (août), avec MM. Hugues Rebell, Le Cardonnel, Verlaine, Degron, Paul Masson, Pierre Dufay, Rambosson, Tardivaux, Mazel, etc. Entre autres bonnes choses, un Paradoxe sur la Critique, d'Adolphe Retté, où cet amusant projet de méthode de critique: « Il y a toujours avantage à prendre le contre-pied d'une idée suisse. Partant de là, choisissons cette proposition d'un Genevois inventé par M. Schérer et ressuscité — oh ! très peu — par M. Bourget: « Un paysage est un état d'âme. » Retournons-la et disons : « Un état d'âme est un paysage. » Voilà une base excellente.... »
 Dans les Essais d'Art Libre, une jolie ironie, de Remy de Gourmont, sur Celui qui ne comprend pas : « De tous les plaisirs que peut procurer la Littérature, le plus délicat est certainement : « Ne pas être compris ». Cela vous remet à votre place, dans le bel isolement d'où l'inutile activité vous avait fait sortir : réintégrer la Tour et jouer du violon pour les araignées, qui — elles — sont sensibles à la musique. » Suit la monographie de Celui qui ne comprend pas, :«  fier de Son inintelligence et des loques verbales dont il vêt sa nudité spirituelle, — et il s'exhibe, il fait le beau, et dès qu'on flatte sa vanité, qui est « Ne pas comprendre », un éventail de plumes de paon lui sort du derrière, et sur chaque plume, en guise d'œil, il y a un rond où est écrit: « Moi, je ne comprends pas ! »
 Les publications dites « petites revues », si nombreuses aujourd'hui, furent ce mois-ci particulièrement intéressantes: mais il faudrait deux fois plus d'espace que nous n'en avons pour en rendre compte, et nous devons nous restreindre à signaler les principaux articles. — Aux Entretiens Politiques et Littéraires: L'homme sensible (Paul Adam), La Commune de Paris (Bakounine), .La Chevauchée d'Yeldis, un long poème de F. Vielé Griffîn, Portraits (H. de Régnier), et des critiques littéraires de Bernard Lazare. — A la Jeune Belgique, des poèmes de Fernand Séverin, Emile Verhaeren; Petites études de poétique française: Le Verset la Prose (Iwan Gilkin). — A la Revue Blanche: des Fragments de Nietzsche, un Léon Cladel d'Eugène Morel, Réponse de la Bergère au Berger (Edouard Dujardin). — Au Saint-Graal : Syvle (Jean Moréas); Romans baptisés : article d'esthétique, d'Emmanuel Signoret; La Révolte des Saintes (G. Vicaire), Léon Bloy : silhouette par Rambosson; un Léon Cladel de Degron. — L'Idée Libre, nouvelle série, avec une couverture où un symbolique dessin de Schwabe: Souvenirs sur Richard Wagner (E. Schuré), Bertha (Swinburne), Survivances (E. Besnus), Lamennais (B. Guinaudeau), Gestes (Alfred Mortier), L'Embarquement pour Ailleurs (G. Mourey), Critique'de L'Individualisme et de l'Ecole (Jules Bois).

A. V.


CHOSES D'ART


 L'étonnante administration du Louvre vient encore de se faire ridiculement voler par un habile truqueur; il s'agit du petit bronze qu'elle a acquis récemment et qui n'est qu'une maladroite contrefaçon.
  Tous les musées d'Europe l'avaient refusé, — mais le Louvre est là, providence des faussaires. Déjà, il y a quelques années, on lui a passé un faux Frans Hals que Berlin, Londres, Amsterdam, Harlem, etc., avaient évité, — faux ou si stupidement repeint!
  L'éminent auteur de la Tasse de Thé prépare, dit-on, une « Salle des Gaffes », qui ne sera pas au musée de la Marine.
  A voir,chez Gérard,boulevard Montmartre, La Tribu errante nouveau tableau de Henry de G roux.

R. G.


ENQUÊTES ET CURIOSITES
Curiosités


 Avant Des Esseintes. — « Clavessin pour les Sens. Mettez de suite une quarantaine de cassolettes pleines de divers parfums ; couvrez-les de soupapes, et faites en sorte que le mouvement des touches ouvre ces soupapes: voilà pour le nez. Sur une planche, rangez tout de suite, avec une certaine distribution, des corps capables de faire diverses

impressions sur La main, et puis faites-la couler uniment sur ces corps: voilà pour le toucher. Rangez de même des corps agréables au goût, entremêlés de quelque amertume. Mais parle-je à des gens à qui il faille tout dire?... Nos sens sont tous capables d'une grande perfection ; mais ceux qui n'ont rien vu ne conçoivent que ce qu'ils voient. »
 Esprit, saillies et singularités du P. Castel. — A Amsterdam, et se trouve à Paris, 1765.

A .

 Patriotisme. — De la lettre de M. de Cyrano Bergerac Contre les Frondeurs, écrite, lors du siège de Paris, à la louange de Mazarin:  « Les premiers coups qu'ont en vain tenté les Poètes du Pontneuf (contre la réputation de ce grand Homme) ont été d'alleguer qu'il étoit Italien. A cela je réponds (non point à ces Héros de papier brouillard, mais aux personnes raisonnables qui méritent d'être dés-abusez) qu'un honnête homme n'est ny François, ny Allemand, ni Espagnol : il est Citoyen du Monde, et sa Patrie est par tout. »
 Les Œuvres diverses de Monsieur de Cyrano Bergerac, avec son Pedant joué — A Rouen, chez Jean B. Besongne, rue Ecuyère, au Soleil Royal (s. d.).

Z.

ÉCHOS DIVERS ET COMMUNICATIONS
Le Latin Mystique

 La souscription est close depuis le 20 septembre. Le volume est prêt, mais l'expédition n'en sera faite aux souscripteurs qu'à dater du 1er octobre — ce délai afin de permettre aux personnes en villégiature, ou qui auraient changé d'adresse sans nous en aviser, de nous donner les indications nécessaires. Nous conseillons comme mode de paiement le mandat-poste; nous ferons recouvrer dix jours après l'envoi du volume les sommes qui ne nous seraient pas parvenues.
 A partir du 1er octobre également, le Latin Mystique sera mis en vente, au prix annoncé de 12 fr., chez Léon Vanier, 19, quai Saint-Michel (et au bureau du Mercure de France, mais par correspondance seulement; envoi franco). Il reste des tirages de luxe un ou deux exemplaires de chaque sorte, dont les prix sont ainsi fixés:
   Hollande. 30 fr.
   Violet.... 40 fr.
   Pourpre.. 40 fr.
 Voici la liste des souscriptions reçues depuis la publication de notre dernière livraison jusqu'au 20 septembre:
 Exemplaires Hollande (à 20 fr.): M. Henry Baüer.
 Exemplaires papier teinté (à 10 fr.) : MM. Gustave Boucher, le Dr Rougier-Grangenenve, la Bibliothèque de Blois, MM. Pierre Dufay, R-N. Roland Holst, des Amiorie van der Hoeven, Mme de Maret, MM. W-G Royaards; Jules Nathan, Emile Barbé.
 Errata. Dans la liste complète des souscripteurs publiée le mois dernier, lire : M,. Audry, et non Andry ; MM. Gaston et Jules Couturat, et non M. Georges Bonnamour.
 Enfin nous avons reçu de notre collaborateur Remy de Gourmont la lettre suivante :

« 20 septembre.


  « Mon cher Vallette,
 «  Je serais ingrat et maladroit si; après le succès de Latin Mystique, je n'offrais mes humbles remerciements aux abonnés et aux lecteurs de cette revue, et si je n'ajoutais quelques menues réflexions.
 « Tout simplement ceci le Latin Mystique représentait, au point de vue matériel, un assez gros effort, réclamait des frais relativement élevés ; plusieurs des principales maisons d'édition s'en rendirent compte et refusèrent la partie. Or, ce qui a effrayé de solides commerçants, nous l'avons réussi, — et cela grâce à votre bonne administration et la sympathie intelligente de nos amis proches et lointains. Un libraire n'est donc pas plus indispensable qu'un journal à un écrivain, qui redoute les compromissions. Il fallait le prouver ; c'est fait, — et plus que fait. On dira que ce n'est rien et qu'il faut voir la suite: on la verra.

Affectueusement,

Remy de Gourmont


 Nous recevons la lettre qui suit :
  « Mon cher Vallette,
.  « Il y a dans le Bulletin de victoire rédigé par M. Leclercq quelques inexactitudes, et des omissions, surtout: le commissaire de police n'eut pas à dresser procès-verbal, puisque je refusai de porter plainte, contre mon agresseur, me trouvant satisfait « des coups qu'il reçut » — c'est l'aveu qu'il fit au Matin — et que j'eus plaisir à lui porter (la voilà, la fâcheuse omission, la voilà bien !), à la vérité sans canne.
 « A Dieu ne plaise que je tire vanité d'être solidement construit ! mais, dans l’espèce, je fus content de posséder une poigne vigoureuse.
 « Faut-il l'ajouter? je ne saurais prendre l'engagement de ne plus parler de M. Leclercq.
.  « Quant à vous, mon cher ami, je ne vous ai jamais supposé capable d'une intention maligne envers moi, et je tiens à vous le dire.

« Bien cordialement,

« Willy »


 Voici, à titre de document, la lettre de M. Julien Leclercq insérée par le Matin du 20 août et à laquelle M. Willy fait allusion :

« Paris, le 19 août 1892.

  « A Monsieur le Directeur du « Matin ».
 « Monsieur,
 « M. H. Gauthier-Villars néglige de vous spécifier que:
 « I°» Je ne me suis résigné aux voies de fait que parce qu'il a refusé de me donner par les armes une réparation des injures qu'il m'avait gratuitement prodiguées. Il prouve une fois de plus son aversion pour le duel. Est-ce par philanthropie ? C'est peu probable.
 « 2° Je n'ai à mon tour reçu de coups, après avoir dûment marqué M. Gauthier-Villars à l'œil, que parce que mon agression avait ameuté contre moi tout le commerce de la librairie du quai, qui voulut venger l'attentat sur l'un des siens et lui prêter main-forte.
 « En outre, j'ai frappé mon adversaire le premier pour lui laisser le choix des armes, dans le cas où il se serait décidé à une rencontre. Mais, ni d'une façon ni de l'autre, il n'entend se battre, comme offenseur ou comme offensé. Ceci a de l'importance.
 « Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération très distinguée, et veuillez, je vous en prie, accorder l'hospitalité à ces lignes, — les dernières.

« Julien Leclercq,

« 36, rue des Batignolles.»


« Paris, le 12 septembre 1872.


 « Mon cher ami, le R. P. Junipérien, revenu depuis peu d'un voyage en Biscaye, me commet le soin de vous aviser que l'état déplorable de sa chère santé le contraint, bien malgré lui, d'ajourner aux mois prochains sa lettre à M. Henri Mazel touchant La Fin des Dieux, ainsi qu'une appréciation que j'ai lieu de croire neuve sur le toreo, cet honneur des Espagnes.
 « Le saint religieux me charge en même temps de ses excuses et de toutes ses bénédictions pour vous.

« Mes deux mains,

« Laurent Tailhade. »


 Une note publiée par un grand nombre de journaux laisse supposer que le Mercure de France faisait partie des revues « réunies en Comité d'initiative » pour l'érection d'un buste à Léon Cladel, et annonce formellement qu'il « recueille les souscriptions ». Ce sont deux inexactitudes. L'obligation de les rectifier nous placerait dans une situation équivoque si nous n'affirmions en même temps notre respect pour le défunt.


 La Plume du 1er septembre publie, avec la première liste de souscription pour le monument Baudelaire, la liste des membres du comité, ainsi composé:
 Président d'honneur : Leconte de Lisle.
 Membres: Paul Bourget, Jules Claretie. François Coppée, Léon Deschamps, Léon Dierx, Anatole France, Stephan George, Edmond de Goncourt, José-Maria de Heredia, J.-K. Huysmans, Camille Lemonnier, Maurice Maeterlinck, Léon Maillard, Stéphane Mallarmé, Henri Mazel, Louis Ménard, Catulle Mendès, Octave Mirbeau, Jean Moréas, Charles Morice, Nadar, Prince Alexandre Ourousof, Vittorio Pica, Edmond Picard, Henri de Régnier, Adolphe Retté, Jean Richepin, Edouard Rod,Georges Rodenhach, Aurélien Scholl, Emmanuel Signoret, Armand Silvestre, Stuart Merrill, Sully-Prudhomme, Swinburne, Laurent Tailhade, Auguste Vacquerie, Alfred Vallette, Paul Verlaine, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Emile Zola.
 Il faut ajouter à cette liste le nom de M. Félicien Rops.


 Fin octobre, notre collaborateur Laurent Tailhade publiera Douze Ballades nouvelles pour abominer le Mufle, avec une eau-forte d'après Hermann Paul.


 On annonce pour paraître prochainement à Berlin une revue idéaliste : Blatter für die Kunts, qui sera dirigée par M. Carl Auguste. M. Stephan George, l'auteur de Pilgerfahrten, dont. M. Albert Saint-Paul a traduit naguère un fragment pour l'Ermitage, en sera l'un des rédacteurs.


 Notre confrère M. Léon Deschamps, Directeur de la Plume, épouse, le 27 septembre, Mlle Claire Grigny.


 Sigurd Ibsen, le fils de Enrik Ibsen, s'est fiancé à Bergliot Bjœrnson, la fille de Bjœrnstjerne Bjœrnson. Le Figaro, qui le premier communiqua cette nouvelle, a parlé d'une inimitié mortelle qui existerait entre les deux pères, tandis qu'au contraire la belle Bergliot a passé presque tout l'été à Christiania, chez Enrik Ibsen, et que, d'autre part, Sigurd Ibsen, jeune diplomate, mis en disponibilité depuis lors à cause de son livre révolutionnaire l'Union de la Suède et de la Norvège, a séjourné longtemps à Anlestad, le séjour de campagne du poète politique.


 D'une interview des ouvriers de Roubaix, par M. Jules Huret (Figaro du 7 septembre):
 « Un jeune homme blond, à la face grasse et montée en couleur, à l'œil intelligent, habillé d'une veste de toile claire à raies blanches et violettes, à la manière des garçons bouchers, s'adressa à moi: « — Vous avez lu Gil Blas de Santillane? Vous vous rappelez l’archevêque de Tolède disant sur ses vieux jours: « Je crois avoir fait bonne œuvre dans ma jeunesse et dans mon âge mûr; à présent je suis vieux et perclus: restons-en là, ne compromettons pas ce que nous avons écrit de bien par des œuvres médiocres ou mauvaises. » Eh bien. M. Jules Simon ferait mieux de prendre exemple sur l'archevêque de Tolède que de nous affliger de son gâtisme...
 « Très bien ! Bravo ! cria-t-on dans des rires. »
 Ces ouvrier de Roubaix ne nous paraissent déjà point tant sots. Mais il serait inexact de croire que M. Jules Simon a perdu toute popularité : nous avens reçu de Belgique la lettre suivante, que nous publions, bien que l'insertion ne nous en ait pas été demandée et que le sujet soit fort peu excitant, pour montrer avec quelle bonne grâce nous accueillons nous accueillons les opinions les plus diverses:
  « Monsieur,
 « Permettez-moi de vous dire que le critique qui signe P. Q. dans vos colonnes est vraiment indigne du Mercure de France.
 « Je prétends que celui qui appelle Jules Simon un « malfaiteur public « et Musset un « assez mauvais poète » est ivre ou fou.
 « Je défie tout homme en possession de sa raison de ne pas être révolté en lisant ces lignes qui sont un outrage continuel au sens commun ; et je suis étonné de les trouver dans le Mercure de France, que, jusqu'à ce jour, j'avais assez goûté.
 « Agréez, Monsieur, mes sincères salutations, et excusez la netteté de cette protestation,

(Signature illisible.)

« Avocat. »


 « 31 août 1892. »


 Hélas, Monsieur, presque tout notre Recueil est un outrage au sens que vous dites, le commun étant le pire ennemi du bon.

 Après avoir annoncé que M. Gabriel Randon préparait un roman intitulé : L'Imposteur, nous avons reçu de M. Stuart Merrill l'avis que depuis longtemps il travaillait à un roman de sujet analogue, portant le titre de : Un Messie. A son tour, M. Raymond Nyst, dans le Mouvement Littéraire, prend acte pour un volume dont la donnée est identique, auquel il travaille depuis 1891 et qui s'intitulera: Un Prophète. — Au surplus, nous écrit M. Stuart Merrill, « une authoress anglaise, Madame Lynn Linton, s'est emparée, il y a quelques années, du sujet qui nous préoccupe, et a publié un roman, que du reste je n'ai pas lu : Joshua Davidson (Jésus fils de David). Ce qui prouve qu'il faut en tout chercher la femme.»


 Document pour M. Zola (Figaro du 12 septembre): « Lourdes, 10 septembre. — Une jeune fille de vingt-six ans, Mlle Marthe Edmond, venue avec un pèlerinage belge, a succombé hier soir à une attaque d'apoplexie en passant devant la statue de la Vierge. »


 Mesure sanitaire : — « Le Gouverneur de Nijni, le général Baranoff, a dû faire donner cent cinquante coups de knout à l'infirmier Oussoff. qui avait propagé des nouvelles inquiétantes dans le village de Lyskow. » (De la Lettre de Russie de Lydie Paschkoff, Figaro du 31 août.)
 La petite dernière de Nestor (Echos de Paris du 13 septembre): — «  Et ce qui m'attirait, ce n'était pas la beauté pittoresque de Gènes, la joyeuseté de ce peuple si vivant, la beauté des femmes, noires, mais superbes sous le mezzaro blanc, casquées d'admirables chevelures éburnéennes...»

PETITE TRIBUNE DES COLLECTIONNEURS (1)


  on achèterait :


Villiers De L'isle-Adam : Œuvres Compl. ou vol. sép.
Paul Margueritte: Pascal Géfosse et Jours d'Epreuve (éd. or.).
Hegel : Philosophie de l'esprit.
J.-.K. Huysmans : A Rebours (éd. or. hol. ou jap. br.).
Ernest Hello : L'Homme.
Entretiens Politiques et Littéraires : nos 2, 4, 5, 6, 7.
Les Taches d'encre : n° 3.


  on vendrait :


Pierre Quillard : La Gloire du Verbe

3 fr. 50

Ernest Raynaud : Les Cornes du Faune

3 fr.

Henri De Régnier : Apaisement, éd. or. hol., av. envoi d'auteur (nom du destinataire gratté) .

5 fr.

  Sites, éd. or,

4 fr.

Jules Laforgue : Derniers Vers (hors commerce)

35 fr.

Edouard Dujardin: Pour la Vierge du Roc Ardent, frontisp. en coul. d'Anquelin (ép.).

12 fr.

Paul Verlaine : Liturgies Intimes, éd. de luxe publ. à 20 fr. (hors commerce)

12 fr.

  Fêtes Galantes, av. ill. à l'aquarelle dans les marges Ppar Causé (ex. uniq.)

60 fr.

  Romances Sans Paroles, av. aq. orig. par Hénard (ex. uniq.)

60 fr.

  Choix de Poésies, av. Pportr. par Eugène Carrière, éd. or. br.

6 fr.

De Goncourt : Madame Gervaisais, prem. éd. in-8°

6 fr.

Arthur Rimbaud : Illuminations et Saison En Enfer, Holl. av. ill. orig. à l'aquarelle par Causé (ex. uniq.)

100 fr.

Tristan Corbière: Gens de la mer, jap., dess. et aq. orig. de P. Léonnec

25 fr.

Stuart Merrill : Les Fastes, av. aq. orig. de Causé (ex. uniq.)

75 fr.

Stéphane Mallarmé : L'Après-Midi d'un Faune (1887) éd. holl.

2 fr.

Th. Simons : L'Espagne, holl., dess. de Wagner, gray. sur bois, ex. en feuilles (ép.)

50 fr.

Jean Dolent : Le Livre d'Art des Femmes, Amoureux D'Art, Petit Manuel d'Art, 3 vol. av. env. d'auteur; L'Insoumis (ép.) : 4 vol. orn. d'eaux-f. de T. Ribot, Eug. Carrière, Eug. Millet

10 fr.

Jean Moréas : Le Pélerin Passionné

3 fr. 50

Maurice Barrès : Le Quartier Latin, plaq. ill. (rare)

2 fr.

Dr A. Tardieu: Les Attentats aux Mœurs, av. 3 pl. grav. (1862), mauv. état

2 fr.

Remy de Gourmont : Sixtine, éd. or. br.

3 fr. 50

Léon Bloy : Le Désespéré

3 fr. 50

Revue Indépendante (1884-85, prem. sér.) : 9 numéros sur les 13 parus : 1, 2, 3, 4, 6 du tome I ; 2, 4, 5, 6 du tome II

8 fr.

 Le numéro séparé

1 fr. 25

  (Nouv. sér.) : 50 numéros (1 à 44, 48 à 50, 52, 53 et 58 , comprenant coll. Dujardin non coupée

55 fr.

Revue Wagnérienne: Nos 10 et 11 prem. année; nos 1, 2, 3, 7, deuxième année. Le numéro

1 fr. 50

La Vogue : n° 1 tome IV

1 fr.

Odilon Redon : Sous L'Aile d'ombre et Lueur précaire, 2 pl. extraites de Songes

20 fr.

 Une des deux pl.

12 fr.

Catalogue de l'Exposition Impressionniste (1889), ill. par Gauguin, Bernard, etc.

2 fr. 25

Mercvre.


 (1) Au Mercvre de France, le mardi, de 3 à 6 heures, ou par correspondance. — En sus des prix marqués, frais d'expédition et, s'il y a lieu, de recouvrement.


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