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À Louis Denise
Ah ! comme je regrettais le coin de wagon où,
rudement bercé, je rêvais à des paysages plus inquiétants que les moulins muets, les clochers
seuls, les pommiers penchés et les dolentes masures, — sous la brume nocturne, le sommeil
exaspéré d'une nature enfin libérée du soleil et du
rire, des sueurs et des pleurs !
Témoin choisi des cérémonies prévues d'un mariage, je venais assister mon camarade, Albéric
de Courcy. Déjà, tels amis avaient, pour de pareilles fêtes, requis ma complaisante indifférence :
je ne me permets jamais de prendre une trop visible part aux joies des autres, ni à leurs deuils ;
ma tenue est la dignité affectueuse, et le sourire
habituellement morne et assez doux de mes yeux, grisaille, leur fait pardonner les flammes qui parfois signalent la révolte d'un regard résigné.
Nul messager : on ne m'attendait que le lendemain matin. Je fis le trajet, trois quarts d'heure de
marche par les bois, en évitant les clairières et la
fadeur de l'éternel clair de lune.
Sans trop m'émouvoir de l'absurdité d'une survenue, la nuit, dans une maison endormie, j'invoquai pour découvrir le château des Joncs le souvenir d'antérieures visites : la grille n'était encore
que poussée.
Aucun chien ne hurla, j'avais l'air d'un habile voleur.
Je franchis des gazons qui abrégeaient le cercle
des grandes allées et, au détour d'un groupe de
syringas, oh ! parfum cruel ! j'aperçus, dans la