Page:Mercure de France tome 003 1891 page 016.jpg
Avant de quitter la tour d'argile, l'avisée ménagère a mis des cendres sur le foyer de mon cerveau, pour que le charbon des idées s'use le moins possible en son absence. Je me la figure parmi la couleuvre chagrine des amis et parents. Les villageoises, la regardant, doivent
caqueter : « L'étrange étrangère qui n'est point mise ainsi que nous?! » Peut-être un clergeon rapide s'étonne d'avoir passé au travers d'Elle comme au travers de la fumée des encensoirs.
On enterre le Boucher du pays.
Mon Corps, tributaire du défunt, n'a pas daigné se déranger. Mon Ame alors — craignit-elle qu'autour des lampes l'on jasât? — partit sous son fichu d'éternité. Jamais, j'y songe, elle ne se servit chez le Boucher, se nourrissant d'abstinence. Elle est allée, quoique cela. O dentelle de la pudeur! ô mandoline de la délicatesse! ô la chrétienne de l'exil! ô la phalène des bûchers!
Voici qu'en l'air ça tinte !!
Morne clocher : forge dolente ou ruche du malheur dont les cafards sont les abeilles. Ça dégouline larme à larme et grince dent à dent. La chose lugubre inonde mon Corps par les soupiraux des sens. Mélancolie la parasite va-t-elle, en l'absence de l'Autre, s'imposer? Oh ça tinte, ça tinte, ça tinte ! Je ne sais déjà plus si j'entends les cloches, si je les respire, si je les mange, si je palpe des écus qui seraient des voyelles, si je contemple du vacarme comme en l'épinaline image de quelque bataille de Bonaparte...
Dans cette passivité, j'exprime ces vers fols que blâmera la foule sage, vers tracés, au hasard de la sensation, avec peut-être tout mon corps sur l'énorme page verte de la falaise :
Mes pareilles
oreilles
sablent vos tangibles parfums,
grands liserons communs,
étincelants tribuns
des vifs matins
et des vêpres éteints,
des nés jolis et des vilains défunts.
Cloches,
bénévoles
poches,
sommelières des sons frivoles
qui convolent
volent,