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Quand vogue le Désir au lent fil de mes veines,
Variant, sur mes nerfs, ses thèmes émouvants,
En artiste blasé des barcarolles vaines
Qui sut approfondir l'art des rythmes savants ;
Quand le Magicien, hôte de mes nuits blanches,
Ressuscite ton corps disparu dans mes draps
Imprégnés des moiteurs lascives de tes hanches
Et des parfums troublants dont tu frottes tes bras ;
Que mon esprit et ma raison, mis en déroute,
S'égarent brusquement en un songe anormal,
Où tout mon être aspire à te posséder toute,
Au milieu de frissons qui feraient un doux mal ;
J'ai parfois évoqué des alcôves funèbres,
Qu'éclaire, par moment, un feu follet lutin,
Surgi de l'éternel empire des ténèbres
Comme un rayon monté d'un vieux monde incertain.
Or, aux heures de paix et d'analyse calme,
— Lorsque l'âme descend sur les sens endormis,
Tel qu'un veilleur pensif agitant une palme,
Pour répandre l'air frais sur le sommeil d'amis, —
En songeant, sans luxure, au charme de tes poses,
À ton œil orageux traversé d'un éclair,
Bien souvent, loin de toi, je médite ces choses,
Attentif aux conseils que m'a criés la chair.
Et je pressens alors quelles fortes empreintes
Nos baisers laisseraient dans nos seins exaltés,
Si nos spasmes d'amour s'interrompaient de craintes
Où l'âme aurait sa part de larges voluptés.