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Les fumées montent comme des folles vers la
clarté du pays bleu ; elles partent en guerre, les
fumées, contre l'implacable azur.
... Oh ! Les fumées furieuses, les fumées désespérées,
les fumées mauvaises, les fumées inutiles,
les fumées malades, les fumées humbles.
Les longs mufles tendus des usines lancent des
tourbillons noirs striés d'étincelles rouges, crêpe
lourd d'un deuil larmé de sang, et les spirales
effroyables montent, montent à l'assaut du jeune
éther, de l'éther divin, éternellement radieux. Elles
se ruent dans le vide, les fumées furieuses, s'étalent
pour salir, se replient pour souiller plus profondément,
se condensent pour engendrer les
foudres. Elles déploient l'étendard sombre des
cités écrasées par le travail, elles hurlent, elles se tordent, elles cherchent les étoiles pour les voler,
comme les pauvres, farouches, volent les pièces
d'or... Et le soleil, au matin, les dévore peu à peu,
les dissout, les déchire de ses rayons railleurs ; elles deviennent brumes tristes ; ce nuage léger
qui fuit l'aurore s'en va loin, n'importe où, pleurer
sur des montagnes inconnues toutes les misères dont est plein...
Les voilà, sortant du champ de bataille, les fumées désespérées, faites d'âcres senteurs de poudre,
blanches, à reflets écarlates, puis d'un violet
sinistre, balançant leurs aigrettes chaudes aux
sommets des arbres tremblants. Les voilà, les rapides,
les coléreuses, elles montent, montent,
portant des clameurs de victoire ou de terreur.
Quelquefois, elles sont toutes jaunes en passant
sous le soleil, elles ressemblent à de la chair éten-