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A Remy de Gourmont.
Ainsi par les brûlants soirs de rêve,
Psalmodiant tous les vœux railleurs,
Comme un décor d'opéra, se lève
L'ironique beauté de l'Ailleurs
― Jeune homme ! ton désir jeune et vague
Vole à l'inconnu de ma beauté.
Partons ; la mer est bleue et la vague
Soupire à ton départ enchanté.
Pourquoi rester dans la cage noire
Où ta fierté s'ankylose en vain ?
Ma voix t'ouvre une porte de gloire
Sur l'horizon frais de mon matin.
Viens : Le matin frais comme un sourire
Berce la trame frêle des mâts.
Les mâts frêles ont, comme les lyres,
Des cordes où le vent rit, là-bas.
Oh ! là-bas, le soir, la voile rose
A le vol d'un oiseau fabuleux,
D'un oiseau qui jamais ne se pose
Sur l'Iceberg-Réel, trop frileux.
Tes désirs du Réel, éphémères,
Sont morts, dans les dégoûts gangrenés.
Pleure. On a bien vu pleurer des mères
Sur la tombe des enfants mal-nés.
Oh ! bien morts, tes désirs misérables !
Les amours de jadis sont bien morts !
Mais les nefs aux voiles secourables
Rêvent là-bas, prêtes aux essors.
Viens : on mettra des tapis de mousse
Sous tes pieds qu'ont meurtris les graviers.
N'est-ce pas que ma chanson est douce ?
A mes concerts peu sont conviés.
Viens dans mon empire inaccessible.
L'empire du désir immortel,
Du désir, voyageur inflexible
Qui ne dort pas au mauvais hôtel.