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A José Mara de Hérédia.
La brise bonne de la Rêverie me poussait à
l'aventure, emmi les fermes de pain bis, sur le solide fleuve des routes qu'enrivage l'espérance tendre où pâturent les moutons, ces quenouilles vivantes.
Un peu partout, sous les coqs de métal, en les donjons divins, tintaient, à rhythme égal, les gros sous d'existence versés par l'aile des moulins et la nageoire des charrues.
Solitaire, j'allais ; m'effaçant une fois seule devant la naïve diligence vieille : guêpe au dard de fouet qui, de village en village, voltige et cueille l'animé butin qu'amassera tantôt la ruche de la Ville.
A certain coude du chemin, sans doute rendez-vous de l'adieu des Conscrits, je vis un Calvaire soudain.
Le Christ était à deviner, tant il était usé !
Cela s'arborait près d'un if séculaire aux petits fruits pareils à des gouttes de sang.
Or j'eus beaucoup de peine, car Jésus semblait davantage pâtir en sa décrépitude. Il n'était plus que quelque chose de pendu : comme un chiffon de pierre oublié là jadis, et plus jadis encore, par un gars d'avant l'Age des Lances et des Clous.
Alentour... somnolaient les grandes fleurs de Solitude.
Je dis :
— Que je te plains, Crucifié, d'être si dévasté !... Mais pourquoi telle misère maigre ?.. T'avait-on pas appendu bel et grandiose au Sycomore de granit où je te vois à peine avec les yeux de l'âme ? Réponds,