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LA FILLE DE LOTH
A Camille de Sainte-Croix.
Le plaisir sortait furieux, tel qu'un jet de fonte ardente et rouge : Loth s'affaissa sur la chair de l'opprimée. L'idée du sang le tourmentait : « Quelle bouche, ou quelle blessure de virginité a revomi sur ma face ? » Le flot du vomissement cloîtrait ses yeux, scellait ses lèvres, aveuglait, comme un masque, le torrent de son haleine.
« L'Autre : elle avait nom la Mère... Quelle confusion dans les générations!... Avec l'autre, ils allaient au plaisir en des tremblements de saints qui tomberaient à l'impureté, — mais l'Exultation, fantôme exquis né de leurs souffles, planait, le front haut et rayonnant, tout paré de fleurs fraîches.
« Celle-ci : quand la mère fut morte, Loth aima sa fille, la fille de Loth; il l'aimait d'une sensualité de prêtre chaste, il se mortifiait...
« Vainement !
« Elle dormait... C'était tantôt, non, c'était il y a un instant, un seul instant... Elle dormait. Elle ne cria point. Sa mère non plus n'avait pas crié. Ah ! c'est ma fille, ma vraie fille, — mais quelle confusion dans les générations futures !
« Elle dormait, elle ne dort plus. Évidemment, — et c'est surtout désagréable parce que de quels yeux irrespectueux ne doit-elle pas, en ce moment même, fixer son père; de quels yeux sournois et, qui sait ? goguenards, des yeux à cracher dedans... Si elle pleurait, au moins, je la consolerais. J'ai envie de la battre !
« Ah ! voilà que le masque se recollait sur sa figure, et ses membres ligotés ardaient en un enfer