Page:Mercure de France tome 004 1892 page 056.jpg
- Camille aux yeux clairs, ô Camille m'amie,
- Pourquoi donc rêver, pourquoi rêver sans fin?
- Si ton cœur, Camille, ne sommeille mie,
- Aventurons-nous au hasard du destin.
- Ma chère, tes yeux réfléchissent la grâce
- D'un parc que caresse un soleil indulgent
- Et qui s'émerveille quand la brise passe
- Dans les hauts bouleaux au feuillage d'argent.
Camille aux yeux clairs ferma le Livre des Merveilles, et d'un geste lent, presque à regret, abaissa les deux Gryphons du fermail. En s'agrafant, les plaques de précieux métal vibrèrent longuement et douloureusement; elles vibrèrent comme deux cygnes blessés à mort, et le Livre fut scellé pour l'éternité des Temps.
Camille aux yeux clairs quitta la cathèdre d'or et d'ivoire où, durant les heures magnifiques, elle s'accoudait pour les adolescentes rêveries brochées d'extases. Un palpitement d'ailes frémit dans les plis des rideaux, et, lorsqu'elle ouvrit le vitrail orfévri que nulle main profanatrice n'avait encore souillé d'un attouchement, les oiseaux familiers qui naguères la baisaient aux lèvres et picoraient sa chevelure, les fabuleux oiseaux de songe s'abattirent sur les dalles, les ailes grand'ouvertes, et moururent.
Mais elle ne vit point leur agonie.
Fascinée par la jeune aurore dont elle contemplait pour la première fois les mousselines et les moires, Camille aux yeux clairs, penchée sur la balustrade, rêvait un rêve plus beau que les plus beaux rêves inscrits au Livre des Merveilles.
... Des vapeurs roses flottaient sur le ciel, sur le ciel d'un vert pallide et pur comme un ciel de missel. Des ondes blanches, si légères, qu'elles s'évanouissaient presque dans la viride tonalité du large, passaient lentes et flottantes, semblables à