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Ta chaste bouche a dit les prières pieuses,
Et, ravie à la terre où l'azur est menteur,
Parmi l'harmonieux choeur des Victorieuses,
Tu chanteras les hymnes de ton Rédempteur.
O Douce, déjà la main des Anges constelle
Tes cheveux d'or divin et de joie immortelle.
La voix des cors émeut les montagnes obscures,
La chaste cruelle hurle par la forêt.
« Nous verrons s'il pourra te sauver des morsures,
Le Dieu que ta prière illusoire adorait. »
La chasse farouche bondit dans la clairière.
« Non, tu ne trouveras nul antre où te cacher. »
Le cor sonne ; et voici la Vierge printanière
Qui surgit glorieuse au faîte d'un rocher.
« C'est, Jésus, en ta parole que je me fie ;
Tu m'as ouvert les yeux et je t'aime, ô Martyr.
J'ai baisé tes pieds nus et sanglants : prends ma vie,
Elle est tienne, et je suis préparée à mourir. »
Et le Père a crié : « Mes regards voient l'aurore.
J'ai péché, Jésus, Dieu d'amour, et je t'implore. »
« O lointaine douceur des flûtes vespérales ...
Entends les flûtes t'appeler vers les jardins
Où tu pourras cueillir les fleurs impériales,
O Belle qui resplendis comme les matins.
Entends la voix des flûtes d'amour, ô Suzanne ;
O ma radieuse Impératrice, je veux
Te vêtir d'or lucide et d'argent diaphane
Et couronner de ma couronne tes cheveux. »
— « Je ne m'égare pas, loin de la route pure,
Par les chemins hantés des serpents et des loups.
Sous mon voile et sous ma robe de brune bure,
Je veux rester fidèle à Jésus, à l'Epoux. »
Oh, sur les noirs créneaux de la prison dolente,
Comme elle sourit, la tête blonde et sanglante.