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Aux marges neuves d'un bel évangéliaire,
L'Abbesse peint des colombes et des griffons;
Elle peint des rameaux d'olivier et de lierre
Ou des Anges volants parmi des ciels profonds.
Là, Jésus dort en un berceau de paille fraîche;
Et voici les trois Rois Mages et les Bergers
Que l'Etoile guida vers la divine crèche
Avec les vases d'or et les fruits des vergers.
La sage Abbesse peint de douces rêveries,
Le Précurseur, grave et maigre, et vêtu de peau,
Et le Seigneur qui dans les mystiques prairies
Veille sur les brebis de son chaste troupeau.
Et la tête de Christ saignant au mur se baisse
Pour mieux voir et sourit à la savante Abbesse.
« Vous, qui m'avez permis d'aimer et de souffrir,
Soyez béni, Seigneur, Roi des grandes batailles.
Qu'elle est douce, la meurtrissure des tenailles,
A la Vierge pour qui vos palais vont s'ouvrir. »
Elle chante. Des feux d'opale et de saphir,
Des feux cléments et doux traversent les murailles ;
Des Anges font brûler, en des vases d'écailles,
Tous les baumes de l'Arabie et de l'Ophir.
Elle chante ses chants, la voix joyeuse et sûre,
Et ne frissonne point de la rude blessure.
D'où sort éperduement le sang chaste et vermeil.
Le bonheur embellit ses prunelles décloses;
Et son corps apparaît glorieux de soleil,
Tel un jardin de lys où flamboieraient deux roses.
A.-Ferdinand Herold.