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A GRANDES GUIDES
Le fiacre s'arrêta. Les trois amis en descendirent des cannes hydrocéphales, si lourdes qu'ils les portaient à bras tendu, pour montrer leur force. Ils étaient bruyants, fiers de vivre, vêtus à la mode éternelle. Chacun avait une route nationale dans les cheveux.
Le premier dit : « Laissez donc, j'ai de la monnaie ».
Le second : « J'en veux faire ».
Le troisième : « Vous n'êtes pas chez vous, ici », et au cocher : « Je vous défends de prendre ! »
Longtemps ils cherchèrent , ouvrant avec lenteur, une à une, les poches de leurs bourses, et, tandis que le cocher les regardait, ils se regardaient obliquement.
Le premier apportait pour bébé un polichinelle bossu par devant, bossu par derrière, et singulier, car plus on le maltraitait, plus il éclatait de rire.
La maîtresse de maison dit : « Voilà une folie ».
Le second apportait un bouledogue trapu, à mâchoires proéminentes. Il était en caoutchouc, coûtait dix-neuf sous, et, quand on lui tâtait les côtes, il pilait comme un oiseau.
La maîtresse de maison dit : « Encore une folie ! »
Le troisième n'apportait rien ; mais du plus loin qu'elle le vit entrer, la maîtresse de maison s'écria :
— « Je parie que vous avez fait des folies ! venez ça, vite, que je vous gronde ! »