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Surpris, effaré, je regarde attentivement autour de moi : tout est en place et il n'y a pas de confusion possible. Ce microscope est le mien, je me servis hier de ces flacons... Comment, alors cette incursion dans une âme étrangère, cette transfusion à laquelle je dois avoir parcouru à nouveau les stades émouvants qui précédèrent sa mort, n'a-t-elle pas interrompu tous mes actes ? Que s'est-il passé ?
J'ai interrogé mon aide. Il n'a absolument rien remarqué d'anormal chez moi. J'insiste : il maintient sa réponse. Il m'a vu continuer la nécropsie, prendre les pièces anatomique et me rendre au bâtiment où je suis en ce moment, pour les mettre à durcir dans la solution d'usage.
C'est donc vrai ! Une partie de mon être vaquait à ses occupations, tandis que l'autre revivait une terrifiante agonie. Eh bien, oui ! Cette funèbre fantasmagorie, coexistant avec des travaux multiples, encore que ne nécessitant pas un concours intelligent, est possible, et, après réflexion, je ne devrais pas concevoir une surprise telle, moi qui sais des cas de ce genre, en ai observé, en connais le mécanisme. Pourtant, un étonnement inquiet me poursuit, je ressemble à un homme qui possèderait la géographie parfaite d'une contrée, en aurait lu d'exactes descriptions topographiques et se trouverait transporté sur les lieux mêmes : je crois que, malgré ses notions antérieures, il ne manquerait néanmoins pas d'être dépaysé.
Et je me surprends à douter de ce songe singulier, à chercher de craintives et de superstitieuses interprétations.
Je prendrai du bromure, dès ce soir.