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reconnus et je me mis à l'aimer comme une sœur. Mais avant cela, un jour qu'elle s'apprêtait à se baigner dans le Tibre, je lui tendis la main et la menai vers le fleuve. En la regardant, je me disais en mon cœur : Je serais heureux de posséder une telle femme, si belle et si honnête. Je pensais cela et pas davantage. Or, quelque temps après, en me promenant avec ces pensées, je rendis hommage, à la créature de Dieu, songeant combien elle était magnifique et belle. Et m'étant promené, je m'endormis. Et l'Esprit me ravit et m'enleva vers la droite, en un lieu où un homme n'aurait pu marcher. Car c'était un lieu plein de rochers et abrupt, et impraticable à cause des eaux. Quand j'eus franchi ce lieu, j'arrivai dans une plaine : et, les genoux fléchis, je commençai de prier le Seigneur et de confesser mes péchés. Et comme je priai, le ciel s'ouvrit, et j'aperçus cette femme que
j'avais désirée, me saluant du haut du ciel et disant : Hermas, salut. Et moi, l'apercevant, je luis dis : Madame, que faites-vous là ? Et elle me répondit : J'ai été reçue ici pour dévoiler tes péchés au Seigneur. Madame, demandai-je, les dévoilerez-vous vraiment ? Non, dit-elle. Mais écoute les paroles que je vais te dire. Dieu, qui habite dans les cieux et qui de rien a créé toutes choses et les a multipliées pour sa sainte Eglise, Dieu est irrité contre toi : parce que tu as péché envers moi. Répondant, je lui dis : Madame, si j'ai péché envers vous, où, en quel lieu et en quel temps vous ai-je jamais adressé une parole déshonnête ? Ne vous ai-je pas toujours estimée comme une dame ? Ne vous ai-je pas toujours révérée comme une sœur ? Pourquoi donc m'accusez-vous d'actions si abominables ? Alors, se mettant à rire de moi, elle dit : En ton cœur est montée la concupiscence du mal. Et ne te parait-il pas que c'est une laide chose pour l'homme juste que la concupiscence du mal soit montée dans son cœur ? C'est un péché pour lui, un très grand péché. L'homme juste en effet pense des choses justes. Et c'est en pensant des choses qui sont justes et s'avançant dans cette droite voie qu'il trouvera au ciel un Seigneur propice à sa cause. Mais ceux qui pensent en leur cœur des choses défendues assument la mort et la captivité : surtout ceux qui aiment ce siècle et qui se glorifient dans leurs richesses : et ceux qui ne pensent pas aux biens futurs, leurs âmes sont vidées de tout. Ainsi font les