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Les vers du Vercingétorix sont d'une fort honnête médiocrité. M. Schuré a d'ailleurs commis une faute en morcelant son drame, car c'est une grave erreur de croire qu'il suffise de représenter une scène ou deux d'une œuvre quelconque pour en faire apprécier les qualités. Ce procédé de marchand de comestibles peut avoir sa raison d'être dans nos conservatoires nationaux et les soirées familiales, mais je doute, qu'il soit goûté du public auquel s'adresse M. Paul Fort.
Avec le Premier chant de l'Iliade, nous tombons dans le grotesque. Au cours d'un article que publia l'Endehors au lendemain de la représentation, M. Jules Méry s'excusa, fort spirituellement du reste, d'avoir porté des mains profanes sur le chef-d’œuvre des âges antiques. Cela me met à mon aise, et, puisque M. Méry ne se fait aucune illusion sur la valeur de son adaptation, je ne crois pas le trop chagriner en écrivant ici tout le mal que je pense du tripatouillage homérique qu'il commit de complicité avec M. Victor Melnotte.
A vrai dire, et pour être impartial, tout n'est pas absolument condamnable dans ce pensum qu'infligea le tyrannique M. Paul Fort à deux poètes non dépourvus de talent. Quelques scènes sont bien traitées, et on rencontre de ci de là plusieurs vers de bonne qualité; mais, hélas ! ils sont tellement égaillés en tirailleurs tout le long des 4 tableaux, ils sont si bien perdus parmi les plats alexandrins qui forment le gros de l'armée, qu'il faut une oreille véritablement exercée et une attention soutenue pour les discerner au milieu de ce classique fatras. Le pire de cette interprétation c'est que, par plus d'un côté, elle fait invinciblement songer aux lugubres farces qu'élaborèrent Offenbach et ses acolytes pour la joie des crapuleux goujats du second empire. La mise en scène d'ailleurs n'était pas faite pour dissiper cette illusion, et il eût fallu être surérogatoirement naïf pour s'en rapporter au programme, qui annonçait fallacieusement « des costumes reconstitués d'après les documents authentiques ». Le casque d'Akilleus copiait fidèlement le casque de pompier de M. Boussigneul dans la facétieuse comédie qu'on sait, et, pour le reste, certain journaliste a pu dire, sans altérer la vérité, que la scène du Théâtre d'Art, ce soir-là, ressemblait à un char de mi-carême.
Après avoir assisté au partage du butin et avoir écouté paisiblement le récit de la peste, le public commençait à s'... Homerder ferme, lorsqu'un monsieur correct, gagné sans doute par la colère du bouillant Akilleus, se rua sur un inoffensif jeune homme, son voisin, et le gifla d'importance. Flic, flac ... Cela fit diversion. Les spectateurs intéressés se hissèrent incontinent sur les fauteuils, et, suivant les us et coutumes, des cris d’animaux furent proférés. Cet intermède rasséréna tous les visages, et, à part quelques fumistes qui continuèrent à se souffleter pour rire dans une loge du fond, on écouta jusqu'au bout sans broncher. Dans un Olympe simulant de remarquable façon la façade de la Cour des Comptes (le parapet du quai n'avait pas même été oublié), on assista aux agapes des dieux, puis la toile tomba au milieu d'un tonnerre applaudissements folâtres