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un peu toqués, et M. Alphonse Daudet, en maintenant ses personnages dans la vraisemblance et en inventant d'autres évènements, nous eût tout aussi bien montré l'affection de Fagan pour ses filles, son abandon, son isolement et sa détresse de coeur au milieu d'une vie enviable d'apparence; et le roman eût profité d'une intégrité qui lui manque.
A.V.
Le Cuirassier blanc, par Paul Margueritte (Lecène et Oudin), — Des nouvelles sentimentales écrites avec la désinvolture d'un auteur de bonne compagnie, qui se sent un peu fourvoyé dans le journalisme prétendu littéraire. La moins solide est, je crois, le Cuirassier blanc. Une des meilleures, Près de la mort, contient deux ou trois touches savantes et fines dignes du peintre de Tous Quatre. L'inceste, Cousine Mad, Grand Garçon, sont d'un joli ton de névrose enfantine, simples, claires, pourtant angoissantes. Le style de Paul Margueritte est doux-fleurant comme une fleur malade, une belle fleur de couronne mortuaire qui évoque des souvenirs d'enfance troublée par de solennelles catastrophes et des craintes de revenant glorieux. Ce qu'on peut dire de plus juste sur cet état d'âme littéraire est ce que l'auteur en dit lui-même dans sa première nouvelle : « Je pensais trop à ces choses-là. Elles m'entouraient d'une atmosphère de rêvasseries pâles le jour et de songes fiévreux la nuit »
Il est à souhaiter que l'auteur pense moins à ces choses : nous préférons les rudes franchises de Tous Quatre à certaines mélancolies qui sembleraient trop voulues.
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Légendes puériles, par Pierre-M. Olin (Bruxelles, imprimerie de Mme Veuve Monnom.) Les sept brèves histoires, plus des poèmes que des contes, rassemblées ici par M. P-M. Olin forment une des plus exquises petites œuvres où se puissent distraire les imaginations à la fois ingénues et perverses. Transposer dans l'âme de couples enfantins, pour qui tout le mystère du monde réside dans le spectacle de la mer et de la forêt, les aventures cruelles que les jours réservent aux hommes, les montrer qui jouent avec les vagues et en meurent, comme plus tard ils joueraient avec la douleur et en mourraient, simplement, sans avoir même conscience que cette fantasmagorie est fort pénible en soi, c'est d'un artiste très inquiétant et très subtil, et j'en sais peu qui puissent donner un plaisir aussi ambigu de résignation, de tendresse et d'ironie. M. Théo van Rysselberghe a composé, pour illustrer ce livret d'une admirable exécution typographique, sept frontispices d'un charme égal à celui de l'œuvre commentée.
P. Q.
Selon mon rêve, par Elzéard Rougier (Savine). - Selon le rêve de M. Elzéard Rougier, un prince russe fait bâtir un théâtre à Miramare et engage tout un corps de ballet pour représenter le chef-d'oeuvre inconnu d'un jeune auteur, plein de génie. (Voilà, certes, un de ces rêves irréalisables, ou je ne m'y connais pas!...) Il y a la Sérapis, une danseuse de voluptés,