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parle avec un accent de pénible surprise, un regard amusé plein de mépris, d'un mépris si profond que cela en devient presque de la pitié pour l'imbécilité humaine.
« Oui, c'est bien là le vrai Huysmans d’A rebours, et dans le milieu qui fait le mieux ressortir sa personnalité. Avec ce mépris de l'humanité, cette haine de la médiocrité, cette passion pour une modernité un peu exotique, un artiste si exclusivement artiste était sûr, un jour ou l'autre, de produire une oeuvre qui ― produite pour le plaisir même de l'auteur et étant absolument repésentative de l'auteur, ― fût, en un certain sens, la quintessence de la Décadence contemporaine. Et c'est précisément un tel livre qu'a écrit Huysmans, dans son extravagant et étonnant A Rebours. Tous ses autres livres sont une sorte d'inconsciente préparation à ce livre-là ou une sorte d'inévitable suite, à peine nécessaire. L'ensemble de son oeuvre apparait, selon un développement un peu erratique, procéder de Baudelaire pour, à travers Goncourt et au moyen de Zola, aboutir à une surprenante originalité, à une déconcertante déviation de l'ordre logique des choses... »
Après avoir analysé les livres de Huysmans, l'auteur conclut:
« La place de Huysmans dans la littérature contemporaine n'est pas aisée à déterminer. Il y a le danger d'être ou trop attiré ou trop repoussé par ces qualités de singularité délibérée qui font de son oeuvre une sincère expression de sa propre personnalité, elle-même si artificielle et si recherchée. avec des caractéristiques aussi prononcées, aussi exceptionnelles, il lui aurait été impossible d'écrire un roman objectif, ni de se ranger pour longtemps en aucune école ou sous aucun maître... Mais, comme nous l'avons vu, il a subi diverses influences; il a eu ses périodes. Dès le commencement, il possède un style singulièrement piquant, nouveau et coloré... Travaillant sur les fondations de Flaubert et de Goncourt, les deux grands stylistes modernes, il s'est crée un verbe à lui, intensément personnel, dans lequel le sens du rythme est entièrement dominé par le sens de la couleur. Il manipule le français avec une liberté quelquefois barbare, « trainant les images par les talons ou par les cheveux (cette admirable phrase de M. Léon Bloy) le long de l'escalier vermoulu de la syntaxe terrifiée », mais atteignant certainement les effets qu'il cherche. Il possède au plus haut degré ce « style tacheté et faisandé » qu'il attribue à Goncourt et à Verlaine. Et avec son audacieuse et barbare profusion des mots, ― choisis toujours pour leur couleur et leur qualité de vie ― il est capable de décrire les aspects essentiellement modernes des choses comme personne ne l'a fait avant lui. Personne avant lui n'a jamais ainsi réalisé le charme pervers du sordide, le charme pervers de l'artificiel. Toujours exceptionnel, c'est plutôt de cette exceptionnalité que des ordinaires qualités du romancier qu'est faite sa valeur. Ses récits sont délités d'incidents; ils sont construits pour aller jusqu'au moment où il faut les arrêter; ils ne contiennent presque aucune