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soit oppressive, qui ne protège les riches, les forts et les intrigants contre les pauvres; les faibles et les sincères. De plus, toutes maintiennent,comme principe fondamental des sociétés, le principe d'autorité; et les législations des États ont multiplié les cas où un homme, parce que la fortune, la platitude rusée, ou le hasard de la naissance, lui ont permis d'orner ses manches de galons, a le droit de commander — et sans réplique - à d'autres hommes. Quant à la justice, les usurpateurs du pouvoir et du bien-être ont partout oublié son existence; et même, par un raffinement d'hypocrisie, et sans doute avec l'espoir
qu'ils la rendraient haïssable aux opprimés,
ils ont emprunté son nom pour le donner à la
jurisprudence, et, allant plus loin, à la magistrature; et quelquefois à la police.
D'ailleurs, on a si souvent démontré le mal de nos institutions sociales et politiques qu'il serait oiseux, et un peu ridicule, d'entreprendre une fois
de plus cette démonstration. Il n'est pas d'esprit un peu libre, un peu réfléchi, qui, aujourd'hui, n'ait condamné l'actuelle constitution sociale. Beaucoup même, plus passifs, sentent que le mal est maître dans le monde, mais, dominés par l'hérédité
d'habitudes séculaires, croient qu'on le
guérira avec des larmes. Le respect les empêche de réfléchir, et, bien que parfois ils ne soient pas méchants, ils applaudissent à l'oppression, et
continuent à opprimer eux-mêmes.
Parmi les hommes à qui le respect défend toute action, il y en a qui, vraiment, sont d'un ridicule suprême. Ce sont ceux qui assument la tâche de
prêcher à leurs pareils la vie et l'action. Vainement,bien des fois, leur a-t-on demandé : « Vous nous criez d'agir : mais vers quel but entendez-vous que se dirige notre action ? » À cette indiscrète question jamais nul d'entre eux n'a répondu : ils omettent de définir ce qu'ils comprennent par les mots vie et action. Et, de cela, il ne faut pas trop leur en vouloir : il leur était impossible de