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descendant sur le siècle. Un silence avant-coureur pesait sur toutes choses : et j'entendis des voix qu'assourdissaient auparavant les bruits du jour.
L'une d'elles se fit entendre d'abord comme de très loin, de l'autre bout du monde, de derrière l'horizon :
― Pourquoi les hommes sont-ils pleins de soucis ?
Alors, de l'Est, de l'Ouest, la même réponse ; elle souffla du Sud, elle mugit du Nord :
― Ce sont des enfants épeurés de la nuit où éclatera l'orage !
Et une voix encore, une voix solitaire très près de moi, me fit me retourner :
― Pourquoi ont-ils oublié la joie ?
Je voulus répondre, mais une réponse, une même réponse vint de l'Est et de l'Ouest ; elle souffla du Sud, elle tonna du Nord :
― Les hommes n'ont pas le loisir d'être joyeux !
Lorsque le bruit se fut calmé, j'entendis une voix triste murmurer tout bas à mon oreille :
― Dis, dis-nous, toi, pourquoi les hommes ne sont pas joyeux ?
Mon cœur se gonfla, il était plein de larmes :
― Parce que, dis-je, parce que, s'il nous est offert, le grand bonheur nous fait reculer ; parce que nous ne pouvons le regarder en face, sans que les griffes de l'angoisse étreignent notre âme.
La lutte était terminée, le but atteint. J'avais servi mes sept ans pour Rachel, les douze travaux étaient accomplis. Je regardai tout ce que j'avais fait et je le trouvai bon. Alors je sanctifiai le septième jour et le consacrai jour de repos. Rachel était assise à mes pieds, et, autour de moi mon royaume, sous le soleil de midi, reposait.
Les trois sages entrèrent et déposèrent à mes pieds de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Un autre apporta des dents d'éléphant, un troisième