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Tu es plus fine, vieille drogue,
Que Moregard, cet astrologue
Qui fit jadis un roy en l'air,
Tu es plus fine que la Brousse
Et que César, qui va en housse
Dans le sabat, comme un esclair…
Cette verve burlesque se maintient pendant trois cents vers, et, à vrai dire, l'Espadon tout entier, même — et surtout — quand l'image devient lupanaresque, sonne en le plus amusant cliquetis de mots et d'évocations bizarres. Dans ce genre, il faut citer encore la prosopopée du Juif errant :
Je me nomme le Juif Errant
Je vais de ça de la courant,
Mon logis est au bout du monde :
Tantost je suis en Trébisonde
Et puis soudain chez le Valon.
Ma teste aussi n'est pas de plom,
Car je suis né dessous la lune,
Je vis au soir le roy de Thune
Et aujourd'huy le prestre Jau…
Je suis un homme de toute heure,
Ores nouveau, ores ancien,
Ma patrie est où je suis bien.
Son étrangeté parfois tourne à la bouffonnerie ; ainsi le récit de la consultation qu'il a dû requérir d'un médecin, - lequel
Escorche la langue latine
Comme un boucher fait un mouton.
On n'en peut guère indiquer que le passage où il maudît la « haquenée » coupable,
Qui a donné plus de veroles
Que l'océan n'a de sablons.
Femmes ou filles, bourgeoises ou demoiselles, il les aime toutes et les méprise toutes, et voici son opinion en une strophe fort belle:
Amour, tes plus douces paroles
Et tes aubois (22) sont les pistoles.
Si tost que ce soleil reluit,
L'on voit trembler les pucelages,
Comme pendant les grands orages
Les arbres tremblent jour et nuit.
Il est d'une fécondité rare en images bizarres. Sur l'accoutrement d'une vieille femme :
C'est une musique sans notte,
Que le damas de votre cotte: