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ce qu'elle rapporte les opinions qui couraient dans les cénacles de « jeunes » vers 1619. Après avoir loué le grand Théophile,
Esprit hermaphrodite, esprit qui se fait voir
Dans ses doctes escrits vray demon de sçavoir,
Il commence le chapelet des critiques que profèrent contre les maîtres tous ces « rimasseurs »,
Champignons avortés des humeurs d'une nuit.
Tous ces imberbes sots qui
Comme de jeunes ours sont conduits par le nez.
Voilà ce que disaient les « jeunes ours » :
Ils disent que Malherbe emperle trop son stile,
Supplement coustumier d'une veine fertile,
Et qu'ayant travaillé deux mois pour un sonnet
Il en demande quatre à le remettre au net ;
Que ses vers ne sont pleins que de paroles vaines
Et de la vanité qui bout dedans ses veines…
Ils blasment, desgoutez, l'Iris de Delingendes (23),
Disent qu'il estoit bon pour faire des légendes,
Et que, trop familier, vulgaire et complaisant,
Pour se rendre plus dur il parle en paysant…
Disent que Saint-Amant (24) ressemble le tonnerre,
Tanstot voisin du ciel et tanstot de la terre ;
Que les vers de Hardy (25) n'ont point d'égalité,
Que le nombre luy plaist plus que la qualité,
Qu'il est capricieux en diable, et que l'Estoile (26)
Prend un peu trop de vent qui enfle trop sa voile ;
Qu'il se hasarde trop et que, mauvais nocher,
Il ne cognoit en mer n'y coste n'y rocher.
Ils disent, quant à moy (27), que je n'ay point d'estude,
Que tantost je suis doux et tantost je suis rude;
Que Ronsard est pedant, et que tous les auteurs
Qui furent de son temps n'estoient qu'imitateurs ;
Qu'ils ont tout desrobé d'Homère et de Virgile,
Ils n'ont pas seulement espargné l'Evangile.
Mesme ils disent de toy (28) que ton esprit malsain