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unes des autres pour qu'il y ait intérêt à en esquisser l'iconographie. De tous ces poèmes L'Alérion est à la fois le plus énigmatique par ce qu'il signifie réellement et le plus accessible pour qui s'arrêterait à la simple affabulation. Par la prairie où les filles du vieux seigneur cueillent des fleurs, plus loin que la fontaine où les filles du vieux fermier lavent des pièces de toile et que la lande où les filles du vieux pâtre paissent les agneaux, l'Adolescent hautain est passé et il est entré dans la forêt pour y mourir victorieusement, après une lutte avec un ennemi qui n'est pas désigné ; comme il allait aussi vers l'ombre des arbres, l'Oiseau debout au cimier de son casque s'est éveillé brusquement, sans qu'il daigne s'en apercevoir, sauf pour sourire à cette révolte :
- Les chènes hauts ont vu la lutte et le trépas
- Et leur silence seul a su le sort étrange
- De l'Adolescent mort en son armure blanche,
- Parmi les fleurs où son sang clair s'épand en flaque
- Funéraire et qui s'agrandit autour du casque
- Où radieux, battant des ailes, aspergeant
- De ses gouttes les fleurs et l'armure d'argent
- Dont les roses baisaient le métal empourpré,
- S'éployait, victorieux et transfiguré
- D'informe qu'il était d'ombre et de songeries,
- Un grand Oiseau d'azur, d'or et de pierreries.
Ni les filles du fermier ni les filles du pâtre ne voient dans le crépuscule l'essor de l'Alérion, et celles du seigneur ne l'apercevraient pas non plus s'il ne secouait sur elles la rosée sanglante qui dégoutte de ses plumes.
N'est-ce pas là un bel emblème de la pensée qui ne peut devenir libre et s'éployer qu'après avoir, par la mort de tout l'antique mensonge, définitivement vaincu la tyrannie des actions inutiles ou funestes ? Et le vol en est tellement sublime qu'il ne se révèle à personne qu'aux rares élus prédestinés dès l'origine.
Dans La Gardienne et dans La Demeure la nécessité du renoncement est symbolisée d'une manière tout autre que dans L'Alérion. Au lieu d'un pur mythe, où les gestes et les silhouettes des