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personnages sont dessinés avec une certaine raideur hiératique et héraldique, l'idée a revêtu une forme d'humanité plus vivante, moins lointaine, plus sentimentale. Ces deux poèmes sont unis par d'étroites analogies: le sujet en est presque le même ; mais le développement est plus ample dans La Gardienne, et des figures accessoires et, complémentaires ajoutent encore au relief des protagonistes.
Le Maître du château revient à la demeure abandonnée autrefois pour les mêlées furieuses à la demeure où il laissa jadis l'Adolescente bien aimée de qui
- Les mains enchantaient l'aurore autour. d'elle.
Il congédie ses frères d'armés et leur remet son glaive; tandis que ses compagnons s'éloignent, tout le passé revit en sa mémoire, aube d'amour, batailles détestées maintenant, gloire stupide ; et il invoque l'amie d'autrefois :
- Si tes lèvres ne m'ont pas maudit de tout le reproche de leur pâleur
- Si tes tristesses m'ont pardonné de toute la bonté de leur douleur,
- Si ta bouche ne fut pas aride de m'avoir appelé en vain,
- Si tes yeux ne furent point implacables d'avoir pleuré,
- Si ton souvenir me fut doux
- De tonte la peine endurée,
- Si l'ombre du sépulcre (peut-être) garde ta face calme,
- Si ceux qui t'ont ensevelie (peut-être) ont dit :
- Qu'elle est belle et douce dans la Mort
- Et pardonnant dans la mort,
- Oh ! laisse-moi rentrer dans la vieille demeure,
- Je suis celui qui prie et pleure.
Il heurte à la porte; à demi dans l'ombre et voilée, la gardienne l'accueille et, pitoyable, lui ouvre le château de songe et de sagesse.
- Viens, je t'ouvre la porte et si ton âme est vieille
- De tant de soins perdus à son âpre folie,
- Ne reproche qu'à toi le peu qu'a notre treille
- Vendangeront ta faute et ta mélancolie ;
- Que mon silence enfin soit ma seule réponse :
- Si ma table de hêtre est frugale en festin,
- Ma demeure s'accorde à celui qui renonce
- Et qui remet sa main aux mains de son destin.