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plus humbles. Ainsi, dans L'Alérion, à côté des évocations héroïques apparaissent des scènes rustiques et pastorales d'une infinie douceur; et un peu partout on peut lire des vers comme ceux-ci :
- Et les grands linges purs sèchent déjà sur l'herbe
- ....................................................
- Elle était tellement en moi
- Que je la cherchais dans le silence,
- Que je la cherchais en fermant les yeux,
- ....................................................
- Et les haleurs courbées qui chantaient en hâlant
- Pas à pais côtoyaient, dans l'eau, leur ombre noire
Les combinaisons rhythmiques sont également fort nombreuses et fort variées : alexandrins traditionnels, vers assonancés, vers libres, clausules de strophes qui ne riment ni n'assonnent. Trouverai-je que ce dernier effet est parfois un peu brutal et d'un art à mon gré trop primitif, parce qu'il oblige à subir directement la surprise d'un pur procédé matériel ? Ainsi lorsque, à deux reprises, La Gardienne profère le monosyllabe :
le jeu de l'illusion perd beaucoup de son mystère et n'est pas aussi discret qu'on pourrait le requérir. Au contraire, il y a plaisir à retrouver ici la grande période poétique en alexandrins à rimes plates; délaissée depuis Hugo et Leconte de Lisle, pour cause peut-être d'impuissance à en dérouler la vaste et sinueuse draperie, et il ne semble guère qu'on puisse exiger plus que cet admirable couplet:
- Et je vous hais; pennons, pour cette allégorie
- Que secouait le vent du soir, ample en vos pans !
- Hampe où s'accroche l'ongle des griffons rampants,
- Et votre saut cabré, licornes pommelées
- Dont l'emblème emportait à travers les mêlées
- Ceux dont l'âme pareille aux bêtes du blason
- Les regardait surgir au ciel de l'horizon
- Où leurs griffes luisaient dans le vol de leurs ailes !
- Armures que le trou des blessures mortelles
- Hérissa d'un faisceau de flèches et de traits,
- Triste apparat et vaine emphase où tu riais,
- Soleil ! comme au miroir des cuirasses saillies
- Hors du lourd manteau noir de nos mélancolies
- Dont le lambeau demeure aux branches, du passé