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compagnie à une vieille femme. (Humant la brise) Quelle douce nuit! C'est inutile de demander les lampes n'est-ce pas? j'ai dit à François d'aller se promener, et je parie qu'il court le guilledou avec les bonnes. Nous resterons ici jusqu'au moment où la lune tournera... (Moment de silence. Elle reprend gravement) Sylvius, tu as beau t'en défendre, tu as un chagrin d'amour. Plus tu vas, plus tu maigris...
l'épouvanté: Je vous ai déjà déclaré, mère, que je n'aimais. personne que vous.
la mère (attendrie) : Cette bêtise ! Voyons, si c'est une fille de princesse, nous pourrions-nous l'offrir tout de même. Et si c'est une maritorne, pourvu que tu ne l'épouses pas...
l'épouvanté: Mère, vos taquineries m'enfoncent des aiguilles dans le tympan.
la mère : Et si c'est la dette, la grosse dette, hein ? Tu sais que je puis la payer
l'épouvanté: Encore la dette ! Mais j'ai plus d'argent que je ne peux en dépenser.
la mère (baissant le ton et rapprochant son fauteuil): Alors tu ne vas pas te fâcher, Sylvius ? Dame ! Vous autres hommes, vous avez des secrets plus honteux que des mauvaises passions et des dettes... J'ai résolu de me mêler de tout... tu m'entends ? Si celui qui est ma propre chaire était malade... eh bien (finement) nous nous soignerions...
l'épouvanté (avec un geste de dégoût): Vous êtes folle, ma mère.
la mère (avec emportement): Oui, je commence en effet à croire que je perds la tête rien qu'à te regarder.(Elle se lève) Est-ce que tu ne t'aperçois pas que-tu me fais-peur ?
l'épouvanté (tressaillant): Peur !
la mère (revenant et se penchant sur lui, câline): Je n'ai pas voulu te peiner, mon Sylvius ! (Un temps, puis elle se relève, et, avec véhémence) Oh ! quelle. est la gueuse qui m'a pris mon Sylvius ? Car il y une gueuse, c'est certain...