Page:Mercure de France tome 005 1892 page 149.jpg
l'épouvanté (haussant les épaules) : Mettons-en plusieurs, si cela vous convient, ma mère.
la mère (demeurant debout et semblant se parler à elle-même): Où bien un vice effroyable, un de ces vices dont nous ne nous doutons même pas, nous, les femmes honnêtes. (Elle s'adresse à lui.) Depuis que tu es ainsi, je lis des romans pour essayer de te deviner, et je n'ai rien découvert encore que je ne sache déjà.
l'épouvanté : Oh ! je m'en doute.
la mère: C'est décidé ! Demain nous inviterons des femmes, des jeunes filles. Tu reverras Sylvia, ta cousine. Tu la suivais jadis comme un toutou, et elle est devenue charmante ; un brin coquette, par exemple, mais si curieuse avec ses imitations de toutes les cantatrices en vogue ! ... Oh ! mon chéri, la femme, ce doit être la seule préoccupation de l'homme. Puis l'amour vous fait beau ! (Elle lui caresse le menton.) Tu pourras redemander la glace de ton cabinet de toilette !...
l'épouvanté (se dressant avec un geste d'effroi): La glace de mon cabinet de toilette ... Mon Dieu ! des femmes, des jeunes filles, des créatures qui ont toutes au fond des yeux des reflets de miroirs.. Ma mère ! Ma mère ! Vous voulez me tuer...
la mère (étonnée): Quoi ! Encore des idées à propos des miroirs ! C'est donc sérieux, cette manie ? Ma parole, il a fini par s'imaginer qu'il était laid. (Elle rit.)
l'épouvanté (jetant,un regard furtif derrière lui, du côté de la Psyché que la lune éclaire lointainement) : Maman, je vous en prie, abandonnons cette discussion. Non, mon physique n'est pas en jeu... Il y a des causes morales... Mon Dieu ! Vous voyez bien que j'étouffe !.. Est-ce que vous comprendriez !.. Oh ! depuis huit jours c'est une persécution incessante ! Vous m'accablez ! Non, je ne suis pas souffrant !... J'ai besoin de solitude, voilà tout. Invitez tous les miroirs qu'il vous plaira, et accrochez au mur toutes les femmes de