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prédestiné, j'ai été averti dès mon enfance..:. J'avais dix ans, j'étais là-bas, dans le pavillon de notre parc, tout seul, et, en présence d'un grand grand miroir qui n'y est plus depuis longtemps, je feuilletais mes cahiers d'écolier, j'avais un pensum à écrire'. La chambre close, aux rideaux tirés, me faisait l'effet d'une demeure de pauvres; elle se meublait de chaises de jardin toutes rongées d'humidité, d'une table couverte d'un tapis sale et troué. Le plafond suintait, on entendait la pluie qui claquait sur un toit de zinc à moité démoli. La seule idée de luxe était éveillée par cette grande glace, oh ! si grande, haute comme une personne ! Machinalement, je me regardais. Sous la limpidité de son verre, elle avait des taches lugubres. On eût dit, s'arrondissant à fleur d'une eau immobile, des nénuphars, et plus loin, dans un recul de ténèbres, se dressaient des formes indécises qui ressemblaient à des spectres se mouvant à travers le ruissellement de leur chevelure vaseuse. Je me rappelle que j'eus, en me mirant, la sensation bizarre d'entrer jusqu'au cou dans cette glace comme dans un lac limoneux. On m'avait enfermé à clé, j'étais en pénitence et il me fallait ainsi, bon gré mal gré, rester dans cette eau morte. A force de fixer mes yeux sur les yeux de mon image, je distinguai un point brillant au milieu de ces brumes, et en même temps je perçus un léger bruit d'insecte venant de l'endroit où je voyais le point. Très insensiblement ce point s'irradia en étoile. Il pétillait comme une fulguration vivante au sein de cette atmosphère de sommeil, il bruissait pareil à une mouche contre une vitre. Mère! je voyais et j'entendais cela ! Je ne rêvais pas le moins du monde. Pas d'explication possible pour un gamin de dix ans, pas plus que pour un homme, je vous assure ! Je savais qu'au pavillon attenait un hangar où l'on serrait les outils de jardinage ; mais il n'était pas habité. Je me disais que, probablement, quelque araignée d'une