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épousera l'immortalité. Pour nous avoir montré les causes par leurs seuls effets à travers un art délicieusement subtil où l'Idée rôde, occulte, Maeterlinck ne nous offrit jusqu'ici que les fêtes galantes du Tragique et ne nous fit savourer que le menuet de la Mort. Son génie est tout de suggestivité, génie qui indique ne voulant réaliser ; de la sorte, il obtient d'étranges nuances dont le secret lui appartient ; mais, faute d'un corps à corps résolu, une terreur rose plutôt qu'une terreur noire persiste en son spectateur : on peut faire des bouquets avec les fleurs de ses divins cimetières, — c'est un charme de plus, charme inattendu.
Maeterlinck est un musical.
Le théâtre se peut définir le gymnase des Idées, et l'on comparera raisonnablement la scène à une place d'Athènes dont les statues seraient vivantes.
Point ne suffit au dramaturge d'insinuer les coups d'aile des aigles invisibles ; avant de rassembler la foule, il doit avoir, au préalable s'entend, capturé ces aigles, et nous devons les contempler dans la cage du décor, quel qu'il soit. La fatalité ne saurait rester dans les frises, son rôle est d'ambuler sur les planches banales. Le théâtre n'est pas un art concave, mais convexe ; il est encore l'art du raccourci des distances. Le gland en puissance y devient le chêne en acte. Que le dramaturge se dévoile donc entièrement, tel un Slave qui se confesse, et que son œuvre soit une synthèse massive offerte sous toutes ses faces et dans ses multiples variations. Montrer les phénomènes, c'est bien ; montrer leur substratum, c'est mieux encore. Un drame est une série de pugilats entre le transitoire et le permanent : idéoralisme ! Au théâtre, il sied que cela se passe ici, non là-bas ; il faut y être l’Évidence même, et la foule est à bon droit fille de saint Thomas. Le pur métaphysicien ressemble au mort de Goethe qui, soulevant le rideau, passe derrière et ne revient plus ; le dramaturge parfait, c'est un mort qui revient : son génie consiste à mourir à condition de ressusciter.
Reprenant ce mot d'évidence, je déclare qu'il faut transformer la scène en alcôve de Son Altesse la Nudité ; il doit y avoir de la nuit de noces dans une salle de spectacle.