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il l'avoue, de la Physiologie du Mariage, de Balzac, et il n'en a pas moins écrit une œuvre intéressante et neuve. Je ne lui reprocherai que le personnage de Pierre. Alors que tous les autres son simplement humains, celui-ci, qui n'est point le sujet, en somme, semble avoir été poussé à la synthèse : soin inutile, et même dangereux ici, car ce mari en bois, indifférent, brutal malgré ses airs de galant homme, devait subir sa mésaventure ; tandis qu'en nous montrant un mari plus tendre, moins rustaud, et répugnant seulement aux conseils du docteur, M. de Gramont se fût plus strictement conformé à son plan : le mari n'était plus cocu parce que, ayant cinq ou six défauts dont un seul y suffisait, il devait l'être en toute justice avec n'importe quelle femme, mais il l'était pour n'avoir pas compris que là où « l'unisson n'existe pas dans les vibrations conjugales, il y a déception, malaise, drame ».
L'interprétation fut excellente. Il serait difficile de mieux jouer que Mme Henriot le personnage de Simone, que la moindre fausse intonation pouvait si souvent ridiculiser ; j'en sais qui n'eussent point manqué de prendre des attitudes de pensionnaire ignorante ou de choir dans la naïveté feinte, ce qui eût tout gâté. M. Grand, toujours très bien, n'est-il pas cependant toujours un peu trop le même dans toutes les pièces ? Les transformations de M. Gémier, cette fois un vieux docteur, sont bien étonnantes, et — si cela peut lui être agréable — je lui dirai la stupéfaction de plusieurs personnes en apprenant que le cantonnier de Blanchette était un jeune homme. Les autres rôles étaient bien tenus par M. Léon Christian (quel mari!) MMmes Théven, Barny, Zapolska, etc.
La pièce de M. Pierre Wolff, Les Maris de leurs filles moitié vaudeville, quart comédie, quart bouffonnerie, n'est pas de celles dont on aime à s'occuper en ce Recueil. Elle est d'ailleurs fort bien faite, amusante, avec une science parfaite de ce qu'on appelle « Le Théâtre » ; et c'est précisément à cause de ces qualités — et je prie l'auteur de ne voir là aucune ironie — que sa place serait au boulevard et non au Théâtre Libre. Bonne interprétation, et M. Antoine a eu un très beau moment.
Alfred Vallette.